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lundi 28 janvier 2019

Le samizdat et ses cuisines

Une dame m'a appelée pour me dire qu'elle aimait mes chroniques et que, grâce à elles, elle se sentait moins seule en ce monde étrange et de plus en plus hideux, ce qui est bien réciproque: que mes chroniques la touchent me donnent l'agréable impression que nous sommes quelques uns à voir les choses d'une autre manière que les hypnotisés de la modernité. Comme le disait je ne sais plus qui, être adapté à une société malade n'est pas un signe de bonne santé. Mais se sentir isolé dans une maison de fous n'est pas très confortable non plus.
 Je trouve ainsi un écho par internet, en dehors de la presse, de la radio, de la télé, des "médias" auxquelles on a de moins en moins envie d'avoir affaire, de sorte que surgit un phénomène de vie culturelle et de communication parallèle de type "samizdat" ou "autoédition" qui était répandu en URSS sous Brejnev. On se passait des manuscrits tapés à la machine et photocopiés, cela allait du roman et des poèmes aux textes religieux. Et on en discutait "dans les cuisines" des uns et des autres. C'était alors essentiellement dans le samizdat que se passait quelque chose de vivant.
Avant de passer à la suite de l'article, je rappellerai que, contactée par une maison d'éditions spécialisée dans la Russie au sujet de ces chroniques, je n'en ai brusquement plus entendu parler. A voir la teneur des pages des responsables, très libéraux, et soutiens inconditionnels de phénomènes comme ce peintre qui se clouait les parties génitales sur la place Rouge et autres Pussy Riots, j'ai compris pourquoi je ne faisais pas leur affaire.
Mes souvenirs du monde de l'édition et mes récentes expériences m'ont convaincue de recourir en ce qui me concerne au "samizdat", mais depuis l'époque des machines à écrire, les choses ont progressé, et sont apparues ces éditions sur Internet qui permettent de s'autodiffuser. Le problème est qu'en France, écrire un livre est quasiment une question de standing et absolument tout le monde veut le faire. Depuis mon plus jeune âge, je suis quand à moi convaincue qu'on ne décide pas d'écrire un livre, un livre en nous, par nous décide de s'écrire. Il doit répondre à une exigence intérieure insurmontable et tyrannique, et n'être pas le fruit d'une "idée"ou du désir de paraître et d'être admis dans les cénacles culturels où l'on vous balance des compliments insincères en vous tirant dans les pattes. Le samizdat, dépourvu de la prise de risque qu'il impliquait à l'époque soviétique, est le refuge de qui n'est pas accepté par les grands et petits éditeurs; mais chez ces grands et petits éditeurs, on n'est pas toujours mieux promu que par soi-même et qui plus est, on vous tripatouille souvent votre texte, en vous imposant de retirer le passage qui vous est le plus cher ou de mettre un titre idiot. Or ce qui est écrit sous la dictée de l'inconscient, et même de l'inconscient collectif, ne peut être tripatouillé par des mondains, on peut juste en affiner l'expression.
Comment peut-on espérer de nos jours publier dans les circuits officiels sans y laisser des plumes quand on ne s'inscrit absolument pas dans les grilles idéologiques et culturelles édictées et qu'on n'a pas fait toute sa vie des mondanités avec les bonnes personnes?
C'est pourquoi, j'ai pris la décision de recourir à la solution du samizdat, soit les éditions du Net, sans attendre des mois des réponses qui ne viennent pas ou des considérations absurdes, parce que je ne fais pas partie du cénacle, que je ne connais personne et ne sait pas jouer le jeu, pour finir peut-être par paraître de même au sein d'un flot d'autres publications, avec juste en plus un service de presse, des exemplaires adressés à des critiques dont je ne sais plus rien et qui en reçoivent des milliers. J'ai fait le pari de trouver, comme avec mon blog, des lecteurs avec lesquels la rencontre sera réelle. Le problème est à présent "d'en parler dans les cuisines". Soit sur les pages consacrées au livre, la page Yarilo sur Facebook, ma page, mon blog, les commentaires sous sa présentation à la librairie Chapitre ou aux éditions du Net, afin que les gens en aient connaissance.Parfois même un simple "like" si on ne sait pas s'exprimer, ou une courte réaction naturelle, une question, une remarque. Nos cuisines actuelles, où nous nous rencontrons pour échanger, ce sont nos divers forums.
J'ai déjà quelques fans, qui n'ont pas toujours ce réflexe, et m'envoient leur considérations en message privé. Ce qui me fait naturellement très plaisir, mais ne donne pas aux autres l'envie de claquer 30 euros pour lire mes cinq cents pages d'âme bien saignante. Et quand je dis "âme", il va sans dire que ce terme recouvre quelque chose qui dépasse les limites de la mienne.
D'avoir écrit ce livre ne me donne pas de moi-même une idée particulièrement hypertrophiée et je dois même me faire violence pour le promouvoir. Je l'ai écrit, ce sont à ses lecteurs qu'il convient de le louer éventuellement, pas à son auteur, qui a obéi aux injonctions de cet orgue aux nombreuses et mystérieuses voix qui a résonné un certain nombre de mois, et même d'années, au fond d'elle-même.
Je m'adresse donc à ceux qui le liront et à qui il plaira vraiment, dites-le. Dites-le à votre manière, courte ou détaillée, partout où vous le pourrez, vous serez mes critiques et mes médias.
D'autant plus que je me fiche assez complètement, sauf au plan de la pub, d'une critique officielle que je ne connais pas et qui ne serait pas sincère.
Quand je chantais du folklore, deux avis comptaient pour moi: celui de Skountsev et celui de Micha Korzine. Si quelque inconnu ne 'appréciait pas, je pensais: "Si tu plais à Volodia Skountsev ou à Micha Korzine, que t'importe ce que raconte cette bonne femme ou ce bonhomme?"
Ainsi, l'avis de mon amie Dany, ou de l'historien russo-arménien Eskoziants, du père Constantin ou d'Henri Barthas comptent plus à mes yeux que celui de telle diva des lettres ou critique en vue, bien que les conséquences sur la diffusion de ma prose en soient beaucoup plus modestes. Mais c'est pour Dany, le père Constantin et leurs semblables que j'écris, et pour Henri Barthas, pas pour les divas des lettres hagardes de vanité.
Henri écrit lui-même, en toute discrétion, de très beaux poèmes dans ses montagnes mystérieuses. Il est profond et vrai, et prend tout au sérieux, sauf lui-même, comme il convient. J'ajoute à la fin de cette adresse la critique qu'il m'a faite, car elle vaut tout ce qu'on pourrait me dire dans les cénacles reconnus par la sensibilité authentique de sa compréhension. Je la trouvais un peu trop louangeuse, mais en réalité, c'est ainsi qu'il le voit, alors je m'en réjouis, et j'accroche cette fleur au palmarès de Yarilo, avec les considérations, déjà enregistrées, de Philippe Ekoziants, et les appréciations, malheureusement privées et orales, de mon amie Olga. 
Pour les réfractaires à Facebook, la librairie Chapitre a publié mon premier chapitre, avec en dessous, une fenêtre destinée aux appréciations. N'hésitez pas à mettre les vôtres. Et si vous êtes sur Facebook, à les poster sur la page de présentation Yarilo.
Henri m'a dit de faire moi-même un copié-collé de ce qu'il a écrit, mais il semble que ce soit identifié comme venant de moi, et cela n'est pas enregistré.
En fin de compte, il se peut qu'il en soit de nos jours pour les écrivains sincères comme pour les gilets jaunes: il faut là aussi sortir du système!
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Je me suis laissé porter avec délectation par la prose fluide qui tisse le roman de Laurence Guillon, "Yarilo". Placé sous le signe du dieu slave du printemps et de la jeunesse, le récit jaillit dans un style exubérant, incantatoire et limpide, enchanteur au plus haut point malgré les épisodes sombres de l'histoire qui sont décrits avec tellement d'émotion et de poésie, qu'ils ne sont que des remous dans l'écoulement ininterrompu des flots de cette magnifique histoire.
Toutes les différentes ambiances propres à chaque épisode sont incroyablement bien rendues, dans un texte aux images puissantes, intensément poétiques et dans un déroulé quasiment cinématographique… Les scènes s’enchaînent avec un subtil équilibre entre les fresques campant l’histoire dans son contexte historique, qui passent rapidement, et les épisodes romanesques clefs merveilleusement bien écrits : De l’envoûtante transe païenne bouillonnante d’éros, lors de l'épisode sur les bords du lac de Plechtcheïevo où le héro du livre, Fédia, favori et ange noir du Tsar Ivan le Terrible, rencontre la sorcière rousse qui l’initiera à la magie, en passant par la pause pleine d'hésychasme et de gravité, auréolé de sainteté, lors du voyage du même ange déchu aux îles Solovky, jusqu’à d’autres scènes, comme celle du repas à la Sloboda où le personnage anglais, l’artiste Arthur, est introduit auprès du Tsar, elles sont toutes, pour la plupart, des morceaux d’anthologie ! À les lire, j'avais l'impression de suivre de longs plans-séquences colorés et pittoresques de cinéastes russes, tels que Paradjanov, Kalatozov, Tarkovski ou d'autres.
Les acteurs de ce drame ont une telle épaisseur psychologique dans leurs relations et une telle vie intérieure qu’elle déborde des pages pour vous saisir ! L’émotion, le tragique, le drame sont parfois intenses mais toujours sublimés. Je me suis surpris à plusieurs reprises à pleurer d'émotion à la lecture de certains passages tant je ressentais totalement le tragique des destinées piégées par l’égrégore maléfique incarné par la terrible milice du Tsar : l'Opritchinina. Il y a dans ce livre un mouvement de balancier entre le bien et le mal, et ce sont précisément ces contrastes qui lui donne un grand intérêt ! Il se détache sur le fond sombre des figures iconiques et lumineuses comme celle de l’inoubliable Métropolite Philippe. Le récit nous confronte à la ligne de partage qui est en chacun de nous et nous interroge d’une manière lancinante sur le cheminement de nos vies.
L’impressionnante et redoutable figure tutélaire du Tsar Ivan imprègne tout le livre. Être au charme magnétique et puissant mais blessé, ravagé par des forces chthoniennes, entouré de conseillers démoniaques, et qui ne connut qu’une brève rédemption dans l’amour conjugal avec la douce tsarine Anastasia dont la mort prématurée l’a laissé totalement dépouillé face à ses démons intérieurs et extérieurs. En même temps certains aspects humains de cet homme déchiré nous le rendent proche et on se prend à avoir envie de compatir à sa destinée, cercle infernal dans lequel il est engagé à cause de ses écrasantes responsabilités en tant que souverain, de ses traumatismes d’enfance et des deuils déchirants auxquels il a dû faire face.
Croyez-vous qu’en vous plongeant dans ce livre vous lirez simplement un splendide conte initiatique guerrier et mystique sur l’ancienne Russie ? Oui, en partie, mais pas seulement : il nous parle aussi de notre monde, perce le mystère d’iniquité à l’œuvre aujourd'hui. L’égrégore ténébreux s’est mondialisé ! Il ne prend plus simplement le visage d’une milice qui, malgré ses errances criminelles, se devait de défendre un Empire Orthodoxe perdu au confins d’une Hyperborée de légende, non, il est devenu la face abjecte, obscure et anti-christique qui pousse ses ramifications iniques au cœur de tout les États et ne désire rien de moins que de posséder le cœur de chaque être humain sur cette terre pour sa perte et celle de l’humanité entière. Dans certains passages je n'ai pas pu m'empêcher de penser à la situation en Ukraine, à celle de l'Église orthodoxe et dans une moindre mesure à ce qui se passe en France et dans tant d’autres endroits sur terre… Ce conte est beaucoup plus actuel qu'il n'en a l'air !
Certains passages qui décrivent les points clefs de la spiritualité orthodoxes sont bien intégrés au récit et n’altèrent en rien sa fluidité, au contraire ! Ils font partie de ces moments de sublimation dont je parlais tout-à-l’heure, voire de catharsis ! Mais qu’on ne s’y trompe pas l’ouvrage n'est pas religieux : il est spirituel ! C'est un tout ! Ces passages sont extraordinaires et d'une grande portée... mystique, car c'est bien le mot qu’il faut utiliser si on l'envisage dans son acception profonde et première.
Pour finir, le mot clef qu’il faut retenir quand nous ouvrons ce livre et que nous commençons le parcours qui nous y est proposé, c’est « initiation». Comme pour toutes les grandes œuvres depuis les antiques odyssées jusqu’à nos jours, nous le refermons différents, quelque chose en nous de profond a changé depuis l’heure où nous avons commencer à feuilleter les premières pages. Comme un conte, comme les puissantes histoires qui vont intensément au fond des choses, il s’adresse à quelque chose dans les tréfonds de nous-même, au-delà de l’intelligence, au-delà même des sentiments, à quelque chose d’archétypal. Dans l’obscurité nous percevons au fond des profondeurs d'épaisses et froides forêts ou de quelques marécages glacés et embrumés, le visage jeune, beau et rayonnant du dieu Yarilo qui surgit de la nuit hivernale. Sa vie exubérante irrigue tout l’univers et l’emporte vers la lumière, vers le soleil, mais cette lumière-là, aussi joyeuse et symbolique soit-elle, reste de ce monde et peut se cogner à quelques murs sombres de cachots, culs-de-basse-fosse froids et ténébreux comme au mur fatidique de la mort. C’est là que le récit de Laurence Guillon nous entr’ouvre la porte vers une clarté néotique qui n’est pas d’ici-bas, une clarté nimbée d’une aura résurrectionnelle qui métamorphose toute l’opacité de la matière et à côté de laquelle notre pauvre lumière cosmique même semble une flamme vacillante sur le point de s’éteindre. Longtemps, longtemps après que le point final ait, à regret, suspendu le chant splendide de cette épopée, Yarilo vit toujours en nous… mais transfiguré.
Henri Barthas

