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dimanche 30 mai 2021

Café du Commerce

 J'ai été contactée par le peintre Ilya Komov, qui se rendait à Toutaïev, avec un ami et voulait me voir au café français. Après avoir eu une maison à Pereslavl, il a déménagé à Toutaiev, écoeuré par le massacre qu'on faisait de la ville. Toutaïev est restée pittoresque, quoique fort délabrée, quand une ville garde son caractère, c'est qu'elle est plus ou moins en ruines. Et Toutaïev commence aussi à être victime des clôtures en profnastyl, réservées en France aux zones industrielles, et qui défigurent toute la Russie, et du "siding" en plastique façon fausse pierre ou fausse planche qui transforme toute maison vivante en lego criard.

Son copain, Micha, s'est présenté comme économiste. Il connaît Benjamin le Suisse, qui est arrivé dans la foulée. Micha est sur le point de devenir vieux-croyant. Il est passionné par le nord russe, ses merveilleux villages encore intacts, souvent ruinés, son folklore, et avec Ilya, ils projettent un festival d'art à Toutaïev, pour les peintres mais aussi les métiers d'art, les métiers traditionnels, et même la musique. Il m'a dit qu'à Arkhanguelsk, un institut formait les jeunes aux savoir-faire traditionnels, receuillis auprès des dernières personnes capables de les transmettre, ce qui est plus important encore que la conservation de ce qu'il reste du patrimoine, parce que ces jeunes seront en mesure de reconstruire ce qui est détruit, pas forcément dans la répétition servile, d'ailleurs. Quand on voit le mouvement d'Abramtsevo, au début du XX° siècle, qui puisait son inspiration dans l'art populaire pour créer un art décoratif original d'un extrême raffinement et d'une grande poésie, on mesure toute l'ampleur de la catastrophe culturelle qui a suivi et accouché de l'horrible goût post-soviétique dont je vois partout la démonstration.

Le nord est resté beaucoup plus authentique, il conserve encore une paysannerie et donc tout ce qui va avec, si c'était à refaire, j'aurais poussé plus loin.

Le peintre qui me fait mes encadrements, et chez qui j'étais passée, me soutient que les Russes n'ont jamais eu une architecture intéressante. Les Italiens du XV° siècle oui, mais les Russes n'étaient capables que de bricoler des églises n'importe comment. Il est communiste. Je pense qu'il répète la leçon de ses jeunes années. Le mépris bolchevique de la Russie, qui ne s'intéresse qu'aux personnalités du passé ayant une mentalité analogue, par exemple Pierre le Grand. 

Heureusement que Micha l'économiste n'est pas de cet avis, cela me remonte un peu le moral.




Après l'église, aujourd'hui, dans ce même café français, j'ai rencontré le père Alexandre, de Rostov, sa femme et deux amies, c'est un homme très chaleureux. Bien que Rostov soit moins saccagé que Pereslavl, il commence à préférer Pereslavl, plus vivant. Nous avons abordé à peu près les mêmes thèmes qu'avec Ilya et Micha, mais dans le registre religieux. A savoir qu'on a trouvé des sponsors pour construire une horrible et pompeuse réplique de sainte Sophie de Constantinople près de l'église campagnarde où est conservée la croix miraculeuse de Godenovo, et où un tel édifice est complètement déplacé; tandis que des merveilles architecturales anciennes tombent désespérément en ruines, faute de sponsors pour les travaux, car elles n'intéressent personne, et l'éparchie n'a pas les moyens de les restaurer. Les amies du père Alexandre me conseillaient de devenir maire de Pereslavl. "Oh non, je suis trop anarchiste! D'ailleurs, j'ai décidé de me taire un maximum. Je ne donnerai mon avis que si on me supplie de le donner. Vous voulez mon avis? Vous le voulez vraiment? Eh bien le voilà!"

Dès qu'il fait beau, ou pas trop mauvais, je suis dans le jardin, à réparer les dégâts causés par les eaux stagnantes. Je déplace ce qui souffre trop, mais j'ai peur que mes deux poiriers, mon pommier et mes pruniers ne s'en remettent pas, je leur trouve mauvaise mine. Ce serait le désastre, car ce sont mes seuls arbres. Le reste est jeune, ou ne donne pas d'ombre, ni ne fait écran.

Le voisin de derrière s'occupe de drainer les terrains, j'attends son verdict et ses propositions. Je pense que j'en aurai pour cher. Habituellement, les gens font ce que le responsable de la situation m'a proposé, ils noient leur propre terrain sous des tonnes de glaise, avec tout ce qui était planté là jusqu'alors, et il ne reste plus qu'à déployer du gazon en rouleau, là où l'on n'a pas dallé pour garer la voiture, avec un nain de jardin au milieu, trois thuyas et des bégonias dans des bacs en béton. Où est le problème?

La bêtise m'a fatiguée toute ma vie, mais elle atteint des proportions qui commencent à dépasser mes capacités d'adaptation. Elle est la norme du nouveau monde où les génies ne sont plus Dostoievski, Nietzsche, Shakespeare mais le docteur Laurent Alexandre et Bernard Henri Lévy.







feuillages clairsemés....




















jeudi 27 mai 2021

Fourrière


 Les funérailles de la petite Nastia m'ont obligée à aller à Moscou en semaine, et à constater combien la ville devient invivable dès qu'on n'est pas un jeune cadre dynamique informaticien. Aucune place non payante. D'habitude, j'en trouve dans l'arrière cour du père Valentin. Mais il n'y en avait aucune. Restaient les places près de l'arche, sur le vaste trottoir de la rue Krasnoproudnaïa. C'est là où je me mets quand je ne trouve rien. Et là encore, tout était pris le long des murs, je me suis garée dans l'alignement des autres voitures, car je ne gênais vraiment personne. Le lendemain, j'ai constaté en sortant Rita qu'on m'avait embarqué la voiture. 

Au retour du repas de funérailles, Liéna elle-même ne trouvait pas de place dans leur cour privée. J'avais prévu de dormir encore une nuit sur place pour éviter le retour à l'heure de pointe avec toute la journée dans les pattes, mais que faire? Récupérer ma voiture, la remettre au même endroit, et repartir la chercher à la fourrière?

Evidemment, aller la chercher a été une équipée exténuante. J'ai pris un taxi, un type très pittoresque, qui exultait de n'avoir plus que quatre jours à tirer dans la capitale avant de repartir dans son Krasnodar natal. "Cette ville est maudite, elle n'a plus rien à voir avec ce qu'elle a été, la vie y devient impossible pour les gens normaux. Ils ont vu votre numéro provincial, mais non, ils embarquent votre voiture, ce sont des boucs mal égorgés, des chacals finis, ils rôdent affamés dans l'espoir d'une proie, engranger des amendes, c'est tout ce qui compte pour eux.

- Admettons, payer une amende, soit. Mais nous obliger à aller chercher la voiture au diable vauvert, quand le stationnement n'est pas gênant, c'est déjà du sadisme".

Il faut savoir que si, en France, le parking cesse d'être payant la nuit et les jours fériés, ce n'est pas le cas à Moscou. C'est pour cela que je n'arrivais pas à payer par téléphone le parking à long terme. Et on ne peut payer que par téléphone, c'est-à-dire avec un smartphone, ceux qui n'ont pas de smartphone peuvent crever. Le fonctionnaire qui m'a reçue m'a dit en rigolant que oui, que c'était désolant, que seul le fric comptait, ce qui n'était pas le cas au temps de l'Union Soviétique. Je dois dire qu'il a été très gentil, et la bonne femme qui m'a fait payer l'amende (5000 roubles, dix fois plus que pour un excès de vitesse! Il est gourmand, Sobianine!) aussi, très secourable. Mais ces formalités ont été fort longues. J'ai récupéré ma voiture à neuf heures du soir. Et je me suis retrouvée dans un dédale d'allées privées et d'impasses qui décourageaient mon navigateur peu efficace.

