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jeudi 29 mars 2018

La ville invisible de Kitej

Aujourd'hui, j'ai décidé de faire du tourisme et d'aller à Rostov, Rostov le Grand, célèbre pour ses carillons. Ici, quand on a du soleil, il faut en profiter...
De loin, c'est magnifique, le Kremlin de Rostov, et le monastère Spasso-Iakovlevski-Dmitriev (du Sauveur, de saint Jacques et de saint Dmitri réunis): un rêve, ces architectures féeriques posées sur le lac, la voilà surgie, la ville invisible de Kitej, on a peine à croire à une telle splendeur. Mais la ville de Rostov, comme celle de Pereslavl, a été terriblement abîmée. Autour des merveilleux sites, ce ne sont que baraques hétéroclites, nouvelles maisons banales et sans style, châteaux Disneyland, structures métalliques incompréhensibles, et le tout dégage une impression de délabrement et d'abandon.
J'ai commencé par le monastère. Le gardien qui m'a reçue était extraordinairement gentil, un type d'une cinquantaine d'années, encore pas mal, avec un visage comme je n'en vois qu'ici, un air de simplicité bienveillante, de douceur et de franchise.
Je me suis laissée aller à acheter une broche dans le style typique de Rostov, je n'en raffole pas, car peut-être c'était bien au XIX° siècle, mais ça sent maintenant l'artisanat pour touriste. Puis, encouragée par la bonne dame du magasin, j'ai entamé l'escalade des remparts, puis de la tour de guet, avec un vertige affreux et mon genou peu fiable.
Mais ça valait le coup. Ces architectures blanches et fantastiques, que leurs bulbes gonflés et brillants semblent prêts à emporter dans les airs, baignent dans l'infinie lumière immaculée du lac et l'azur sous lequel il se perd. C'est un autre monde. C'est la ville invisible de Kitej. Tous les héros et les saints de la sainte Russie sont là, tout près, et le silence est plein des carillons enfuis, il en est encore bercé, et d'ailleurs, les cloches du monastère se sont mises à tinter doucement, un bref salut, un mouvement d'ailes.
Le gardien m'a entretenue des émissions de Nikita Mikhalkov, question politique, nous étions sur la même fréquence. Il m'a interrogée sur la France avec un air inquiet et concerné. Que Dieu bénisse cet homme adorable! Il m'a expliqué comment parvenir au kremlin en suivant la berge du lac, car le coup d'oeil était plus beau.
Le kremlin donne une idée de ce que c'était la Russie quand elle était couverte uniquement de ce genre de constructions: cela ne ressemble à rien d'autre au monde, c'est la magie de la Russie, une magie si prenante, si poétique, si mystique qu'il fallait au diable s'acharner dessus avec la rare méchanceté dont il a fait preuve à l'égard de ce pays.
Ce kremlin a servi au tournage d'une très amusante comédie soviétique, "Ivan Vassiliévitch change de profession", qui relate comment, à la suite d'une mauvaise manipulation d'une machine à voyager dans le temps, Ivan Vassiliévitch, odieux petit fonctionnaire soviétique, se trouve parachuté chez Ivan le Terrible, dont il est le sosie, tandis qu'Ivan le Terrible se retrouve dans le Moscou des années 60.
Le kremlin de Rostov pouvait seul encore restituer la résidence du tsar de façon crédible, car le Kremlin de Moscou a subi lui aussi bien des avanies. Les allusions au film sont partout, et j'ai l'impression que c'est cela que voient les gens, et pas la ville invisible de Kitej, dont je suis la citoyenne nostalgique.
Ce Kremlin, cet ensemble unique et splendide aurait grand besoin de réparation. Mais si l'on trouve de l'argent pour propulser dans le ciel moscovite des étuis péniens de béton et de verre de 200 mètres de haut, on n'en a visiblement pas pour l'architecture unique irremplaçable du XVI° et du XVII° siècles.
Visiter Rostov m'a ouvert les yeux sur ce qu'est une ville de "l'Anneau d'Or", vitrine autrefois du tourisme soviétique. C'est une ville où l'on n'a pas tout détruit: on a laissé quelque chose. Quelques monastères, un ou deux palais, un kremlin. Où l'on a fait des musées. Des parkings pour les autobus. Deux ou trois restaurants "typiques". Et où l'on vend des souvenirs industriels affreux censés représenter les objets du passé. Pour le reste, on détruit ce qu'on veut et l'on construit n'importe quoi sans se soucier une minute d'harmoniser avec ce qui existe déjà. soyez encore contents qu'on n'ai pas dynamité davantage: il est là le kremlin, non? Celui de Serpoukhov n'a pas eu cette chance...
J'ai fait le tour du "marché des métiers": les joailleries de Rostov (finift), des chaussettes tricotées multicolores et d'horribles babioles d'un mauvais goût insoutenable, absolument rien d'authentique. Pourtant, il doit y avoir de vrais et bons artisans, où vendent-ils?

Le monastère


portes du ciel

Et la voilà surgie, la ville invisible de Kitej, l'arche russe lancée vers le ciel...


La porte du kremlin






Dans les nuages




Je me suis poussée à sortir hier soir faire une petite marche à pied, car il fait froid, mais il y a tant de soleil, et cela me fait du bien d’être à l’air libre. Je suis montée jusqu’à l’ancien monastère, dont il ne reste rien, qu’une chapelle commémorative, une grande croix orthodoxe et une pierre tombale. La neige est si blanche, sous le soleil, et l’on ne sait où commencent les nuages, où s’arrête l’escarpement enneigé, il semble que l’on marche en plein ciel, que l’on va tout à coup voir défiler des anges, dans toute cette lumière radieuse et douce. Pereslavl s’étendait dans une ombre bleue, et je voyais scintiller les coupoles du monastère saint Nicolas comme une poignée d’étoiles. Le lac opalescent semble éclairé de l’intérieur, et les arbres parfois prennent l’éclat lustré du laiton, comme autant de chandeliers jaunes qui attendent que le printemps éclaire leurs innombrables flammèches vertes. Et des oiseaux passent en bande. Un jeune père fait de la luge avec son petit garçon de trois ou quatre ans.
Je me suis assise au pied de la chapelle, dans le vent discret. Je pensais au spectacle que devait offrir Pereslavl au XIX° siècle, avant l’effondrement. Je rêvais de la ville invisible de Kitej où j’aimerais m’enfuir à jamais. Car dès mon enfance, je n’étais pas de ce temps, d’ailleurs s’y adapter, n’est-ce pas se donner au démon ?
Cependant, les gros nuages immaculés  passaient dans leur mouvement éternel et emportaient la lune, toute blanche, dans ce gouffre profondément bleu qui me faisait face, et derrière moi, brillait une maison jaune, elle brillait si gaiment, qu’elle éclipsait toutes les autres, les neuves et moches et leurs palissades métalliques.
Le prince Alexandre n’était pas loin de mon âme, et aussi le tsar Ivan et son serviteur Féodor, le tsar redoutable et son Peter Pan ténébreux, et je conversais intérieurement avec eux, comme bien souvent, avec ces deux personnages qui me semblent si malheureux, et envers moi, bienveillants. Mais qui prie encore pour eux ? Sans nul doute, ils se raccrochent à cette prière, comme Ariane à son fil, dans le labyrinthe des siècles désertiques. 
 Le paysage d'ici est plein de ces présences, ce qui fut m'est plus réel que ce qui est, ou disons que ne je puis séparer ce qui est de ce qui fut. Mon présent est plein de passé, mon présent est insondable et mon être millénaire.