dimanche 27 janvier 2019

Retour à Cavillargues

roses d'hiver

Retour à Cavillargues. J’ai déjeuné avec des amis orthodoxes, Martin  lui-même ayant abandonné le théâtre pour l’orthodoxie, il a dans l'esprit que je dois sacrifier pareillement mon activité écrivassière, et il a passé son temps à me délivrer des aphorismes façon vieux sage. Je lui ai dit : «Mon père spirituel pense qu’un écrivain doit écrire tant qu’il en éprouve le besoin profond ». Mais j’ai eu la nette impression qu’il savait mieux que mon père spirituel ce qu’il fallait faire d’une chose aussi malencontreuse qu’un talent littéraire…
Tout le village me semblait déprimant, gris, triste. Je pensais aux belles promenades que je faisais avec mes petits chiens, aux amandiers en fleurs, aux cerisiers, au mistral, aux rosiers grimpants, aux coquelicots, à tout ce qui m’enchantait, malgré tout, mais rien ne venait m’égayer, je me demandais ce que je fichais là.
Le soir, j’ai dîné chez une amie à Saint-Pons-la-Calm.
Elle a plein de jolies choses anciennes chez elle, elle est d’une vieille famille de l’Ardèche. D'après ce que j’ai compris, ses frères et sœurs ont dispersé la collection d’objets ethnographiques que leur père avait passé sa vie à amasser, et qui seront perdus à jamais, avec les savoir-faire ancestraux qui avaient présidé à leur fabrication. Tout cela existait encore dans les années 60. Depuis, le diable, ses idéologues, ses usuriers et ses technocrates ont tout balayé avec la paysannerie elle-même. Ne laissant que des gilets jaunes aux ronds-points des villes, qu’on achève à coups de flash-balls dans la gueule.
Elle a récupéré une Vierge à l’enfant en bois doré, de chez ses parents. On l’a datée sur photo du XIX° siècle, mais à mon avis, elle doit être un peu plus ancienne, car cette Vierge rustique pleine de charme a été découverte, à la faveur de travaux, on l’avait volontairement emmurée, et à cela je ne vois que la révolution comme explication. 
Le lendemain, je suis allée à Solan. L’iconostase est achevée, on a peint les douze fêtes. L’église correspond à tout ce que j’aime : pureté, équilibre, harmonie, vérité des matériaux, et j’en dirais autant de l’office, des chants antiques, sans fioritures pompeuses qui obscurcissent le rayonnement divin derrière les « idées » du compositeur, et le mauvais goût des choristes éprises (car ce sont souvent les femmes qui versent dans ce travers) de trilles énamourées et de sirop vocal. Je comprenais absolument tout, la profondeur et la poésie de ces textes, et leurs révélations. Le père Théotokis prononce bien, clairement, j’entendais tout ce que dit le prêtre au cours de la liturgie pour la première fois de ma vie.  De plus, il me semblait que tout ceci épousait complètement le génie du moyen âge français, beaucoup mieux que les regrettables offices catholiques de mon enfance, même du temps de la messe en latin. C’est du reste ce qui m’attachait si profondément à Solan, et c’est la grande réussite du père Placide et de ses compagnons, d’avoir opéré cette greffe athonite sur le cep français, unique chance à mes yeux de le régénérer encore. Mais je n’ai pas communié, car je ne suis plus en communion avec le patriarche Bartholomée et ne veux rien avoir à faire avec lui. Je comprends le monastère d’obéir au mont Athos dont il dépend, mais moi, je n'en dépends pas. Le mont Athos, pour l’instant, blâme le patriarche mais ne prend pas de position claire.
Les fidèles ont eu la délicatesse de ne pas évoquer la question, les sœurs m’ont accueillie à bras ouverts. Pendant la liturgie, je ressentais la profonde tragédie de l’affaire, et j’avais envie de pleurer.
Dans les campagnes le dimanche, à Cavillargues comme à Pierrelatte, ça pétarade de partout, on traque le sanglier avec d'autant plus d'énergie que le gouvernement permet tout aux chasseurs comme aux banquiers, aux lobbys, aux exilés fiscaux et à la racaille. Il faut s'enfermer chez soi avec ses animaux pour éviter les balles (de guerre) perdues.


