Translate

jeudi 28 février 2019

Un bouquet de cierges

Le service d'immigration de Yaroslavl a refusé mon dossier parce qu'il ne comprend rien à mon avis d'imposition dont j'ai donné une traduction assermentée, et réclame une apostille de l'ambassade. Il ne lui paraît pas assez évident, au vu de mes revenus de l'année qui, sans être mirifiques sont certainement plus importants que ceux des tadjiks ou ukrainiens qui viennent solliciter le permis, que j'ai de quoi vivre. Oui, mais ils ont l'habitude de leurs formulaires, hérités de l'URSS, et les miens les déroutent. Donc, on me demande de fournir... le papier que j'avais apporté à la juriste en janvier, celui de la banque, attestant que j'avais placé mes économies, et dont elle m'avait dit que depuis le 1° janvier, on ne l'acceptait plus. Eh bien si, on l'accepte encore, parce que oui, cela a été décrété mais tout le monde n'est pas d'accord sur ce point. La conséquence la plus emmerdante, c'est que je dois refaire tous les examens médicaux ce qui va me gâcher une journée dans les grandes largeurs et me coûter dans les cent euros. La conséquence surprenante est que la dame du service, ici, à Pereslavl, est devenue tout ce qu'il y a de plus aimable et compréhensive et semble décidée à me guider dans cette épreuve dont j'ai vraiment ras le bol, je dois dire. Elle m'a dit de laisser tomber l'avis d'imposition et son apostille et de donner le papier de la banque, mais attention, exiger le bon formulaire, car il y en a deux.
Après cela, j'ai voulu aller chercher un livre sur le folklore que l'on m'a expédié d'Ekaterinbourg. J'étais passée à la poste deux fois la veille et avait reculé en voyant la longueur de la queue devant l'unique guichet ouvert. Et là, trois ou quatre personnes, je tente le coup. J'attends une heure trois quarts derrière une seule et même souris, me demandant ce qu'elle pouvait bien fabriquer, tandis que les gens s'accumulaient derrière nous et commençaient à râler. La souris s'éloignait parfois pour téléphoner, avec un air passablement insolent. Devant moi, une femme venait spécialement de la campagne pour la deuxième fois récupérer un envoi recommandé. En plus de la souris, leurs ordinateurs sont détraqués et on ne sait pas quand ils seront réparés. Ils sont plusieurs là dedans à errer, mais pour une raison inexplicable, personne ne peut ouvrir un deuxième guichet pour expédier les affaires les plus courantes. Les gens s'énervant de plus en plus, j'apprends que la souris en a encore pour au moins une heure: l'énorme paquet de lettres sur le comptoir, à sa gauche, elle est venue les envoyer, pour une organisation; à vue de nez, une heure, c'est l'estimation basse. Je repars sans mon livre, laissant la queue au bord de l'émeute.
En rentrant chez moi, je me suis tapé un verre d'hydromel. En fait, je commence parfois à comprendre pourquoi les Russes ont tendance à picoler...
En fin d'après-midi, je suis allée à la maison des pionniers de Rostov, avec la jeune Katia, pour commencer nos séances de chant folklorique avec Liéna. Nous avons fait connaissance avec trois filles du père Joseph Gleason, venu du Texas s'installer à Rostov. Elles chantent aussi bien que des paysannes du fin fond de l'Oural ou du Nord, et semblent d'une étonnante pureté. Les chants sont très beaux, et Liéna connaît bien son affaire. Après le départ de la jeune classe, nous avons commencé à en apprendre un. Pour vraiment aimer ces chants, il faut les chanter, il faut les écouter en les chantant, car ils produisent une sorte de cercle magique, avec une résonance qui se place à l'intérieur de l'assemblée des chanteurs. Ils ouvrent une porte dans l'âme de chacun des participants, les unissent