La maison jaune


mercredi 28 mars 2018

Kemerovo


L’incendie d’un centre commercial à Kemerovo a fait beaucoup de victimes, dont énormément d’enfants, coincés dans un cinéma, parce que la direction, pour éviter les resquillages, avait fait barricader les issues. Les règles de sécurité n’ont pas été respectées, les gens accourus pour sauver leurs proches grossièrement repoussés. La population est soulevée d’indignation, les fauteurs de trouble en profitent pour verser de l’huile sur le feu. Chez les orthodoxes, on appelle à la prière et au silence, et moi, je veux bien, mais ce que je pense du fond du cœur c’est que les riches en Russie se permettent n’importe quoi avec un rare cynisme et depuis longtemps. Tous ces demi-bandits ou tout à fait bandits, à moitié députés, plus ou moins fonctionnaires, tout ce que sous le nom de boyards Ivan le Terrible empalait joyeusement en place publique, et je commence à le comprendre. Ce sont les mêmes créatures qui crachent sur « la populace » russe, saccagent les monuments historiques, placent leur argent à l’étranger, vendraient père et mère et à plus forte raison leur pays au premier venu.  Il me revient en mémoire plusieurs affaires. Par exemple, le jeune homme tué près de chez Xioucha, alors qu’il marchait tranquillement sur le trottoir, par un chauffard de la jeunesse dorée qui conduisait à tombeau ouvert et ne s’est même pas arrêté. Ou la salope, femme d’un truand local, qui a écrasé un enfant de six ans dont la police prétendait ensuite sans vergogne qu’il était bourré d’alcool autant qu’un ivrogne le samedi soir. Il suffit d’acheter, de menacer, et tout s’arrange, pour ces gens-là.  A cela, il faudrait mettre bon ordre, et d’urgence, et avec décision.
Je regarde avec consternation tant de jeunes et jolis visages qui ont disparu de cette façon atroce, parce que de gros requins ne pensent qu’au fric.  Un prêtre connu, le père Andreï Tkatchov, a commenté l’affaire en recommandant aux gens de ne jamais oublier de prier quand ils vont dans ce genre d’endroits, toujours beaucoup plus dangereux que les autres. En effet, et même il faudrait les asperger d’eau bénite. Et même ne pas y aller du tout. Pour deux raisons : cela s’appelle un centre commercial et un centre de loisirs, c’est à ce double titre un endroit à fuir. Centre commercial égale temple de Mammon, « consacré » à l’argent-dieu, destiné à nous en faire dépenser un maximum et à enrichir encore davantage les sangsues qui en sont les concepteurs et les gérants. Centre de loisirs, de loisirs de bas étage avec des films de merde et de la musique de merde qui avilissent et abrutissent ceux qui s’y laissent prendre, la conception même de loisirs et de centres à eux « consacrés » est une horreur dégradante qui salope les paysages et pervertit les populations. Le loisir doit être d’une autre nature. Il doit être en lien avec la nature et notre nature, sans nuire ni à l’une ni à l’autre.
Il est bien évident que dans le monde entier, les riches sont devenus absolument infréquentables. Je suis convaincue que seules les monarchies préservaient les populations de leur dictature absolue et transnationale. La prise de pouvoir par les bandits et leurs hommes de main et l’installation de dictatures mafieuses me paraît l’aboutissement obligatoire du système démocratique qui favorise la division des gens en factions et en partis, qui encourage les querelles, les calomnies, la presse à scandale et s’appuie sur les sentiments les plus vils, les plus dégradants. Le pire des monarques me paraît toujours préférable à un dictateur issu de l’idée démocratique, et l’on a vu que de n’importe quelle tendance, les dictateurs ont fait partout beaucoup plus de victimes que n’importe quel monarque du passé. La démocratie est aux bandits ce que la libération sexuelle est aux pervers et aux irresponsables : une aubaine, un vivier, un bouillon de culture.
Certains, devant les excès épouvantables du capitalisme débridé, prônent le communisme, comme s’il avait été lui-même innocent de tous crimes de masse et de formidables ravages culturels, quand on ne veut plus de la peste, il faut obligatoirement choisir le choléra… Pourtant, en l’état actuel des choses, et dans l’impossibilité de revenir à une situation antérieure plus saine, je préfèrerais personnellement un retour à une forme de communisme national modéré à ce que le capitalisme cupide est en train de faire de nos société et de notre planète. Aucun pouvoir n’a été aussi destructeur ni aussi profondément corrupteur ni aussi dangereux  que celui qui s’installe à présent : tout être resté normal en a les cheveux qui se dressent sur la tête, et comme on dit ici, nous n’en sommes qu’aux fleurettes, attendez les fruits…
D’autres, des intellectuels russes, pleurnichent qu’on en peut pas vivre en Russie, j’ai vu cela, on ne peut pas vivre en Russie, où tout est affreux, épouvantable et sans espoir, alors qu’en Europe (violons, jazz moelleux, petits oiseaux), alors là, en Europe, c’est la démocratie radieuse et l’abondance, les lendemains qui chantent aux terrasses parisiennes ensoleillées, les jolies boutiques et les parterres de fleurs. Alors, pourquoi suis-je venue en Russie, en dehors de toutes mes raisons personnelles d'aimer ce pays et sa culture ? Parce que la parenthèse trompeuse de l’Europe prospère est en train de se refermer, et qu’après avoir mangé le fromage, nous découvrons la nasse où l’on nous a poussés : nous n’avons plus aucune souveraineté nationale, nous sommes entièrement inféodés à des puissances visibles ou occultes qui ont décidé de nous faire disparaître, avec notre culture et notre identité, de nous croiser comme des vaches avec les taureaux noirs qu’elles font venir par millions sur notre territoire, de façon méthodique, délibérée, en nous anesthésiant avec une propagande effrénée accompagnée d'intimidation systématique.  Parce que l’avenir de l’Europe, c’est le Kosovo géant. Parce que les centres commerciaux  tuent nos villes, où sur nos places historiques ne rôde plus qu’une racaille allogène agressive et impudente que nous sommes censés supporter sans mot dire et à laquelle nos tribunaux et notre presse donnent systématiquement raison. Parce que cette presse, idéologiquement ou par intérêt, ne s’occupe plus que de propagande et ment d’une manière éhontée. Parce que nous ne pouvons plus nous exprimer librement sans risquer l’opprobre publique et la ruine, sinon l’emprisonnement. Parce que nos enfants seront pervertis et abrutis dès la maternelle. Parce qu’à force de s’entendre inculquer des idées absolument contre nature, les européens se sont transformés en une bande d’idiots hagards dont on fait ce qu’on veut, de véritables fous grotesques. Parce que nos derniers paysans ont perdu tout lien avec la terre et la tradition et se suicident en masse. Parce qu’on détruit des églises et construit des mosquées. Parce qu’on couvre les chrétiens de boue et de sarcasme, qu’on interdit les crèches et les croix. Parce que ce qui n’est pas déjà interdit est obligatoire. Parce que nous marchons sur la tête. Parce que nous ne sommes plus maîtres de notre destin. Parce qu’on nous conduit à l’abattoir, à la maison de fous et au bordel planétaire, et que l’unique peuple qui résiste encore, c’est le peuple russe et que la Russie, comme dit le père Basile, est notre dernière arche. Alors, intellectuels libéraux qui jugez votre peuple « irrécupérable » au regard des merveilleux critères de l’Europe civilisée, quittez-la donc, cette arche. Moi, je suis venue aider les Russes qui aiment leur pays à comprendre qu’ils ont bien raison de le faire et à colmater les voies d’eau.


mardi 27 mars 2018

Le bahut fidèle



Je me demande si le printemps va finir par arriver. Il neige à nouveau, on annonce -13 la nuit, et je ne vois pas la température remonter avant le 6 avril, les prévisions pour le mois entier ne sont pas plus réjouissantes, on arrive à 10° à la fin avril. Je me souviens avoir lézardé à la datcha en tee-shirt sur mon hamac fin avril dans le vent tiède...
Cela veut dire que le printemps sera très court, peut-être pourri, comme l'année dernière. On a envie de planter, de voir pousser, d'être dehors. C'est dur.
Et dire que début janvier, tout avait fondu!
En Russie, on dit que le printemps s'installe après Pâques, Pâques, c'est le 8 avril. Pourvu que ce soit un vrai printemps...
J'ai poursuivi l'ornementation de mes plafonds. Je préfère qu'elle reste discrète dans mon atelier, pour ne pas jurer avec les tableaux qui envahiront les murs, je me défoule surtout dans la cuisine. J'ai des doutes sur le résultat, j'aurais dû placer les motifs plus loin du lustre.
J'ai acheté une clématite, qui reste sur le bord de la fenêtre, face au jardin tout blanc. Des fleurs de sedum, qui ont stagné des mois dans un vase, ont fini par donner des racines, je les ai plantées dans un pot, en attendant de les mettre un peu partout dehors. J'ai planté des oignons, qui me font de la verdure pour les salades, un trognon de céleri, qui s'est enraciné et donne des feuilles pour la soupe.
En France, j'ai fait découper un miroir pour mon cadre paysan typique, comme on en voyait dans les isbas. Il est au dessus d'un bahut ancien qui se trouvait dans l'appartement de fonction que j'ai occupé à Moscou dans un "dipkorpous", immeuble pour diplomates. J'ai vu ce bahut la première fois quand j'ai été invitée par un collègue dans cet appartement, il était accompagné d'autres meubles anciens que lui-même y avait trouvés et que des occupants précédents avaient abandonnés: les exporter de Russie est très compliqué. Puis cet appartement a été attribué à une néo-soixante-huitarde qui s'habillait comme une clocharde et m'avait dit, toisant avec mépris le duffle-coat bleu marine que m'avait confectionné ma mère à un moment où j'étais particulièrement fauchée: "Je reconnais toujours les bourges à leur goût pour le bleu marine". Le bahut avait dû lui sembler désagréablement bourge, lui aussi, car avec son jules "artiste", elle avait trouvé le moyen d'endommager le placage en posant une casserole dessus, ce que j'ai constaté en récupérant l'appartement après son départ, dans un rare état de crasse. Puis l'ambassade nous a virés des "immeubles pour diplomates" en nous recommandant de virer nous-mêmes tout ce qui était à l'intérieur. Le bahut m'a donc accompagnée dans mon nouvel appartement. Quand j'ai dû quitter la Russie, ne pouvant emporter cette antiquité, je l'avais mis à la datcha, où il est resté, après la vente de celle-ci, mais quand je suis revenue à Pereslavl, le nouveau propriétaire me l'a restitué. Ses gosses l'avaient un peu crayonné et y avaient collé des pastilles, je l'ai nettoyé, et nous voici, le bahut et moi, à nouveau ensemble...