Ritoulia 

Le mont Ventoux au dessus de Tresques



mercredi 23 janvier 2019

Grisaille


J’ai pris l’avion hier à l’aube. Le taxi qui m’a emmenée à l'aéroport était un jeune homme d’environ 25 ans extrêmement agréable. Il venait de province, de Tchouvachie. Quand je lui ai exposé ce que je pensais de la Russie, il m’a répondu : «On dit pourtant toujours que nous sommes en retard par rapport à l’Europe…
- Ce n’est pas du tout mon avis, c’est de vous comparer à l’Europe et de vouloir l’imiter, votre problème. Et puis aussi d’avoir laissé détruire les trois quarts de votre patrimoine par ceux qui vous inculquent de pareilles idées. Si vous regardez le niveau de culture et de raffinement des années précédant la révolution, vous comprendrez que la Russie est différente, c’est une autre civilisation, très originale, vous ne devriez pas laisser de gros abrutis vous donner des complexes. »
Il était gentil, spontané, sain et pas idiot.
Dans l’avion, il n’y avait pas grand monde, j’ai pu m’étaler un peu. Je déteste l’avion, tout ce qui précède et tout ce qui suit.Ma sœur ne pouvant pas venir me chercher, j’avais néanmoins décidé de ne pas changer ma date de départ, et d’en profiter pour voir Roland, un ami rencontré sur Facebook qui m’a emmenée dans un excellent bouchon lyonnais, près de la gare Lyon-Part-Dieu. Nous avons longuement parlé de l’Apocalypse, dont il voit tous les signes, moi aussi. De la France qui n’est plus la France, et c’est un fait. Je voyais une foule hétéroclite qui n’avait plus rien de lyonnais ni de Français, à part un ado sur un banc, très mignon, dans le genre indigène. Tout cela a été rondement mené, de façon extrêmement habile et sournoise. Roland envisage de partir passer sa retraite ailleurs, peut-être en Pologne, car il est catholique traditionnel. Dans un passage souterrain sinistre,  à travers les environs de la Part-Dieu ravagés par les travaux, nous avons rencontré un vieux monsieur, son ancien professeur, échangé des considérations pleines d’humour et de références culturelles, et je nous voyais, comme trois dinosaures, dans le fil de cette foule parfaitement étrangère à tout ce que nous avons connu et aimé, et où mes enfants, si j’en avais eu, ne se seraient pas inscrits, comme le joli petit ado brun entrevu auparavant. Roland me disait que ses étudiantes étaient incultes à un point sidérant, et que les jeunes qu’il voyait n’avaient besoin de rien d’élevé, n’en ressentaient  pas le manque, qu’on ne pouvait pas les dire réellement heureux, mais tranquilles, au sens des vaches dans un pré, sans aucune nécessité intérieure de transcendance, sans aucune idée que cela pût exister au monde. En revanche, celles qui  parmi ses élèves sont islamistes, nulles sur tous les autres points, se révèlent des théologiennes entraînées à la discussion sur le terrain de la propagande de l’islam.
Pour aller au restaurant et en revenir, j’ai fait de bonnes marches à pied, et ensuite, je suis montée dans le TER. Et là, j’ai vu que les idées sur la nécessaire euthanasie des vieux prônées par Attali étaient déjà mises en pratique : des escaliers partout, et aucune place pour les bagages. Au début, ne pouvant laisser ma valise en plein milieu sans surveillance, je me suis assise sur un strapontin inconfortable, avec Rita dans son sac et sur mes genoux. Puis, au premier arrêt de ce tortillard, des gens ont dégagé du train, et j’ai pu trouver une place pour ma valise, mais seulement en la soulevant sur une étagère. Après quoi j’ai pu me poser dans un fauteuil, et sortir la pauvre Rita de son panier. Arrivée à Pierrelatte, j’ai vu que s’il y avait des marches plein le wagon, il n’y en avait pas pour descendre du train sur le quai, et que la distance entre les deux devait être d’au moins 60 cm, ce qui est assez difficile à franchir quand on a de l’arthrose du genou, une valise et un chien. Sans aide, je ne m’en serais jamais sortie, et dans l’affolement, j’aurais même pu me casser la gueule, ce qui aurait éventuellement fait une retraite en moins à payer.
Ensuite, j’ai constaté que la municipalité de Pierrelatte, qui n’a pas reculé devant des travaux pharaoniques dans le centre et l’abattage des micocouliers de la place de la Poste, n’avait toujours pas installé de plans inclinés dans les escaliers du passage souterrain, mortels pour les vieux qui se trimbalent comme moi des bagages. Il faut en descendre une série, en monter une série, et de biens raides.
Puis dehors, pas un seul taxi. J’ai dû demander à ma sœur d’en appeler un.
Pendant tout mon trajet en train, je voyais un paysage français hivernal grisâtre et sans neige qui m’a paru soudain profondément triste. C’est tout ce qu’il reste de vraiment français, d’ailleurs, ces collines de Tain l’Hermitage, ces champs de vignes ou d’arbres fruitiers, des maisons et des villas du XIX° ou du début du XX°, tout ce que je voyais dans mon jeune âge, et qui résiste, avec le cèdre devant, et des lierres ou des glycines sur les grilles. Enfant, je discernais une sorte de poésie mélancolique et mystérieuse dans ces bâtisses et ces jardins, dans cette banalité bourgeoise encore assez digne, avec sa population correspondante de gens travailleurs et bien élevés, qui cachaient leurs problèmes derrière une amabilité gouailleuse. Mais dans cette sorte de cour des miracles internationale qu’est devenu le pays, ces vestiges me semblaient tout à coup terriblement poignants, comme le vieux professeur du passage souterrain lyonnais, ou bien cette photo d’un retraité gilet jaune de dos, avec son drapeau français et son béret, et je pensais au père Basile postant, en commentaire à ces événements, la chanson « trop tard »…
En réalité, la Russie me protège de la déprime que tout cela m’inspire. Elle est finalement, en retard, mais pas au sens où me le disait le jeune homme: en retard, malgré le terrible assaut commis contre elle en 17, sur le programme de destruction des peuples européens et chrétiens, de leur sentiment d'appartenance à une communauté de culture, de foi et de destin; de la famille, de l'entité que constituait chacun d'eux jusqu'à une date pas si lointaine qui nous paraît à présent, dans le cauchemar de science-fiction où l'on nous enfonce, antédiluvienne....

dimanche 20 janvier 2019

Sur le départ


Je suis absolument malade de stress à l’idée de prendre l’avion, ce qui n’est vraiment pas normal. J’ai fait établir un passeport à Ritoulia, mais déjà, je me suis trompée en le remplissant, j’ai mis mon adresse à la place de celle de l’éleveur, et l’éleveur, je ne le connais pas. Quand j’ai appelé Dominika, elle qui, au début, me persécutait de recommandations, n’était pas capable de me dire ni quand Rita était née, ni les données de son passeport perdu, et elle avait l’air de s’en foutre. Je ne sais pas si cela passera ou pas à l’aéroport. Pour Doggie, j’avais un passeport européen, ce qui simplifiait les choses. Ici, je n’ai pas eu le temps ni la force d’aller faire établir le certificat dans un dispensaire spécialisé qui ne répond pas au téléphone. J’irai à celui de Moscou, qui est ouvert en principe 24h sur 24, près de chez le père Valentin, mais cela va m’obliger à courir là bas. J’ai décidé de partir en taxi. Ma voiture restera tranquillement ici, et je ne risquerai pas de faire des conneries, à cause de ma nervosité. 
J’essaie de me dire que dans le pire des cas, je ne partirai pas, Martine viendra toute seule, j’aurai perdu le prix du billet, bon, mais pas la vie… Mais j’ai la migraine, et la boule dans l’estomac.
Anne me disait hier au téléphone qu’elle avait la même phobie des papiers que moi et que c’était une manière de nous contrôler sans arrêt et de nous faire perdre notre temps et nos forces, de nous transformer en zombies. En effet. L’homme n’est pas fait pour la société que nous avons partout et qui aggrave son oppression et son absurdité. Dieu veuille que nous n’ayons jamais le gouvernement mondial de tous ces sadiques dénaturés, ces serviteurs de Satan, ou de Sauron, leurs orques et leurs Sarumane.
L’étoile du matin est accompagnée d’une étoile plus petite mais fort brillante. Le temps, clair à l’aube, se couvre dans la journée et la neige tombe sans arrêt. Je ne pouvais plus ouvrir mon portillon, je suis passée par le portail pour aller déneiger. Les petites allées ménagées dans le jardin passent entre deux falaises scintillantes. Avec un temps comme ça, il faudrait rester chez soi et non pas prendre l’avion. C’est la dernière fois que je pars en hiver ! Je ne sais plus quel écrivain journaliste confiait à quel point l’agaçaient les notations météorologiques dans les journaux intimes, je crois que c’est Philippe Tesson. Eh bien moi, je suis fascinée par la météo. Elle joue un grand rôle dans notre vie, elle détermine notre humeur, elle nous crée des problèmes matériels et des problèmes de santé et aussi de merveilleux spectacles. La météo fait partie de la vie, et c’est la seule chose qui reste regardable à la télévision.
Oleg et Olga sont venus déjeuner, ils ont apporté la bouffe, comme d’habitude, les invités parfaits…  Olga a lu mon livre. Elle m'a dit: "C'est surprenant de voir peut-être le premier exemple de littérature française, parfaitement française, en un sens, mais profondément influencée par la langue russe, que l'on sent sous-jacente. D'autre part, c'est un livre que l'on sent dicté par l'inconscient, vous dites que vous n'y avez mis aucune intention, et c'est cela qui en ressort, quelque chose qui a surgi de vous et que vous avez transcrit, mais qui paraît exister de soi-même. L'itinéraire de votre jeune homme semble être le vôtre, on le voit passer de cercle en cercle, à la recherche de lui-même et de son accomplissement spirituel. 
- En effet, je pense que c'est mon double et que c'est mon chemin spirituel, transposé au XVI° siècle. Mon inconscient a rencontré ces personnages et cet épisode historiques, et cela a donné cet étrange hybride, que j'ai écrit quasiment en état de transe, comme vous dites, pratiquement sous la dictée. 
- On dirait que par un côté de votre âme, vous touchez à toutes les âmes, et quand on vous entend parler, on voit qu'en effet, s'il existe des différences de culture et de comportement entre les Russes et les Français, l'âme humaine est profondément la même partout...
- Comme il apparaît dans mon livre, je crois en effet qu'il y a des âmes qui communiquent avec toutes les autres âmes, c'est le cas du tsarévitch Féodor, ce petit garçon qui sait intuitivement des choses qui ne sont pas de son âge, ou du métropolite Philippe, et à mon avis, ce sens était beaucoup plus développé au moyen âge, où les âmes communiquaient beaucoup plus, par le folklore, par la prière, la liturgie. Les gens étaient en communion. Je suis une âme de cette sorte, et c'est pourquoi je n'écris que par profonde nécessité intérieure, et pas pour briller dans les salons et m'enivrer de moi-même, et cela me met en décalage avec les milieux littéraires et tout ce qui tourne autour. Parce que depuis mon enfance, je vis dans une autre dimension, et c'est dans celle-là que j'écris. J'ai le sentiment de n'être pas un auteur, un écrivain, mais une sorte de prêtresse. Et je ne saurais m'enorgueillir de ce que je fais, car à la limite, cela se fait sans moi. Mais cela me blesse profondément quand cela, qui se fait à la fois par moi et sans moi et m'implique toute entière, est traité avec un mépris de principe par des gens qui ne se seront jamais donnés, comme moi entièrement à ces forces, mais tiennent le haut du pavé culturel et ne laissent accéder au public que ceux qui leur ressemblent."
Nous avons fait remonter les racines de l'abominable monde où nous sommes à Cromwell et même Henry VIII, ce dont j'avais discuté la veille avec ma cousine Anne. Puis Olga a décrété: "En fait, c'est avec le Christ que cela commence, et depuis, on ne cesse de le recrucifier! Le Christ était avec le peuple, et pas avec l'argent!"