A l'issue de cette errance, me voilà je ne sais sur quelle avenue énorme, sans doute la chaussée des Enthousiastes, je suivais le navigateur qui avait au moins retrouvé le nord. Les bouchons prenant fin, j'ai été confrontée aux chauffards surexcités qui débouchent de partout. Enfin arrivée sur la route de Yaroslavl, j'ai retrouvé des conditions normales, mais j'étais extrêmement fatiguée. Je ne m'endormais pas, mais j'avais des difficultés de concentration. Je me suis arrêtée pour faire de l'essence et manger quelque chose, or il était déjà minuit, et on ne consentait plus à nourrir que ma voiture, j'ai donc croqué une tablette de chocolat avec de l'eau gazeuse. 

Quand je suis arrivée, j'ai été accueuillie par la pleine lune, triomphante dans ses voiles nuageux dorés, et sur le perron, j'entendais les rossignols chanter de toutes parts, un peu trop loin, car ils sont dans les bois du marécage. Il y avait au nord cette clarté permanente de la période du solstice, une sorte de transparence de la nuit, et quelques étoiles bleues au dessus de moi. 

mercredi 26 mai 2021

Funérailles


La petite-fille du père Valentin, Nastia, vient de mourir du cancer qui la rongeait depuis plus de deux ans, après toutes les péripéties des soins pénibles et des faux espoirs. Elle venait d’avoir neuf ans. Je me suis donc rendue à Moscou, pour les funérailles. Cette famille est largement devenue la mienne. J’ai d’ailleurs régulièrement prié et fait prier pour cette petite fille...

Son grand-père officiait avec tous ses prêtres en blanc et doré, le cerceuil de Nastia aussi était blanc, jonché de fleurs et veillé par un petit chien en peluche.  Je voyais le frère aîné de Nastia, Valia, dans sa tunique byzantine de servant d'autel, il avait l'air sombre, un peu perdu, presque en colère. J'ai embrassé le père de la petite morte, Kolia, et sa maman m'est aussi tombée dans les bras. "Elle a l'air si petite, dans ce cerceuil, cette pauvre Nastia" me dit plus tard Liéna qui dirigeait le choeur. Oui, trop petite pour un tel écrin, avec sur le front, un bandeau brodé d'icônes, et un visage de poupée, complètement fixe, à vrai dire, une poupée ou une statue aurait paru plus vivante. 

Yana, la maman, me dit: "Je suis contente que cet office soit si lumineux." Et en effet, il l'était, il était plein de la lumière de Pâques, qui se prolonge encore, c'est une fête qui dure quarante jours. On chantait de toutes parts la Résurrection, on criait de toutes parts "Christ est ressuscité".

J'étais peut-être celle qui avait le plus de mal à retenir ses larmes. Cela me bouleversait de voir cette petite poupée dans son cerceuil, avec son chien en peluche. Mais j'observais que si tout le monde était triste, cela ne prenait pas du tout un caractère dramatique. Chacun faisait ce qu'il avait à faire. Le père Valentin et son équipe officiaient, Liéna et Kolia chantaient avec le choeur. J'imaginais ce qu'aurait donné dans ma famille l'enterrement de l'un de mes cousins, ou le mien, cela aurait été absolument terrible. La maladie et la mort de ma jeune tante Baby me revenaient en mémoire, son calvaire, nos moments d'espoir et de désespoir, et notre refus d'envisager que cette jeune femme ravissante pût mourir, notre Baby, c'était une chose absolument impossible à imaginer, et c'est pourtant arrivé. Je revivais ces obsèques sinistres au son de l'Adagio d'Albinoni, j'en ai gardé deux images: ma cousine Françoise, arrivée avec la même expression que le jeune Valia, qui éclatait brusquement en sanglots déchirants. Et ma tante Renée, en manteau de vison, qui allait, soutenue par ses deux filles, bénir le cercueil sur des jambes pliées, sur des chevilles cassées au dessus de ses escarpins qui partaient en biais. Nous n'étions tous que douleur abîmée, totale incompréhension, révolte impuissante, chagrin inconsolable. Ma grand-mère en est d'ailleurs morte deux ans plus tard.

La petite Nastia devait être enterrée au "cimetière allemand", où repose l'arrière-grand-mère du père Valentin. Il faisait un de ces temps russes paisibles où la brise émet de mystérieux murmures sous les ailes croisées d'une lumière somnolente et étale. Les hommes de la famille portaient le cercueil sur leurs épaules; nous allions tous en procession vers la tombe, chantant sans interruption, comme auparavant à l'église, le tropaire de Pâques:

Le Christ est ressuscité des morts

Par sa mort Il a terrassé la mort

Et à ceux qui gisaient au tombeau

Il a fait don de la vie.

Les oiseaux chantaient aussi de toutes parts dans les frondaisons encore translucides des arbres qui recouvrent cet immense cimetière, et des rayons fusaient sur les tombes. Nous marchions dans des odeurs d'encens et de sous-bois, au son du vent, derrière cet esquif blanc et sa petite passagère. Nous portions toutes les fleurs apportées en hommage. Avant d'ensevelir l'enfant, ceux qui n'avaient pas eu le temps de lui dire adieu sont venus le faire. Macha a fondu en larmes avec l'un de ses petits garçons. On a recouvert le corps d'une étoffe blanche imprimée du calvaire, et de prières, et l'on a fermé le cercueil; puis on l'a enseveli, et tout ce temps, les hymnes de Pâques se succédaient. Les fleurs ont toutes été piquées sur le tumulus par les femmes de la famille, jusqu'à ce qu'il soit complètement recouvert, avec une croix comme dessin central. 

Ensuite, nous nous sommes tous retrouvés pour le repas des funérailles, dans la cour fleurie de l'église, sous le soleil, dans le fil de la brise. Les photos encadrées de Nastia étaient partout disposées, et tout le monde pouvait en emporter en souvenir. Nastia savait qu'elle allait mourir. Elle avait demandé: "Pourquoi moi?" et le père Mikhaïl lui avait répondu: "Parce que Dieu t'aime particulièrement et ne veut pas attendre quatre-vingts-ans pour t'avoir avec Lui". Il l'a confessée et lui a donné la communion. Elle disait qu'elle avait très envie de dormir, car elle était bourrée de morphine. Mais elle échangeait des câlins et des adieux avec les siens.

















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samedi 22 mai 2021

La lumière qui fait voir toutes choses

 


« Dieu, nul ne l’a jamais vu », il est la lumière qu’on ne voit pas, mais qui nous fait voir toutes choses. [...] Voir toutes choses dans la lumière de l’Amour, c’est voir les choses comme Dieu les voit, c’est la vision créatrice qui fait que « cela est beau » ; nous savons que nous sommes en Dieu à la qualité du regard que nous posons sur les êtres, à la patience et à l’intensité de notre philocalie, c’est-à-dire de notre volonté ou de notre intentionnalité pour que les choses soient belles, quels que soient l’éclat ou le non-éclat de leur apparence. La lumière de l’Amour fait briller son soleil sur l’or comme sur l’ordure, bons ou méchants, elle illumine tout être venant en ce monde. Le monde est « sauvé », mis au large, replacé dans l’Infini par le regard qui se pose sur lui."

Jean-Yves Leloup, un obscur et lumineux silence.

Cette citation publiée par mon ami Henri répond à la conversation que j'ai eue avec Katia, aujourd'hui, dans le jardin. Nous étions assises dans le fil du vent doux, entourées de chats, sous le poirier qui a fini de fleurir, avec des théories de jonquilles dans l'herbe verte, et de beaux nuages blancs dans le ciel bleu. Je lui disais que de jouer des gousli me provoquait les mêmes déplacements de conscience que de fumer un joint, sans les effets secondaires. "Oui me répond-elle, on entre dans un état méditatif, contemplatif.

- C'est cela, mais ce que nous contemplons aussi, c'est cela qui m'étonne, il s'établit une sorte de silencieux dialogue, la nature nous répond, elle a besoin de ces chants que nous avons perdus.

- Mais savez-vous que quelqu'un a décidé de donner des concerts aux arbres?

