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samedi 29 août 2020

Questions stupides

 Hier, fête de la Dormition, je me suis prise par la main pour aller à l'église, mal préparée à la communion, et en plus, j'ai oublié de prendre de l'argent, je n'avais pas un sou pour la quête, les cierges, et les dyptiques.En gros, la honte totale. Le prêtre qui me confessait est ukrainien, et soupire "Seigneur aie pitié" avec une vraie douleur à chaque péché qu'on lui énonce, même mes peccadilles minables. Il me dit que le Christ remplace tout ce qui peut nous manquer, c'est aussi ce que me dit Ioulia du monastère saint Nicétas, et c'est une chose que je n'arrive pas toujours à réaliser. "Je sais, lui dis-je, mais il est comment dirais-je? un peu abstrait.

- Comment ça, abstrait? Vous avez l'eucharistie, Son corps et Son sang, et vous me dite qu'Il est abstrait!"

 Pourtant, j'ai eu des révélations qui m'ont fait penser: "Un seul moment comme celui-ci rachète tout les malheurs de ma vie et les rend insignifiants". Mais je bloque sur la tendance à désincarner la religion que je rencontre souvent et qui ne me paraît pas juste, et il n'y a rien à faire, cela ne passe pas. Mes "questions de païenne" qui scandalisaient dans mon enfance un curé rigide, restent sans réponse. J'ai lu, à propos d'un archimandrite qui vient de se défroquer, des considérations sur les tuniques de peau qui ravalaient Adam au rang d'un animal, lui qui était à celui des anges, mais je me pose la question païenne et stupide, quel besoin avait Dieu de créer tous ces animaux magnifiques, et un homme sexué flanqué d'une femme, si c'était pour les faire vivre comme des anges, alors qu'Il en avait déjà des théories sous la main, parfaitement désincarnés et asexués comme il sied? Et puis ce mépris pour l'amour humain, qui est certes limité mais peut-être parfois une fusion absolue... Moi, je suis très charnelle, j'ai besoin de voir, écouter, sentir, étreindre. Les gens qui ne le sont pas me semblent souvent de malheureux pisse-froids qui pourrissent la vie de ceux qui les entourent. Dans mon livre, Fédia, qui est mon double, ne reçoit au fond pas de réponse définitive du métropolite Philippe auquel il adresse ce genre de questions. Il choisit le métropolite parce qu'il l'aime, parce qu'il discerne en lui un saint homme, parce qu'il lui offre une transcendance et le salut, mais ses questions païennes restent sans réponse, il quitte la vie avec résignation et humilité, mais à regret,et les miennes, qui sont les mêmes que les siennes, je mourrai sans doute avec. Comme lui, j'ai aimé le père Serge qui ne comprenait absolument pas ce genre de débat, j'ai aimé le père Placide, j'aime la mère Hypandia, mon évêque, j'aime mon père Valentin, j'aime la sainteté. Mais j'aime aussi toute la création, qui est à la fois euphorique, splendide, souffrante et violente, et sexuée du haut en bas, à part les amibes et les bactéries. L'eucharistie m'est tombée  dans la bouche de telle façon que le vin a coulé directement en moi, chaud et liquide, avec une étonnante présence, au lieu de simplement imprégner le pain. Il m'a semblé étrange que cela se produisît juste après les considérations du prêtre ukrainien, et c'est lui qui m'a donné la communion.

On nous a lu une lettre du saint Synode. Le problème est que je comprends très mal le prêtre qui s'en est chargé. Mais l'impression que j'en ai retirée, c'est qu'on nous présentait le Covid comme la peste bubonique, ce qu'il est loin d'avoir été par la virulence, les effets et la contagion, justifiant les mesures adoptées, qui me sont de plus en plus suspectes, félicitant les médecins etc. 

Là encore, je suis peut-être une tête de cochon, mais je ne comprends pas le saint Synode. Il est évident à tout être doué d'un cerveau que l'on nous mène dans un affreux bateau, mais le saint Synode n'a pas l'air de s'en apercevoir. Ne dit-on pas que dans les derniers temps, même les élus seront séduits? Pourtant, certains prêtres voient ce qui se trame autant que moi, par exemple le père Andreï Tkatchev, ou le père Andreï du monastère de Minsk et d'autres encore.

Je crois bien qu'on a installé une tour 5G à 50 m de chez moi. Je pensais que ce serait une caméra, mais cela ne semble pas le cas. 

L'automne en Russie commence dans deux jours, et il est vraiment dans l'air, même s'il ne fait pas très froid, le temps change, les feuilles commencent à jaunir et rosir, en revanche, les moustiques ne semblent pas comprendre que la fête est finie et me gâchent ces derniers moments où je pourrais rester dehors. Pour ce qui est de la fusion avec la nature environnante, le climat et les insectes piqueurs restreignent les possibilités. D'un autre côté, les rares fois où l'on peut se baigner, on trouve encore aisément à le faire sans le cirque des plages et des bords de rivière en France. 

Le ciel était extrêmement beau, hier soir, comme il ne l'est qu'ici, et j'aurais dû aller au lac d'un coup de voiture, ou de vélo, mais j'ai eu la flemme. Je suis restée sur le perron à regarder cela, je suppose que Dieu fait pareil de son côté, et c'est là que les gens comme moi le rencontrent.



 

mercredi 26 août 2020

Chevaux dans la nuit

photo du film Andreï Roubliov de Tarkovski

En France, en plus des "incivilités" ce délicieux euphémisme destiné à jeter un voile pudique sur les viols collectifs de gamines, les agressions sauvages contre de paisibles citoyens, les pillages, les profanations et les incendies qu'en d'autres temps commettaient les huns, les tatars, les sarrasins, les pirates et les grandes compagnies, on s'attaque aux équidés, à coups de poignards, on les mutile, on les torture, on les tue.

Le cheval est dans la tradition slave un symbole de vie, associé au soleil et au printemps. Il figure, stylisé, partout dans l'art populaire. Sur le faîte des maisons, il protégait les occupants de celles-ci. Sur la chemise du marié brodée par sa fiancée, il était censé favoriser la fertilité et chasser les mauvais esprits. Chez des barbares normaux, du type huns ou mongols, je doute qu'on en soit jamais arrivé à torturer et tuer des chevaux pour le plaisir . Et cela me paraît  un  signe particulièrement sinistre. Mais le produit de trois ou quatre générations de cerveaux lavés ne déchiffre plus les signes et ne les comprend plus. J'avais lu dans les écrits du père Vsévolod Schpiller comment les cosaques des armées blanches, quittant la Crimée sur le dernier bateau en partance, pleuraient en voyant leurs chevaux désespérés les suivre à la nage, et cela m'avait paru le symbole le plus tragique de la révolution et de son programme d'extermination de ce que la société russe comptait de plus noble. Les aggressions sadiques commises par des créatures des ténèbres sur des chevaux en France me paraissent celui de l'achèvement d'un processus qui a pourri mon pays à mort, il me semble tristement complémentaire de l'incendie de Notre Dame, et aussi de l'infanticide légalisé. Un pays où les églises brûlent, où l'on assassine les bébés et où l'on torture les chevaux a perdu toute bénédiction. Que dire encore des viandards associant les massacres indignes qu'ils font de la faune sauvage avec leurs racines, alors qu'ils ne connaissent plus ni leurs traditions, ni leur folklore, ni leur foi, et je dirais même ni leur terre qu'ils surexploitent n'importe comment, ni leur bétail qu'ils font vivre dans des conditions concentrationnaires?