entre eux, sur le plan horizontal du présent, et avec la nuit des temps, sur le plan vertical d'un passé qui nous met en contact avec l'origine de tout. Je trouve cela particulièrement sensible dans le chant choral russe populaire et une séance de ce genre fait oublier toute la laideur et toute l'absurdité qui nous entourent en permanence, jusque dans la salle où nous nous trouvions, avec ses "travaux manuels" de maison de la culture, poupées et peluches mièvres, tableaux nunuchons au point tapisserie. Le chant ouvrait un espace pur et sacré, très ancien, intact.
Au retour, j'ai vu l'amie et colocataire de Katia, Nadia, occupée à fabriquer des cierges dans son atelier. Quelle belle occupation... Dans cette petite cabane aux murs de bois, des icônes, et une entêtante et merveilleuse odeur de miel. Il doit être facile de prier en un tel endroit. En souvenir, elle m'a donné un bouquet de cierges dont la combustion parfume mon coin à icônes.
Sous un reportage qui décrit l'expérience du père Gleason, un déchaînement de commentaires russes d'une rare méchanceté et d'une rare bêtise qui m'ont rappelé: ceux de France Culture qui m'avaient un jour "lynchée" comme de basses tricoteuses; ceux de tous les bobos enragés après les gilets jaunes et criant "bien fait" devant les gens éborgnés et mutilés par les sbires des banquiers; et enfin ceux des "patriotes" ukrainiens colonisés par la CIA et le Mossad qui délirent de haine contre les Russes, les habitants du Donbass traités comme des peaux-rouges, ou les 80% d'orthodoxes ukrainiens qui restent fidèles à leur Eglise immémoriale, et à son pasteur, le métropolite Onuphre. Je préfère les appeler d'ailleurs Petits-Russiens qu'ukrainiens car eux, en effet, on le leur fait assez sentir, n'appartiennent pas à ce pays synthétique pourvu par Bartholomée d'une religion politique synthétique à tendance uniate déclarée: bien qu'on veuille faire d'eux des étrangers sur leur propre terre, ils en sont les fils depuis la nuit des temps, les fils fidèles et irrigués par le même Esprit depuis saint Vladimir et le baptême de la Russie dans le Dniepr. Les autres sont juste des idiots contemporains hagards, en tous points semblables aux bobos français qui haïssent leur propre peuple. Et aux commentateurs "russes" qui injurient le père Gleason d'avoir cherché refuge dans leur patrie qu'ils détestent. Il se forme dans le monde entier une plèbe indifférenciée, stupide et extrêmement méchante, parce qu'au fond consciente de sa trahison et de sa médiocrité, de sa déchéance culturelle et spirituelle totale, sur laquelle s'appuie une caste supranationale retorse et sans aucun scrupule, décidée à anéantir tout ce qui pouvait donner au peuple une cohésion, une originalité et une grandeur. Dans un pays sans passé comme l'Amérique, à la pointe de cette entreprise de perversion universelle de plus en plus dictatoriale, un Américain converti à l'orthodoxie peut décider d'aller vivre là où on peut encore faire son signe de croix en public sans avoir des problèmes. Et y trouver aussi peut-être un véritable enracinement dont on a manqué dans les pays d'occident, de plus en plus déracinés. Je suis par exemple certaine que ce chant russe archaïque concerne les petites Américaines comme il me concerne, à un niveau profond où nous avions tous le même, ce qu'on ressent dans certains chants de laboureur français ou certains chants scandinaves. Des chants qui montent, comme ceux des oiseaux ou les chœurs de loup du fin fond de la vie, de sa source et qui nous réunissent et nous recomposent.
Il faut dire que ces commentaires émanent des partisans de l'oligarque en exil Khodorokovski, un véritable vivier de crétins malfaisants.