le lustre est un cadeau de Xioucha



au bord du lac


lundi 26 mars 2018

Une douce douleur et de dures conclusions

Le père Andreï Tkatchov  photo Tsargrad


L’archiprêtre Andreï Tkatchov à propos de la tragédie de Kemerovo. Une interview de la chaîne  Tsargrad
Ce jour où toute la Russie suit avec épouvante et douleur la tragédie qui a emporté des dizaines de vies enfantines, « Tsargrad » a discuté de l’attitude chrétienne devant ce malheur avec  notre auteur permanent, le pasteur et prêcheur orthodoxe bien connu, clerc de l’église saint Basile le Grand à Zaïtsevo, l’archiprêtre Andreï Tkatchov.
Tsargrad : Aujourd’hui, des millions de gens dans notre pays et au-delà se posent les questions : comment une tragédie d’une telle ampleur, dans laquelle a péri une énorme quantité d’enfants, a-t-elle pu se produire ? Pour quoi le Seigneur permet-il ou, comme disent les croyants, laisse advenir des événements aussi terribles ?
L’archiprêtre Andreï Tkatchov : Depuis l’époque du meurtre d’Abel par Caïn, il ne convient plus de s’étonner de la mort en tant que telle. Sans conteste, elle effraie les gens, elle met nos sentiments moraux à l’épreuve. Mais si nous réflechissons plus profondément à la question, nous comprendrons qu’envers la mort elle-même nous nous trouvons dans l’illusion. Elle s’accomplit constemment, mais ce sont seulement ce genre de tragédies massives qui éveillent la conscience sociale. Prêtez attention aux statistiques des accidents de voiture aux issues fatales, à celles des accients du travail ou des règlements de compte criminels. Tout cela nous montre le « royaume de la mort » sous un aspect dévoilé. Et cela sans parler des hospices, des hôpitaux, des réanimations, des maladies, des opérations et ainsi de suite.
Ts : Mais tout cela ne nous épouvante pas autant qu’une mort d’enfants aussi massive et aussi terrible. Comment le comprendre d’une façon chrétienne ?
A.T. Bien sûr, il faut ici frémir et se rappeler que l’homme n’est pas seulement mortel, il peut l’être subitement, et c’est précisément là le plus terrible. Ce qui ajoute de la peur, c’est que l’endroit de la catastrophe était un endroit de repos et de réjouissances.  De telles choses se produisent quand coule un bateau de croisière, où les gens s’étaient réunis pour s’amuser, danser, regarder depuis la mer ou la rivière des couchers ou levers de soleil, et il faut tout à coup aller par le fond avec le bateau. Ou bien quand un parc d’attractions passe de lieu de rires d’enfants à un lieu de cris, de sang, et de cheveux blancs pour les parents.  Et là, on ne peut en tirer qu’une conclusion : il ne faut jamais abandonenr la prière nulle part, même là où l’on est venu s’amuser. Il n’y a aucun endroit sur la terre, où l’on puisse se laisser aller jusqu’à se sentir en sécurité, où que l’on soit. Et je ne parle même pas du terrorisme, mais juste de cette civilisation qui nous entoure.  La quantité  de dangers pour l’homme s’est augmenté en proportion égale à celle du confort. L’électricité éclaire magnifiquement notre maison, mais elle nous électrocute ou crée des courts-circuits. Et tous ces plastiques contemporains brûlent plus vite et sont plus dangereux que le bois. Et tout ce qui nous entoure par ailleurs : l’énergie atomique, la production de voitures, et beaucoup d’autres choses prévues pour notre confort qui nous frappent, comme un esclave qui échappe à notre contrôle. Et tout cela réclame une prise de conscience de la faiblesse de l’homme et du danger d’uen civilisation conçue pour certains buts, mais apporte autre chose de secondaire. C’est dans l’ensemble tout le problème du monde contemporain.
Ts . Et comment expliquer cela aux parents qui en l’espace d’une heure ont perdu leurs enfants ? Quels mots trouver pour eux ?
Dans la période de douleur aiguë de la personne en état de choc qui a perdu ses proches, il ne faut rien expliquer. Il faut permettre au temps de faire son travail thérapeutique. On peut l’expliquer seulement à ceux qui posent cette question de manière philosophique et qui n’ont perdu personne. A celui qu’inquiète le tableau d’ensemble du monde : la compréhension de Dieu et de la place de la souffrance dans notre monde. Mais aux parents et aux proches de ceux qui ont péri, il ne faut rien expliquer. Il faut se taire. Et même plus, une conversation superflue peut seulement aggraver leur traumatisme. C’est pourquoi ici, il faut le tact que n’avaient pas, disons, les amis du juste Job aux multiple souffrances, dans l’Ancien Testament. Il souffrait, et ils lui en parlaient, ce qui ne faisait qu’ajouter à sa douleur.  C’est pourquoi que celui qui a la foi prie. Et que celui qui ne l’a pas réfléchisse. Dieu a créé l’un et l’autre pour que l’homme n’ai pas de justification. « Aux jours du malheur réfléchis », ainsi parle l’Ecclésiaste. Le malheur rapproche Dieu de l’homme et l’homme de Dieu. Car aux périodes de confort et dans la zone de confort, les gens oublient Dieu.
TS. Mais tout de même en quoi aujourd’hui l’Eglise peut-elle aider les parents et les proches de ceux qui ont péri ?
 A.T.L’Eglise ne doit pas faire double emploi avec le gouvernement qui va aider matériellement et recruter, mobiliser le travail des psychologues et autes services. L’Eglise peut faire ce qu’elle doit toujours faire : en appeler au Dieu Vivant pour le salut des âmes de ceux qui ont péri dans la fumée et les flammes, pour le soutien du cœur déchiré des parents en deuil, pour que ne se répètent pas de pareils cauchemars. C’est-à-dire que notre affaire principale est de converser avec Dieu, de converser en pleurant avec Dieu sur ce qui se passe.
TS : L’un des péchés qu’il est convenu d’appeler « mortels », c’est la cupidité. Et c’est justement de quoi  l’on parle beaucoup en ce moment, car il est évident que beaucoup de ces tragédies du genre de Kemerovo s’enracinent dans ce péché, dans cette passion.
 A.T Sans aucun doute. Nous vivons dans un monde dans lequel le profit est le sens de la vie pour la plupart des gens. Et cela autant pour ceux qui font des affaires que pour ceux qui n’en font pas. Le bénéfice maximum devient la justification de toute activité « par défaut ». C’est pourquoi se retournent les vaisseaux que des passeurs surchargent avec toujours plus de matériel technique et de gens pour vendre davantage de billets.
C’est pourquoi se créent des situations favorables aux incendies là où on ne s’occupe qu’en tout dernier lieu des installations de sécurité, c’est pourquoi brûlent des boîtes de nuit et des centres commerciaux. Notre époque ne nous apprend pas à penser à l’être humain, nous devons l’apprendre nous-mêmes. Et la tendance mondiale générale, dans laquelle nous sommes submergés et dans laquelle nous suivons le courant,  c’est gagne de l’argent, tant que tu en as la possibilité, et on se débrouillera bien avec le reste.
Ts. Quelle conclusion devons-nous en tirer ? A quoi réfléchir en premier lieu, au vu de ce qui s’est passé à Kemerovo ?
A.T A nouveau, sans doubler l’action du gouvernement, nous devons attendre de lui un contrôle sérieux et une vérification de la sécurité de tous les endroits où s’accumulent des masses de gens. Cela concerne la prévention des incendies et bien d’autres choses (ce qui est particulièrement important à la veille de la coupe du monde de football). Nous sommes des chrétiens orthodoxes et, je le répète, nous devons comprendre qu’on ne peut jamais délaisser la prière, surtout dans les endroits où s’amassent beaucoup de gens.
L’insouciance nous est contre-indiquée partout, car même là où l’on est venu se reposer simplement, se vautrer sur la plage, on se trouve dans la même zone à risques que, par exemple, dans un lieu de production technique. C’est pourquoi prenez soin de vos proches, de vos enfants, de vous-même, soyez vigilants. Et ne croyez pas que le monde moderne est  devenu un paradis grâce au progrès technique. Au contraire, il est devenu plus dangereux, plus menteur, plus ambiguë. Le masque de ce monde s’arrache peu à peu, dans toutes les parties du monde et ici, nous ne faisons pas exception.

Mikhaïl Tiourenkov
trad. Laurence Guillon

dimanche 25 mars 2018

Saccage


Il fait encore très froid la nuit, mais le jour est plein de lumière, d’azur sur la neige éblouissante, de nuées irisées qui passent en jetant des flocons dans de grands rayons de soleil. Le paysage sans cesse s’obscurcit et s’éclaire. 
J’ai voulu aller me promener du côté du  monastère Nikitski, et du lac, c’était le plus beau monastère, et le plus bel endroit de Pereslavl, et tout cela s’abîme à vue d’œil : on construit n’importe quoi n’importe où. Des palissades découpent le gâteau, c’est-à-dire cette merveilleuse lande où l’été, couraient le vent et les fleurs sous les nuages, et qui était restée la même depuis le moyen âge, sous le vaisseau fantastique du monastère et de ses coupoles d’argent. On la découpe en tranche pour en tirer du fric, pour fournir de la distraction au consommateur moscovite, pour bâtir des maisons moches et banales, prétentieuses et mal fichues, des centres commerciaux, des discothèques, des restaurants et des parkings et des centres de sport et de loisir. Pour l’instant, les pétitions et autres actions désespérées des gens du cru et des collaborateurs du musée retiennent encore les requins d’achever leur méfait, mais je ne doute pas qu’ils emploient bien leur temps, harcèlent, soudoient, menacent peut-être, la galette est prête, ils veulent la manger, et le saccage sera consommé. Le saccage complet de Pereslavl, impitoyablement défiguré. Ce que le communisme avait épargné, le libéralisme capitaliste l’achèvera. La seule chose qui aurait pu sauver les environs du monastère Nikitski aurait été une ferme nationalisation de ce parc, de cette réserve naturelle, de ce bien commun historique, de ce refuge de la beauté et de la mémoire, mais cela n’a pas été fait, aussi le site sera pollué, à tous les sens du terme : visuel et écologique. La source de saint Nicétas deviendra un cloaque et le lac une pataugeoire.
Je ne sais plus qui m'interrogeait sur la célèbre "pierre bleue" païenne, un bloc de granit qui était l'objet d'un culte, il est à présent environné de baraques qui m'ont ôté toute envie d'aller le visiter: les pierres païennes bordées de constructions touristiques n'ont certainement pas la même magie...
Ayant vu et constaté, j’ai pris la décision de ne plus aller là bas : c’est trop triste.
Quand j’ai été interviewée par Politvera, elle m’a demandé ce qui me déplaisait le plus en Russie, j’avais répondu les conseils indiscrets des femmes qui veulent mon bien, mais en réalité, cela n’est rien, c'est une broutille. Ce qui me bouleverse, c’est le mauvais goût, et la corruption, mais cela va de pair, car si l’on ne pouvait toujours acheter un fonctionnaire pour massacrer tranquillement un site, la laideur fantasmagorique du post-soviétisme ne rongerait pas ce qui reste de la Russie avec cette rapidité catastrophique.
Comme disait Dany Kogan dans un commentaire, les ascenseurs du diable font peu à peu remonter l’enfer jusqu’à nous, et nous n’aurons bientôt plus que les églises comme refuge...
Je suis allée ce matin à celle du Signe, celle du marchand de vin et spiritueux touché par la grâce. Il y avait beaucoup de vieilles, mais j’arrivais à m’asseoir.  Les fresques donnent une agréable impression d’ensemble, bien que les figures en soient assez raides. Les icônes de l’iconostase m’ont paru  jolies, et même, celle de la Transfiguration brillait comme une étoile, mais l’iconostase lui-même surchargé de dorures, les étouffe complètement. Il me paraît clair que l’iconostase doit être avant tout un support, un écrin. Quand on offre un brillant, on le présente sur du velours sombre et uni, pour qu’il ressorte. Or la plupart du temps, je vois l’iconostase ramener ses dorures en se fichant éperdument d’éclipser les icônes qu’elle supporte. Les gens semblent ne pas imaginer possible de laisser une belle surface de bois lisse et ciré autour des icônes, il faut obligatoirement le torturer, le creuser dans tous les sens de motifs grouillants et l’asperger d’or. Comme le fond des icônes, en Russie, est généralement doré, cela fait beaucoup d’or quand même, je ne voudrais pas dire…
D'un autre côté, je regardais les icônes dont le fond n’est pas doré, eh bien alors il est « bien peint », méticuleusement, c’est-à-dire qu’on le dirait ripoliné, on voit qu’on s’est bien appliqué à ne pas laisser la moindre différence de tonalité, d’épaisseur, et la lumière ne passe plus du tout, ça ne circule pas, c’est juste bien peint.  Il vaut mieux de l’or, au moins il y  a des reflets. Pourtant, je me souviens de la réflexion d'Ouspenski, me toisant au dessus de ses lunettes d'un oeil plein de sarcasme, quand je lui avais demandé de m'apprendre la dorure: "Pourquoi voulez-vous dorer vos icônes? vous êtes riche?"
Que se passe-t-il avec les gens depuis qu’on a quitté le monde traditionnel où tout était spontanément beau ? Plus personne ne voit de liens entre les choses. L’iconostase d’un côté, les icônes de l’autre, aucun rapport entre l’un et les autres. Le monastère et n’importe quoi autour, n’importe où, n’importe comment. On construit sa maison comme un chien pose sa pêche, sans se soucier une minute du paysage environnant et des architectures voisines. Comme si de plus en plus nombreux, chacun de nous était seul au monde. Et en effet, c’est bien de cela qu’ils’agit : plus de liens traditionnels avec les ancêtres, plus de liens historiques, plus de liens spirituels, plus de liens avec le cosmos, plus de liens avec la nature, plus de liens entre nous… Des poissons de banc, au gré des courants.
Un des sens du mot religion, c’est "relier". Je vois sans cesse, dans les commentaires français sur facebook, des gens bien formatés et complètement ignorants accuser « les religions » de tous les maux de la terre, j’en accuse au contraire ceux qui ont rompu tous nos liens, ceux qui ont « éteint au ciel des étoiles qui ne se rallumeront plus », et s’en vantent. La religion, la tradition, l’art, c’est ce qui nous permet de renouer encore quelque chose. Mais la religion d’autrefois, l’art et la tradition d’autrefois étaient aussi portés par l’immense communauté du monde paysan forcément relié, car dépendant du milieu écologique, de la nature, qu’il connaissait bien, qui était son élément. Du reste, quand je lis les psaumes, je le retrouve, cet élément, les Écritures sont pleines de ce monde agricole et pastoral que nous avons laissé assassiner et qui était notre richesse spirituelle et culturelle millénaire irremplaçable, notre humanité lui survivra-t-elle?