- Eh bien mais quand on connaît les effets de la musique sur la cristallisation de l'eau, cela n'est pas si étonnant, c'est pourquoi je préconise tellement la pratique du folklore en famille. Un jour quand j'étais dans mon village du midi, j'étais allée me promener et je lisais un psaume à voix haute. Et tout à coup, un vent s'est levé, quelque chose comme un immense soupir exhalé par les pins sous l'azur. J'en suis restée pétrifiée sur place, émerveillée."

Nous avons évoqué la situation, la dictature sanitaire en France, la transformation du monde en maison de fous planétaire. Nous espérons un répit, qui me permettrait à moi d'aller en France. Katia, quant à elle, a fait une croix sur sa chère Italie: "Même si nous faisons le vaccin russe, eh bien là bas, ils ne le reconnaissent pas.

- Le vaccin russe semble être moins douteux que tous les vaccins Big Pharma, mais je dois dire que plus ça va et moins je suis partante."

Nous en sommes venues à la conclusion que même si nous sortons du délire covidien, le processus engagé était celui de l'autodestruction d'une civilisation profondément néfaste et maudite, qu'elle soit exprimée par le capitalisme ou par le communisme, car dans les deux cas, un progressisme matérialiste obtus et brutal piétine la vie, considère la nature comme un ensemble de resources à exploiter et les hommes comme une force de travail, qui devient d'ailleurs de plus en plus inutile aux cocopitalistes mondialistes. Une civilisation fondée sur des principes tellement bas, que tout ce qu'elle produit est horrible, et tous les remèdes qu'elle propose pires que les maux qu'elle prétend guérir.

"Tout de même, Katia, quel luxe d'être assises dans un jardin, d'être dehors dans le vent tiède...."





Je suis retournée avec Benjamin et Romane le cosaque revoir la maison de Pertsovo, ils ne me conseillent pas du tout de la prendre, ils me disent que c'est une petite maison d'été, de construction légère. La nature qui entoure le village est absolument magnifique, le jour où nous y sommes allés, elle était cependant infestée de moustiques. Mais c'est beau, très beau. Pourtant, j'ai été prise d'un grand découragement. Tout recommencer, et pour combien de temps, combien d'années me reste-t-il à passer sur terre? A vrai dire, quand je disais que ma maison et son jardin semblaient me crier de rester, c'est littéralement ce que j'ai ressenti, et dans le droit fil de ces liens que crée la musique entre les différentes formes de vie qui m'entourent et moi-même. Ici, dans l'ilôt que j'occupe, et où j'ai déployé depuis cinq ans tant d'efforts, subsiste une beauté qui disparaît partout ailleurs. Je n'interviens pas brutalement sur mon jardin, comme mon voisin, je ne le recouvre pas de tonnes de glaise. je traite tout ce qui m'entoure avec égards, et du coup, ce qui m'entoure m'en sait gré, et ce petit univers me supplie de ne pas l'abandonner.

Le saule crevette planté récemment pousse avec vaillance, le saule pleureur nain également, et les deux thuyas que j'ai transplantés avec tant de difficultés font ce qu'ils peuvent pour me cacher au plus vite la boîte en plastique sur pilotis. Le voisin Alexandre s'occupe de faire du drainage, il verra ce qu'il peut faire à son retour de Moscou.

Aujourd'hui, dans mon hamac, je me sentais en paix, une fois la clôture complétée, le perron déplacé, je ne verrai plus tellement le triste spectacle qui me consterne depuis l'automne. La femme d'Alexandre m'a dit que l'on mettait un terme aux constructions dans le marécage, déclaré zone de repos, et que nous pourrions continuer à nous y promener. Je regardais les nuages. Les animaux prenaient le hamac d'assaut. D'abord Robert, ensuite Blackos, puis Rita, et enfin Georgette, après quoi, ils se répartissaient autour de moi, dans l'herbe. Je me suis assoupie.J'avais beaucoup travaillé pour réparer les dégâts, pour adapter mon petit royaume aux conséquences du désastre provoqué par le déversement voisin de la glaise qui a supprimé toute vie sur ce malheureux terrain, comme cela se passe partout où l'homme contemporain dénaturé arrive avec ses gros croquenots, son air con et sa vue basse.

Robert
















mercredi 19 mai 2021

Immersion

 Un Russe est venu m'insulter sur ma page, en dessous d'un post concernant une église restaurée par un prêtre et ses paroissiens dans un style certes très naïf mais homogène et cohérent. Je trouve cela infiniment plus réussi, plus sincère, plus spontané, plus organique, que les églises futuristes inspirées par les églises cathos en béton des années Vatican II, ou les grosses pâtisseries sponsorisées par des richards. Pourquoi ce type m'insulte-t-il à ce propos? Il me dit qu'étant étrangère, je n'ai pas le droit de donner mon avis. Sur sa page, il m'attribue toutes sortes de fourbes arrières-pensées, m'accuse de détester Pereslavl, de ne pas comprendre la vaste âme russe, me conseille de lire Guerre et Paix et autres conneries. Mais j'ai vu qu'il insultait aussi Arkhipov et autres défenseurs de l'authenticité de la ville et de son lac, les traitant de "partisans de Vlassov" et adoptant une rhétorique de commissaire du peuple assez délirante. Je suppose que la vaste âme russe, pour lui, implique l'amour du béton armé, des cottages plastifiés, des massifs de bégonias et des nains de jardin. D'après les réponses à ses élucubrations, il semble ne pas résider en Russie...



L'été arrive brutalement en mai, mais juste pour quelques jours, après, cela va se rafraîchir un peu. Je ne trouve pas qu'il fasse trop chaud, il fait un temps merveilleusement doux et tiède que je voudrais bien voir s'éterniser tois mois. Mais je sais qu'il vaut mieux ici vite en profiter car on ne sait pas de quoi demain sera fait. J'ai pris mon premier bain dans la Vioksa. Elle était encore très fraîche, mais tellement vivifiante, et pleine de poissons bondissants, agitée de courte vaguelettes qui se brisaient sur mon nez. Je voyais glisser des canards, planer des mouettes, frémir des roseaux si légers, si dorés, si vaporeux, et au loin de sombres forêts de pins, et dans le grand ciel bleu des vapeurs échevelées, des nids de séraphins fugaces. Je pensais à mon héros Fédia, mon frère, mon double. A son amour de la vie, que je partage avec lui. Et je ne comprends pas, toute chrétienne que je sois, pourquoi je devrais m'en détourner comme le prônent certains ascètes, car c'est dans cet amour de la vie que je me sens en communion avec Dieu, plus que dans la lecture d'interminables prières, quoiqu'il y ait naturellement de très belles prières, les psaumes, par exemple. Mais justement, les psaumes célèbrent souvent la vie, la nature, la musique. Donc, étourdie de soleil et de vent, baignée d'eau fraîche et prête à déguster, sous le poirier, un thé aux feuilles de cassis et à la menthe, je rends grâce à Dieu, car jamais je n'ai ressenti la beauté de la création avec cette intensité, j'entre avec elle dans un dialogue extatique et muet. Et sans doute ferai-je comme Brassens, la tombe buissonnière, et quitterai-je la vie à reculons, "en effeuillant le chrysanthème, qui est la marguerite des morts". Comme Fédia, en contrebande, cachée sous la mante du métropolite Philippe.

Auparavant, j'avais fait ma première tonte du jardin, sélective, aussi discrète que possible. Et tout ressortait mieux, les tulipes et les jonquilles que le soleil allume comme de petites lampes. Je vais demain soir revoir la maison de Pertsevo avec Benjamin et Romane. J'ai tout à coup peur de partir. Il me semble que toute ma maison me crie de rester, et les fleurs, et le poirier, et les buissons, et même les oiseaux. Déménager à presque soixante-dix ans ça ne va pas la tête? Dans cinq ans, dix ans, tu peux déjà être morte. La situation générale m'inquiète profondément, et elle retentit sur Pereslavl comme sur tout autre lieu, quand Romane a évoqué sa communauté, la veille de Pâques, j'ai vu la possibilité de m'inscrire dans quelque chose de salvateur pour moi et ceux qui participent, et le fait que la seule maison disponible là bas soit charmante, en bon état et pas chère m'a paru un signe de plus, mais je suis travaillée par le doute et l'appréhension. La vie quotidienne sera plus compliquée, c'est en dehors de la ville, le terrain est grand et il faut l'entretenir, pas de gaz, et pour faire garder les chats, et ceci et le reste... mon éditeur m'a mise en garde. En revenant de la Vioksa, je roulais tout ceci dans ma tête, et il m'est revenu une discussion avec soeur Agnès sur le seuil du monastère de Solan, au moment où j'ai pris la décision de repartir en Russie. "Il faut suivre la volonté de Dieu, me dit-elle.