lundi 25 février 2019

« Je pensais que la Russie, c’était un pays attardé du siècle dernier ».


 Un Américain parle de son déménagement à Moscou, de son baptême et de l’hospitalité russe.



A 18 ans, Matthew comprit qu’il voulait quitter l’Amérique.  Il n’y avait pas à cela de cause cohérente : « je ne voyais seulement pas mon avenir là bas », dit-il. Le garçon, originaire de la banlieue de New-York, a vécu et étudié aux USA, en Allemagne et en Angleterre, mais il a voulu rester en Russie après qu’il a assisté à un office dans une église de Saint-Pétersbourg. Matthew a reçu le baptême avec le nom de Matfeï et a passé les six dernières années à travailler comme traducteur et spécialiste de la publicité dans le bureau moscovite de « Yandex », il parle parfaitement le russe, et il est devenu tout à fait des nôtres. En outre, l’Américain a un hobbit très inhabituel, l’été, avec d’autres bénévoles du projet « Cause Commune », il restaure des églises de bois dans le Nord.

Je vins pour la première fois en Russie quand j’avais 24 ans. Jusque là, j’avais beaucoup de préjugés sur ce pays. Je me souviens d’une conversation avec l’un de mes meilleurs amis à New-York : il racontait quelque événement en Russie, dont il avait entendu parler dans les nouvelles, et ajouta à la fin qu’il lui serait intéressant de passer quelques temps là bas. A cela, je répondis très durement que je n’irais jamais là bas et que d’ailleurs, « c’était un pays attardé du siècle dernier, où il n’y a rien ». Et voilà déjà 6 ans que je vis ici et je comprends combien je me trompais.
Tout a commencé avec une invitation de mon ami russe de Saint-Pétersbourg, avec lequel j’avais étudié en Grande-Bretagne. Ses proches m’accueillirent comme je n’avais jamais reçu personne, même certains de mes parents ne m’ont jamais traité ainsi. On m’emmenait au théâtre, on me montrait la ville. L’un des premiers jours, nous sommes entrés, mon ami et moi, dans la cathédrale de Kazan par hasard au moment d’un office. A ce moment-là, je ne savais pratiquement rien de l’orthodoxie. J’en avais les représentations de probablement la majorité des Américains, un catholicisme sans le pape de Rome. Et avec des icônes. J’ai tout de suite compris que les icônes ont ici une signification particulière. Nous regardions l’église quand soudain le chœur se mit à chanter et les portes royales s’ouvrirent. Ce fut comme un choc. Je me souviens seulement qu’au bout de quelques temps, mon ami me souleva du sol où j’étais à genoux et nous sortîmes, et mon visage ruisselait de larmes. Je fus traversé d’un sentiment profond et inexplicable, je compris que je devais changer beaucoup de choses dans ma vie. Et je compris aussi qu’il me fallait vivre en Russie. J’avais l’impression que quelqu’un me disait : tu es à la maison.
Le désir conscient de me convertir à l’orthodoxie me vint à Kiev, où j’étais parti, si étrange que cela paraisse, pour apprendre le russe, c’était là-bas beaucoup moins cher. Après les cours, j’entrais dans la cathédrale de Vladimir (je ne savais pas alors qu’elle appartenait aux schismatiques), mais pas aux offices, seulement pour prier à ma façon. Je regardais les icônes, les fresques qu’avaient faites Vasnetsov et Nesterov, et leur incroyable profondeur m’impressionnait. Mais une fois, je tombai dans la cathédrale pendant un office. C’était quelque fête, mais il y avait très peu de monde. On me dit que c’était le « patriarche » lui-même qui officiait. Je m’étonnai : le patriarche, quand même, et si peu de monde…Du reste, une de mes enseignantes m’expliqua bientôt tout et me conseilla d’aller à la Laure des Grottes de Kiev.