visiteuse matinale


samedi 19 janvier 2019

Théophanie neigeuse

A l'aube, un ciel clair, encore très sombre, et l'étoile du matin, il me semblait ne l'avoir jamais vue aussi grosse ni aussi brillante. Toute la neige que j'avais dégagée hier était retombée pendant la nuit. Quand il m'a fallu aller à la liturgie de la Théophanie, j'ai trouvé le cadenas gelé et des tonnes de poudreuse à évacuer pour dégager le portail. La serrure du coffre de ma voiture était également gelée, et je n'ai pas pu récupérer la bouteille que j'avais prévue pour prendre de l'eau bénite.
Je suis évidemment arrivée en retard, car toute la ville était enfouie sous la neige avec des voitures zig-zagantes. J'avais loupé les confessions, mais un prêtre est venu quand même, pour trois gosses et moi, qu'il a regardée d'un air soupçonneux, sans doute parce qu'il ne me connaissait pas et que je n'avais pas l'air assez contrite. J'ai l'air d'une fumiste, comme ça, mais j'y vais quand même, à l'église... C'est juste que j'ai profondément conscience d'être le cancre de l'orthodoxie, ce qui me donne l'air sournois et évasif des cancres en présence d'un instituteur dont ils n'ont pas l'habitude...
Mais j'ai eu droit quand même à la communion de la main du nouvel évêque qui semble tenir à la distribuer à tous ses paroissiens.
Quand il est parti bénir les eaux dans l'église voisine, avec toute l'assemblée à ses trousses, j'ai fait un crochet par ma voiture pour essayer de récupérer ma bouteille. Le liquide dégivrant avait opéré. Mais j'ai trouvé une queue de cent kilomètres. Et là, entre le froid et les douleurs arthrosiques, j'ai senti que ça n'allait pas le faire... Je suis retournée à la voiture, et je suis rentrée chez moi. Sans eau. Peut-être que le père Constantin m'en procurera par faveur spéciale...
Au retour, j'ai trouvé mon voisin de derrière, celui de la grosse maison grise, en train de déneiger. Je lui ai donné un coup de main, comment faire autrement? Il est beaucoup plus efficace que moi et il a terminé tout seul. Entretemps nous avons taillé une bavette. Sa maison est moche et son chien enchaîné, mais il est très gentil et assez rigolo. Il m'a donné son numéro pour l'appeler en cas de problèmes. Il m'a dit que l'ancien proprio avait vendu la maison pour venir en aide à son frère. Et aussi que si nous nous cotisions tous ensemble nous pourrions faire le tout à l’égout urbain qui s'est rapproché de notre quartier...
Je suis absolument terrorisée par mon départ et n'arrive pas à me mobiliser pour faire mes préparatifs, nettoyer la maison, régler toutes sortes de questions, payer ceci ou cela. En fait, je confesse ma paresse, mais je crois que c'est de l'épuisement, et de l'effondrement nerveux. Je n'arrive plus du tout à gérer tous les aspects minants de la société moderne, les milliers de papiers, de procédures qu'internet et l'électronique ne font en fait que compliquer encore plus, et j'ai l'impression qu'internet est encore plus omniprésent ici qu'en France, sans ordinateur et sans smartphone, tu n'as plus qu'à aller te faire ermite aux Solovki, ce qui parfois me tente....




On dit que souvent, à la Théophanie, il y de beaux phénomènes célestes, le ciel était en effet magnifique ce matin, la lumière magique.

vendredi 18 janvier 2019

Loi de l'emmerdement maximum

Après avoir fait à Moscou (car c'est impossible à Pereslavl) la traduction assermentée de mon passeport complet, toutes les pages, j'ai dû aller faire établir par la banque un papier comme quoi j'avais au moins 65000 roubles sur mon compte, ce que j'ai déjà fait trois fois, le papier n'est valable que 7 jours, et il y avait toujours un problème avec autre chose. L'opération m'a pris la semaine avec des heures d'attente, car j'ai pris ma carte bancaire à Moscou, il y a 3 ans, alors on ne voit pas apparaître ce qui en dépend dans les agences de la même banque, à Pereslavl, cela prend des heures, et se termine en allant au guichet "résoudre les problèmes" qui les résout en effet, en cinq minutes, mais on attend le maximum pour nous y envoyer... Maintenant, je suis super copine avec madame Problèmes. Je lui dis: "C'est encore moi!" Aujourd'hui, elle m'a amicalement interrogée sur les raisons qui m'avaient poussée à venir m'exposer dans son pays à de telles avanies!
Exténuée, j'ai cru avoir perdu mon passeport. Puis je me suis souvenue que le papier devait être le formulaire F- je ne sais plus combien et pas un autre, et j'ai couru récupérer le modèle dans ma voiture.
Enfin, munie du certificat, je pensais avoir tout rassemblé et je fonçai chez la juriste. "Ah me dit-elle, je vais vous faire de la peine, la loi a changé le 1° janvier, votre papier ne sert plus à rien, il vous faut une attestation de vos droits à la retraite et le montant de celle-ci, le tout bien évidemment sous forme de traduction assermentée" (qu'on ne peut faire qu'à Moscou).
Fort heureusement, les certificats médicaux restent valables jusqu'au 27 février, je devrais avoir le temps de rapporter le dernier papier réclamé.
Quand j'aurai le permis permanent (qui est de 5 ans), je serai néanmoins obligée de prouver chaque année que j'ai une source de revenus. C'est seulement au bout de 5 ans que je pourrais demander la citoyenneté qui m'épargnerait tous ces problèmes. Mais d'après la juriste, c'est impossible, si on n'a pas un mari russe, ou des enfants russes, ou qu'on n'est pas un acteur ou un sportif célèbre. En revanche, on peut renouveler le permis indéfiniment, en allant prouver chaque année qu'on a de quoi vivre. Le problème, ce sont les changements de lois...
Aussi, quand Poutine dit qu'on va simplifier les choses pour les étrangers qui veulent immigrer, eh bien c'est le contraire qui se passe.
Tout cela m'avait tellement déprimée et fatiguée que j'ai déjeuné au café français, avec Maxime pour me faire la conversation. La production s'installe au dernier étage. Le pâtissier Didier était survolté. Il regardait d'un sale oeil des employés qui grimpaient les deux étages avec juste une série de bocaux au lieu d'en prendre trois à la fois, ce qui lui paraissait le comble de l'inorganisation et de l'absurdité, mais en fait, m'a dit Maxime, les gars devaient avoir peur de glisser sur les marches et les sols détrempés.
Dans le même élan, je voulais payer une inexplicable facture des charges de la maison, qui sont normalement payées par la banque et qu'on me réclamait avec une amende de retard. Mais cela ne correspondait pas aux quittances, d'ailleurs incompréhensibles. Tania, à qui j'ai scanné tout ça, m'a dit alors que cette facture concernait l'ancien proprio de la deuxième moitié de ma maison, alors que nous avons tout régularisé ensemble, aux prix de queues interminables et d'allées et venues aux quatre coins de la ville, il y a de cela un an et demie... Eh bien qu'ils s'adressent à lui.
A la suite de cela, rentrant crevée chez moi, et n'arrivant pas à ouvrir le portail en entier, j'ai endommagé ma propre voiture... Heureusement, le plombier Rouslan connaît quelqu'un "de très honnête" qui pourra m'arranger ça "pour pas cher"...
Cela s'appelle une journée de merde, à l'issue de laquelle je me suis traînée à l'église pour les vigiles de la Théophanie. Il n'y avait pas grand monde. Les gens font comme moi d'ordinaire, ils vont juste à la liturgie, ce qui n'est pas bien. Je voulais suivre les psaumes de l'hexapsalme sur un petit livre, mais le diacre lisait si vite que je n'y arrivais pas. J'ai connu une fois un prêtre qui lisait d'une façon extraordinaire à Saint-Pétersbourg, empli du texte sacré qu'il psalmodiait et perdu dans un ailleurs mystique, et je l'aurais écouté des heures...
Il y a un réchauffement idiot, alors que normalement, la Théophanie doit être le moment le plus froid de l'hiver. C'est démobilisant, cette douceur, et puis on patauge, dans la ville. Mon jardin était enfoui sous la neige, une neige lourde difficile à évacuer, j'ai passé un temps fou à dégager les passages.