- Certes, soeur Agnès, mais elle n'est pas toujours simple à discerner. Est-ce qu'on peut penser que la solution qui répond à la volonté de Dieu est la plus difficile?

- Eh bien... Oui, en effet, la plupart du temps, c'est comme cela que cela se passe."

dans le ciel d'été glissent beaucoup d'anges



 

mardi 18 mai 2021

Uglification of the world

 


Une correspondante me signale une vidéo qui complète mes propos et observations sur le thème: the uglification of the world, de Paul Joseph Watson. Le phénomène est universel. Paul Joseph Watson pense qu'il s'agit de nous plonger dans la dépression, le désespoir. La dépression et le désespoir concernant ceux qui restent encore capables de ressentir de tels états intérieurs devant ce qui se passe, que dire des autres, ceux qui accueillent ce nouveau monde avec enthousiasme?

Un autre correspondant me dit que la dictature électronique est installée en Russie par Mistouchine et Liksoutov avec la bénédiction de Poutine. Voici ce qu'il m'écrit: 

C'est lui P et ses informaticiens mishustin et liksutov qui construisent rapidement un camp de concentration électronique total dans notre pays. Que l'Éternel les rétribue selon leurs oeuvres!Ils veulent etre les premiers au monde avec le face-pay......

La méthode de paiement du voyage avec l'aide du visage, ou Face Pay prévoit de lancer dans toutes les stations de métro de Moscou d'ici la fin de l'année, a déclaré dans une interview à RIA Novosti le maire adjoint de la capitale pour les questions de transport Maxim liksutov. "Avant la fin de l'année, nous voulons lancer Face Pay sur toutes les stations sans exception", a déclaré liksutov.https://www.youtube.com/watch?v=FO3sOaQZu7A



Il est vrai qu'avec Dany, nous avions constaté quelque chose d'inquiétant au moment du renouvellement de gouvernement, sur le fond de la pandémie et du référendum sur les changements de la constitution (qui n'allaient pas du tout dans le sens des "valeurs" du mondialisme, et qui a été approuvée par les Russes précisément pour cela). Je ne peux pas dire que la physionomie de Mistouchine m'ait inspiré une grande confiance, et Poutine ne semblait plus le même, du reste, le bruit courait qu'on l'avait remplacé par un sosie. 
On se demande pourquoi, en ce cas, l'occident mondialiste cherche tellement à déstabiliser la Russie et à diaboliser Poutine. Mais je ne peux que constater, que Poutine soit dans le coup ou qu'il ait été circonvenu, les effets du cancer général de l'humanité sur la Russie, métastasée dans une moindre mesure mais métastasée quand même.

Hier soir, nous avons fêté la belle saison avec Génia le balalaiker, sa compagne Olia, sa mère Ira, une amie de celle-ci, Lioudmila, et Katia, sous le poirier en fleurs. Ils avaient préparé plein de zakouskis et moi un ragoût avec un morceau de porc offert par des fermiers de Rostov et que j'avais mis au congélateur, le tout arrosé par le vin de miel suisse de Benjamin (à ne pas confondre avec de l'hydromel). C'était extrêmement bon. Il soufflait une brise suave qui nous apportait l'odeur des narcisses et je ne sais par quel miracle, les moustiques n'avaient pas encore fait leur apparition. Les chats et Rita se répartissaient autour de nous, dans l'herbe. Les rossignols ont pris la suite des balalaïkas et des gousli. Il me revenait des souvenirs de dîners vespéraux en France, sur les terrasses ou dans les jardins du midi.
Quand les invités se sont dispersés, je me suis assise sur le perron, dans ce vent doux et merveilleux, face à l'isba de l'oncle Kolia, et au croissant de lune qui la surplombait. Le lampadaire de la rue éclairait le toit rouillé, le bouleau frémissant, les premières fleurs des pruniers, et jetait à travers la palissade des droites rayonnantes. J'ai pris les gousli et longuement, doucement joué. Dans ce quartier ravagé, à deux pas du tapis de glaise que le voisin a déroulé sous sa maison et sa voiture, le tableau que je contemplais en face était si insolemment russe et charmant, et même captivant... Le son des gousli est si méditatif qu'il produit des modifications de la conscience, et l'on voit soudain d'une autre manière, avec plus d'intensité. En outre, non seulement on voit, mais on est vu. Soudain, le bouleau, le poirier, la palissade, l'isba, et le grand ciel transparent de cette période de l'année, qui reste toujours crépusculaire au nord et ne s'assombrit jamais tout à fait, avec au dessus de ma tête, les astres de la Grande Ourse , deviennent partie prenante, font partie de moi, les sons créent un lien entre mon âme et leur vibration existentielle mystérieuse. Je comprends qu'ils ont besoin de mon regard, de mon attention, et de ce chant qu'ils n'entendent plus, depuis qu'on a vidé les gens de tout ce qu'ils avaient de sacré pour mieux y laisser s'engouffrer le néant et ses démons. C'est ma résistance.
J'avais un peu peur de laisser ma maison, dont j'avais fait un ilôt de poésie dans ce qui sera bientôt à l'image de celle d'à côté, j'avais pitié de mes arbustes, de mes plantes, ce serait tellement affreux qu'à ma suite on déversât ici dix camions de glaise... chez le voisin, même les "mauvaises herbes" ne se décident pas à pousser. Même la berce du Caucase. 

lundi 17 mai 2021

Le Meilleur des Mondes




L'opération Tom Sawyer initialisée par Boris Akimov, et visiblement sponsorisée par Leroy Merlin, a abouti au rafraîchissement d'encore une isba à Pereslavl. Chaque fois que je passe devant la première isba restaurée, c'est une joie pour moi, car cela a suffi à rendre un peu d'harmonie et de pittoresque à tout le coin où elle s'inscrit. Ici, elle sera moins visible depuis la rue, elle est plus en retrait et il y a des arbres devant. Les peintres du dimanche ont eu l'idée d'harmoniser à l'ensemble la barrière en profnastyl hideuse. Benjamin me disait que de telles barrières étaient impensables en Europe, sauf dans les zones industrielles. Elles défigurent toute la Russie. Essayer de les dissimuler est une bonne oeuvre. J'ai eu un échange sur ce thème avec Boris Akimov. Dans la mesure où on ne peut éviter les toits de tuile métallique laquée, comme les barrières en profnastyl, il faudrait arriver à inspirer aux gens d'au moins essayer d'harmoniser les couleurs et de tenir compte pour cela aussi de celles des maisons voisines. J'avais vu un reportage sur des vieux-croyants de l'Altaï qui ont recours aux toits de tôle métallique, parce que c'est moins cher et solide, mais chose curieuse, parce que ces gens sont en soi traditionnels et harmonieux et forment une communauté, les toits s'harmonisent bien avec les maisons, et les maisons entre elles.