Je me suis fait baptiser à Moscou, à l’église de l’icône de la Mère de Dieu de Tikhvin a Alexeïevsk. En fait, quand on passe du protestantisme à l’orthodoxie, on ne rebaptise pas, mais j’étais un cas particulier. Je ne peux pas dire que ma vie a immédiatement changé, pendant trois ou quatre mois, j’ai disparu de l’église. Ensuite, j’ai commencé à y aller petit à petit, à me confesser, mais je le faisais, me semble-t-il, superficiellement. C’est seulement au bout de trois ans que j’ai compris que si je m’étais fait baptiser, alors je devais changer ma vie en conséquence, l’admettre fut difficile. Pour tout dire, avec le sacrement du Repentir, tout devient beaucoup plus profond et grave, mais en même temps pénible. Je dus me « briser » moi-même, dire et apprendre la vérité sur moi-même.
Le père Alexis, qui m’a baptisé, dirige le projet « Cause commune », dont les participants restaurent les églises en bois du Nord Russe. Mais il me fallut (c’en est même ridicule), quatre années entières pour me décider à y aller. Jusque là je n’avais pas été capable de voir en cela de sens spirituel, je pensais que c’était une sorte de projet de construction. Mais le premier voyage me changea  fortement. Je compris que ce n’était pas nous qui sauvions les églises, mais les églises qui nous sauvaient. En travaillant à la restauration de ces objets sacrés, nous travaillons sur notre propre âme. Nous abandonnons toute la vanité qui nous empêche de nous concentrer sur ce qui est important.
L’année dernière, dans notre groupe, il y avait 18 personnes qui, dans la vie ordinaire, ne se rencontrent jamais : un business coach, un psychologue, un médecin, un opérateur de la chaîne NTV, un employé d’un hospice pour enfants, un fabricant de savon et de tresses dread locks et moi qui suis traducteur et annonceur. C’est très inhabituel. Parallèlement au travail, nous lisions chaque jour évangile, parlions de ce que nous avions lu, organisions notre quotidien rudimentaire.  J’avais l’impression que nous vivions presque au paradis, en ce sens que nous n’avions aucun souci quotidien, bien que nous travaillions beaucoup et péniblement. Par exemple, il fallait traîner depuis le lac des planches de six mètres sur la colline. Et cela toute la journée.
Pendant que nous travaillions venaient chaque jour des invités. L’église se trouve dans la forêt, loin de la civilisation, mais à côté du lac Onéga, un endroit connu pour la pêche. En fait, en Russie, on peut rencontrer des gens là où l’on s’y attend le moins, c’est mon observation personnelle. Les gens entendaient le bruit des travaux, voyaient un nouveau toit et comprenaient qu’il se passait quelque chose ici. Un jour, on arriva en barque et on nous demanda où il y avait un magasin. Nous étions très surpris : où donc en trouver un dans ce bout du monde ? Les pêcheurs étaient sûrs que si l’église ressuscitait, il devait obligatoirement y avoir un magasin à côté.  Et une autre fois, on nous apporta simplement du poisson frais, en remerciement de ce que nous faisions.
Ce qui m’a le plus étonné chez les Russes, c’est leur bienveillance envers les étrangers. Je pensais que je viendrais ici et que tous me « chercheraient des crosses ». Et il advint que tous voulaient avoir des relations avec moi, et qu’ils parlassent ou non l’anglais n’avait pas d’importance. Tout de même, les russes ce sont des gens qui sont prêts à considérer l’étranger comme l’un des leurs. Il m’est un jour arrivé quelque chose d’amusant : à New-York, quand j’étais en visite chez mes proches, un juif russophone s’approcha de moi et demanda : « Tu es de l’Union (soviétique) ? » Il ne pouvait absolument pas savoir que je parlais russe et vivait en Russie. Je ne comprends pas comment il a tiré ces conclusions sur ma seule apparence extérieure. Je lui répondis que j’étais d’ici et que j’étais né à quarante minutes d’ici. Mais il ne m’a pas cru.