Le monastère, je ne sais plus où me mettre pour le photographier

Ces palissades, il y en a des kilomètres. Entre celle-ci et le village de Gorodichtché, si personne n'empêche le saccage, tout sera bâti de baraques recouvertes de plastique et de centres commerciaux et "de loisirs". Le lac et le monastère deviendront complètement infréquentables.  

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vendredi 23 mars 2018

Giboulées



Petrovskoïe
Là, tout de suite, tempête de neige. Mais dans la journée, de brusques déploiements de lumière à travers les flocons, à travers des nuages majestueux, vêtus d’ombre profonde et coiffés de crinières aveuglantes. C’est beau, c’est magique, le combat de l’hiver qui résiste et du printemps jeune et doré qui le provoque, se retire et revient à la charge. Il serait temps qu'arrive sa victoire définitive. Mais ces lumières mouillées, ces vibrations et ces reflets me captivent, et ce paysage, ces forêts, si étranges et si prenantes. Je les traversais avec une sorte d'exaltation apaisée, comme si j'étais passée au dessus de moi-même.
Rosie avait disparu pendant deux jours, elle est revenue roupiller toute la soirée et toute la nuit, je me demande bien ce qu’elle fabrique, la louve des steppes... 
Après l'enregistrement du visa,  je me suis rendue à Petrovskoïé pour recommencer tout le cirque de celui de ma bagnole. On m’avait dit que je n’aurais pas à changer mes plaques et que ce serait moins cher mais pas du tout, il m’aurait fallu faire cette procédure avant l’expiration de mon visa car le jour où il a expiré et où je suis partie en France, ma voiture a perdu son enregistrement et son numéro. Seulement je ne pouvais pas refaire son immatriculation sans avoir le nouvel enregistrement de mon nouveau visa. J’ai dû aller payer une somme complémentaire à la Sberbank locale. L’église de Petrovskoïé est ravissante, dommage qu’autour, les maisons deviennent toutes des emballages de plastique géant  avec des lettres criardes et des trucs qui clignotent.
J’ai passé trois heures à Petrovskoïé, on remplit des tas de papiers, puis on m’envoie de l’autre côté de l’immeuble faire examiner la bagnole (neuve) par l’inspecteur, et celui-ci  remplit des papiers, puis me réexpédie au bureau précédent, où on remplit des papiers, puis on me donne de nouvelles plaques et démerde-toi pour les poser. La dernière fois, l’inspecteur m’avait regardée comme une habitante de la planète Mars, mais il m’avait aidée, cette fois, il a été à la limite de la grossièreté, peut-être même carrément en plein milieu, mais j’avais des liens en plastique achetés chez le quincaillier serbe, et j’ai pu me débrouiller sans ce malotru.
Il m’a fait attendre tellement longtemps le contrôle technique (purement symbolique) que j’ai même pu faire la sieste. Et dans le bureau ensuite, j'ai eu droit au discours de Poutine.
En partant pour Pétrovskoïé, à la sortie de Pereslavl, j’ai pris un bonhomme en stop. C’était un moscovite qui avait fait le retour à la terre, il y a dix ans « a lia ferm » (en français dans le texte !). Sa voiture était en réparation depuis des temps, car la boîte de vitesse sophistiquée et électronique est difficile à réparer. «Je suis pour un retour à l’antiquité profonde, me dit-il. Si vous saviez comme je suis bien là où je suis… C’est une autre dimension. Je passe mon portail, et c’est un autre monde. Mes gosses ont des joues rouges comme des pommes, ils sont heureux comme des rois. Le matin, j’ai fréquemment un élan qui vient dire bonjour, il vient nous regarder par la fenêtre. Vous rammassez de la canneberge ?
- Je n’en ai pas encore eu l’occasion.
- Je vais vous donner ma carte, venez, j’ai un marais au bout de ma terre, et plein de canneberge, surtout ne vous gênez pas ! »


mardi 20 mars 2018

Des roseaux



Il faisait si beau, hier, que je suis allée me promener avec Rosie, malgré mon genou, mais je note une amélioration, il ne me fait plus mal la nuit. L'espoir me vient que l'acide hyaluronique hors de prix va me donner un sursis. En même temps, même avec ce secours artificiel, il me faut désormais ménager mes articulations, et peut-être m'orienter vers un autre genre de vie, plus immobile et plus recueilli.
Le soleil inondait une neige encore abondante et propre, qui ne fond pas, car les nuits restent froides. Le soleil chauffe à travers un vent frais mais radouci qui porte des chants d’oiseaux et le léger tintement froissé des roseaux. Je ne me lasse pas de ces roseaux, de leur souplesse échevelée, de leur foule gracile qui danse à petits pas d’ombre bleue sur tant de radieuse blancheur, de leurs têtes brillantes et soyeuses qui se bousculent en oscillant. C'est comme une sorte de musique visuelle, de rythme silencieux, une suite symphonique de points vibrants.
Un carillon me parvenait à travers le souffle retenu du vent : je l’ai su plus tard, c’était la fête des quarante martyrs de Sébaste et les cloches de l’église qui leur est consacrée. Dommage que je ne sois pas allée à l’office. Quel profond bonheur d’entendre ces voix de bronze traverser doucement l’azur…
Rosie courait devant moi, joyeuse. Elle est drôle, pleine de vie, et même trop pleine pour moi, libre comme l’air, une tsigane. Une louve domestique.
Je suis chiante, je n'en fais qu'à ma tête, mais je t'aime, mémé.
J’ai fait une aquarelle, assise sur la glace du lac, avec mon sac à dos comme coussin.
J’ai besoin de ces moments dans la nature, dont me privaient l’arthrose et la pâtisserie. La pâtisserie, il me faut y retourner, mais je n’en ai guère envie, j’aime bien tout le monde, mais c’est trop contraignant. Je n’arrive même pas à terminer ma traduction, qui est compliquée, car philosophique et politique, il me faut saisir la pensée de l’auteur et la restituer sans la trahir. J’en ai même la migraine.
Sur Facebook, je suis contactée par des orthodoxes africains, et je serais tout à fait bien disposée, s’ils ne se jetaient à ma tête pour avoir de l’argent, et pas seulement à la mienne, d’ailleurs. Je n'aime pas trop qu'on se jette à ma tête, car j'ai de nombreux correspondants, si chacun se lance dans une conversation privée, dès que je l'ai accepté sur ma liste, et veut m'appeler au téléphone, je ne suis pas sortie de l'auberge, laissons-nous le temps de faire connaissance. Je n’aime pas qu’on me harcèle pour obtenir du fric, d’autant plus que les occasions d’en donner sont innombrables, pourquoi en donnerais-je à ceux qui le demandent avec le plus d’assurance ? Il y a les populations du Donbass, qui en ont besoin, et un jour, j’ai envoyé cent euros pour acheter une bicyclette à des gosses, mais de ma propre initiative. Il y a les prêtres qui restaurent des églises, et là aussi j’ai banqué.  Il y a les malades qui ont besoin d’une opération ou de soins particuliers. Il y a les refuges d’animaux, où des bonnes femmes héroïques soignent la misère de nos victimes à quatre pattes. Il y a le Kossovo, la Syrie, le Yemen. Il y a les sans abri que secoure le père Théodore aux Trois Gares.  On ne sait où donner de l’obole, et certains viennent l’exiger, pourquoi passeraient-ils premiers ? A donner tant de miettes, ma galette ne ferait pas long feu et comme me le dit Xioucha, « Lolo, gardez votre argent pour vous, tous vos amis sont fauchés, et aucun d’eux ne pourra vous aider financièrement quand vous serez très vieille ».
Toujours sur Facebook, une série de commentaires aigres de descendants de Russes émigrés sur les élections russes, forcément manipulées, "soviétiques", et de considérations honteuses sur la "populace de moujiks" qui ne sait pas se tourner vers le bonheur démocratique occidental. Il est vrai qu'en effet, nous sommes vraiment un exemple à suivre, avec nos élections immaculées, notre justice impartiale et notre presse résolument honnête et pluraliste... Ces bêtises m'ont donné la nausée. Dieu sait que j'ai plaint l'émigration russe mais une partie de ses descendants semble acharnée à faire la démonstration qu'on n'avait pas eu tort de la chasser. Aujourd'hui, plus ou moins mutilée, la Russie se relève et poursuit sa route, et ces descendants, que font-ils dans leur aquarium, à part cracher du fiel comme les poulpes crachent de l'encre?