Je voudrais croire qu'un miracle sauvera la France et que la Russie ne suivra pas jusqu'au bout le même chemin. Un chemin de perdition qui fut très court mais me paraît tragiquement irrémédiable, un peu comme celui qui sépare la prostituée du coin de la rue de la communiante qu'elle fut, du moins dans les chansons de Fréhel, quand il y avait encore des communiantes et des petites filles. A tel point que me submerge un écoeurement indicible. Je survole toutes ces clameurs de détresses sans écho, de haine, d'indignation, et ces doctes commentaires, et ces mensonges éhontés qui trouvent toujours preneurs, ces justifications passionnées de ce qui est injustifiable, ces impudentes inversions accusatoires, et je n'ai plus envie de jouer. Ni de justifier ou d'expliquer mes propres positions, mes propres tâtonnements, d'autant plus que si je suis de plus en plus persuadée  que notre monde du progrès et des lumières est un asile de fous, un bordel où l'on perd figure humaine, un abattoir, je ne peux souvent pas l'expliquer à des gens qui n'ont plus les récepteurs pour comprendre ce qui leur est arrivé et même, ne veulent surtout pas le savoir, car cette horreur est trop vertigineuse. Et puis, la laideur insensée, la vulgarité de notre quotidien sont devenues à beaucoup de gens absolument intrinsèques. Leur opposer des arguments n'a même plus de sens. C'est sauve qui peut. Et sauve qui tu peux, et qui le veut. La lumière ne peut rien pour les aveugles, à quoi bon leur allumer des cierges? Déjà, si l'on arrive à garder le sien allumé, on a bien de la chance....



 
Fréhel: les filles qui la nuit s'offrent au coin des rues
 
 
Lioubè: le cheval

mardi 25 août 2020

Un émigré

 Encore une magnifique journée, et je suis retournée à la Vioksa me baigner, car nous voici à la veille de l'automne, des arbres commencent à jaunir, le temps peut changer brusquement et plus de baignades jusqu'à l'année prochaine, à moins d'aller passer l'hiver à Cuba...

L'eau était meilleure que la dernière fois. J'ai longuement nagé dans cette fraîche douceur, en contemplant de jeunes bouleaux frissonnants que surveillaient de grands sapins noirs. Des canards m'accompagnaient avec une curiosité flegmatique. J'aurais presque pu les toucher, mais je ne voulais pas leur faire peur. Puis j'ai fait une aquarelle, assise sur un ponton. Sur le ciel voilé, une cascade de nuages brillants et froissés descendait en écumant jusqu'aux pins de la rive d'en face. La baignade reste associée pour moi au canyon desséché de l'Ardèche, avec son calcaire blanc et ses garrigues, à la mer Méditerranée, ses pins parasols et ses lauriers roses, et je suis toujours ébahie de nager dans ce décor nordique, où j'étais aujourd'hui la seule à le faire, jusqu'à l'arrivée d'un aimable moustachu qui m'a demandé si l'eau était bonne.

J'étais retournée à la rivière il y a deux ou trois jours, mais je ne m'étais pas baignée, car j'étais accompagnée d'un jeune Français qui n'avait pas de maillot. Nous avions déjeuné avec Gilles et sa femme, qui habitent dans ce coin de rêve, et nous avons fait un tour, en fin de journée, avec les Jack Russel des Walter, et ma Rita qui voulait se faire porter dans son sac. Je crois qu'elle craint les moustiques, et je les trouve pires qu'au mois de juin et juillet. Peut-être parce qu'il n'y a pas assez de vent.

Ce jeune Français est un ancien gilet jaune qui a décidé, comme le père Placide quand il m'a expédiée en Russie, que c'était fichu. Il est beau garçon, bien élevé, catholique. C'est aussi un traditionnaliste, partisan d'Alexandre Douguine. Grâce à ses talents d'informaticien, il gagne bien sa vie, mais ce métier, et la méconnaissance du russe l'isolent. Ce séjour à Pereslavl lui a permis de faire connaissance avec Gilles et aussi Olga, qui parle français et habite Moscou. 

A notre retour, il m'a dit que ce n'était pas toujours facile, pour lui. "J'ai le mal du pays. Cependant, quand je retourne en France, je ne me reconnais plus, et j'ai envie de repartir. Pour vous, c'est sans doute plus facile, dans la mesure où vous êtes orthodoxe, et russophone....

- Oui, mais j'ai le mal du pays quand même. A vrai dire, quand je suis retournée en France, j'avais la nostalgie de la Russie. A un moment, il faut choisir, et j'ai été aidée par le père Placide et les circonstances. Mais je pense souvent à la France, il m'en revient des images, c'est comme un cinéma intérieur. Le père Valentin me dit que nous sommes des exilés non dans l'espace, mais dans le temps. C'est très vrai, et valable aussi bien pour les Russes que pour les Français, nous sommes tous tombés dans une maison de fous planétaire, et nous avons la nostalgie d'un monde encore normal. Cela dit, pour l'instant, à Pereslavl, n'était l'enlaidissement irrésistible et fantasmagorique de cette pauvre ville, j'ai au moins l'impression d'être à l'écart de cette folie générale, les gens sont calmes, bienveillants, gentils, notre vie paisible....

- Parfois, on me reproche et je me reproche de ne pas être resté combattre en France...

- Oui, je vous comprends, et c'est un choix à faire. Cependant, vous avez eu juste le temps de partir, ce qui est peut-être le signe que c'était votre destin. Et puis je me demande s'il y aura même un combat, à vrai dire, je ne sens pas de grandes capacités de résistance. Pour moi, c'était en effet plus simple, car je me suis toujours sentie décalée dans la société française, j'ai vécu dans une grande solitude, un ennui profond, et je n'avais aucune perspective. J'étais marginalisée d'autant plus que j'étais orthodoxe et politiquement incorrecte, je cumulais les handicaps. C'est ici que j'ai commencé à vivre, si je fais exception de mon enfance heureuse. Ici, je connais beaucoup de gens qui partagent ma vision des choses, au moins pour l'essentiel. Mon enracinement français est génétique, sentimental mais pas spirituel ".

Gilles lui conseille de s'installer en province, où obtenir un permis de séjour est plus facile. A vrai dire, quand on travaille chez soi, il y a peu de raisons, à mes yeux, de rester en ville en ce moment, avec la covidomanie et les diverses menaces qui planent. Les capitales deviennent trop malsaines. Et puis ici, on trouve en province des relations intéressantes qu'on a le temps de rencontrer, d'une façon détendue et conviviale.



mercredi 19 août 2020

Le Sauveur des Pommes.

 

 

Ce matin, je me suis poussée pour aller à l'église, c'était la fête de la Transfiguration. J'avais l'intention d'aller aux vêpres la veille, mais il est bien connu que de ce genre d'intentions, l'enfer est pavé. Si j'y étais allée, j'aurais vu notre évêque et reçu sa bénédiction, et j'aurais participé à l'anniversaire de la petite Dounia, de la famille des Rimm, avec Katia. Mais j'avais été invitée le même jour par Olga et Oleg à me baigner avec eux dans la Vioksa, et à découvrir les coins les plus beaux de cette jolie rivière. Ce que nous avons fait. C'était un jour qui sentait déjà fortement l'automne, une lumière transparente, un vent très frais, de gros nuages. On a beaucoup construit à Koupanskoïé mais cela reste moins défiguré que Pereslavl, et là où nous nous sommes baignés, on voit encore de très jolies maisons anciennes. Oleg me faisait remarquer parmi elles un gros monstre en rondins volontairement énormes et inégaux, car ce qui est rustique doit forcément être grossier et mal équarri dans la mentalité du mutant contemporain qui ne sait plus d'où il sort. La baraque de ce type ressemblait à un restaurant de style far-west, et même de faux style far-west, que je connais dans la zone commerciale de la petite ville où j'ai grandi, dans la Drôme! Oleg m'a dit qu'un psychiatre de ses amis prétendait qu'on pourrait écrire une thèse de psychologie sur les divers aspects du mauvais goût tel qu'il s'exprime dans les bâtisses contemporaines.

Juste à côté du monstre, il y avait une isba ravissante, avec une palissade à claire-voie, au lieu d'une clôture métallique opaque et hideuse, un grand tilleul, et Oleg ajouta: "Ils avaient pourtant beaucoup de travail, les gens qui ont construit cette isba, mais ils trouvaient le temps de mettre de la beauté autour d'eux, de sculpter ces encadrements de fenêtres..."

Il y avait des mûres, que nous avons cueillies mais elles n'ont pas du tout le goût de celles que je grapillais sur les chemins du midi, elles étaient, je ne sais pourquoi, amères. 