L'écueil sur lequel se sont brisées mes bonnes résolutions:
le "noisette", mousse de noisette fourrée crème au citron,
mélange inattendu et très raffiné 

Nous resterons dans notre Eglise, en dépit des lois absurdes



Nous n’avons pas l’intention de changer à la convenance des désirs émotionnels ou politiques de certains.
Aujourd’hui, 17 janvier 2019, quatre copies de la lettre (contenu plus bas), signée de dizaines de noms pendant les jours suivant la Nativité, où sont indiqués les adresses et les numéros de téléphone de citoyens de l’Ukraine, membres de notre communauté de la Nativité du Christ du diocèse de Kamenka de l’EOU ont été envoyées :
- En recommandé avec accusé de réception : au président de l’Ukraine, au président de l’administration de district de Petrikovo, une copie pour information au primat de l’EOU, sa Béatitude le métropolite Onuphre.
- Au président du Selsoviet, le staroste et l’aide du staroste l’ont portée personnellement au Selsoviet et ont reçu un numéro d’enregistrement pour notre exemplaire.
La collecte des signatures sera prolongée dans les prochains jours !

Texte de la missive :
Nous soussignés, paroissiens de la communauté orthodoxe « Eglise de la Nativité du Christ », village de Kourilovka, district de Petrikovo, région de Dnepropetrovsk, nous nous adressons à vous pour que vous compreniez notre angoisse par rapport à l’état spirituel des citoyens de l’Ukraine, à nous, personnes concrètes, pour que vous compreniez que nous ne sommes pas des provocateurs religieux ou politiques, pas une « cinquième colonne » et pas des « agents du Kremlin » déclarés, comme il est devenu à la mode, chez les politiciens de haut rang, de nous qualifier, pour faire de nous un épouvantail, devant tout le monde des croyants de l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne Canonique, dont le primat est maintenant sa Béatitude le métropolite Onuphre.
Nous sommes des croyants en Christ, qui vénèrent la mémoire multiséculaire de leurs ancêtres, leurs tombeaux et leur attachement à la Foi , dans laquelle ils ont été baptisés et dans laquelle ils nous ont baptisés, comme nous y baptiserons nos enfants et nos petits-enfants. Vous devez savoir et comprendre que nous n’avons pas l’intention de changer à la convenance des désirs émotionnels ou politiques de certains, mais que nous resterons à l'avenir des citoyens de l’Ukraine qui désirent coexister pacifiquement avec diverses religions et souhaitent la prospérité économique du pays sans aucune ingérence extérieure, ni dans nos âmes ni dans nos familles, ni dans nos maisons, ni dans notre Ukraine, ni dans notre Eglise.
Nous avons grandi dans la culture du sud-est de l’Ukraine et n’avons ressenti ni pour nous, ni pour notre coin, pour notre région, ni pour les régions voisines du sud, du sud-est et pour une grande part du centre de l’Ukraine, le besoin d’un « patriarcat de Kiev », ni maintenant d’une « église locale », dont la création fut décidée par le pouvoir de l’état et les membres du « patriarcat de Kiev », mais pas par nous. Nous ne comprenons pas pourquoi et dans quel but nous serions obligés de changer notre connaissance, notre âme, notre conscience ? Nous avons une Eglise, nous avons la liberté dans cette Eglise, et cela nous convient. Pourquoi devrions-nous être d’accord avec on ne sait quel avis, seulement parce que quelqu’un considère que son avis est supérieur à celui de millions de citoyens de l’Ukraine, à cause de sa position au sommet du pouvoir laïque ?
Nous avons grandi dans la culture du sud-est ukrainien, mais cela ne signifie pas que nous avons des sentiments négatifs envers la  langue ukrainienne ! Dans nos familles, on utilise en partie les deux, bien que plus souvent la langue russe, mais nous ne nous opposons pas du tout aux décisions du pouvoir concernant la langue ukrainienne comme langue d’état. Mais nous considérons comme la norme d’un pays démocratique qu’on ne nous impose pas des textes exclusivement ukrainiens, ou maintenant grecs, à la place du slavon d’église utilisé pour nos offices, langue dans laquelle furent écrites les « chroniques du temps passé », qui nous a été donnée par le Seigneur à travers Ses saints Cyrille et Méthode pour notre enseignement et la composition des services religieux, et fut créée spécialement pour traduire du grec les livres religieux afin qu’ils fussent compris par les slaves.
Nous sommes aujourd’hui menacés d’anéantissement physique non seulement par des voyous au téléphone, mais par des gens réels qui font passer des interrogatoires aux moniales sur affiliation patriarcale de notre communauté.
Que faisons-nous de négatif pour notre Ukraine, nous, ses citoyens, en priant pour ses armées et son gouvernement, pour la paix et la prospérité dans l’église que nous avons-nous-mêmes fondée et que nous sommes décidés à continuer à bâtir ?  Nous avons fondé notre église nous-mêmes, avec notre argent, nos allocations et nos salaires de misère, nos retraites et les dons des croyants de différents coins du Monde, en quoi consiste notre crime devant l’Etat ? Seulement en cela, que nous sommes ce que nous sommes et ne pouvons pas être autre chose par rapport à notre Foi, à notre histoire, à notre mémoire, à la fin des fins ? C’est pour cela qu’il faut nous exterminer ? Oui, notre Eglise, notre Eglise Orthodoxe Ukrainienne dirigée par sa Béatitude le métropolite Onuphre entre dans la composition de l’Eglise Universelle par l’intermédiaire de l’Eglise Orthodoxe Russe,  la cinquième sur le dyptique des Eglises Orthodoxes du Monde, en cela est notre crime ? Ou bien en cela que nous ne voulons pas la guerre, ni physique, ni en principe, religieuse ?
Nous resterons dans notre Eglise, quelles que soient les lois absurdes qu’adoptera le pouvoir étatique, violant sans conteste la constitution ukrainienne, et peu importe qu’il réussisse  à enlever nos églises ou à terroriser nos prêtres et nos croyants.
Nous vous demandons de calmer les passions des politiciens et des fonctionnaires frénétiquement pressés d’appliquer des lois votées dans l’instant et dirigées contre la conscience humaine, et de  prévenir et d'empêcher la saisie de notre communauté par des patriotards nationalistes hyperactifs!
Nous restons et serons tels que nous avons été, croyants en Christ et aimant la Russie de Kiev-Ukraine!