Je ne peux déjà plus photographier ni dessiner le monastère surgissant au dessus de la berge, car elle se couvre de maisons moches, bâties sans aucun souci de l'environnement, ni aucun contrôle. C'est drôle comme les maisons modernes ressemblent aux déchets de plastique dont nous couvrons partout la création de Dieu en général, et le bord du chemin que j'emprunte pour me promener en particulier. Autrefois, les constructions tenaient compte du relief, des autres constructions, et en premier lieu des églises, en plus d'être faites avec des matériaux naturels et décorées avec amour et avec goût par leurs occupants eux-mêmes. Maintenant, elles ressemblent à des emballages de yaourts géants et criards qu'on balance n'importe où. Elles sont envahissantes et mal élevées, banales et agressives. Il nous faut de plus en plus détourner les yeux, et focaliser notre regard sur ce qui subsiste. Là où cela deviendra vraiment terrible, c'est le jour où il ne subsistera plus rien.




lundi 19 mars 2018

Doma


Poutine a été triomphalement élu avec une taux de participation record, douze pour cent des gens ont voté pour l’oligarque à moustache stalinienne, je trouve cela très rassurant.
Xioucha et Igor m’ont ramenée chez moi hier. Je leur ai montré le lac, du haut de la berge escarpée. Il reste beaucoup de neige bien blanche, mais le soleil est vif, le ciel très bleu, la température douce, et le lac encore gelé miroitait comme une surface de verre opalescent. Xioucha a voulu me faire descendre avec elle la pente sur une planche : « Alors, Lolo, est-ce que cela fait du bien de se rappeler son enfance ? »
Les chats m’ont fait un accueil grandiose, et Rosie de même. Elle n’a fait aucune difficulté pour grimper dans la voiture. Mais tout ce petit monde a commencé aussitôt à m’empoisonner la vie. Rom ne cessait de me harceler de miaulements idiots : il n’est jamais content de ce que je lui donne et exige autre chose, après avoir piraté les écuelles des autres chats, et cela pendant des heures. Il déteste la chienne, grogne sur elle en permanence, ce qui provoque d’inévitables réactions. La chienne ne cesse de vouloir entrer ou sortir. J’ai trouvé, bien entendu, une maison dégueulasse, poils et pipis de chats partout. Au moment d’essayer de dormir, j’avais sur mon lit la compétition des chats pour être au plus près de moi et au plus loin les uns des autres, plus ce dingo de Rom qui poussait des feulements si la chienne approchait et celle-ci est presque incapable de se coucher et de dormir tranquillement, c’est une agitée perpétuelle, de sorte que j’ai fini par engueuler tous mes parasites, en songeant que jamais je ne criais sur Doggie ou sur le chien de ma sœur.
Violetta m’a invitée à prendre le thé. Elle est potentiellement un peu chiante, mais que faire ? Elle est très gentille, elle s’est occupée de mes chats avec scrupules, elle a même déneigé devant chez moi, son fils a fait démarrer quelquefois la voiture pour que la batterie ne se vide pas. Je crois qu’il me faudra envisager un portillon entre leur terrain et le mien…
Elle se félicitait du résultat des élections. «Je ne sais pas ce qu’ils ont tous en Europe à s’acharner sur nous de cette manière. Ils déploient des troupes pour « protéger » les pays de l’est, mais qu’en avons-nous à faire, de ces pays de l’est, et même de l’Ukraine ? Bon, en Ukraine, le problème, c’est qu’il y a beaucoup de Russes, mais que les Polonais prennent Lvov et la partie ouest et qu’on en finisse ! »
Mis a part tous ces détails, je suis contente d’être rentrée, je me sens soulagée, je me sens chez moi, dans ma capsule spatiale coupée de mon passé, un passé qui s’effiloche derrière moi dans le gouffre du temps et qui me reste très cher mais me tétanise, me transforme en la statue de sel biblique de la femme de Loth se retournant sur Sodome et Gomorrhe, une statue de sel pleine de larmes.  « Laissez les morts enterrer les morts »…
La photo, faite par Micha l’iconographe, de moi tenant sa création provoque de nombreuses réactions, parfois presque agressives, mais vite désarmées. Cependant, et j’en parlais à Claire, que j’ai vue dimanche, cette « gloire » me fait souvent peur, je suis touchée et je pense que c’est peut-être mon rôle que de témoigner auprès des Russes de mon amour pour leur civilisation et leur mentalité, qu’ils ont souvent tendance à mépriser, et aussi de susciter l’intérêt et l’amour des Français, qui en ont une idée fausse, mais je me sens très exposée et cela me donne le vertige. Cela n’est rien auprès des réactions que pourrait susciter la publication de mon étrange roman sur Fédia Basmanov et Ivan leTerrible.  Claire me disait qu’il pourrait déplaire à ceux qui en font un saint et déplaire à ceux qui en font un monstre. Oui, de la même manière que je peux déplaire aux libéraux comme aux communistes, n’étant ni d’un côté ni de l’autre. Mais c’est le plus profond de la Russie qui m’a fascinée et pas sa déchéance dans les conneries politiques dont elle avait horreur à juste titre.
Quand Xioucha a voulu remettre mon manuscrit au père Dmitri pour qu’il le transmette à une éventuelle traductrice, le directeur d’une maison orthodoxe qui assistait à la chose, et auquel elle  exposait le sujet en deux mots, s’est exclamé : «Ah Ivan le Terrible, surtout pas ! »
C’est malin, vraiment. Quelle curiosité, quelle ouverture d’esprit. Si ça se trouve, il me faudra recourir à l’édition sur Internet, comme je l’envisage en France. Dès que j’ai affaire à un éditeur, je me sens rétrécir comme l’huître sous le citron. Sale race. Contents d’eux, pleins d’aprioris, idéologiques ou commerciaux, oui, m’en passer est mon rêve, livrer son âme à des gens pareils c’est comme la livrer à des journalistes. Il m’est plus facile de l'offrir directement aux lecteurs. 
Claire a trouvé quelque part que la veuve de Fédia Basmanov s’était remariée, et cela m’a fait mal pour lui, je crois qu’il va me falloir me faire soigner, à l’issue de toute cette aventure ! Je vais recommencer à peindre des icônes.
Les chats ont retrouvé leur patronne et leurs habitudes

Pour l'instant, j'ai mis l'icône de Micha
à côté de l'Alexandre Nevski de Michèle.
Je pense qu'il me faudra une étagère de plus.