L'eau était très claire et déjà bien froide, mais au bout de quelques brasses, agréable et revigorante. Le fond sableux lui donnait une teinte dorée que moiraient de bleu et de vert les reflets du ciel et ceux des arbres, et des canards nageaient paisiblement autour de nous, des libellules de différentes tailles et couleurs voletaient sur les berges. 

Au retour, ils m'ont invitée chez eux, et je n'ai pas pu aller aux vêpres. Nous avons passé la soirée à discuter, sur leur terrasse, et j'étais d'ailleurs frigorifiée, malgré un blouson prêté par Olga. 

La veille, j'étais allée porter à l'atelier d'iconographie du monastère saint Nicétas l'énorme planche à icône donnée par mon ami Nikolaï, le mari de Liouba. J'ai été reçue par Ioulia, qui a passé plusieurs années en France. Ce qui est amusant, c'est qu'elle a, comme Liouba, un type asiatique, et elle a la même sérénité allègre.

Elle m'a précisé que l'afflux de réfugiés français, ou européens, n'était pas attendu par le seul père Dmitri, ce sont plusieurs starets russes qui ont prédit la même chose, dont le père Naoum à la laure de la Trinité-Saint-Serge. Nous avons parlé français, car nous étions seules, et Ioulia ne le pratique pas assez: "J'aime les Français, et ils me manquent."

Ioulia pense que j'ai un potentiel spirituel que je ne cultive pas assez, que les péripéties de ma vie, et certaines expériences que j'ai connues indiquent une sorte d'élection particulière, et que je dois passer à la vitesse supérieure, pour mieux accueillir et aider les Français attendus, entre autres.

Elle n'a certainement pas tort, mais je ne me sens pas beaucoup de forces, en ce moment, et je pensais à ce que m'avait dit le père Basile, que le principal, c'était la fidélité, mot qui avait la même racine, fides, que le mot foi. "Si vous aimez la vie, alors vous aimerez d'autant plus la vie éternelle, et nul besoin de cracher sur la vie, si vous l'aimez, aimez-la avec reconnaissance, profitez des moments heureux avec vos amis, jouez des gousli, comme le roi David, nous devons être plus que jamais solidaires et attentifs à notre prochain".

En confession, le père Andreï m'a dit: "Le principal est de ne pas tomber dans l'acédie." J'avais rêvé de la mère Hypandia, mais je ne pouvais me souvenir des détails. Le jour de la Transfiguration, on apporte ses premières pommes, pour les faire bénir, mais j'avais oublié, c'est dire si je suis nulle. Tout à coup, une dame me tape sur l'épaule: "Laurence! Vous n'avez pas de pommes? Tenez, prenez celle-là!" Du coup plusieurs personnes se sont avisées qu'on ne pouvait laisser cette malheureuse Française sans pommes à bénir, et elles m'arrivaient de toutes parts, ces pommes, avec même un sachet pour les glisser dedans! Arrivées devant le père Andreï les pommes et moi-même avons été inondées d'eau bénite.

En Russie, la Transfiguration est appelée le Sauveur des Pommes, car la fête coïncide avec les premières récoltes. 

 

 








lundi 17 août 2020

D'une dictature l'autre

 Des gens me demandent mon avis sur la Biélorussie, comme si j'étais un expert et je ne sais que dire, je ne suis pas politologue. Je ne peux que réagir de façon personnelle, à l'instinct et à l'expérience. J'ai soutenu le Donbass, et vu à quel point on mentait sur la question, omettant ou déformant les faits, et avec quel résultat aujourd'hui! L'Ukraine est un abcès purulent, où les seules personnes qui m'inspirent un immense respect et une compassion infinie sont les orthodoxes admirables regroupés autour du métropolite Onuphre. Les autres sont tombés dans une telle ignominie que je n'ai pas de mots pour les qualifier. Les opposants sont tués ou maltraités, le Donbass est toujours l'objet de bombardements vicieux dont toute notre presse se fout, avec toujours la même bande de chacals maladivement russophobes qui excite en permanence l'opinion contre les victimes,

Il est certain que Ianoukovitch, comme tous les anciens apparatchiks bombardés roitelets par le démontage de l'URSS, était un pourri, est-ce que Porochenko et sa sinistre équipe étaient mieux, et le pays a-t-il gagné au change? Des Ukrainiens écrivent pour mettre en garde leurs cousins biélorusses contre l'aventure. Elle peut très mal finir.

De tous ces roitelets post-soviétiques, Loukatchenko me paraissait le meilleur, et son pays connaissait une certaine stabilité. Il avait eu l'intelligence, tout en laissant les gens pratiquer leur religion et penser ce qu'ils veulent, de conserver beaucoup de structures sociales soviétiques, ce qui a évité les situations dramatiques dans lesquelles les Russes ont été plongés par les libéraux. Alexandre Panarine, dans son livre "la civilisation orthodoxe", après avoir décrit les méthodes proprement sadiques d'installation du communisme dans les années 20, prétendait que ce truc infernal s'était russifié au fil des années, et qu'au moment de la perestroïka, il n'eût pas fallu y toucher, juste laisser l'Eglise tranquille, autoriser la liberté d'expression, mais ne pas bouleverser les structures étatiques. Or si on avait fait cela, les apparatchiks ne seraient pas devenus roitelets de républiques artificielles, ni oligarques scandaleusement enrichis par tout ce qu'ils avaient pillé. Et c'était là le but de toute cette décommunisation effectuée n'importe comment, pour avantager ce public et satisfaire les occidentaux. 

Or la Biélorussie avait échappé, d'après ce que j'entendais dire, à ce processus, et beaucoup de Russes enviaient leur président à leurs cousins biélorusses. Ils conservaient toutes sortes de garanties sociales, la vendeuse de cierges biélorusse de notre cathédrale, ici, m'expliquait encore récemment que son fils en se mariant avait reçu une maison neuve en bois. Un journaliste français déplorait que la révolte contre le tyran ne prit pas car les salaires étaient payés et divers avantages octroyés. 

Aujourd'hui, je vois les pro Loukatchenko et les anti Loukatchenko revendiquer de part et d'autre des photos de manifestations monstres dans les rues de Minsk. Beaucoup de choses rappellent le cirque manipulé de la révolution de couleur. Y compris l'arrivée des Femen et le soutien de BHL et toutes sortes de créatures des ténèbres, comme l'épouvantable Alexieva.

Loukatchenko a lui-même, dans sa roublardise, joué un double jeu, entre l'OTAN, la Russie et l'Ukraine, et en paie certainement le prix. Il y a sans doute beaucoup de raisons d'être mécontent, comme en Ukraine sous Ianoukovitch. Ici aussi, je peux dire que tout n'est pas parfait, je vois des injustices administratives criantes, de la corruption, des destructions scandaleuses du patrimoine, beaucoup de choses me scandalisent, cependant à la seule idée qu'un pitre comme Navalny ou qu'un oligarque apatride comme Khodorokovski prennent le pouvoir, j'ai le frisson de la mort. Alexandre Douguine, qu'on interdit maintenant partout en occident, ce qui est pour moi le signe infaillible de la justesse de ses points de vue, dit bien d'ailleurs qu'une révolution en Russie, ou ailleurs, est une chose insensée, car elle ne peut réussir si elle n'est manipulée et financée par les ennemis du pays et ne peut conduire qu'à un scénario de trou noir ukrainien bien sanglant sur les bords. Il propose un refus du système et une révolution conservatrice à travers le retour à la terre, ce qui rejoint les propositions de Soljénitsyne. Enlevons Loukatchenko, que va-t-il se passer en Biélorussie et qui va lui succéder? La blogueuse qui s'est carapatée en Lituanie? Entre le vieil apparatchik et le Nouvel Ordre Mondial, si j'étais là bas, mon choix serait vite fait.