Propos recueillis par Kirill Baglaï
Traduction Laurence Guillon pour Thomas


nuages sur l'Onega, photo Mathew Kasserley

Le métropolite Onuphre a expliqué la parabole du fils prodigue





Le jeûne et la prière sont les deux ailes à l’aide desquelles l’homme s’envole vers Dieu. C’est ce qu’a dit sa Béatitude, le métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine Onuphre dans son homélie d’hier pendant la liturgie dans la cathédrale du Saint-Esprit à Tchernovtsi.
Le primat a interprété la signification de la parabole évangélique du fils prodigue (Luc 15 :11-32) qu’on avait lue à l’office.
« Le fils prodigue, c’est l’image du pécheur qui s’éloigne de la maison paternelle et dépense tous les talents que Dieu donne à l’homme pour qu’il en fasse bon usage. Mais ensuite, l’âme et le corps brisé, l’homme prend conscience de tout cela et retourne à la maison paternelle » a dit sa Béatitude Onuphre.
Selon ses paroles, dans cette parabole, le pécheur se souvient de la miséricorde de Dieu, de la valeur de ces dons spirituels que Dieu possède et qu’Il est prêt à donner à chacun, et il prend la bonne décision.
« Dans cette histoire du fils prodigue, la décision est très importante : quand nous nous éloignons de Dieu, nous prenons conscience que nous ne nous sentons pas bien, nous souffrons alors il faut revenir vers Lui », a dit le primat.
Cependant, souvent, « ce « il faut » reste seulement « il faut », l’homme ne se lève pas et ne fait pas le pas vers Lui ». « Mais le fils prodigue a fait preuve de décision : il s’est levé, et il est parti », a-t-il poursuivi.
« Nous sommes tous des fils prodigues dans une certaine mesure : les uns s’éloignent plus de Dieu, les autres moins. Ensuite nous revenons, et nous éloignons à nouveau… Et notre retour à la maison du Père se fait par le jeûne et la prière » a dit sa Béatitude Onuphre.
D’après lui, le jeûne et la prière sont les ailes avec lesquels l’homme s’envole vers Dieu, s’arrachant à tout ce qui est terrestre et pécheur. « C’est justement pour cela que la Sainte Eglise nous rappelle le fils prodigue avant le grand Carême », a expliqué le primat.
Le Seigneur est à ce point miséricordieux que celui qui n’a fait qu’un seul pas ressent déjà la joie et la consolation, car alors commence à agir la grâce du Saint Esprit. Elle aide l’homme à aller de l’avant et lui donne une sensation de joie et de paix.
Plus loin le Seigneur vient Lui-même à la rencontre de l’homme et, « comme un anneau au doigt », lui rend tout ce qu’il a reçu de Dieu à sa création et le fait noble, fort, intelligent.
« Que le Seigneur nous aide, chers frères et sœurs, pendant le Saint et Grand Carême, à faire nos pas vers Lui, à jeûner, prier, nous purifier du péché et à rétablir en nous l’harmonie divine, que Dieu  a donnée à chacun. Quand cette harmonie se restaure, nous nous rapprochons de Dieu, nous nous faisons pareils à Lui, nous devenons capables de faire la place en nous à la grâce divine qui nous rend heureux en cette vie et nous donne le salut dans les cieux en Jésus Christ, notre Seigneur » a souhaité sa Béatitude, le métropolite Onuphre.

trad. Laurence Guillon pour "Thomas Ukraine"


La ferveur de l'assemblée est impressionnante...