Rencontre de Rosie avec une corneille facétieuse








dimanche 18 mars 2018

La Mère de Dieu Ostrobramskaïa


A mon arrivée, il faisait un froid terrible. Le ciel est lumineux, printanier, les températures hivernales. Je suis tombée dans les bras de Xioucha, puis dans ceux de Tania, la juriste. Elles sont tellement adorables avec moi, comme si j’avais des filles ou des nièces. Xioucha a proposé de me raccompagner à Pereslavl avec son compagnon Igor. Elle l’a envoyé me chercher chez le père Valentin où je passais la soirée, en lui recommandant de m’aider à grimper dans sa camionnette, à cause de ma patte folle…
Après mon interview de Politvera, un iconographe m’avait contactée, il voulait m’offrir une icône, pour me remercier de ce que j’avais dit sur la Russie. Je n’avais pas pu aller la chercher avant mon départ, je me suis décidée cette fois-ci.  Il vit à l’autre bout de Moscou, dans un endroit tout neuf, avec une station de métro toute neuve, d’ailleurs très esthétique, et au moins, ces stations récentes ne sont pas bâties avec les vestiges des monuments historiques détruits par les communistes.
Il y avait des milliers de sorties et je n’avais pas envie de faire des milliers de pas, or il m’avait plutôt mal expliqué le trajet. J’ai avisé un flic qui cherchait à faire lever un ivrogne effondré sur un banc : «Bonjour, je cherche la sortie côté monument aux automobilistes ? »
Le flic hésitait, mais l’ivrogne perdu a grogné avec un grand geste : « Hon… par là… par là… »
Par là il restait encore trois ou quatre sorties, j’ai demandé à un ouzbek. Et dehors, il me fallait descendre une pente, à travers les congères, je restais immobile sur place avec la conscience aiguë que j’aurais fait cela il y a un an, mais que là, cela m’était devenu complètement impossible, que je risquais de déraper et de me prendre un gadin aux conséquences imprévisibles. Etrange impression. Le corps démissionne. Il faut commencer à envisager la séparation…
Un brave homme d’une cinquantaine d’années a volé à mon secours : « donnez-moi la main, je vais vous aider… » Ah ces Russes qui maternent les vieilles….
De loin, j’ai vu mon iconographe, une sorte d’ours, avec un paquet, qui m’a prise dans ses bras avec effusion. Il m’a énormément plu : drôle, spontané, le voir expliquer quelque chose, avec son regard malin, est un vrai moment de théâtre. L’icône aussi m’a plu. Il l’a choisie parce que je suis une ancienne catholique et que l’icône était un modèle catholique venu en Biélorussie par les Polonais, une icône acclimatée. Elle me rappelle mon enfance, elle a quelque chose de très doux et si j’ose dire, d’un peu magique, au sens enfantin du terme.
Elle a aussi beaucoup plu à mon père Valentin : « Très bonne icône », m’a-t-il dit en me la rendant, après l’avoir bénie.
Je me sentais à nouveau complètement chez moi, dans son église, j’éprouvais un attendrissement soulagé, malgré toute la tristesse de mon départ et mon affection pour les Français que je laisse derrière moi. Je me sens complètement adoptée par la Russie.
Avec le père Valentin, nous avons évoqué nos deux révolutions, et leurs conséquences néfastes incalculables. Et d’abord les fractures infligées à nos peuples, que le système des partis divise forcément en permanence et soumet à des manipulations de plus en plus sophistiquées et à un avilissement presque inévitable. Le pire des monarques me paraît à présent préférable au dictateur moderne qui suit généralement le chaos engendré par les factions et l’exploitation systématique des sentiments humains les plus mauvais, les plus vils.
Les gens vont voter aujourd’hui, et j’ai lu tellement d’idioties dans les commentaires de Facebook que la tête me tourne, mais le starets Elie, père spirituel du patriarche, prie pour Poutine, et en ce qui me concerne, le critère numéro un qui me ferait le choisir si j’étais russe, c’est la détestation hystérique qu’il déclenche chez le personnel politico-médiatique occidental. Un homme que hait à ce point cette bande de psychopathes pervers et de laquais minables ne peut être que providentiel pour son pays.
Dieu le protège. Dieu nous protège.


Métro Tropariovo


jeudi 15 mars 2018

Départ



Déjeuner hier avec ma cousine  Dany, à Montélimar. Nous avons évoqué ceux qui sont partis et ceux qui vont bientôt partir. Dany est la gardienne de nos tombes, elle les visite régulièrement. Nous avons parlé de la foi, car elle est catholique, de la prière. Cela semblait lui poser problème, comment prier ? A vrai dire, moi, j’ai entendu parler de ce qu’était vraiment la prière quand j’ai lu les Récits d’un Pèlerin russe à l’âge de dix-huit ans. Auparavant, au cathé, on me disait qu'il fallait être bien gentil avec tout le monde, mais je sentais déjà que ce précepte comportait certaines limites que la prière, je le découvris plus tard, permettait seule de reculer. 
«J’ai un livre de prières, lui dis-je, pour les dire toutes, celles du matin, du soir, l’office de minuit, les complies, les matines, les vêpres plus les psaumes ou le nouveau Testament, la journée ne m’y suffirait pas. Plus la prière de Jésus qu’on peut dire n’importe où.  Et ces prières sont pleines de sens, souvent très belles.
- Oui, mais il arrive qu’on les dise et qu’on ait la tête complètement ailleurs…
- Cela arrive très souvent et à tout le monde !
- Mais alors est-ce que cela a un sens ?
- D'après saint Païssios, oui, car si nous avons la tête ailleurs et ne comprenons plus ce que nous disons, le diable, lui, comprend, et il tremble…
-C'est imagé! »
La foi est la seule chose qui nous tient debout toutes les deux, même si, dans mon cas, elle n’est vraiment pas inébranlable et si j’ai perdu tellement de temps : «Je ne sais pas si j’écrirai un autre roman, peut-être vaudrait-il mieux peindre des icônes et prier, me préparer à passer de l’autre côté. En même temps, je vois que Dieu m’a poussée en Russie, à travers le père Placide, et c’est de partir qui m’a remis le nez dans mon roman, cela faisait donc partie du dessein providentiel à mon égard. Certes, cela a provoqué chez moi une sorte d’effondrement spirituel, mais c’est que des choses n’étaient pas réglées.
- Tu verras bien par la suite… »
Avec Dany, c’est tout un cortège de fantômes qui descend d’Annonay en Ardèche, dans ce Montélimar de la fin de ma vie qui coincide probablement avec la fin de la France. Quelle étrange impression que de se voir mourir en même temps que son pays millénaire, de savoir que la continuité dans laquelle s’inscrivaient mes ancêtres s’achève plus ou moins avec moi. Déjà, Montélimar n’est plus vraiment Montélimar. Pierrelatte n’est plus Pierrelatte. Ne plus se sentir vraiment chez soi dans son pays vous pousse  à aller rejoindre dans la Mémoire Eternelle le meilleur de ce qui nous était cher.
En dessous du pont, un oiseau blanc pêche dans le Roubion, un grand échassier, avec une aigrette. L’eau plisse à ses pieds d’agiles dentelles. Je regagne l’affreuse église saint Jammes en vieux béton triste. Elle doit dater de la fin des années 40, je l’ai toujours vue. Nos voitures sont garées à côté. « Montélimar, Montélimar, train sans arrêt jusqu’à Pierrelatte », chantait la gare avec l’accent du midi, autrefois, et maman m’y attendait, ou bien, plus loin encore dans le temps, quand je prenais de Paris le train postal de nuit, je sortais alors du compartiment couchette, je tirais ma valise, je regardais au delà de la fenêtre le défilé de Donzère, l’aurore pleine de mistral, je descendais à Pierrelatte dans la bourrasque du quai, et je voyais Pedro venir à ma rencontre. Nous allions acheter le pain et les croissants de l'hôtel, nous prenions le café avec maman...
Quand nous revenions d’Annonay à Pierrelatte en voiture, Montélimar annonçait la fin de la route. Le « rucher des abeilles » est encore là, une ruche géante en béton où l’on vendait des nougats, mais la grande publicité du début du XX° siècle, où une petite fille féroce débitait du nougat à la hache, a fini par disparaître.
 Aujourd’hui, c’est avec ma sœur et le père Gauthier que nous avons repris l’habitude du déjeuner au restaurant qui se faisait avec Patrick. Patrick pour lequel je lis les prières des défunts tous les matins et que nous ne reverrons plus sur cette terre. Son absence était pourtant bien présente. Je pars demain. Mon plombier m’a écrit : « la Patrie vous attend. » La seconde, la dernière, ma dernière arche.



Dernière vision de la Garde au petit matin

samedi 10 mars 2018

La dimension épique.

Vasnetsov, les trois preux.