Evidemment, cela m'emplit de chagrin et de consternation, car je sais les liens culturels et spirituels qui unissaient les trois Russie, et que l'on s'emploie à faire disparaître. Je plains les orthodoxes biélorusses qui se retrouveront dans la position des orthodoxes ukrainiens. J'attendais l'opinion du père spirituel du monastère sainte Elizabeth de Minsk, le père André, à qui je fais totalement confiance.  Je n'ai pas été surprise de constater que son avis coïncidait avec le mien. Le père André, son monastère, les orthodoxes biélorusses, comme les orthodoxes ukrainiens du métropolite Onuphre et nous tous ici du patriarcat de Moscou, envers et contre tout, et malgré les criailleries des mutants dénaturés, décervelés de la modernité, de ses petites marionnettes, de ses serviteurs ténébreux, des chacals occidentaux et des usuriers transnationaux, nous sommes tous la chair et le sang de la sainte Russie, nous communions dans la même orthodoxie, on ne peut nous désunir, même en traçant des frontières artificielles à l'heure où il est question de toutes les abolir. Aussi je suis résolue à essayer de garder une distance psychologique avec ce qui se produit. L'heure n'est plus à sauver nos pays, quand trop de gens dépourvus de mémoire, de repères culturels et spirituels, sombrent dans la confusion et la folie, où peut être devons-nous les sauver autrement, en opposant au cancer de la modernité mondialiste et transhumaniste le réseau transnational souterrain d'une résistance spirituelle, culturelle et humaine qui ne passe pas par des mouvements de foule soit manipulés et récupérés, soit écrasés. J'en parlais avec Katia hier soir: soutenir ici tout ce qui est sain et réparateur, nos amis les cosaques patriotes, notre évêque, nos monastères, le folklore qui unit les gens entre eux, et les relie à leurs ancêtres communs, notre solidarité, notre entraide matérielle et spirituelle. Et puis, comme me le disait le père Basile, ne pas craindre de parler, de dire non, de refuser ce qui peut nous mener et mener les autres à la perdition totale. Dans tous les pays du monde, il y a maintenant une plus ou moins grande proportion de peuple autochtone qui reste sain et conforme à sa tradition, et des hordes de mutants, d'importation ou non, qui tournent au signal comme des toupies, se jettent d'un côté ou de l'autre, déçus du socialisme dans le libéralisme trotskyste et le neonazisme, déçus du capitalisme dans le communisme et le neostalinisme, et mettent leurs masques en acceptant n'importe quoi, jusqu'aux infanticides, aux enlèvements d'enfants par l'état, à l'euthanasie des vieux, à la délation des réfractaires.

 Je me félicite en tous cas d'avoir choisi le cœur de la Russie médiévale, c'est ce qui restera du pays quand les vautours l'auront ramené aux limites qu'il avait au XVI° siècle, avant la réunion des trois Russie slaves orthodoxes séparées par les aléas de l'histoire. Mais je crains que ses libéraux n'en fassent également une satrapie du pouvoir occulte, sataniste et implacable qui s'installe partout. Nous ne pouvons plus que prier Dieu de nous rendre invisibles. La sainte Russie des derniers temps, ce sera la ville invisible de Kitej.

 

 


Rimsky-Korsakov, la ville invisible de Kitej

vendredi 14 août 2020

Costumes de rêve

 J'ai vu passer des costumes de fête traditionnels russes d'une grande beauté, introduits par la remarque que la plupart des gens ne voulaient pas croire qu'ils étaient portés par des paysans. Comme je ne cesse de le dire, la modernité, que ce soit sous sa forme capitaliste ou sa forme communiste qui sont les deux faces d'une même médaille, s'efforce depuis des décennies de démontrer qu'avant elle, c'étaient les ténèbres, et que les paysans vivaient partout en haillons dans des masures, sales, affamés, grossiers et ignares, avant qu'on vînt leur apporter les lumières du progrès. C'est pourquoi à mon avis les idéologues de tous poils s'efforcent tous de faire table rase de tout ce que nos ancêtres ont pu laisser de beauté, pour que personne ne puisse établir de comparaison. Comparaison que les folkloristes ici effectuent naturellement dès qu'ils retrouvent les traditions perdues, car il est difficile de ne pas la faire.

Une correspondante m'écrit: le peintre Korovine a très bien parlé de tout cela dans un de ses récits, quand son collègue Serov voulait peindre un paysan, et celui-ci partit se changer, ce qui "avait tout gâché", comme le dit Valentin Serov. Ce à quoi le paysan vexé répondit: " Mais qu'est-ce que tu veux donc, barine, que les gens pensent à jamais que nous n'avons rien à nous mettre?" 

Очень хорошо об этом писал художник К.Коровин в одном из рассказов, когда художник Серов хотел написать крестьянина, а он пошел переоделся, чем "все испортил", как сказал Валентин Серов. На это обиженный крестьянин сказал: "Что ты, барин, хочешь , чтобы все на века думали, что нам надеть было нечего?"

 Je trouve cette remarque très profonde et très significative. Car dans la conscience générale des classes urbaines cultivées, c'est ainsi que devait apparaître le paysan: fruste, pauvre, inculte et mal vêtu. Tout le mouvement pictural russe des "Ambulants" reposait là dessus. Et je prétends qu'incultes et mal vêtus, nous ne l'avons jamais été davantage qu'aujourd'hui, et pour ce qui est de la pauvreté, tout dépend de ce qu'on entend par là, si vivre dans un clapier avec salle de bains en consacrant toutes ses forces à un travail aliénant, complètement dépourvu de sens, pour gagner de quoi dépenser au supermarché voisin, sans avoir le temps de s'occuper de ses gosses ou de ses parents, nous rend plus riches que de vivre en famille dans une isba ou une ferme, du travail de la terre, avec autour une communauté paysanne, un travail intense et partagé en été, mais le loisir en hiver de faire de l'artisanat pour soi ou pour revendre au marché, des fêtes, chants et danses, une activité créatrice inscrite dans le quotidien, dont nous sommes complètement privés aujourd'hui.

Les filles commençaient à confectionner leur trousseau à cinq ans. A dix ans, elles savaient déjà tout faire. Elles brodaient la chemise de noces de leur fiancé. Et lui fabriquait leur quenouille sculptée et peinte, qu'elles conservaient toute leur vie. Dans les deux cas, les objets étaient ornés de hiéroglyphes traditionnels bénéfiques, destinés à protéger des mauvais esprits ou à favoriser la fécondité. Ces motifs ont joué un grand rôle dans l'invention de l'art abstrait, comme me l'ont souligné le peintre Alexandre Pesterev et sa femme Olga Smolina, spécialiste du musée de Ferapontovo.

C'était hier, les derniers à avoir connu ça dans leur enfance viennent de mourir. Certains vivent peut-être encore.


 

jeudi 13 août 2020

Critique de lecteur

 Un lecteur qui a pris la peine de lire mes livres à pris aussi celle de m'en faire une critique. Je prends celle de lui faire une réponse officielle !

J'ai terminé vos deux livres. J'ai pu constater que vous savez aussi bien faire un billet d'actualité pour votre blog qu'un roman historique (même si vos billets d'actualité se rattachent souvent à l'histoire). Yarilo est un très bon roman pagano-chrétien. Il m'a fait penser à un commentaire sur Tarass Boulba qui serait un roman tragique et triste s'il n'y avait cette fureur de vivre qui le traverse et porte les personnages. J'ai trouvé dans les passages sur le "méchant" Ivan des ressemblances avec les portraits de Staline. Je sais que vous n'aimez pas la comparaison mais vous l'avez subie, ça se sent, peut-être au travers du film soviétique, je ne l'ai pas encore vu. Par contre, je ne crois que Staline ait eu des moments de grâce comme le "bon" Ivan. J'ai particulièrement apprécié les scènes de repentir de Fédia. Je ne sais pas si c'est universel ou si les femmes réagissent différemment mais vous avez très bien retranscrit ce qu'un homme pense, englué dans le péché, en face de Dieu miséricordieux. L'angoisse, l'auto-accusation, l'absurdité de penser qu'on mérite le pardon ou qu'on mérite quoique ce soit d'autre que la damnation... Ces passages sont vraiment émouvants et auront un écho au moins chez tous les hommes qui vous liront et qui ne sont pas imperméables à la transcendance. 
Alors que Yarilo était un hymne à la vie, Parthène m'a semblé une sorte de bûchers des vanités et m'a laissé une impression étrange. Peut-être l'avez-vous voulu ainsi ? Il est aussi bien écrit mais la tension de la vie entre le péché et le repentir de Yarilo y est remplacée par la fin de toutes choses ou par un poids qui fait chuter toute chose. Une sorte de prologue de l'Ecclésiaste presque. Je suppose que la clef de lecture est la nuit d'agonie du tsar Ivan réunifié parce que c'est la partie lumineuse de cette suite. J'ai particulièrement apprécié la scène où Féodor ramène sa femme dans la chambre du tsar dont elle vient de s'enfuir afin que celui-ci ne refuse pas le pardon de Dieu devant le dernier spectacle de ses péchés.
Mais vous l'avez bien présenté comme un épilogue donc je pense que mes impressions sont cohérentes.