Père Viatcheslav Maximenko




De cette lettre, que je traduis parce qu'elle m'a bouleversée, tandis que le patriarche Bartholomée agit avec de plus en plus d'arrogance, que son exarque importé d'outre atlantique, considère que "les lois votées par le gouvernement ukrainien vont normaliser la situation"( https://spzh.news/en/news/59119-ekzarkh-fanara-zakon-o-pereimenovanii-cerkvi-normalizirujet-situciju?fbclid=IwAR08w1zt54Yaugf8DWZA-btfG4RWMVa7tIbe84NxzAXWnQVAf7sWfLxAyyk), ressort pour moi avec évidence que ce qu'on appelle l'Ukraine est constituée d'une petite partie enragée uniate, galicienne, soutenue par toute une diaspora ivre de rancœur et un gouvernement de satrapes de l'oligarchie internationale d'une part, et de tout le reste: la partie sud, sud-est et en partie centrale, qui se considère comme la "Russie de Kiev-Ukraine", c'est-à-dire la Petite-Russie ou Malorossie, implantée où elle est depuis des siècles, et non pas selon la légende colportée en occident, constituée de "colons russes". La pièce rapportée, de force, par Staline, c'est la partie ouest, plus ou moins uniate, sous domination autrichienne et polonaise. 
Cependant, ces orthodoxes, embarqués par la félonie d'Eltsine et les retorses politiques occidentaux dans le sinistre vaisseau fantôme ukrainien, ne revendiquent même pas leur retour dans les frontières de l'ancien empire russe, mais celui de conserver leur Eglise, leur foi et leur culture, et de ne pas se voir imposer une parodie d'église douteuse bricolée par des gens sans aucune spiritualité et par un patriarche stambouliote qui s'est mis à leur service pour des raisons éminemment douteuses.
Quand je les regarde, que je vois leur ferveur, leurs beaux visages dignes, il me semble voir des Russes d'avant la révolution, et de juste après, quand se sont déchaînées les persécutions bolcheviques. Ils sont là, en procession, avec des hiérarques rayonnants et fermes, et ils attendent l'Ennemi du genre humain et ses légions, qui leur viennent maintenant  par l'intermédiaire du patriarche Bartholomée et de la CIA, après les soviétiques et le KGB, et auparavant les Turcs et les Polonais. 
De nombreux imbéciles, parmi les descendants d'émigrés, ou les anticommunistes maniaques qui n'ont pas compris que le monde avait changé, ni d'ailleurs ce qui se passait réellement en URSS sous le béton idéologique, agitent frénétiquement le KGB, tel l'idiot qui, lorsqu'on lui montre la lune, regarde le doigt. 
Or le KGB, c'est le SBU ukrainien, malgré le folklore néonazi des nostalgiques de Bandera. On nous rejoue, avec la bénédiction occidentale, la sinistre tragédie du bolchevisme, un bolchevisme capitaliste, tout aussi antireligieux, et, sous l'alibi du nationalisme ukrainien, tout aussi acharné à déraciner les peuples spirituellement et culturellement. Ce sont les mêmes méthodes, la même mentalité, les mêmes apparatchiks devenus oligarques. 
Ce qui se passe et va se passer en Ukraine restera une tache indélébile sur la robe du patriarche Bartholomée, de ceux qui le soutiennent, et aussi de tous les Ponce Pilate qui s'en lavent les mains. Ils se sont associés avec lui aux persécuteurs qui ont fait en Russie des milliers de martyrs, à commencer par le saint patriarche Tikhon, lui aussi trahi par Constantinople. Ils ont choisi, avec lui, une vraie canaille comme le pseudo patriarche Philarète, contre le métropolite Onuphre qui a la dimension spirituelle du saint métropolite Philippe de Moscou ou du patriarche Paul de Serbie, la partie la plus haineuse, la plus stupide et la moins spirituelle du pays contre l'assemblée des vrais croyants. Ils servent, comme le KGB dont ils agitent le fantôme sans voir qui a pris la suite, celui que le KGB servait, et contribuent à persécuter les orthodoxes d'Ukraine et à diviser le corps de l'Orthodoxie dans le monde entier, selon un plan voulu et annoncé par le reptiloïde Zbignew Brjezinski. 
Des centaines d'églises sont attaquées et confisquées par des malfrats, en ce moment, en Ukraine, leurs prêtres et leurs fidèles molestés, si leur sang coule, qu'il retombe sur les responsables, tous les responsables.
J'ai la bénédiction de mon père spirituel pour informer et traduire.


mercredi 16 janvier 2019

Une tablée de femmes


Nous avons un nouvel évêque à Pereslavl, monseigneur Théocyste. Il est encore plus jeune que le précédent, Théodore, devenu métropolite de Volgograd. Monseigneur Théocyste est venu de Moscou, conduisant lui-même sa voiture, il semble simple, vrai et attentif à chacun. Au moment de son sermon, court et concentré comme ceux du père Valentin, il nous a appelés, d'un geste rassembleur des deux mains, à approcher plus près de lui. Il a communié tout le monde lui-même, il a donné la croix à baiser à tous les fidèles, et en partant, il a distribué sa bénédiction en s'arrêtant devant chacun, comme si nous avions tous, à ses yeux, une importance particulière, ce qui me fait très bonne impression.
  J'avais envoyé l'extrait traduit par Philippe Ekoziants à une connaissance, femme de lettre russe orthodoxe très connue, pour avoir son avis, elle m'a répondu que ce texte "était trop religieux pour être publié dans une revue littéraire", et c'est tout ce qu'elle a daigné m'en dire. Avec la princesse émigrée qui trouvait mon roman porno, on pourrait peut-être faire une moyenne... Quand j'ai rapporté cela à Philippe, il m'a répondu: "Cela veut simplement dire que votre roman est vrai".
La traduction de Philippe Ekoziants affaiblit un peu mon texte, il y a une image qui n’est pas très bien rendue, mais elle est quand même pas mal. Le père Constantin ne la trouve pas assez littéraire. Il voudrait que je fisse une traduction littérale qu’il arrangerait ensuite, mais à première vue, ce n’est pas une solution qui me convient. Je ne serai pas capable de faire une traduction littérale cohérente et comme il ne parle pas du tout le français, il n’aura pas idée de ce que j'ai vraiment écrit, enfin c'est ce qu'il me semble, en tous cas.  Philippe Ekoziants n’est peut-être pas assez littéraire, cependant, il a quand même assez rendu le texte pour que le père Constantin y discerne une « littérature de première classe » et une « écriture envoûtante ». Il n'a pas du tout l'impression que j'ai écrit un tas de bondieuseries impubliables. 
Cependant, je me sens portée et guidée. Ce livre sortira en Russie, parce que Dieu s’en occupe, ou sinon Dieu lui-même, du moins le métropolite Philippe et peut-être même le tsar et son serviteur Féodor.
Hier soir, mes deux nouvelles jeunes amies Katia et Nadia m’ont emmenée à Rostov, fêter l’anniversaire de Véronika, qui brûlait de me connaître, et qui m’attendait dans une isba aux jolies fenêtres décorées. Veronika est peintre d’icônes, elle dirige un chœur de chant znaménié, le vieux chant orthodoxe traditionnel, et son amie Yelena, arrivée plus tard, enseigne le folklore, le vrai, aux enfants du coin. Il y avait encore Svetlana qui est médecin dans le domaine de la réhabilitation par la gymnastique et les massages, et Génia, une femme ronde à la voix douce et presque inaudible. Près de la table clignotait un sapin de Noël, et tout un coin de la pièce était pavé d’icône. Véronika avait un fichu sur la tête et un air émerveillé qui semble son état permanent. Nous avions toutes tiré un sujet de « toast », écrit sur du papier doré, et nous étions appelées chacune à en prononcer un, à la manière russe. Celui de Veronika a duré un moment, on voit qu’elle a de l’entraînement, et il a été conclu par la lecture d’un poème à saint Séraphin de Sarov.  Le sujet du mien, c’était la Mère de Dieu, quand même pas simple ! Je ne sais pas comment je m’en suis tirée, et j’ai chanté une complainte bretonne sur la Vierge Marie que la femme de Kotov, de l’ensemble Sirin, m’avait piquée autrefois, par l’intermédiaire de la vielleuse Polina Terentieva, avec laquelle j’ai eu quelques rencontres et que Yelena connaît. En dehors des toasts, nous avons sacrifié à la coutume des chants à table. Veronika et Yelena ont chanté ensemble des merveilles très archaïques, elles chantent bien, et je réalisais, figée sur ma chaise, combien ces chants étaient vitaux pour notre âme et notre psychisme et quel charme mystérieux, infiniment mystérieux, ils exerçaient sur moi, ils viennent de si loin, ils sont si purs, ils sont de la même essence que ceux des oiseaux et du vent dans les bois, et ils m’emportent dans un espace qu’il me semble tout à coup avoir connu, un espace très ancien, si beau, si intact, auquel je tiens peut-être par la mémoire génétique, ou peut-être par ces zones de mon âme qui deviennent collectives, qui sont en communion avec celle des autres, avec toutes les âmes, avec l’océan des âmes traversé par le Souffle de Dieu. Aucun autre foklore ne me fait cet effet-là, ne coule en moi comme une eau vivifiante, ne me met dans cet état contemplatif bienheureux et profond, où l’apparente mélancolie est pleine d’espace et de lumière. Mes nouvelles amies sont plus ou moins confites en dévotion, beaucoup plus que moi, intellectuelle anarchiste parfois iconoclaste, mais elles sont touchantes et bonnes, et elles ont cette autre dimension dans laquelle on peut retrouver tout ce qui semble à jamais ravagé par la modernité. J’ai demandé à Yelena où et quand elle enseignait : « J’enseigne aux enfants…
- Et pas aux adultes ?
- Non… En fait, je n’ai pas d’adultes qui en aient manifesté le désir.
- Moi, je suis partante. »
Du coup, nous avons toutes décidé de nous réunir deux fois par mois pour apprendre des chansons, que nous répéterons, les unes à Pereslavl, les autres à Rostov, et de former une sorte de petit ensemble féminin ! Cela me changera des cosaques, mais en principe, bien qu’il y ait aussi des chansons que l’on puisse chanter de façon mixte, il y a des chansons de femme et des chansons d’hommes, c’est comme cela, car les rôles étaient très définis, dans la société traditionnelle. Les femmes chantaient en filant et brodant, les hommes à cheval et à la guerre, tout le monde chantait dans les champs, et puis au cours des réjouissances collectives, les répertoires sont aussi différenciés que l’étaient les vêtements et les comportements.
Je regrette de ne pas avoir pu enregistrer les vers spirituels qui ont été interprétés par Veronika et Yelena....
Svetlana m’a proposé de me soigner ou du moins d’apaiser mes douleurs, et cela m’arrange, car je pense que cela sera efficace, l’arthrose du genou me fait prendre de mauvaises positions qui engendrent d’autres problèmes. Et puis je serai heureuse d’avoir une relation dans le milieu médical, qui puisse m’orienter vers d’autres médecins. Génia m'a confié la manière ancestrale de soulager les douleurs de l'arthose: "Tu te couvres le genou d'argile, et tu prends un bain de vapeur bien chaud. L'argile tire de nous des tas de choses qui ne vont pas. Elle nous soigne, l'argile soigne l'argile, ne sommes-nous pas faits d'argile?"