samedi 23 février 2019

Petits visiteurs

J'ai testé hier mon divan en rotin: idéal pour faire la sieste quand on ne peut profiter d'un hamac dans le jardin. Sa structure légèrement incurvée soutient le corps, relève les jambes et la tête, et j'y tiens toute entière à l'aise, puisqu'il fait 1.70 m et moi 1.65. Les chats se bousculent pour l'occuper, évidemment.
Je suis retournée à la source de sainte Barbara,  mais je n'aurais pu remplir mes bouteilles sans l'aide d'un jeune homme présent, car le trou est profond, les abords en sont complètement verglacés et j'ai du mal à me mettre à genoux, et surtout à me relever quand j'y suis. Heureusement, les Russes sont serviables. Rita faisait fondre tout le monde par ses gambades et ses jappements dans la neige scintillante. Il régnait près de cette source, dans cette forêt de bouleaux et de pins, une paix radieuse. Hier, nous avons fait un tour ensemble, vers le lac, mais sous la poudreuse, le chemin était extrêmement glissant, et nous ne sommes pas allées bien loin. Le vent était froid et déchaîné, il me sifflait aux oreilles, le soleil vif et tiède, et l'azur du ciel semblait dévorer la neige, en laissant de côté les ossements bruns des buissons et des arbres. Je n'arrive pas à définir ce que m'inspirent ici des jours pareils, ce qu'ils ont de mystérieux, de mystique, d'étrange, malgré la banalité des "cottages" et autres déplorables structures contemporaines mal fichues, c'est quelque chose qui me rappelle les Solovki, un sentiment de bout du monde, de bout de la vie, comme si l'environnement me dévoilait tout à coup une secrète lumière interne à travers celle du printemps approchant, comme s'il devenait transparent, éternel, grandiose, et d'une insondable profondeur.
Plein d'oiseaux se bousculent dans mon poirier, et viennent ces merveilles roses qui, je crois, sont des bouvreuils.
Au loin la France est rongée de l'intérieur par les gnomes qui s'en sont emparé, et se mobilise un peu tard. C'est bien souvent en pleurant que je prie pour les vivants qui sont restés là bas, et pour les morts qui n'auraient pas voulu voir ça et n'auraient d'ailleurs pas imaginé que ce fût possible. Un ami facebook, après des allées et venues, est revenu s'installer définitivement en Tchouvachie. Il avait un permis de séjour permanent, et se demandait s'il serait toujours valable. Oui, bonne surprise, mais du coup, on lui demandait 5000 euros de taxes sur sa vieille voiture pour le laisser passer la frontière. S'il était venu en touriste, ce n'aurait pas été le cas, mais là, c'était à prendre ou à laisser. Il a vendu sa voiture en Lituanie et distribué sur place les affaires qu'il avait emportées, puis il a pris le train. Le voilà au fin fond de la Russie pour toujours, débarrassé comme moi de tout le superflu!
Il m'a donné toutes sortes de renseignements sur les poules. Finalement, ce serait peut-être envisageable, il y a des systèmes de distribution de nourriture qui permettent de les laisser quelques  jours, et l'hiver, l'important est qu'elles soient à l'abri du vent, et qu'elles puissent se percher. Les poules, et même les chèvres, font partie de son projet de vie.