In Christo.

Le tsar est fréquemment comparé à Staline, parce que ce dernier se comparait à lui. Personnellement, la seule chose que je leur trouve en commun, c'est l'égrégore néfaste d'une police politique. Pour le reste, Ivan le Terrible, malgré des supplices spectaculaires, véridiques ou pas, a fait beaucoup moins de victimes et essentiellement dans la noblesse. S'il y a eu des victimes collatérales chez les paysans, ce n'étaient pas eux qui étaient visés, contrairement à ce qui s'est passé avec la collectivisation. C'était un tsar légitime, oint et couronné et non un dictateur. Il était croyant, cultivé, il avait du sens esthétique et il a laissé de magnifiques monuments, églises et monastères, au lieu de copies de l'empire states building et des monuments pompiers à sa propre gloire. Il était imprégné d'esprit médiéval, ce qui le rachète en partie. Le mien est tiraillé entre divers aspects de sa personnalité paradoxale, il est un peu pervers narcissique sur les bords, il aime séduire et dérouter. Le film soviétique présente un tsar idéal mais là encore, j'y ai vu un tsar, et pas un dictateur moderne, quand je l'ai decouvert à 16 ans. Peut-être d'ailleurs était-ce voulu, le sentiment monarchique, même dévoyé, restant vivace chez les Russes. 

Je me mets facilement à la place des hommes. D'abord je suis un garçon manqué. Flaubert disait "madame Bovary, c'est moi" et je pourrais dire de même que je suis Fédia Basmanov. Et puis je pense que lorsqu'on écrit un livre en se donnant à fond à l'expérience, on entre en contact avec absolument tous les aspects de l'humain, c'est peut-être ce que les auteurs ont en commun avec les acteurs. Si l'on n'opère pas cette fusion avec tous les aspects de l'humain, on reste au niveau de son nombril et si c'est très répandu, ce n'est pas forcément intéressant. En cela, le processus romanesque en lui-même me paraît un parcours initiatique et une transcendance qui en soi, m'intéressent autant que le résultat. 

Le deuxième roman est en effet un épilogue et la mort du tsar en est le centre, ce qui introduit fatalement une réflexion sur la mort et la vanité du pouvoir. Cependant, je ne dirais pas que la vie en est absente, elle s'exprime à travers le jeune protégé du tsar, qui est positif et lumineux, tout comme son père spirituel Féodor. Et la fin est une projection vers l'avenir. 

 




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mercredi 12 août 2020

Déja la fin...

 

Cela sent fortement l'automne, les feuilles commencent à jaunir, les buissons n'en font plus de nouvelles. Je ne suis pas sûre de pouvoir encore une fois retourner me baigner. Et j'ai l'impression de ne pas avoir vu passer cet été que l'on attend neuf mois, comme les enfants. Je ne prendrai plus de locataires, car cela me prive de la jouissance de mon jardin, où je les trouve installées, se faisant bronzer, ou dans mon hamac. J'attends leur départ avec impatience, j'aurais besoin de me sentir un peu chez moi avant que l'hiver ne revienne. Mais elles ont décidé de prolonger jusqu'à vendredi, je leur ai dit que j'attendais des amis, ce qui est vrai. 

J'ai plein de travail, avec les pommes et les légumes. Et en plus, les chats, ou plus certainement Georgette, la seule qui se refuse à aller faire ses besoins dehors, souillent régulièrement l'espèce de petit sas qui précède mon entrée, et où je range des tas de trucs, si on peut appeler cela ranger. J'ai nettoyé trois fois, ce matin. La caisse à chats ne lui suffit pas, elle va sous une étagère, et nettoyer à cet endroit m'oblige à des acrobaties, c'est affreux à dire, mais je la prends quasiment en grippe, avec son affection tyrannique et jalouse, et ses manies de vieille. Si elle le fait pour m'emmerder, c'est vraiment réussi, et au sens propre. Je la traite de tous les noms.

J'ai vu que les chèvres de Nadia avaient bouffé les pousses qu'avait faites mon aubépine. Or, j'ai besoin de cette aubépine, car elle peut me cacher d'éventuelles constructions disgracieuses. Et depuis plus de quinze jours, une noria incessante de camions apporte de la terre dans la partie encore sauvage de notre marécage. Nous avons du bruit, de la poussière, des odeurs d'essence, et à mon avis, nous aurons aussi une perturbation de l'écosystème du lac, qui est déjà bien assez malmené. Mais quand on veut faire du fric, de nos jours, rien ne vous arrête... Ma voisine m'a dit qu'on allait construire quatre maisons, quatre monstres là où nous avions des saules et des roseaux, et le ciel derrière l'isba de l'oncle Kolia. Je lui ai transmis l'accordéon réparé par Skountsev, et son mari tout content en a tiré quelques mesures, devant leur palissade.

Le père Basile m'a appelée au téléphone, sans doute trouvait-il nécessaire de me remonter le moral avec les bretelles. Il m'a dit qu'ayant failli mourir du Covid, il avait relativisé bien des choses, et qu'il se fichait complètement de la dictature numérique et des sombres desseins de la caste satanique, car ce qui comptait, c'était notre relation avec le Christ, et son triomphe assuré sur les forces des ténèbres. Certes, nous avons devant nous des temps difficiles, certes, nous aurons à résister, peut-être jusqu'au martyr, mais peu importe car Dieu est avec nous. Le mot foi signifie fidélité, restons fidèles quoiqu'il advienne. C'est là ce que nous devons chercher à faire, et témoigner, car le chrétien n'est pas une nouille, le chrétien est un prophète qui doit parler haut et fort, sans craindre de déplaire, et non se répandre en discours complaisants et politiquement corrects. Je lui ai dit que j'avais du mal à prier, que je faisais tant de choses, écrire, jouer des gousli, et puis le jardin, le ménage. "Vous savez, un chrétien doit être actif, et être aussi présent à son prochain. Peut-être que prier, pour vous, c'est jouer des gousli, d'ailleurs, le roi David en jouait aussi, et puis contempler la nature, faire du bien aux créatures qui vous entourent, trouver de la joie dans les moments que vous passez avec des amis, tout cela, si vous en éprouvez la gratitude requise, vous met en relation avec Dieu. Il ne faut pas tomber dans le piège qui consiste à prendre la vie spirituelle comme une fuite, et à l'aménager à son gré, à se faire une religion sur mesure, c'est un défaut qu'on rencontre assez souvent en France, d'ailleurs. Pour endurer les temps qui viennent, nous aurons besoin de communautés, d'entraide, de présence à l'autre".

C'est justement ce qui se dessine ici, et pas seulement ici, il se crée des communautés paysannes, mais même à l'intérieur de Pereslavl, les croyants se rassemblent, les cosaques... j'ai réfléchi à cela toute la journée et enfin réussi à finir mon roman Epitaphe, du moins son premier jet. 

 

lundi 10 août 2020

Bonheur du jour

En revenant de la rivière Vioska, où j'étais allée profiter de ce qui est peut-être notre dernier jour de chaleur, j'ai eu un coup de fil de la voisine Violetta. Elle voulait me donner des pommes, alors que j'en ai plein mon propre pommier, et que je vois arriver avec angoisse le moment de peler, cuire et sécher tout ça. Je suis néanmoins allée l'attendre près de la clôture, comptant récupérer un sac et rentrer, mais elle est arrivée avec deux énormes bassines de ces pommes, il m'a fallu chercher deux paquets pour les verser dedans, et elles roulaient dans l'herbe, de sorte que j'ai eu tout le temps de me faire dévorer par les moustiques, que la chaleur orageuse mettait très en forme...