Dmitri Paramonov, ethnomusicien spécialiste des gousli et du répertoire russe archaïque, a délivré à l’issue d’un concert destiné à ressusciter les chansons de gestes une série de réflexions qui en éveillent également chez moi, car ce qu’il raconte là ne concerne pas seulement les Russes et il me paraît important que les gens, aussi bien à l’ouest qu’à l’est comprennent bien ce qui leur arrive, ce qui leur est arrivé et lecaractère général du phénomène.
Les bylines sont l’équivalent de nos chansons de gestes. Il me semble qu’il y a belle lurette que la chanson de geste a disparu en Europe et ne subsiste plus que sous forme de traces écrites, elle est restée vivante en Russie jusqu’à la révolution, et même au-delà, Dima Paramonov, Skountsev et autres en ont recueilli des exemples, et tentent de lui redonner vie.comme le fait observer Dima, il y a  des formes modernes d’épopées, plus ou moins abâtardies, avec du meilleur et beaucoup de pire, cela va du Seigneur  des anneaux à la Guerre des étoiles en passant par les tortues ninjas et autres mangas.L’épopée locale est négligée, au profit de celle de la culture de masse, ce qui n’est sans doute pas vraiment un hasard, mais que le genre perdure, même sous un aspect dénaturé, démontre à quel point il est profondément nécessaire à la formation de l’être humain, des garçons d’abord (n’en déplaise aux chantres malfaisants de la théorie du genre) mais aussi aux filles. L’épopée est une leçon de vie au même titre que les contes et les ballades.
Je n’ai pas eu la chance de recevoir l’héritage de la culture populaire française directement, à part quelques chansons enfantines, et les contes que me racontait (très bien) ma grand-mère. Mais j’ai eu celle d’avoir accès dans mon enfance à de la bonne chanson française imprégnée de cette culture et à la musique classique qui en était souvent partiellement issue également. J’ai eu la chance d’avoir une mère qui m’a offert l’Iliade et l’Odyssée en version intégrale dans la Pléïade, pour mes neuf ans, et je me suis plongée dans cet univers épique, malheureusement sans la mélodie depuis longtemps perdue et sans même le rythme des vers, puisque c’était traduit en prose, mais j’ai eu accès à cet univers tragique, héroïque et violent qui montre la vie telle qu’elle est tout en nous apprenant à la sublimer. Quand Dima parle de la violence des épopées slaves et de l’effet sur les petits enfants, l’épopée grecque n’était pas moins violente, j’étais une petite fille hypersensible et compatissante, mais ce passage par l’épopée a été pour moi profondément formateur.
Dima remarque que les Russes connaissent mieux Hercule que leurs propres figures mythiques, en effet, et c’est le résultat d’un ostracisme de la culture russe de la part de ses élites et cela depuis Pierre le Grand jusqu’à nos jours en passant par les communistes. Mais la même chose a eu lieu chez nous, avec le retour au paganisme antique des élites européennes, puis la destruction progressive de la culture populaire par la république. Le fait qu’ils ne connaissent plus tout cela que par un tableau de la galerie Tretiakov et par des films ou des dessins animés témoigne de la dévitalisation d’une culture muséifiée, la seule qui touche les profs et les fonctionnaires et qui amène au résultat que le peuple sait lire, mais il n’a plus aucune culture qui lui soit personnelle, et cette culture personnelle du peuple, c’est la culture de tous, qui vient du fond des âges et irriguait également la culture classique reconnue par les instituteurs et les conservateurs de musée.
Dima observe l’appauvrissement de la langue, beaucoup moins expressive et beaucoup moins musicale. C’est aussi un résultat de la disparition de la culture populaire et de l’américanisation imposée, aussi bien chez eux que chez nous, avec des rythmes et des musiques qui ne sont pas les nôtres et qui déforment et aplatissent nos langues respectives. Quand j’ai lu des textes médiévaux, comme par exemple les romans de la Table ronde, j’ai été ravie par la poésie, la fraîcheur, l’expression et la musique de notre langue d’alors, qui était sans cesse irriguée par les chansons, et les sons naturels de la vie.
J’ai découvert le russe avec le film Ivan le Terrible d’Eisenstein, et ce fut un enchantement pour moi d’entendre sa musicalité envoûtante, cette sorte d’incantation alors incompréhensible sans sous-titres. Quand j’entends le russe des pubs ou des chansons de variété stupides et uniformes, j’ai parfois du mal à le reconnaître. C’est-à-dire que non seulement nous avons perdu un fond culturel immémorial et irremplaçable, mais notre langue même est mutilée, appauvrie. Et non seulement elle est appauvrie, mais en France, par exemple, on trouve le moyen d’appauvrir encore des textes pour enfants qui n’étaient déjà pas si riches, sous prétexte de les rendre « compréhensibles » au lieu de rendre les enfants aptes à comprendre en nourrissant leur esprit, leur âme et leur cœur. Le tragique, l’héroïsme, le lyrisme sont des choses dont ils ont besoin pour se construire.Mais au delà du contenu, quand le vecteur de la langue est appauvri, c’est la structure de l’esprit qui est atteinte.C’est pourquoi je trouvais essentiel, en maternelle, de leur donner des chansons du répertoire traditionnel, qui leur apportaient avec un récit touchant, drôle, effrayant ou exaltant, des mots savoureux, expressifs, imagés, un rythme et une architecture poétique, plutôt que des chansonnettes modernes plus ou moins neuneus.
Tout cela concerne également les Français et les Russes, mais il y a dans le texte de Dima des réflexions qui m’amènent à m’interroger sur nos différences de degrés de dégradation.
Quand avons-nous perdu la chanson de geste, en France ? A mon avis, ça fait un bon bout de temps. Les Russes l’ont gardée presque jusqu’à nos jours, et lorsqu’ils l’entendent, au lieu de ricaner, ils s’y intéressent, quelque chose vibre au fond d’eux. J’avais vu un adolescent, quand Skountsev chantait à Kolomenskoïe avec son équipe, dans le parc, s’émerveiller de découvrir cela qui était « nôtre », comme il disait et qu’il ne connaissait pas, car il n’avait eu accès qu’aux lamentables contrefaçons de l’école, et à la musique « moderne » qui n’est certainement pas « nôtre », ni pour les Russes, ni pour les Français, elle n’a jamais coulé dans le sang de nos ancêtres, elle n’est pas issue de notre nature, elle n’est pas (qui sait ?) inscrite dans nos gènes.
Quand avons-nous perdu nos chansons populaires ? Sans doute au cours du XIX° siècle, au début du XX°… Cela dépend des régions, certaines les conservent encore, pour combien de temps ? Et puis surtout, chez les gens qui reprennent la musique populaire en France, y a-t-il le souci avoué de renouer avec la source initiale de tout ceci ? Avec la France qui nous a légué ces chansons ?Pour un folkloriste comme Dima, ou pour l’évêque de Pereslavl, retrouver ses chants et ses épopées perdus, c’est retrouver son âme, c’est retrouver sa mémoire, c’est redevenir pleinement russe en s’appropriant, tout ce que le fugace instant présent comporte de passé insondable, car au bout de ce passé éternellement renouvelé dans le présent se trouve la porte de notre éternité.


 Dmitry Paramonov, les trois voyages d'Ilya de Mourom. Byline

Qu’est-ce que le Russe contemporain connaît le mieux sur son passé ? Les bouffoneries sont un genre trop indéterminé, qui a cessé son existence bien avant les bylines. Les déplorations pour les noces ou les funérailles sont un genre très spécifique d’épopée qui les derniers temps n’existe que dans les villages. Les contes, voilà sans doute le seul genre connu du passé.Mais je ne veux pas parler des contes, je veux parler des bylines.
Ma première expérience de récitation des bylines, ou comme il est admis de les appeler dans le peuple, starini, chants à propos des preux, se mit en place il y a 15 ans à Omsk, dans différents concerts du temps de carême, car un moment très pratique et traditionnel pour raconter. Depuis j’ai parcouru beaucoup de villes dans le but de populariser l’épopée russe, ou plus exactement les bylines, et le plus important est leur récitation intégrale, sans réductions, dans la mesure du possible. Exactement comme le faisaient les conteurs de tous les temps. Cette année, pour la maslenitsa, nous avons eu l’honneur, avec Sacha Matotchkine, de dire des bylines au parc de Kolomenskoïe. Premièrement, c’est une expérience inhabituelle et précieuse pour nous-mêmes, conteurs. Nous avons conté chacun à notre tour pendant dix jours, à raison de 4 heures par jours, 7 les jours fériés.
Le plus intéressant, bien sûr, n’était pas seulement l’expérience de conteur, mais ce que nous voyions et entendions de l’intérieur, du fond du peuple. L’auditoire qui nous arrivait était très divers, de différents degrés de préparation et de culture. Autrefois, je pensais qu’au sujet des preux, presque tout le monde savait tout, du petit au grand, car on les étudie à l’école en littérature, on en montre beaucoup au cinéma, et puis leur image est souvent transposée dans l’art contemporain, depuis les papiers de bonbons jusqu’à la galerie Tretiakov en passant par le cinéma et les dessins animés.
La première chose qui a attiré mon attention, c’est que le citadin n’a qu’une représentation très floue de ce que sont les bylines. Il semble à beaucoup, spécialement aux jeunes parents venus avec de petits enfants, que les bylines sont de petits contes sur des preux qui sauvent des jeunes filles et jouent des gousli pendant leur temps libre entre deux combats. C’est en partie vrai. Mais, il y a un « mais », ce ne sont pas des contes, ce sont surtout des mythes, venus jusqu’à nous depuis la plus haute antiquité, quand peut-être les slaves ne s’étaient pas encore divisés en slaves orientaux, méridionaux et occidentaux, et au fait, où sont passés ceux du nord ? Alors voilà, ce ne sont pas des contes, ce sont des mythes.
Deuxièmement, ils se représentent que les preux sont tous de gentils nounours et des modèles de comportement. Encore une fois, c’est ça et ce n’est pas ça. Les preux sont occupés principalement à se chercher un adversaire à provoquer en duel, ils chevauchent dans le champ sauvage et trouvent un autre preux, et ensuite, après le combat, emportent sa tête coupée pour la suspendre à l’entrée du camp ou devant leur tente et la suspendent à un pieu ou à la palissade, ou bien encore, au pire, ils la plantent sur une lance fichée en terre. A l’entrée du camp, une grande multitude de ces têtes brûlées n’était probablement pas un spectacle très agréable.
Certains preux coupent mains et pieds et mutilent l’ennemi autant qu’ils le peuvent. On trouve également dans les bylines des meurtres de parents, ou le meurtre par un preux en état d’ivresse de sa femme, suivi de son suicide.
Croyez-moi, ce n’est pas du tout un genre enfantin. Ces chansons étaient chantées par des guerriers, dans un cercle de guerriers, pour des guerriers, et aussi dans différentes corporations d’hommes, au travail, ou dans les conversations, à des fêtes spéciales. Et bien sûr, le moment où, sur les parents et les petits enfants, se déversent toutes sortes de détails de la vie sévère du guerrier médiéval n’est pas un spectacle pour les personnes sensibles. Certains auditeurs se lèvent et sortent en larmes. Beaucoup sont perplexes, comment les preux pouvaient-ils faire de telles choses, et ils demandent s’ils ont bien compris la ligne du sujet.
Une autre particularité, c’est la perception par l’homme contemporain du discours russe avec ses spécificités dialectales et terminologiques, et aussi le caractère inhabituellement mélodieux de la langue russe. Oui, au jourd’hui, la langue n’est plus aussi mélodieuse et chantante qu’alors, son intonation originale s’est déjà perdue, ses élans et ses chutes, son expressivité. On ne parle ni ne chante déjà plus comme cela, remarquez-le, même dans les chansons contemporaines, le son s’est égalisé, sa variété et sa mélodie ont presque été réduites à néant. On entend plus souvent un discours égal, presque machinal sur deux ou trois tons, pas plus. Pour cette raison, beaucoup doivent faire des efforts incroyables pour comprendre les mots russes dans leur format chanté, et non dans le narratif du récit rapporté, qui est plus habituel, grâce aux contes arrivés jusqu’à nous et à ce genre en tant qu’anecdote. C’est-à-dire que le récit chanté est difficilement perçu presque pour tout le monde. Bien sûr, au bout de 10 strophes de récit chanté, le citadin cesse de prêter l’oreille à la mélodie et se concentre sur le contenu.
Une autre particularité de notre citadin c’est que presque tous peuvent nommer un ou deux travaux d’Hercule mais personne ne sait nommer même un seul exploit d’Ilya Mouromets, héros russe. Cependant, tous ces gens étaient à l’origine de notre formation, en tant que nation et état. Cela me rappellel ce que récemment, notre patriarche Cyrille a rappelé aux Bulgares, ce qu’ils avaient complètement oublié, à savoir que les Russes, contre tous les pays d’Europe, les avaient libérés du joug turc. On l’a rappelé aux Bulgares, pourquoi ne pas le rappeler aux Russes ?
J’ai remarqué encore ceci, beaucoup ne peuvent citer les noms des preux russes, et dans leur majorité, ne les connaissent presque pas, à part les trois preux du tableau de Vaznetsov. Par exemple les bylines de Diouka Stépanitch, Dounaï Ivanovitch, Solovieï Boudnimirovitch et autres, les gens les entendaient pour la première fois de leur vie. Et aux avant-postes vivaient beaucoup de preux, et il s’agit là seulement de l’avant-poste de Kiev. Aussi comment se fait-il que nous connaissions mieux la nouvelle épopée américaine de la « Guerre des Etoiles » qui vient de se former sous nos yeux que notre épopée qui est plus ancienne que ces créateurs ? La citadin sait mieux le nom des tortues Ninja qui n’ont jamais existé dans la nature, que ceux des preux russes qui ont versé leur sang pour leurs descendants, ni où ils vivaient, ni « ce qu’ils respiraient ».
Ce fut une découverte pour presque tout le monde qu’il y eut encore des saints preux , comme saint Georges le Victorieux, Dimitri de Salonique, Dimitri Donskoï, Théodore Stratilate et beaucoup d’autres qui ne cessent de mener le combat spirituel.
Dans l’ensemble, il se compose un tableau assez étonnant, dans un sens, on tourne beaucoup de films et de dessins animés sur les preux, on les étudie à l’école en littérature, mais dans l’ensemble, c’est une tache blanche dans la connaissance de nos ancêtres, dans notre histoire,  notre culture et notre existence. Il est possible que ce ne soit pas nécessaire aujourd’hui, pour âtre efficace dans la vente ou le business, mais si l’on y pense, ce serait quand même étrange si soudaint tout le monde oubliait ses pères et mères et ne se rappelaient rien d’eux. Sans doute ne serions-nous plus entourés par des gens, mais par des clones ou des zombies, sans souvenir de leur famille, de leur maison, de leur Patrie. Ce serait alors étrange.
Je terminerai mes réflexions par cette observation. Cela m’a beaucoup réjoui que les gens aient essayé avec plaisir et intérêt d’écouter ces anciens refrains et sujets des bylines. Certains sont venus deux jours d’affilée et ont parfois revécus deux ou trois fois les exploits de nos héros de l’ancienne Russie, redécouvrant par là même la personnalité du héros et les détails de sa vie et de son entourage. Notre citadin russe s’imbibe avidement de cet héritage qui nous vient de nos ancêtres, sans se rendre en partie compte de la raison pour laquelle cela lui est nécessaire, ressentant avec le cœur sa participation à cet héritage. C’est une grande joie pour mon âme. Pour nous-mêmes, conteurs, le dit et la transmission de ce savoir et de ces informations et aussi de cet esprit sont très importants. C’est-à-dire que c’est un processus mutuellement bénéfique. De plus, plus souvent nous disons la geste des preux, mieux et plus solidement nous ancrons dans notre mémoire leurs images et leurs actions.  