Cette totale absence de goût, qui n'était pas du tout le propre du peuple russe avant la révolution, et même plus tard, comme en témoigne le Pereslavl que j'ai connu, où les gens construisaient encore dans la tradition, est le résultat d'une vision absolument utilitaire de l'existence, inculquée à l'époque soviétique, qui fait ricaner à certains que l'Eglise ferait mieux de construire des hôpitaux plutôt que de dorer des coupoles. Les coupoles sont sans doute trop systématiquement dorées, mais l'un n'exclut pas l'autre, et du reste l'Eglise construit des hôpitaux, notre évêque s'en occupe ici, à l'emplacement de celui où a quelques années travaillé le saint évêque chirurgien Luc de Crimée, et à part au monastère saint Nicolas, qui a trouvé un sponsor, nos coupoles sont bien loin d'être dorées, je serais heureuse de les voir simplement peintes à nouveau d'un joli bleu mat plutôt que du vert caca hall de gare dont on les a recouvertes. Ainsi que l'a dit le Christ lui-même, l'homme ne vit pas seulement de pain. Le Christ avait béni l'initiative de la pécheresse venue verser sur lui un parfum de prix, et Judas, qui allait le trahir, lui avait précisément reproché de dépenser pour des futilités l'argent qu'on pouvait garder pour les pauvres. Les gens ont besoin de beauté et de poésie, dans une société normale, autant que de confort et de satiété physique. Cela n'est pas forcément incompatible. 


en combinaison de peintre, avec Rita












...

A Moscou continue allègrement le massacre des derniers quartiers anciens, homogènes et pittoresques, que visiblement Sobianine déteste. Je suis persuadée qu'il les déteste, que cela n'est pas seulement une question de business. Je me souviens d'avoir frémi devant un slogan du temps de Brejnev: "Nous ferons de Moscou une vraie ville communiste". En béton uniforme, sans plus aucune fantaisie, une caserne, une termitière. Aujourd'hui, c'est le libéralisme qui s'en occupe, mais l'impulsion est pour moi rigoureusement la même. Haine de la nature, de la beauté, de tout ce qui échappe au contrôle rationnel étroit, à la tyrannie, à cette passion de la mort qui est le propre du diable, quels que soient les discours idéologiques dont il se pare. Le problème est que dans tous les pays, une partie des populations reprogrammées, rééduquées, privées de tous les récepteurs que développait l'éducation d'antan, adhère avec enthousiasme, ou indifférence fataliste, à un programme atroce, qui nous enlève, à nous, toute envie de vivre. Ainsi, dans les commentaires à cette terrible photo d'un quartier neuf à Samara, un mutant s'écrie que c'est parfait, qu'il y aura de la place pour les voitures, et qu'avec un peu de verdure (où elle poussera, la verdure?) ça pourra le faire. Les mêmes apprécient énormément les fleurs en plastique, le bétonnage des rivières, la nature, c'est sale. Il faut éradiquer la nature.


  On pourrait penser que tout ce mauvais goût, cette hideur fantasmagorique sont quelque chose de fortuit, mais je me souviens toujours de cet échange de répliques sur une capture d'écran où deux officiels russes se félicitaient des destructions de quartiers anciens, ces "vieilleries tsaristes" qui "servaient de terreaux aux conservateurs", de sorte qu'entre les komsomols des années 70 et les hauts fonctionnaires libéraux d'aujourd'hui, je voyais une filiation directe. Dans le même temps, en France, on ravage le centre de Paris, on coupe partout des arbres avec frénésie, on installe dans les plus beaux endroits du pays ces abominables éoliennes à prétexte écologique. A Pereslavl, on saccage des tilleuls, on coupe une allée de sapins sans consulter personne, en mettant les habitants devant le fait accompli. Partout la même barbarie, la barbarie globale. 

Des artistes russes échangent sur les changements à Moscou. La ville leur est "devenue étrangère". Elle est factice, elle perd ses derniers jolis quartiers, les gens normaux n'y ont plus de place, et encore moins les vieux, les faibles, tout est fait pour leur compliquer la vie, comme à Paris, comme partout. Elle est faite pour les jeunes aux dents longues, qui vont vite, qui écrasent tout le monde,avec une grossière impudence,  et qui, incultes et brutaux, savent manier l'informatique et les diverses technologies à la perfection, ils ne savent même que cela, mais c'est tout ce qu'on leur demande, le reste on s'en fout. Une fois usés, on les balance comme des kleenex. a moins qu'on ne les recycle, comme dans Soleil Vert?

  Et voilà que je tombe sur une vidéo de la chaîne orthodoxe Tsargrad. L'intervenant y commente un document officiel de Koudrine et Khousnouline,  prévoyant d'exclure la majeure partie de la Russie des projets d'entretien et de développement, pour se concentrer sur une ceinture urbaine formant une énorme mégapolis constituée de plusieurs villes devenues des monstres futuristes, des termitières, où les gens, par manque de ressources en province seront contraints d'affluer pour survivre, et de se parquer dans le genre de cages  que je montre plus haut. Comme des porcs et des poulets de batterie, contents, en plus, d'avoir de la place pour leur bagnole, trois fleurs en plastique dans des bacs en béton, et la marque de la bête tamponnée sur le front. "Est-ce la Russie dont nous avons besoin?" s'écrie le journaliste.


   On peut imaginer, en Russie, où le phénomène n'a pas tout à fait le caractère idéologique qu'il prend en occident, que les seigneurs mafieux de cet horrible monde se foutront éperdument des sous-hommes qui resteront dans le reste du pays, et finalement, je le souhaite. Qu'ils nous oublient dans nos îlots. Je regrette juste de ne pas avoir poussé jusqu'à la région de Vologda, où les gens restent plus russes, et qui ne fait pas partie du projet futuriste de Koudrine, Sobianine et compagnie, mais peut-être que le village de Pertsevo échappera au cancer qui ravage Moscou et étend ses métastases jusqu'à Pereslavl. La solution est de vivre à l'écart et de retourner aux fondamentaux. Si bien sûr on ne surexploite pas tellement ce qu'il reste de nature qu'on ne pourra plus même en tirer sa maigre subsistance.

Quand je lisais Le Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley, j'éprouvais une épouvante glacée et me consolais en me disant que ce n'était pas pour demain. Eh bien si, nous y sommes. Aldous Huxley lui-même s'étonnait de voir cela se réaliser si vite. Cet homme pénétrant avait tout compris et même le caractère hypnotique, incantatoire de la religion du Progrès, opposée à la "bonne religion", celle qui développe l'âme et unit les gens.




samedi 15 mai 2021

Tom Sawyer

 


Le temps s'est réchauffé d'un seul coup, et la végétation s'éveille de la même manière, à toute vitesse. Partout de vaporeuses ramures d'un vert lumineux et translucide, partout des fleurs de merisiers et de pommiers, les jonquilles, les narcisses, les tulipes... Mais un orage de grêle a endommagé ce matin, ces corolles fragiles qui embaumaient tout mon jardin.

Hier, je me suis installée dehors  pour jouer des gousli. Ces sons cristallins et hypnotiques me mettent dans état contemplatif bienheureux et profond. Ils réunissent autour de moi tout ce qui m'entoure, le vent qui m'effleure et froisse les feuilles naissantes, emportant des nuages argentés et fripés, pleins de lumière; les fleurs du poirier, les petites lampes des narcisses dans l'herbe verte; les chats répartis autour de moi, Georgette sur la table, Blackos sur la chaise, Robert à mes pieds. Le tonnerrre gronde au loin, des gouttes s'écrasent autour de nous, le ciel bascule dans une ombre énorme et pourtant la pluie brille comme une chute de minuscule diamants, imprégnée de soleil. Tout cela entre en moi avec le chant des gouslis. Je pense quelquefois que si par malheur je finissais ma vie aveugle, eh bien d'avoir appris à en jouer me permettrait de continuer à créer.

Comme je ne peux plus fermer mon portillon depuis les travaux du voisin, j'ai eu la surprise de voir tout à coup dans mon entrée une bonne femme hagarde au front tuméfié. Elle sentait la vodka à plein nez et me demandait de l'argent, que je n'avais pas, en me racontant des histoires à dormir debout. Je lui ai donné une série de pièces grattées dans mon porte-monnaie, elle est repartie vers les voisins pour leur en extorquer aussi. La jeune Nadia venue m'aider m'a dit que je n'aurais pas dû lui donner quelque chose. C'était la femme qui avait adopté la soeur de ma chienne Rosie, et celle-ci d'ailleurs la suivait, inquiète, sans doute pour la protéger, ce qui m'a emplie d'une profonde tristesse. 