Violetta doit avoir une récolte abondante, donc elle déverse des pommes sur tous ceux qui sont dans le périmètre, c'est très russe. Et cela ne lui vient pas à l'esprit que je n'ai pas envie de passer des journées entières à les peler et préparer, c'est ce qu'elle fait elle-même, elle n'imagine pas qu'on puisse les passer à autre chose, à la limite, elle trouve même sûrement cela immoral.

Au bord de la Vioska, il y avait pas mal de monde, tout le pays avait eu la même idée que moi. Quand on arrive à la mi-août, on ne sait pas ce qui peut se passer. Heureusement, c'était un public plutôt tranquille. J'ai nagé avec un bonheur infini. Je m'éloigne entre les rives frémissantes de roseaux, vers un horizon bordé de pins ténébreux, d'arbres échevelés, et toujours hanté de nuages extraordinaires, qui parfois voilent le soleil, et tout devient très sombre. Puis la lumière revient, les têtes éclatantes de ces vapeurs colossales reprennent leurs flamboiements neigeux, au dessus de leurs oripeaux foncés, et des mouettes passent, ou des rapaces, des libellules....

Les bonheurs de chaque jour, il ne faut pas les laisser passer, on ne sait pas s'ils reviendront, notre avenir n'est pas radieux, on se demande même s'il y en a encore un. 

A Moscou, après l'anniversaire du père Valentin, j'ai vu Skountsev, là où il enseigne, à l'autre bout de la ville. Nous devions travailler ensemble, la leçon fut comme d'habitude géniale. Mais comme il prenait ensuite l'autobus pour Volgograd, il m'a fallu le raccompagner à Podolsk, pour aller chercher ses affaires et l'accordéon des voisins qu'il avait réparé. Comme il arrive quand on ne connait pas l'itinéraire, que quelqu'un théoriquement vous l'indique et vous parle en même temps, et qu'on commence a être fatigué, j'ai failli percuter une voiture que je n'avais pas vue. C'était un taxi tadjik, ou azéri, un quadragénaire brutal et ventripotent, qui est sorti de sa caisse intacte comme un dingue, m'a injuriée et a délibérément cassé mon rétroviseur.

A Podolsk, il y a beaucoup de diversité d'Asie Centrale ou du Caucase, et dans Moscou en général, il y a aussi plus d'Africains qu'avant. Question masques, il y a des endroits où l'on est obligé de les mettre, les gens le font sans enthousiasme et sans conviction, à cause des amendes hallucinantes de Sobianine. A la Sberbank, la conseillère masquée m'a demandé de baisser mon torchon pour comparer ma tête et la photo du passeport. "Je peux carrément l'enlever, si vous voulez, je ne tiens pas du tout à ce truc". Elle a ri.

Chez Xioucha, comme je couvrais de mots caressants le doudou de sa petite dernière, Rita m'a fait une crise de jalousie. Je ne peux m'intéresser à personne d'autre qu'à elle, le malheur, c'est que plus ou moins tous mes animaux sont comme cela.

J'étais contente de voir Xioucha, le père Valentin, Dany, et tous les autres, mais aller à Moscou, pour moi, c'est de plus en plus la corvée. Quand j'avais seize ans, Moscou m'apparaissait comme le coeur mystique de la Russie, en quelque sorte son concentré, la ville aux quarante fois quarante églises, mais déjà, ce que j'avais découvert en 73, sous les slogans vainqueurs: "Nous ferons de Moscou une véritable ville communiste" m'avait paru si hideux et si triste que j'avais pleuré pendant huit jours, jusqu'à ce que qu'un ami historien me fasse faire le tour de ce qu'il subsistait de la capitale magique et dorée qu'avait célébrée Rainer Maria Rilke. Mais le libéralisme est en train de faire disparaître ce que le communisme avait encore épargné, et surtout, dans le monde entier, les capitales ne sont plus du tout le coeur des pays qu'elles occupent, c'est le mot, mais les tumeurs d'un seul cancer cosmopolite mondialiste réparti sur toute la planète, qui envoie partout ses métastases. Dans chaque capitale, on retrouve les mêmes féodaux mafieux, tous plus ou moins acoquinés et sortis de la même matrice, et puis leurs traîtres locaux, leurs esclaves et leurs hommes de mains importés. Et partout où ce n'est pas le cas, ou pas encore entièrement le cas, on installe une bonne petite révolution de couleur en soulevant toujours la même minorité de pantins hors sol qui mettent l'ensemble de la population dans une situation pire que la précédente. A Pereslavl, c'est encore la Russie, bien que Moscou y bave ses cottages en plastique.

Avant de repartir, je suis allée à l'église du père Valentin, pour la première fois depuis l'installation du Covid, et ensuite, Yana a voulu, avec une amie et sa fille, déjeuner au Gastroferma, où le café La Forêt a un comptoir. Nous y avons vu l'adorable Maxime, qui a tapé dans l'oeil de la jolie jeune fille à marier qui nous accompagnait, mais marié, il l'est déjà, et père de famille, il faudra trouver un autre gentil Français... L'amie de Yana, Marina, me disait, ce qui est vrai, que les situations globales les plus tragiques se vivent au jour le jour, avec les problèmes quotidiens, l'humour, une insouciance délibérée; destinée à nous protéger du vertige. 

Puis je suis passée chez mon amie Liouba. Son mari Nikolaï voulait me donner des planches à icônes dont il ne se servirait plus, pour cause d'accident vasculaire cérébral. Je m'attendais à trouver une ruine, mais pas du tout, Kolia est encore tout à fait présentable, il n'a même pas tellement vieilli. Liouba, comme elle me l'a fait remarquer, était toute grise, de vêtements comme de cheveux, mais elle non plus n'avait pas changé, ses vêtements gris et ses cheveux coupés au carré lui allaient très bien. Ils sont l'un et l'autre extrêmement bons, extrêmement pieux, et d'une autre époque.

L'une des planches est énorme, et conviendrait à une église, je vais en faire don à l'iconographe du monastère saint Nicétas.


vendredi 7 août 2020

Masques

 Il n'y a pas beaucoup de masques à Moscou, mais Sobianine ayant encore frappé, certains magasins les exigent. Il fait un temps à aller se baigner dans le lac. Je suis contente de voir tout le monde mais j'ai déjà hâte de rentrer.

J'ai appelé mon amie Liouba qui considère tout cela, comme moi, avec méfiance. Une amie de son gendre, mariée à un Français, a perdu son père, victime collatérale du Covid. En proie à une crise cardiaque, il a appelé les urgences qui l'ont emmené au centre des maladies infectieuses, et il est mort dans un couloir, parce que personne ne s'occupait de lui, nulle doute qu'il est allé grossir les statistiques. Églises fermées, flicage, amendes, répressions. Liouba, très pieuse, allait plus que jamais à l'église et communiait tous les dimanches. "Le Seigneur nous envoie le signe qu'il faut se tenir vigilant. Et les vieux qui sont sur la dernière ligne, et ont besoin plus que jamais des secours de la religion, ont disparu de l'église. Et quand ils venaient, la police les refoulait. L'important n'est-il pas, quand on est vieux, de mourir confessé et communie ? "

Elle m'a parlé de gens qui restaient des temps à la morgue, qu'on ne parvenait pas à enterrer décemment.

Recemment, une jeune femme m'a déclaré sur Facebook qu'il fallait s'habituer à vivre avec le masque. C'est-à-dire que sa cervelle a complètement intégré qu'on doit se promener avec un chiffon sur la gueule pour le restant de ses jours et que les gens comme moi sont des dangers publics. On peut donc imposer n'importe quel conditionnement à un certain type de gens. On commence à nous montrer des jolis dessins ou des couples le noir plus la blanche font l'amour comme les chiens pour ne pas mélanger leurs souffles, ou à travers une paroi. C'est l'amour ou plutôt la copulation, strictement au niveau des parties génitales, on se demande même pourquoi un partenaire est encore nécessaire. Et c'est sans doute la qu'on veut nous amener. Je pensais à la Bd satirique de Gotlieb et Alexis sur la Dame aux camélias ou Armand et Marguerite s'embrassaient à travers l'hygiaphone.... 