Dmitri Paramonov


Былины.
Что может быть более известным из старины глубокой для современного русского человека? Скоморошины — слишком неопределённый жанр, который прекратил своё существование намного раньше чем былины. Свадебная или похоронная причеть — очень специфический жанр эпики бытовавший в последнее время только в деревнях. Сказки - вот пожалуй единственный знакомый жанр старины. Но я не о сказках, а о были
нах речь хочу вести.

Первый мой опыт сказывания былин, или как их в народе принято называть — старины, песни о богатырях, стал складываться лет 15 тому назад в Омске, на различных постовых концертах, т.к. это время очень удобно и традиционно для сказывания. С тех пор много городов было изъезжено мной с целью популяризации русского эпоса, а точнее былин, и самое главное сказывание их целиком, без сокращений по возможности. Именно так, как это делали сказители во все времена. В этом году на масленицу, нам с Сашей Маточкиным выпала честь сказывать былины в парке Коломенское. Во-первых, опыт необыкновенный и ценный для нас самих, для сказителей. Мы сказывали по очереди в течении 10 дней, каждый день по 4, а по выходным и по 7 часов.

Самое интересное конечно это не только наш сказительский опыт, а то что мы услышали и увидели изнутри, из глубин народа. Слушатель к нам захаживал очень разный, разной степени подготовленности и просвещённости. Раньше я думал, что о богатырях знают почти всё и все, от мала до велика, т.к. в школе изучают на литературе, в кино показывают много, да и образы транслируются довольно часто в современном искусстве, начиная от конфет, заканчивая Третьяковской галереей и кинематографом и мультипликацией.

Первое, на что я обратил своё внимание, это то, что обыватель в своём представлении очень смутно понимает что такое былины. Многим кажется, особенно молодым родителям пришедшим с малыми детками, что былины, это некие сказочки о богатырях, которые спасают девушек и играют на гуслях в свободное от боя время. Отчасти это так. Но, есть одно "но», это не сказки, это по большему счёту мифы, дошедшие до нас из глубокой древности, когда ещё возможно славяне не делились ни на восточных, ни на южных и западных, кстати, а куда девались северные? Так вот, это не сказки, это мифы.
Второе, это представление, что богатыри все лапушки и образцы для поведения. Опять же так, да не так. Богатыри занимаются в первую очередь тем, что ищут себе поединщика, ездят по чисту полю и находят богатыря, а затем после сражения везут его отрубленную голову на заставу или к шатру своему и вешают на кол или на забор (частокол), ну в худом случае на копьё воткнутое в землю. На заставе таких буйных голов великое множество, не очень-то приятное зрелище наверное.

Некоторые богатыри отрывают руки-ноги и калечат неприятеля как только могут. Так же в былинах встречаются убийства родителей, либо убийство богатырём своей жены, в хмельном разуме, а затем и самоубийство.
Поверьте, это совсем не детский жанр. Эти песни пелись воинами, в кругу воинов, и для воинов, а также в различных мужских артелях, на промыслах или на беседах, специальных праздниках. И конечно тот момент, когда на родителей и их малых деточек изливаются всяческие подробности сурового быта средневекового воина, это конечно зрелище не для слабонервных. Некоторые из слушателей вставали и в слезах выходили. Многие просто недоумевали, как такое вообще могут делать богатыри и переспрашивали, правильно ли они поняли сюжетную линию.

Ещё одна особенность в восприятии современным человеком старинной русской речи с её диалектными и терминологическими особенностями, а также непривычным мелодизмом русского языка. Да, сегодня язык уже не такой мелодичный и певучий как тогда, уже утерялось его своеобразное интонирование, его подъёмы и спуски, выразительность. Уже так не говорят и не поют, заметьте, даже в современных песнях уже выровнялся звук, почти сведено к минимуму его разнообразие в мелодизме. Чаще можно слышать ровную, почти машинную речь на двух или трёх тонах, не более. По этой причине многим приходилось делать неимоверные усилия на том, чтобы разобрать русские слова в их напевном формате, а не в повествовательном нарративе, который более привычен благодаря дошедшим до нас сказкам и такому жанру как анекдот. То есть напевное повествование воспринимается с трудом почти всеми. Конечно, после 10 строф такого напевного повествования обыватель перестаёт заострять внимание на напеве и переключается на содержание.

Ещё одна особенность нашего обывателя, почти все могут назвать парочку подвигов Геракла, греческого героя, но почти никто не назвал хотя бы одного подвига Ильи Муромца, русского героя. Тем не менее все эти люди стояли в начале формирования нас как нации и государства. Мне это напомнило то, что недавно наш патриарх Кирилл напоминал болгарам о том, что они уже совсем забыли, что русские вопреки всем странам Европы освобождали их от турецкого ига и освободили. Запамятовали болгары, почему бы и не запамятовать русским?

Заметил вот ещё что, не многие-то могут назвать или перечислить русских богатырей поимённо, а в большинстве своём почти уже и не знают их имена, кроме трёх богатырей с картины Васнецова. Например былины о Дюке Степановиче, Дунае Ивановиче, Соловье Будимировиче и других, люди слышали впервые в жизни. А на заставе жило довольно много богатырей, это только та застава, что у Киева. Как так случилось, что мы лучше знаем новый американский только что созданный на наших глазах эпос о "Звёздных войнах" и ничего не знаем о нашем эпосе, который древнее этих создателей? Обыватель лучше знает имена ниндзей-черепашек, которых никогда и не было-то в природе, но при этом не знает ни имён русских богатырей проливавших кровь за потомков, ни где они жили и "чем дышали".

Почти для всех было открытие, что есть ещё и святые-богатыри, такие как Георгий Победоносец, Дмитрий Солунский, Дмитрий Донской, Фёдор Стратилат и многие другие, которые не перестают вести борьбу духовную.

В целом, создаётся довольно странная картина, вроде бы о богатырях много снимают фильмов и мультфильмов, изучают в школе на литературе, но в целом это белое пятно в знаниях о наших предках, о нашей истории, культуре и быте. Возможно сегодня это и не нужно, чтобы быть успешным в продажах или бизнесе, но если задуматься, то как-то странно было бы, если бы вдруг все забыли о своих отцах и матерях и ничего о них не помнили. Наверное тогда не люди бы нас окружали, а какие-то клоны или зомби, без памяти о своей семье, о своём доме и Родине. Странно было бы тогда.

Закончу свои мысли вот таким наблюдением. Меня очень порадовало, что люди с охотой и интересом пытаются вслушиваться в те давние напевы и сюжеты былин. Кто-то приходил изо дня в день и иногда второй и третий раз переживал подвиги наших древнерусских героев, тем самым по новому открывая для себя личность героя и подробности его быта и окружения. Наш русский обыватель с жадностью впитывает в себя всё то наследие, которое нам досталось от предков, зачастую даже не отдавая себе отчёт для чего и зачем ему это нужно, но сердцем чувствуя своё сопричастие к этому наследию. От этого делается очень радостно на душе. Для нас самих, сказителей, сказывание и передача этого знания и информации, а так же того духа очень важна. То есть это обоюдовыгодный процесс. Плюс, чем чаще мы сказываем о богатырях, тем лучше и твёрже закрепляем в своей памяти их образы и деяния.

Спасибо всем, кто заглянул в нашу избушку сказителей!

Спасибо организаторам за возможность сказывать большому количеству людей
!