Aujourd'hui, se répétait l'opération Tom Sawyer qui consiste à repeindre une vieille maison typique pour embellir la ville et attirer l'attention des habitants sur leur héritage culturel. Cette fois, j'ai participé. Et tout le monde était ravi que la curiosité locale se soit jointe à l'affaire. J'ai même du poser pour la photo et discuter avec une délégation de jeunes touristes.

En ce qui concerne mes propres histoires de maisons, je passe par toutes sortes de stades. Il ne m'est naturellement pas facile de laisser celle-ci, bien que, dès le départ, elle ne m'ait pas semblé répondre à ce que j'attendais, mais j'ai déployé beaucoup d'efforts pour lui donner du charme et organiser son jardin, je n'imaginais pas encore partir. Ma voisine Ania est venue discuter avec moi, elle ne voudrait pas perdre le contact. La famille d'Ania est la meilleure du quartier, et leur fils est un vrai jeune garçon russe. Il est obligé d'aller à l'école après le déjeuner, de sorte qu'il n'a plus de temps pour rien d'autre. Dans l'esprit contemporain, l'école doit primer sur tout, et nous ne sommes pas censés, au cours de notre vie, avoir du temps pour quoi que ce soit d'autre que l'école, puis le boulot; avoir du temps, cela permet de penser et de réaliser qu'on n'est quand même pas né seulement pour "travailler de toutes ses forces pour son patron", comme disait monsieur de Mesmaeker en regardant Gaston Lagaffe jouer dans les feuilles tourbillonnantes, chassées par le vent d'automne.

Ania pense qu'on nous prépare un monde horrible, où il n'y aura pas de place pour les faibles, les vieux, les petits, un monde où règneront la prédation et l'indifférence, et elle est heureuse d'avoir eu le temps d'élever ses enfants dans un endroit encore normal. Elle pense que Poutine ne marche pas là dedans, mais qu'il n'a pas les pouvoirs qu'on lui prête, et c'est certain qu'il ne les a pas. 

Une personne m'a contactée sur facebook, pour me dire qu'elle habitait Pertsevo, me donner son numéro de téléphone et m'offrir son aide et son amitié...

Dans la nuit, je suis sortie, et j'ai vu un chaos de nuées blêmes dans un ciel déjà pâlissant, grisâtre. Des gouttes tombaient. Les rossignols chantaient de toutes parts.

Pour nous remonter le moral, Rita:





jeudi 13 mai 2021

Pow-wow chez Benjamin

 A mon retour de Moscou, j'ai été invitée le soir même par le père Dimitri, qui officie avec le père Valentin et était de passage à Pereslavl, dans un restaurant à l'extérieur de très mauvais goût. Néanmoins, on y mange très bien. Il y avait même longtemps que je n'avais pas aussi bien mangé. Je dois mes découvertes gastronomiques locales aux prêtres du père Valentin !

Il était avec sa femme, son plus jeune fils, et un paroissien. Nous avons passé un moment intéressant et chaleureux. C'est un homme fin, intelligent et humain, très doux.

C'était hier l'anniversaire des 800 ans de la naissance du saint prince Alexandre Nevski, auquel je m'adresse souvent pour lui demander d'intercéder en faveur de sa ville défigurée, mais je suppose que, comme dit Slobodan Despot, tout maintenant doit s'accomplir et que nous boirons la coupe jusqu'à la lie.

Hier soir, c'était Benjamin le cosaque suisse qui m'avait invitée à goûter les saucisses de sa fabrication. C'était une réunion des futurs habitants du village. Lui n'a pas l'intention d'y mettre pour l'instant autre chose que ses abeilles, mais Romane et Olia vont y habiter et une jeune femme présente y a déjà construit avec son mari un bain de vapeur en attendant la suite, les bains de vapeur sont souvent de petites maisons qui peuvent servir l'été. J'ai évoqué la question de l'eau et de l'électricité capricieuse, Benjamin m'a confirmé que cela pouvait poser des problèmes. Il a appelé un résident du village qui lui en avait parlé. Celui-ci nous a dit qu'il y avait des baisses de courant mais que ce n'était pas tragique et ne compromettait pas l'installation d'une chaudière. Il se réjouit de nous voir arriver et m'a signalé qu sa femme me suivait sur facebook. Benjamin a ensuite proposé d'inspecter ma maison avec Romane, qui doit y faire les travaux. Puis la question de l'achat des terres de l'ancien sovkhose est venue sur le tapis. Benjamin a acheté cinq hectares pour ses abeilles, Romane à acheté 5 hectares, et aussi un autre cosaque, mais celui-ci projette une horrible clôture. Il y a 8 hectares en vente qu'il faut acheter vite avant qu'un promoteur ne mette la main dessus, car les terres agricoles sont inconstructibles, mais on construit quand même. Et si les promoteurs font ce qu'ils veulent, le citoyen lambda qui achète des terres agricoles doit les exploiter. Les Français ne peuvent acheter comme je me proposais de le faire, avec un ami, pour sauver la situation, mais la jeune femme et son mari en prendraient la moitié et l'achat se ferait en son nom, avec pour garantie une location fictive de 50 ans qui empêcherait toute rétrocession sans mon accord. Si j'ai bien compris le système, l'important, c'est qu'il y en a un. Et à plusieurs, cela ne nous reviendra pas cher.

Évidemment, tout cela est pour moi bien intimidant, mais cela me place dans une communauté d'intérêts et de vision des choses, nous voulons tous vivre à l'écart de la folie ambiante. Chose curieuse, un intellectuel vivant dans un autre village du coin à lancé un SOS sur Facebook pour faire acheter des hectares agricoles avant que des promoteurs ne se jettent dessus. Il y a quand même des gens qui en ont marre. Je sais qu'il y a encore un autre village où les gens se sont fédérés en communauté pour résoudre leurs problèmes et restaurer leur belle église. Parfois on en arrive même à refaire la route en commun. Les autorités s'en foutent, elles préfèrent bétonner les lacs. Déjà si, à défaut de faire leur boulot, elles ne viennent pas nous emmerder... 

Ce village sera plein d'enfants, il y a déjà une famille nombreuse, Romane et Olia en ont cinq ou six, la jeune femme quatre. Les orthodoxes font des enfants.

Benjamin a la chance d'avoir un grand terrain, et il est déjà arboré, cela le protège relativement des ovnis, mais à cause d'un voisin qui a fait comme le mien, balancer des tonnes de glaise chez lui, il a des remontées d'eau qui compromettent ses récoltes de pommes de terre.



mercredi 12 mai 2021

Au Kremlin

 


Hier, j'ai trouvé le courage de faire du tourisme et me suis lancée dans la visite de l'exposition consacrée, au Kremlin, aux derniers représentants de la dynastie de Rurik, soit Ivan le Terrible et ses fils, et à leurs successeurs du temps des troubles. Je me suis dit que ce serait peut-être la dernière fois que je m'imposais une telle expédition. La fois d'avant, avec Henri et sa femme, des meutes de Chinois nous avaient découragés. La covid a chassé les Chinois, et je suis arrivée tôt. Il y a maintenant un nombre impressionnant de caisses, dans un édifice en verre, cela me rappelait la gare de Lyon ou un aéroport. Et comme dans les aéroports, fouille des sacs, portique électronique etc. l'impression que tout devient terriblement complexe, isolant, et que ceux qui ne pourront s'adapter n'auront plus qu'à crever, une existence trépidante, vide, qu'on supporte quand on en a la force, qui laisse vite vidé, et une fois vidé, à la poubelle.

Depuis le pont qui franchit les douves, je voyais une petite église écrasée par l'énorme masse du palais des Congrès, que ce gros plouc ukrainien de Khroutchev à bâti en détruisant le très ancien monastère médiéval des Miracles, ou étaient enterrées les grandes princesses et tsarines jusqu'à Pierre le Grand. On ne peut pas dire que cet ovni s'inscrit mal dans le paysage, son propos  étant à l'évidence de s'y imposer avec l'arrogance d'un commissaire du peuple qui croise ses bottes sur une table marquettée et les essuie avec le napperon de dentelle.