vendredi 11 janvier 2019

Echange franco-arménien sur l'âme russe.

Le ciel était, cet après-midi, blanc et doré, avec de pâles échancrures bleues, et maintenant, le croissant, mystérieux sourire du soir, vogue dans une brume sombre, et encore un peu turquoise, et rose, derrière les toits neigeux. Les jours ont un peu rallongé. Quel bel hiver, avec un froid stable, et de la lumière, j'aime sortir dans la neige, sous une pluie d'étoiles, contempler le miracle quotidien de toutes ces splendeurs célestes. 
J'ai vu hier Olga et Oleg, ils sont de passage dans leur datcha et m'avaient apporté de l'eau de la source de sainte Barbara et le repas préparé par leurs soins. C'était très bon, Oleg est un fin cuisinier. Nous avons discuté, de l'orthodoxie et d'Ivan le Terrible, du moyen âge, de sa sagesse, de sa foi, de sa conception du monde organique et totale. J'ai reçu des exemplaires de Yarilo, et j'en ai prêté un à Olga, qui s'intéresse à la façon dont une Française peut ressentir tout cela.

Un historien à moitié russe et à moitié arménien, qui vit en Ukraine, m'a demandé de corriger sa traduction d'un document français du XVI° siècle, et en échange, il me traduit un extrait de mon livre, celui du baptême de l'Anglais. Nous avons eu à ce sujet un échange intéressant: 

- En tant que Russe, personne de cette culture russe de l’orthodoxie et de la sincérité, j’ai reçu de l’énergie de votre récit.  Au moment où vous décrivez comment Arthur commence à voir et à sentir l’UNITE de tout ce qui l’entoure, j’ai eu la gorge serrée. C’est important qu’Arthur évoque l’absence de choix, c’est un moment très important. Dans la mesure où l’exotisme du monde russe ne réside pas seulement dans les gens, dans l’ouverture, la foi… mais aussi dans les limitations qui ont toujours existé et existeront toujours. C’est une question philosophique mais elle intéresse aussi l’indigène.
- Merci, Philippe, je suis très heureuse que vous le ressentiez comme cela. Mon père spirituel n'a fait que survoler mon roman, il n'aime pas les romans, mais il m'a dit que j'avais très bien compris l'âme russe. L'âme russe a naturellement ses particularités, mais je pense qu'à la base, il y a l'âme archaïque et la société traditionnelle, et j'appartiens à l'une et à l'autre, c'est pourquoi j'ai retrouvé dans la Russie quelque chose de cher que l'occident a oublié, comme mon Anglais! Je pensais être individualiste parce que je n'étais pas collectiviste, et cela, parce que nous avons perdu le sens de la communauté, mais moi je l'avais sans le savoir, le sens de la tribu, de la famille, de la patrie. Je pensais aimer la liberté, et me suis rendu compte que la liberté des occidentaux est une prison qui nous interdit toute communication entre nous et avec le milieu environnant, que c'est une illusion qui nous rend malheureux et manipulables, et c'est pourquoi la société que découvre mon Anglais est à la fois terrible, très contraignante, et merveilleuse, car elle nous met en communion et découvre une liberté essentiellement intérieure, qui est une sorte de disponibilité de l'esprit et de l'âme.
-Vous avez décrit mes sentiments et mes pensées, quand j’essayais de m’identifier dans la société et dans mes préférences sociales. J’avais alors environ 40 ou 42 ans. Et j’ai aimé la Russie. Pas comme je l’aimais auparavant, étant russe par ma mère. Mais tout à fait autrement : comme une possibilité, me trouvant dans la société, pratiquement lié et soumis à cette société, de sentir mon âme et le souffle de Dieu dont tout est éclairé alentour. Dans une société, où les structures sont traditionnelles, on n’a rien à inventer dans la vie quotidienne, dans l’organisation de la journée, dans la façon de vivre, tout est connu et établi. Et alors presque tout le temps que nous accorde le Créateur peut être consacré à la recherche intérieure de ses forces spirituelles, ce qui rend l’homme heureux de façon authentique.
- Eh bien vous avez tout compris ! C’est ce qu’il m’est si difficile à expliquer en Occident. On ne comprend pas, on me dit que c’était pareil à toutes les époques, mais ce n’est pas du tout vrai, et je l’ai toujours su. Les temps que nous vivons ne sont pas normaux. La cruauté a toujours existé, bien sûr, mais les sociétés étaient des organismes puissants et vivants, dont l’ordre était plus adapté à la nature humaine.


dimanche 6 janvier 2019

La Nativité à la Protection

l'église de la Protection de la Mère de Dieu 
Le père Placide nous a quittés il y a un an. Je pense à lui, tous les jours, et je prie pour lui. C'est lui qui a insisté pour me faire repartir en Russie, alors que j'aimais beaucoup le monastère de Solan et me résignait à finir tranquillement mes jours en France. Il a fait preuve d'une rare clairvoyance, et je lui en suis très reconnaissante."Partez tant que vous le pouvez, me disait-il, je serais dix ans plus jeune que j'irais fonder un monastère en Crimée pour la future émigration française. Partez, nous sommes perdus. Lorsque je passe dans la rue, j'ai l'impression d'être un prêtre orthodoxe en Turquie." Qu'aurait-il pensé de ce qu'a traficoté le patriarche Bartholomée, lui qui aimait la Russie et comptait sur elle pour sauver la chrétienté? Dieu lui a épargné d'assister à cette honte.
Hier, je suis allée à l'église par un froid vif. J'avais gardé les enfants de Liéna qui, malades, ne pouvaient l'accompagner, alors qu'elle devait diriger le chœur de l'église, et je suis arrivée vers la fin des matines.
Je me sens chez moi, dans la paroisse de la Protection de Krasnoselskaïa. En franchissant le pont de chemin de fer, je regardais l'enchevêtrement des voies, les lumières dans la nuit, les trains mystérieux qui traversent les espaces incommensurables de la Russie. Et l'église elle-même, que j'ai connue quasiment en ruines, et qui se dresse avec une sorte de fière douceur, emblématique de la Protection, sous laquelle passent tous ceux qui partent et arrivent.
J'ai retrouvé Dany, à l'intérieur, et beaucoup de chers paroissiens. L'icône de la Nativité était posée sous une sorte de grotte constituée de branches de sapins entremêlées de fleurs blanches et lorsqu'on s'inclinait dessus, cela sentait à la fois la forêt et le printemps. Un des petits-fils du père Valentin, qui s'appelle Valentin lui-même, m'est apparu, tout blond et bouclé, dans sa robe dorée de servant d'autel: "Bonjour, Lolo! Joyeux Noël!"
La veille, les sapins surnuméraires avaient été mis à la disposition des gens avec un écriteau: "Servez-vous".
Après, nous avons réveillonné en famille, le père Valentin, sa fille, son gendre, deux amies et moi. J'avais acheté une bûche de Noël du pâtissier Didier, un chef d'oeuvre. Et un prêtre ukrainien avait fait parvenir de délicieuse salaisons de son pays.
Le fils du père Valentin, le père Mikhaïl, m'a demandé avec une sorte d'ironie ce qui se passait en France, la plupart des Russes pensent que les Français nagent dans le lait et le miel et se conduisent comme des enfants gâtés et des emmerdeurs professionnels. Je lui ai répondu: "Il se passe une insurrection que je comparerais à celle du Donbass ou à l'insurrection de Minine et Pojarski au XVII° siècle contre les Polonais et leurs valets sur place. Un peuple qui voit tout à coup qu'on lui vole son pays et qui ne veut pas mourir."
Puis je lui ai développé ce que je pense de la situation. Il était étonné. Nous avons tous les moyens de savoir et ne savons rien, d'une manière générale, et bien que notre destin se décide au niveau d'une toile d'araignée supranationale, nous continuons à ne pas voir plus loin que notre cour d'immeuble et notre facture d'électricité, ce qui est commun aux Russes et aux Français.