Quand j'ai découvert les affreux jeunes gens des facs soixante huitardes, je m'étonnais qu'ils ne parlassent que de Trotski et de Mao, qu'ils ne revassent pas de passions éperdues, d'amour éternel, d'exploits, de risque, qu'ils ne prissent pas plaisir au vin et à la musique et qu'ils n'ecrivissent pas de brûlants poèmes. C'étaient de petits crétins hargneux, envieux, qui detestaient tout ce qui dépassait le niveau de la merde et nous préparaient une société sinistre, à laquelle j'étais prête à tout pour me soustraire. Et je pensais avoir vu ce qu'il y avait de pire, mais maintenant, on a le crétin masqué, prêt à accepter n'importe quoi pour sa misérable survie, dans cette société de l'avenir technologique radieux. 

Mon cher filleul à vu naître son premier enfant, je lui souhaite de pouvoir encore trouver une niche écologique ou vivre normalement, c'est-à-dire pleinement, intensément, irrigué par l'air, le soleil, l'eau et la beauté du monde. 


Les 70 ans du père Valentin

 

Quand j'arrivai à Moscou en 94, je mis trois ans à trouver une paroisse stable. Un jour dans un passage souterrain, je donnai de l'argent à une vieille mendiante qui, me regardant, déclara : "il te faut prier l'icône de la Mère de Dieu" apaise mes chagrins". 

Pour Noël, je confiai mon appartement et ma chatte à une jeune étudiante française pendant mon séjour en France. Au retour, elle me présenta son amie Macha et celle-ci, apprenant que j'étais orthodoxe, s'écria: " Il faut absolument que vous rencontriez mon papa !" et l'appelant aussitôt, elle me passa le téléphone.

Le lendemain, je me retrouvai dans le bureau du père Valentin, dans son grand appartement stalinien bourré d'enfants, il en avait neuf. Le père Valentin avait un aspect noble et sévère et une voix profonde. Pendant notre grave entretien, toutes les cinq minutes, un museau différent se glissait dans l'entrebaillement de la porte sous tous les prétextes. Finalement, je vis le profil de sa femme, la matouchka Inna, son nez en trompette et son sourire narquois, qui n'y tenant plus, venait nous demander ce que nous attendions pour aller prendre le thé. Ce fut le début de mon amitié et de mon adoption par la famille Asmus, infiniment chaleureuse, farfelue et pittoresque.

Le père Valentin m'ayant invitée à me confesser auprès de lui, je me rendis dans sa paroisse, Saint Nicolas des Forgerons, dont le principal objet sacré était une ancienne icône miraculeuse de la Mère de Dieu "apaise mes chagrins"....

C'est ce que j'ai raconté hier soir pour l'anniversaire de ce même père Valentin, dans un restaurant italien qui rassemblait sa famille. Tout le monde y est allé de son hommage et pour finir on a chante en chœur d'anciennes chansons patriotiques du XIX siècle et des romances. Les enfants ont eux-même des enfants et l'âge que j'avais quand je les ai tous rencontrés.

Au retour, Xioucha qui était pompette à dit à son père qu'il était paranoïaque. "Et pourtant, je m'occupe pourtant bien de toi, et je ne te dis pas 99%...

- de ce que je fais ! n'ai-je pu m'empêcher de suggérer.

- Lolo, vous êtes une frantsouskaia kakachka, une merde française ! Mais je vous adore, j'adore les Français et leur répartie de merde ! "


mercredi 5 août 2020

Tryptique

Hier, j'ai vu arriver mon amie Yana, son mari Génia, et un ami à eux, Denis, tous trois artistes peintres. Nous nous sommes retrouvés au café la Forêt, et Génia m'a brusquement annoncé qu'il avait un cadeau pour moi. Il a sorti un paquet plat, qu'il a défait: c'était un ancien tryptique dont manque un volet, celui de saint Jean Baptiste, avec le Christ et la Mère de Dieu, en bronze émaillé. J'ai été si saisie que j'en ai eu les larmes aux yeux. N'était l'absence de saint Jean Baptiste, le tryptique est en parfait état, il est très beau. Ces icônes étaient en général des icônes de vieux croyants. J'ai pensé à mon ami belge Nicolas, qui les collectionne. Le cadeau provenait de la collection du père de Yana qui les recueillait à l'époque soviétique.
Puis nous sommes allés rejoindre Olga et Oleg, qui ont une datcha près du monastère saint Nicolas, et avec lesquels je m'entends très bien. Nous devions aller nous baigner au lac, avant de dîner. Par un raccourci, ce n'est pas très loin de chez eux. Nous sommes passés devant une énorme maison disgracieuse plantée dans un endroit qui aurait dû rester sauvage, à l'approche du lac, sur un terrain marécageux dont cette masse perturbe l'écosystème. C'est celle de la procureure, qui l'a imposée à la mairie, et s'est dédouanée en promettant d'aménager un parc avec des jeux pour les enfants, qui tombe en putréfaction au milieu du marécage, et dont personne n'avait vraiment besoin.
Cependant l'endroit où nous nous sommes baignées, nous les femmes qui avions un maillot, pendant que les hommes restaient pudiquement à fumer sur le ponton, était très beau, et nous nagions à la rencontre des nuages avec la vue sur le clocher des Quarante Martyrs, et au loin le monastère saint Nicétas, tout blanc sur la berge bleu foncé.
Olga nous a raconté qu'il y a des années, elle avait fait un rêve, sur cet endroit, elle nageait au dessus de pièces Napoléon en or, et voyait la Mère de Dieu qui lui faisait signe de venir à l'horizon du lac. Puis elle la précédait jusqu'à la colline d'Alexandre, lui indiquant d'aller y faire son salut, et dans la file de pèlerins qui s'élevait, un homme chauve l'attendait. Or par la suite, elle a rencontré Oleg, qui n'a plus de cheveux, comme l'homme du rêve. De plus, elle a appris qu'on soupçonnait dans le lac la présence d'un trésor laissé par les Français, et chaque année, les prêtres vont bénir les eaux en procession. J'ai trouvé ce rêve superbe.
Quand nous nous sommes rapprochées de la berge, j'ai entendu les cris déchirants de Ritoulia, qui guettait le large, car j'avais disparu derrière les roseaux. D'après nos hommes, elle s'était même jetée à l'eau, dont elle a peur, pour essayer de me rejoindre, mais elle n'était pas allée bien loin.

photo Génia
Nous avons beaucoup discuté ensuite sur la terrasse décorée par une abondante vigne vierge, façon vitrail art nouveau. Nous avons parlé de la Russie et de la France que tout le monde avait visitée, et Olga parle français et connaît pas mal notre pays. Nous étions tous d'accord sur les manipulations du covid et les tentatives d'installer une dictature mondiale et de faire disparaître les populations de civilisation chrétienne, qui gênent les corporations et leurs intérêts uniquement mercantiles. Pour le reste, mon slavophilisme n'agréait pas vraiment Denis, qui est certainement libéral et pense que les Russes n'auraient jamais rien fait de bien sans les étrangers. Olga disait qu'à Paris, discutant avec un ami sans précautions politiquement correctes, elle avait senti son malaise, et la désapprobation de l'entourage, elle avait senti qu'elle touchait à des tabous, qu'elle compromettait leur équilibre, car le programme inculqué avait tellement pénétré leur psychisme que de le remettre en question pouvait le faire exploser. C'est ce qu'un autre ami, dans une lettre, appelle les verrous psychologiques consécutifs à des décennies de conditionnement sournois. "Les gens pareillement programmés deviennent vite agressifs, parce que le programme leur sert de structure" a conclu Olga. En effet, et s'ils sont à ce point programmables, c'est qu'on a effacé leurs repères culturels et spirituels et brisé le lien transgénérationnel, la tradition. Elle m'a dit qu'une telle pression devait être éprouvante pour les gens qui ne partageaient pas le point de vue admis; car toute réelle discussion était impossible. C'est là d'ailleurs un des symptômes du totalitarisme. J'ai passé toute ma jeunesse sous cette pression qui était grande dans les milieux "culturels" dès les années 70, peut-être même avant.
Olga est très intelligente, très pénétrante, et c'est un vrai bonheur pour moi de m'entretenir avec elle.