J'avais pris aussi un billet pour la visite des cathédrales, que j'ai visitées plusieurs fois, car je voulais depuis longtemps aller prier dans celle où repose le métropolite Philippe, celle de la Dormition. En débouchant sur la place, je me suis trouvée, avec une émotion intense, face à celle de l'archange Michel, dont les coupoles délavées d'azur et incendiées de soleil, semblaient prêtes à soulever l'ensemble vers le ciel. Invinciblement attirée, j'ai suivi un groupe de gens qui se sont signés avant d'entrer, j'ai fait pareil, et à l'intérieur aussi. Je me suis retrouvée sous les fresques admirables, entourée de toute la sainte Russie, avec autour de moi les sarcophages de tous ses princes et tsars jusqu'au moment où elle a commencé à se compromettre avec l'Europe. Ivan le Terrible est enseveli derrière l'iconostase, il est donc inaccessible, mais je sentais la présence effective de tous ces gens, comme je sens la réponse de la nature quand je chante ou prie en son sein. J'ai prié avec ferveur pour tous ceux qui gisaient la et même pour les rois de France, j'ai prié pour ceux qui avaient construit ces murs et peint ces fresques, je me suis inclinée sur les reliques du saint prince Michel de Tchernigov. Je pleurais comme le jour lointain ou j'avais vu tout cela pour la première fois, sous l'union soviétique.

Puis je suis passée à la cathédrale de la Dormition. En réalité, pour vraiment regarder tous ces trésors, il faudrait les fréquenter régulièrement, il faudrait les connaître depuis nos premiers pas, vivre avec eux, ce qui était autrefois le cas des Russes qui habitaient à Moscou, quand elle était encore le cœur sacré du pays, avant les profanations qui l'ont livrée aux appétits des promoteurs et des apparatchiks. J'ai été frappée par l'extraordinaire et lumineuse présence d'une grande icône connue de Saint Pierre et Saint Paul qu'on dirait habillés de roches puissantes et fulgurantes. Le métropolite Philippe est inaccessible plus que jamais. Dans la Russie de la perestroika, il s'était trouvé une brave gardienne pour me laisser aller vénérer ses reliques, mais là, dans le projet de ville monde futuriste de Sobianine avec électronique à tous les étages, c'est devenu impossible. Néanmoins, je le sentais au rendez-vous et le priais avec ferveur.

J'ai vu ensuite la chapelle privée des tsars, avec une magnifique collection de bois sculptés. Qu'est ce qui me parle autant dans ces icônes et bois sculptés russes ? Ils m'ont captivée dès ma prime jeunesse. Quelque chose d'a la fois simple, puissant et vital, un très ancien élan païen transfiguré par une foi chrétienne ardente. Je songeais que pas un seul des concepteurs futuristes de Sobianine, pas un seul des "génies" et des surhommes auxquels s'adresse le docteur Alexandre, ni Bill Gates ni aucun représentant de cette lamentable clique n'arrivait à l'ongle du petit orteil de ceux qui avaient sculpté ou peint ces icônes.

Ensuite, j'ai abordé l'expo elle-même dans le clocher d'Ivan le Grand, qui projetait dans l'azur un cierge enflammé. Autrefois, nul bâtiment à Moscou ne devait dépasser sa hauteur, et maintenant, on voit le chaos de gratte-ciels des élites mafieuses qui n'ont pas l'humilité des tsars. Cette partie de l'exposition était la seconde, celle qui concernait plutôt Boris Godounov, le faux Dimitri qui avait importé avec lui les Polonais comme Eltsine les Américains. Ivan le Terrible et ses proches étaient dans un autre bâtiment. On voyait des icônes, objets, armes, évangiles qui avaient fait partie de leur vie. La magnifique tiare du tsar Ivan, bordée de zibeline, il devait avoir une autre allure que nos sinistres clowns en costar cravate, il n'y a pas à dire, la démocratie ne fait pas trop rêver. De la vaisselle d'or et d'argent. Les icônes des saints patrons des tsarevitchs, qui étaient faites à leur taille, quand ils étaient enfants. Tout cela était très raffiné et très émouvant. J'imaginais la consternation de ces gens épris de beauté, devant la laideur hallucinante des objets et des constructions qui désormais nous entourent, et nos vêtements et comportements ridicules. 

Parmi les objets présentés, beaucoup de choses importées. Ivan le Terrible avait dans son sarcophage un très joli verre en cristal de Bohême bleu foncé, avec des points en relief multicolores. Les étoffes précieuses utilisées pour les chasubles venaient souvent d'occident, et Boris Godounov avait reçu de somptueux cadeaux du shah de Perse.






 Le surlendemain de cet exploit, je suis allée rencontrer l'éditeur de Iouri Iourtchenko qui travaille dans un ancien jardin d'enfants des quartiers dortoirs sud de Moscou. Aller chez lui est toute une équipée, mais c'est juste que comme il le dit lui-même, son lieu de travail constitue un de ces étranges ilôts de paix et de poésie post industrielle que l'on trouve parfois dans cette ville monstrueuse. Le jardin d'enfants est assez vétuste, il a conservé ses massifs, l'éditeur m'a reçue sur un palier de béton lépreux, sous les arbres reverdissants, avec à nos pieds des tulipes, des primevères et autres fleurs entremêlées, et puis un seau de flotte dans lequel il balançait ses cigarettes. Nous avons discuté trois heures, il m'a chanté un psaume sur une mélodie de sa composition, et cela me rappelait énormément un chant populaire. De son côté, il était ravi que j'ai pu lui chanter le début de "la ballade des dames du temps jadis" de Villon, mise en musique par Brassens, qu'il adore. Pour ce qui est d'Ivan le Terrible, il pense que la clé de sa tragédie était qu'il s'identifiait au roi David, qui en plus d'être l'auteur de psaumes très beaux, très profonds et très spirituels, se montrait éventuellement d'une grande cruauté. De mon côté, j'avais établi le parallèle entre Ivan le Terrible et les rois de la Bible, de sorte que nous partagions la même intuition. David a pu être son modèle préféré, car Ivan le Terrible avait lui-même une nature esthète, et connaissait les psaumes par coeur.

Nous sommes ensuite allés dans un café du coin, car je mourais de faim. Il m'a dit que ce que j'avais de français, c'était le sourire, que les Russes ne souriaient pas comme cela. Enfin, nous nous sommes quittés copains comme cochons, un homme intelligent et original.

L'édition des livres est ici payante, l'auteur finance, l'éditeur prend comme lui un pourcentage sur les ventes, celui qui prend le plus, c'est le libraire, auquel l'éditeur vante et case le produit. Une fois la matrice du livre établie et les corrections faites, les rééditions ne coûtent pas aussi cher. 

L'éditeur, Viatcheslav, connaît Natacha qui rédigeait ma traduction. Il a trouvé que le style était très bien et m'a demandé la version française.

Après cela, je n'ai eu que le temps de foncer au vernissage de la dernière exposition de Constantin Soutiaguine. Je connaissais la plupart des tableaux, ses tableaux évangéliques, car je les avais déjà vus à une autre exposition. Quelques uns étaient nouveaux pour moi. De l'Evangile, Kostia passe à l'ancien Testament. J'ai beaucoup aimé celui-ci, où la présence lumineuse du Christ entouré de gens simples, répond aux eaux du lac, et au ciel, dont je pouvais presque percevoir le murmure, et le vent vespéral doux et bruissant. 





vendredi 7 mai 2021

Concert pour les brins d'herbe

 

Je dois aller demain à l'enterrement de Marie Gestkoff à Pouchkino. J’en profiterai pour me rendre à Moscou, et mardi, j’ai rendez-vous avec l’éditeur de Iouri Iourtchenko, pour lui présenter Yarilo. Il a été très aimable au téléphone; j'espère que je pourrai publier chez lui.