mercredi 20 février 2019

Je reste avec l'Eglise persécutée, mais véritable. Et cela me rend heureux



16 octobre 2018, 15:58 25418 8
par sa Béatitude, le métropolite Onuphre
Je suis pécheur Mais l'ampleur du péché du synode de Constantinople me fait simplement peur.
«Eh bien, pourquoi, après tout, argumenter? Quelle importance, l’Eglise ou le patriarcat ? C’était celui de Moscou, maintenant, celui de Constantinople, ensuite ce sera celui de Kiev".
 La question n'est pas vaine. Pourquoi dans l’absolu prendre la parole pour ou contre quelque chose ? Tant de gens sont surpris aussi par saint Jean le Baptiste.
S’il était seulement resté au Jourdain. S’il avait prêché, fait l'anachorète, baptisé ... Qu'est-ce qu'il  lui a pris d’aller dénoncer le roi? Pourquoi s’est-il mêlé de politique?
Mais le fait est que là où la politique empiétait sur des questions morales, une personne aussi influente que Jean-Baptiste n'avait pas le droit de garder le silence.
Après tout, le roi Antipas était le chef d’un peuple religieux, il était à la tête du peuple élu de Dieu et servait, qu'il le voulût ou non, d’exemple à ceux que le saint appelait au repentir. Toute action du roi devenait une tentation difficile ou un exemple élevé pouvant inspirer des exploits.La voix de la conscience devait se faire entendre!
Le crime commis par le roi contre les mœurs, la morale a forcé le Précurseur à élever la voix 
Et il a fini en prison.
Le roi profite de la proximité de la présence du juste pour mener de longues conversations avec lui. Elles auraient pu provoquer un changement dans la vie d'Hérode Antipas, s’il n’y avait eu la danse perverse de la jeune fille, sa nièce, au cours d’une beuverie et d’une bacchanale devant ses invités...
Alors, est-ce que cela valait la peine pour Jean le Précurseur de dénoncer le roi, cela valait-il la peine, comme on le dit maintenant en argot, de « s’inscrire » quand Hérode avait tort, quand il péchait personnellement ?
Pourquoi n'avons-nous maintenant pas le droit de garder le silence sur le péché du patriarche de Constantinople contre l'Église du Christ? Pourquoi s'attacher à des principes jusqu'à la persécution?
Ne serait-il pas vraiment plus facile de fermer les yeux et d’accepter qu’on pût également faire son salut avec le patriarche de Constantinople? Ce qui est important, c’est l’amour!
On peut tomber d'accord sur tout. Mais le problème est que, selon les mots de l'apôtre Paul, l'amour n'est "pas déréglé". Et si ce dérèglement nous est imposé sous les dehors de l'amour, c'est le crime absolu! Contre l'Amour même!
Pendant des siècles, l'église a élaboré des canons, pour préserver le fonctionnement de la vie de l’organisme ecclésial selon ses normes et son ordre. Et une seule violation du canon quand elle procède  de n’importe quel chrétien nous est douloureuse. Mais la blessure est particulièrement mortelle  lorsque c’est un primat de l'Église qui l’inflige et que favorisent ce brigandage ceux qui sont appelés à respecter l'Église, les hiérarques!
Le pouvoir, la richesse et la politique détruisent le christianisme chez quiconque s'enlise dans  cette boue. Le patriarcat de Constantinople est maintenant tombé. Et être avec lui, c'est partager son crime contre l'Église et l'Amour.
Je ne peux pas admettre cela. Je suis un pécheur. Mais l'ampleur du péché du synode de Constantinople me fait simplement peur.
À partir de là, je reste avec l’Église qui est persécutée, mais à la bonne place, celle de l’Eglise véritable. Et cela me rend heureux.
Parce que dans cette Eglise demeurent seulement ceux qui sont fidèles au Christ. Et c’est avec vénération que je contemple les saints hiérarques et les prêtres, les laïcs de l'Église orthodoxe ukrainienne actuelle, qui, par leur loyauté, créent la plénitude de la sainteté. Et je les supplie de ne pas me rejeter, moi pécheur
traduction moniale Elizabeth et Laurence Guillon



L'apocalypse est pour demain.

Ce matin à l'aube, j'étais devant le service d'immigration: personne, même pas le type qui note sur un papier l'ordre d'arrivée des gens, parce que le distributeur de tickets de queue est détraqué depuis la nuit des temps. Je suis passée première. Ma sévère fonctionnaire m'a dit d'un ton réprobateur: "Où sont les photocopies de votre INN, de votre avis d'imposition et de votre avis de départ à la retraite?" J'ai dû partir les faire en catastrophe, ainsi que celle de mon passeport, pour le remboursement des droits que j'ai payés deux fois, ce qui me sera rendu dans un délai d'un mois. Je sentais, avec angoisse et exaltation, qu'elle allait recevoir mon dossier. Au retour, toujours personne devant son bureau, et non seulement elle a pris le dossier, mais il manquait la photocopie de mon enregistrement, et elle est allée la faire elle-même, au lieu de me réexpédier dans le centre. Si à Yaroslavl personne ne tique devant Pereïaslavl Zalesski au lieu de Pereslavl Zalesski, cela devrait être bon. Si le dossier est refusé, je le saurai tout de suite, s'il est accepté, il me faudra attendre six mois, mais je ne suis pas pressée, mon permis actuel dure encore deux ans.
Mon soulagement immense m'a laissée un peu hagarde, je suis allée faire des courses dans le brouillard. Nadia, la femme qui vend dans une boutique du centre commercial Magnit et m'avait présenté les deux moines rencontrés avec Henri, m'avait appelée et donné rendez-vous là-bas. Elle est venue prendre le thé chez moi et m'a raconté toutes sortes d'histoires épouvantables sur le destin du père Tikhon et du père Yevgueni. Elle les a quasiment recueillis. Le père Yevgueni s'est fait voler son appartement à Moscou par des mafieux, en principe, il devrait être admis dans un monastère là-bas. Mais le père Tikhon ne trouve de place nulle part, et elle vend tout ce qu'elle a pour trouver une maison à la campagne, où elle pourrait survivre en autarcie avec ses deux moines. Le père Tikhon nous a rejointes plus tard, il venait la chercher pour aller voir quelque chose à 15 km de la ville. "Faites remplacer votre cheminée par un poêle, me dit-il. Faites-vous un potager. Tout va s'arrêter, tout va s'écrouler, c'est la fin. Ce n'est déjà plus la peine de changer d'endroit. Débrouillez-vous avec ce que vous avez, vous avez de la place, ici, pour planter." Et avisant le divan en rotin que je venais de recevoir, et les codes barres sur les étiquettes: "Vous avez de l'eau bénite? Aspergez votre divan trois fois en disant des prières, ces codes sont maudits. N'acceptez jamais de vous faire pucer, et jetez vos cartes, tout cela est maudit. Ils cherchent à nous asservir. Les temps à venir vont être très durs. Ils ont déclaré la guerre à l'orthodoxie"
Après cela, j'étais un peu perturbée quand même, il m'a conseillé de prendre des infusions d'une plante qui enlève le stress.
Le divan est bien, je regrette beaucoup de ne pas l'avoir commandé pour la venue de Martine. Je pense que c'est l'objet idéal pour faire la sieste en hiver quand je m'endors sur mon ordinateur.