dimanche 2 août 2020

Le contrat


J'ai trouvé un oiseau mort dans la cuisine, ce matin au réveil. C'est l'oeuvre de Monsieur Moustachon, le plus adorable des chatons, si débonnaire avec tous les autres animaux, si éperdument épris de la créature qui a pris en pitié sa bonne bouille intelligente, innocente et charmeuse. Il tue tout ce qui bouge avec une adresse extraordinaire, et j'en suis malade. Mon geste charitable a causé la perte de je ne sais combien de passereaux.
Je suis allée à l'église en me poussant, et pourtant, une fois sur place, j'ai senti tout le bien que me faisaient la liturgie, et la présence de cette assemblée bienveillante et touchante. J'ai vu les enfants Rimm, Dounia, Gricha et Fédia qui sont gracieusement venus me saluer. J'ai dit à Gricha: "Voilà notre hardi cosaque", et il est resté très sérieux, mais j'ai vu qu'il n'en pouvait plus de fierté.
Puis je suis allée au café français, dans l'arrière-salle discrète, on se croirait à Chicago au moment de la prohibition. Dans tout Pereslavl, les masques sont, Dieu merci, vraiment rares. A Moscou, en revanche, d'après Dany, on recommence à mettre la pression, à coller des amendes aux commerces tolérants, et à traquer les gens qui ne sont pas masqués jusqu'aux yeux, de bonnes âmes jouent les redresseurs de torts et les dénonciateurs, comme en France, le pays des droits de l'homme, et c'est le même genre de public bobo ou coco. Parallèlement, je vois Sobianine affirmer pour la deuxième fois qu'il n'y aura pas de seconde vague, ni de confinement. Allez comprendre. Ce qui est sûr à mes yeux, c'est que tout cela pue et que les gens assez neuneus pour faire confiance aux autorités, de quelque pays qu'elles soient, de nos jours, auront un réveil difficile. Quand je vois ce qui se passe en France, mon coeur se serre. Ces gens qui enfilent docilement leur muselière, sans être alertés par le fait qu'au plus fort de la crise, provoquée ou non, amplifiée à dessein ou non, les masques étaient introuvables, le gouvernement punissait ceux qui en vendaient et proclamait qu'ils étaient inutiles, et maintenant, on le leur rive sur la gueule, en plein été caniculaire, et en fin d'épidémie, et tout le monde se plie à la chose sans questions, et même fait la police avec ceux qui s'en posent. Vous ne trouvez pas bizarre que l'on ait commencé, en haut lieu, à nous prédire "une deuxième vague" dans deux mois, et deux mois plus tard talam, talam, masquez vous tous partout? Les gens ont peur du virus, mais j'aurais bien plus peur, à leur place, du gouvernement, des médias, des médecins vendus aux labos. Pendant ce temps, la diversité qui tabasse, égorge, viole tous les jours que Dieu fait s'en fout complètement, des masques, à part ceux qu'elle met de toute éternité sur la figure de ses femmes. Et elle continue à arriver par bateaux entiers, sans masque, et sans tests, et sans quarantaine. Les masqués à sa merci continuent de trouver ça normal. Je vois des victimes sanglotantes s'étonner d'en avoir pris plein la gueule, et de ne rencontrer aucune aide, aucun soutien, elles qui étaient de si gentils membres actifs du camp du bien,  appliqués au vivre ensemble, si ouverts à la diversité, comment est-ce possible? N'est-ce pas le comble de l'injustice? Et elles continuent à traiter de fachos ceux que leur sort indigne, c'est proprement fascinant. En revanche le masque, alors ça, les gars, c'est capital, et on ne saurait être assez sévère avec les contrevenants, dès lors qu'ils n'appartiennent pas aux communautés qui en sont dispensées, mais plus simplement à la communauté nationale du franchouillard d'origine. Vous êtes prêts à les porter toute votre vie? Surveillés en permanence par les caméras, les applications de traçage, les voisins obligeants, quand vous ne serez pas coursés, écrasés et tabassés par les "jeunes"? Privés de vos restaurants, cafés et petits commerces, de vos artisans, de tout ce qui faisait notre art de vivre et qui est voué à la disparition par les maîtres du monde? Le nombre de victimes du covid, toujours changeant et toujours flou, et très peu fiable, justifie-t-il de mener désormais une telle existence? Et le jour où l'on vous fera le chantage, rester enfermés et masqués ou accepter n'importe quel vaccin douteux administré par des dingues et des mafieux, vous n'aurez pas l'ombre d'un soupçon et d'une hésitation avant de vous y soumettre? Moi si, et même en Russie, où l'on nous annonce un "vaccin russe", pour la bonne raison que tout est trop louche, trop incohérent, trop suspect, et que je ne crois pas à un vaccin bricolé à la va vite, pour des virus qui mutent tout le temps, alors qu'on s'applique à dénigrer et supprimer un traitement qui marche et qui est notoirement sans danger.
Un communiste me parle de civisme, je considère que dans son cas, c'est plutôt du suivisme. Mais c'est là qu'on voit la profonde parenté entre totalitarisme capitaliste et totalitarisme communiste. On la voit de plus en plus nettement. Cette complicité de la gauche avec une oligarchie de milliardaires délirants. Cette foi aveugle, plus intolérante, fanatique et meurtrière que toutes les religions, surtout chrétiennes, abhorrées de ses sectateurs, dans le Progrès technique, qui pourtant apparaît de plus en plus clairement comme un marché de dupes, un pacte avec le diable. Cette haine de la nature, de ses lois, de sa réalité, de la création et de son Créateur. Une haine de la nature qui est au fond une haine de la vie et de tous ceux qui y tiennent, au nom d'une survivance mécanique et contrôlée dans un enfer hors sol, bétonné et surveillé, où l'on nous transforme en biomasse anonyme et hagarde.
J'ai rêvé de ma mère, il y a quelques jours. Il me semblait qu'elle n'était pas morte, mais perdue, je la cherchais avec angoisse. Hier, j'avais besoin de faire un petit travail de couture, et ne trouvant pas ce qu'il fallait, je suis allée explorer sa boîte à ouvrage, qui est venue jusqu'ici avec mon déménagement. Je l'ai ouverte, je l'ai trouvée telle qu'elle l'avait laissée il y a plus de dix ans, car elle ne s'en servait plus quand elle était malade. Cela m'a rappelé le jour où j'avais vu, quinze ans après sa mort, le porte-monnaie de ma grand-mère là où elle le gardait, dans le tiroir de la table de la cuisine, mon grand-père n'ayant jamais eu le courage de l'en retirer. Je me trouvais en Russie, avec sur les genoux la boîte à ouvrage de maman, ses dés, une pile, un couvercle de boîte, un taille-crayons échoués là, presque la trace invisible de ses gestes. Je pensais à toute cette Atlantide française derrière moi, engloutie par l'océan noir du malheur que personne n'a su voir venir ni empêcher de déferler, malgré les avertissements des Cassandre conspuées. Et je ne sais même pas si je reverrai ceux que j'aime là bas, et vers qui l'enfant indestructible que j'ai toujours conservé en moi voudrait pouvoir encore courir pour se cacher, mais ils ne peuvent désormais plus rien pour lui.
Cependant, à l'église, j'ai senti le soutien de l'autre monde, ou de l'origine du monde, le soutien divin. Dans la panique et la tristesse, il se manifestait avec une discrète assurance. Sur le plan spirituel, je n'aurai pas réalisé grand chose, mais la seule chose que je peux dire, c'est que je me confie, c'est que je fais confiance. Je me mets entre les mains de Dieu. Comme tous ceux que je retrouve à la cathédrale le dimanche. C'est cela notre contrat,et c'est le seul que je sois vraiment capable de respecter.