Veille de Noël


J’ai dit au père Valentin que certains gilets jaunes mettaient radicalement la République en question. « Grâce à Dieu, s’est-il exclamé joyeusement, en faisant son signe de croix, grâce à Dieu, une telle pensée commence à percer dans les consciences ! » Et il a ajouté en français : « Vive le roi ! Vive le roi ! »
Le père Valentin nous exhorte à « fêter la Nativité en dépit de tout ». Il pense que Bartholomée s’est perdu définitivement, aux yeux du monde, et sans doute dans l’autre monde, à moins d’un repentir inopiné. Il lui trouvait pourtant des excuses, mais à présent, il est convaincu de sa traîtrise, de son rôle infiniment néfaste dans la vie de l’Ukraine et dans toute l’Orthodoxie. Même si le patriarche Cyrille a fait des erreurs , même s’il  est autoritaire et n’a pas le charisme du patriarche Alexis, c’est un homme normal et honorable, il est des vilenies et des forfaitures qu’il ne commettrait pas, vis-à-vis des « Eglises-sœurs »; ni d’un saint homme comme le métropolite Onuphre et de ses fidèles, à présent en grand danger, en face de cette bande à qui le tomos les livre, en face des activistes de Pravy Sektor, le «Secteur Droit », qui ont commis tant d’horreurs et qui se préparent à « expliquer » aux croyants, avec leur subtilité théologique et leur amour du prochain caractéristiques, qu’il leur faut à présent abandonner leur Eglise ancestrale dirigée par un saint homme qu’ils aiment pour le machin des oligarques et du patriarche félon stambouliote dont ils se méfient pour d’excellentes raisons.
Hier soir, sa vieille amie Lisa est passée le voir, et nous nous sommes planqués tous les trois dans son bureau pour boire quelques verres de vodka, comme au bon temps de la matouchka, loin des regards réprobateurs de la jeunesse. La jeunesse est venue nous suggérer avec tact d’aller nous biturer loin d’elle, mais dans un endroit plus approprié, et d’y faire un repas (de carême) normal. Nous y sommes allés un peu honteux, mais un moment de honte est vite passé, et on rigole bien entre vieux excentriques…
Le père Valentin a déclaré dans la conversation qu’en dépit de son peu d’affection pour Staline, il le préférait nettement à Lénine et sa bande, et que dans la vie ténébreuse de ce Géorgien à demi-illettré il y avait au moins un point lumineux : l’élimination par ses soins des compagnons de Lénine, à commencer par Trotski.  Lisa ne lui concède rien : son grand-père fut livré à des droits communs qui l’ont torturé vingt-quatre heures jusqu’à ce que mort s’ensuive…
La veille j’avais vue mon amie Alla, la dame au spitz. Toujours jolie, toujours seule, mais elle m’a avoué qu’elle préférait être seule que mal accompagnée et que la plupart des hommes étaient insupportables, surtout les hommes vieillissants. «Je suis parfois si contente, seule chez moi, je n’ai pas grand-chose pour vivre, 18 000 roubles de retraite, mais je ne meurs pas de faim, je vis normalement, je suis juste un peu gênée aux entournures quand je dois changer la machine à laver. Petite, dans mon appartement communautaire, je rêvais juste de ce que j’ai maintenant : un appartement propre et à moi, avec ma douche et ma cuvette de toilettes personnelles.  Alors voyez, je remercie Dieu sans arrêt de ce que j’ai. »
Nos deux « filles », Rita et Yana, se sont très bien entendues, elles ont joué ensemble. Alla les a photographiées sous tous les angles. Après, je suis passée chez les Soutiaguine, et nous avons opposé à la théorie d'Alla de nombreux exemples de couples modèles qui sont autour de nous, à commencer par les Soutiaguine eux-mêmes, les Chevtchenko... Mais ce sont des couples orthodoxes, qui ont un idéal d'abnégation et qui font périodiquement leur autocritique, parce que les deux parties se confessent, et éventuellement reçoivent des conseils ou des remontrances...









jeudi 3 janvier 2019

Peredielkino



Mania et son sixième bébé
Xioucha s'est mariée avec son Igor. « Vous savez comment il m’a fait sa demande ? Je l’ai trouvé complètement ivre en bas, et je lui ai filé un coup de pied : « Et alors, qu’est-ce que tu fiches encore à traîner sous une palissade, ivrogne ? » Il s’est levé et il m’a dit : «J’ai bu pour me donner le courage de demander ta main ». Et tous les SDF qui regardaient ont applaudi. »
Cette belle histoire était une invention, elle me l’a précisé en rigolant. Mais ils sont bel et bien mariés.
Ensuite elle m’a emmenée chez une vieille amie de ses parents, c’était très gai, dans un appartement du centre complètement délabré, et tout le monde a chanté, mais j’avais Rita avec moi, et il y avait dans l’appartement une chienne énorme, qu’il a fallu enfermer, et qui aboyait, du coup la mienne aussi, cela me gâchait un peu la soirée, et puis je me sentais complètement ahurie, je n’ai plus l’habitude du monde et du bruit.
Au retour, j’ai voulu faire pisser Rita dans la neige, étant donné sa taille, elle fait le contenu d’un dé à coudre plus parfois une crotte d’oiseau, mais deux activistes me sont tombées dessus : je la faisais pisser sur leur gazon, celui de l'immeuble. Mais c'est de la neige... ah oui, mais en été, à la place de la neige et de la boue, il y a du gazon. Je ne sais plus où aller, parce que maintenant, c’est partout qu’il y a des barrières, des gazons à la con et des plates bandes, généralement de très mauvais goût, genre bégonias en rangs d’oignon, et je regrette le temps où, à Moscou, on était libre comme l’air dans des terrains vagues qui prenaient en été des allures campagnardes spontanées. Maintenant, on ne peut plus garer sa voiture sans payer des sommes folles, selon une procédure extrêmement compliquée. On ne peut plus promener son chien, même minuscule. Bref, cela devient aussi con et tyrannique qu’en Europe, et j’ai de plus en plus de mal à venir. A Pereslavl, je n’ai pas ce genre de problèmes.
Quand j’ai reculé devant le chiot Bouton, c’était à cause de ce genre de détails. Eh bien j’ai récolté Rita, qui ne peut pas se passer de moi cinq minutes…
Hier, je suis allée voir Mania et son dernier bébé, Doroteïa. Sa fille aînée  Aniouta est déjà une adolescente. Les autres sont des sauvages, au demeurant très rigolos, mais très fatigants. Je ne sais pas comment elle tient le coup. Elle m’a dit que depuis qu’elle était mère, elle n’existait plus.  Je me demande toujours quel genre de mère j’aurais été. Il me semble que j’aurais fait preuve de tendresse mais de sévérité et que j’aurais mis tout le monde au boulot et à contribution, comme à l’école.  Je ne saurai jamais si je n’aurais pas tourné à la mère et à l’épouse acariâtre. 
Dans mon livre, le petit jeune homme débauché, sodomite et criminel Fédia, est un père et un époux modèle. On le marie de force, mais il assume, il considère que sa femme est innocente de la situation, elle est innocente à tous les points de vue, d’ailleurs. Il remplit sa fonction de chef de famille, et c’est ce qu’elle attend de lui avec une confiance éblouie, de son époux de 17 ans à moitié sauvage. Mais ce n’est pas un enfant gâté, c’est un enfant martyr.
Dès que je suis chez les autres, ici, je n’arrête pas de grignoter. 
Nous sommes allées ensemble chez les Messerer qui organisaient chez eux une exposition de tableaux de petits formats qui, pour cette raison, ne sont pas chers. Il y avait de très belles choses, ce qui m’a le plus séduite était beaucoup plus cher que le reste, j’ai un don pour cela… Néanmoins, je pensais me faire un cadeau de Noël, mais je n’ai pas eu le temps, car nous sommes parties précipitamment, le mari de Mania ne pouvant plus faire face à leur meute de gosses dont elle lui avait laissé la garde. Anna Messerer m’a envoyé la photo de cette série de tableaux. Maintenant, je me dis que ce n’est peut-être pas moral d’acheter un tableau à quelqu’un qui, certes d’un grand talent, et peut-être plus connu, brise l’esprit de l’exposition en pratiquant des prix très au dessus des autres. Je dois acheter un petit format à une autre spécialiste de cet art qui me l’a mis de côté, mais je dois aller le chercher moi-même dans la région de Tver, où elle vit, dans un petit village dont son mari est le prêtre.
J’aime bien Peredelkino, le village des datchas intellectuelles de l'époque soviétique, où l'on trouve celle de Pasternak, celles d'Evtouchenko et Tchoukovski, car on y a construit d’énormes palais avec de gros murs, mais grâce aux pins immenses qui se bousculent partout, on ne les remarque pas trop. Les datchas des Asmus constituent une espèce de hameau privé. Au début, il y avait celle des grands-parents, le père Valentin y a ajouté la sienne, où vivent maintenant Mania et son mari, et son fils, le père Mikhaïl, s’est construit sur le même terrain une jolie maison de bon goût.




Chez les Messerer







Mes trois préférés