Ma voisine Ania me supplie de ne pas déménager ; mais elle m’a avoué que les choses ne changeaient pas en bien, que jusque là, on avait été tranquille, mais que notre tour était venu. Son lopin est aussi spongieux que le mien, ils ont déversé des quantités invraisemblables de terre dans le marais, et fait une route, pour construire n’importe quoi selon le principe "prends le fric et tire-toi". Comme le voisin , qui s’est précipité pour construire sa grosse maison affreuse, en bétonnant tout sous la glaise, dans l’espoir de gagner 70 000 roubles par mois pendant l’été, mais quel est le touriste qui va payer ça pour se retrouver dans un coin sinistre avec vue sur la bagnole depuis la terrasse ? D’après Ania, il ne fait rien pour améliorer ma situation, parce qu’il a des problèmes d’argent, sa maison n’est pas du tout rentabilisée. Quand même, réfléchir, cela peut-être utile, même sur un plan bassement pragmatique.

Donc, j’ai bien des moments d’angoisse, mais je pense que la petite maison de Pâques est arrivée juste à temps. 

Je voudrais bien aller en France voir ma famille, qui me manque, mais je ne veux pas me faire vacciner, ni même subir le test douteux; me faire ramoner les fosses nasales avec ma sinusite chronique, pas question. Je suis sûre qu’après ma grippe de 17, suivie d’une autre un peu moins grave en 19, je suis bourrée de coronavirus stras, je l’ai, mon immunité, et leur vaccin pourri qui ne m’inspire aucune confiance risque de me rendre malade, alors que je me porte comme un charme. Il me paraît évident que les pressions exercées sur les gouvernements, assorties de ces chantages et propagande hypnotique sur les peuples, cachent des intentions ténébreuses et complètement démentes. Le problème est que ma famille n’y croit pas, à part une cousine éveillée sur le problème. 

Cet après-midi, je me suis mise dans le jardin pour jouer des gousli, bien que je sois maintenant à la vue de tous, de l'autre côté de la vague de glaise où même les mauvaises herbes ne parviennent pas à pousser, le rêve de parfaite stérilité de l'homme contemporain. L’autre jour, Facebook a sorti une vidéo où je chantais une chanson que j’avais composée à Cavillargues, « cathédrale passagère » ; en l’écoutant, je pleurais comme un veau, et en la jouant aussi. C’était pour moi la petite musique de la France qui s’éteint dans un néant glacial, une France primesautière, solaire, joyeuse et hardie, et j’en avais le coeur brisé. Tout me revenait, l’Armençon, Pierrelatte, l’hôtel de maman, tous les nôtres déjà partis, et notre pays qui meurt avec nous, je ne suis même pas sûre que la Russie survive. Que Dieu nous vienne en aide. 

 Cathédrale passagère

 

Les platanes du bord des routes

Avec leurs piliers et leurs voûtes,

Leurs démons et leurs angelots,

Leurs gargouilles et leurs vitraux

 

Sous le vent guident ma voiture

Vers l’horizon de lumière pure

Où le soleil dans ses draps blancs

S’est étendu comme un gisant.

 

Les nuées passent éplorées

En agitant leurs encensoirs

Sur l’autel des forêts couchées

Qui s’assombrissent dans le soir.

 

A travers mes larmes priant

Sur les chemins bleus du midi,

Je pense encore à toi, maman,

A ceux qui sont déjà partis.

 

Partis, je le crois, juste à temps

Avec le pays rayonnant

Où je cueillais des coquelicots

Et qui ne sera plus bientôt

 

Qu’un champ de ruines sous le vent,

Soumis à ces démons errants

Qui nous guettaient depuis longtemps

Et nous ont trouvés consentants.


Jouer dans le jardin a un effet magique : cela me réunit avec tout ce qui m’entoure, avec le ciel qui me paraît deux fois plus beau, plus vif, plus lumineux, avec les fleurs translucides et l’herbe verte, avec le vent qui passe, ses moindres frémissements, et les mouvements des roseaux et des branchages. Je pense que si l’homme n’avait pas perdu ses chants, il se conduirait autrement avec la nature qui l’entoure, il ne la profanerait pas de la même manière, et je sens qu'elle écoute, quand on joue, elle est attentive, alors que tout le vacarme que font nos radios et nos diverses machines l’assourdissent et lui nuisent. Elle nous écoute et chante avec nous; elle se régénère avec nous. Je serai profondément heureuse et apaisée de pouvoir le faire là haut, à Pertsevo, sur ce terrain dégagé, face aux nuages. Je regrette juste de ne pas l'avoir fait toute ma vie, car normalement, c'est de cela qu'une vie devrait être remplie, je le sais depuis ma petite enfance, et non seulement on nous la vole, mais on la vole à tous les êtres vivants dont l'existence est compromise et gâchée par la nôtre.



J'ai essayé!



 

 

jeudi 6 mai 2021

Passage aux aveux.


 Il est temps de passer aux aveux, je vais quitter Pereslavl pour le village de Pertsevo, à dix kilomètres de là, dans la direction de Iouriev Polski.

Je me résignais à aménager comme je le pouvais mon terrain en fonction de ce qu'avait fait le voisin, et j'avais invité le cosaque Romane à faire une clôture et à changer mon perron de place. Regardant l'étendue des dégâts, il me dit: "Eh bien il ne vous a pas ratée. Et c'est comme cela partout, cela devient invivable et d'ailleurs, nous avons tous décidé de fonder une communauté cosaque, car c'est seulement en communauté que nous pourrons résister à ce qui se passe.

- Une communauté? Où ça? 

- Au village de Pertsevo. Benjamin le Suisse a acheté cinq hectares, et moi cinq hectares. Et un autre encore s'est construit une maison. Nous voulons nous regrouper entre orthodoxes pour que personne ne vienne nous gâcher la vie.

- Mais attendez, Romane, moi aussi je suis partante!"

Après son départ, je regarde: le village n'est pas loin, vingt minutes du centre de Pereslavl,  il a une belle église blanche qui fonctionne. Et il s'y vend une maison, une seule. Ce n'est pas une jolie maison paysanne, plutôt une datcha soviétique, ce qu'on appelle les datchas finlandaises, mais elle n'est pas affreuse non plus, elle a des proportions normales, un toit en zinc qui se confond avec les nuages et qui semble solide, un beau terrain, des arbres, un horizon dégagé. Je regarde l'intérieur, tout semble en bon état, facile à aménager. Et le prix très abordable. tout cela se passait la veille de Pâques. Et j'ai eu l'impression d'un événement providentiel.

Le surlendemain, je partais la visiter. La route pour y aller, magnifique, l'église blanche plantée sur la colline, très beau point de vue. Evidemment, ils ont déjà abîmé pas mal d'isbas, mais ce n'est pas trop catastrophique. Et la maison est effectivement en bon état, quasiment habitable. Elle a une pièce et une cuisine en bas autour d'un gros poele en briques, une véranda incluse dans la maison, et deux grandes chambres au premier. Il faut mettre une chaudière électrique et des radiateurs, isoler et doubler les murs, doubler ou changer les fenêtres du haut, changer de place la petite salle de bains qui ne servait que l'été.

Au courant de mes intentions, Benjamin m'a dit qu'il serait ravi de passer me voir quand il irait s'occuper de ses ruches.

Acheter cette maison me permet, outre de retrouver le ciel, les nuages, la beauté des horizons vierges, les balades en vélo ou à ski de fond, de dégager l'argent que j'avais englouti dans ma maison actuelle, et de garder une marge. Une amie m'a dépannée pour me permettre d'acquérir le bien sans vendre le mien dans la précipitation. Bien sûr, la perspective d'un déménagement m'intimide, mais il se fera progressivement, et j'éprouve un sentiment de libération, j'ai besoin de la nature, et comme me l'avait écrit un correspondant, le père Placide ne m'a pas renvoyée en Russie pour que je vive dans une banlieue américaine. Une communauté cosaque, c'est quand même nettement mieux.

A l'agence immobilière, une jeune femme me dit: "J'étais au café, et tout à coup j'entends une guide dire à une petite fille: c'est ici, dans cette ville, qu'habite Laurence, ah si nous pouvions la rencontrer!"

Je suis ébahie par cette soudaine popularité. Heureusement que je suis trop vieille pour prendre la grosse tête!