je regrette de ne pas avoir pris un ton de bois plus foncé. Le tapis, c'est pour protéger
le coussin des chats....

mardi 19 février 2019

Pereïaslavl....

Ma soeur est partie, et voilà que revient un temps magnifique. -9 ce matin, un froid vif et venteux, mais le soleil chauffe et sur un noisetier, j'ai vu des chatons apparaître.
J'ai dû aller payer à nouveau les droits pour mon permis de séjour, afin de pouvoir corriger la faute sur la quittance qui paraît insupportable à la fonctionnaire du service d'immigration "Madlen" au lieu de "Madelen". Et ensuite, il faudra faire une déclaration auprès des services d'immigration afin qu'on me rembourse les droits que j'avais payés une première fois. Puis je suis passée chez la juriste qui m'a expliqué qu'elle était comme ça, qu'elle chipotait sur tout et ne comprenait pas que dans les autres pays, les choses pussent se passer autrement que dans le sien. J'avais retiré hier à 18h 30, avant de reprendre épuisée la route de Pereslavl, la traduction assermentée de mon avis d'imposition, parce que dessus, il y a tous mes revenus annuels de 2018, plus les impôts qu'on me retire, et surtout mon adresse en Russie. Mais voilà-t-il pas que l'imbécile de traducteur a écrit "Pereïaslavl Zalesski" au lieu de "Pereslavl Zalesski", et comme j'étais pressée de rentrer, je n'ai pas pensé à vérifier. Il est limpide à toute personne de bonne foi que c'est de Pereslavl Zalesski qu'il s'agit, et c'est bien ainsi que c'est écrit sur l'original français. Mais comme j'ai visiblement affaire à une emmerdeuse, il se peut que je sois obligée, après avoir fait la queue dès l'aube, de repartir en catastrophe à Moscou faire corriger cela. Car la semaine prochaine, mes certificats médicaux seront périmés.
J'ai été contactée hier par une productrice de télévision qui m'a envoyé des journalistes, afin de faire sur moi un petit "sujet". Ces journalistes étaient bien gentils, mais je n'aime pas trop ce genre de choses, car ils ont une idée très précise de leur "sujet" qui ne cadre généralement pas avec ce que je suis et il me faudrait m'adapter à leur conception. Chanter par exemple une rengaine russe éculée et factice plutôt que les vers spirituels que je connais. Ou bien parler de mes préférences culinaires. Ils voulaient me filmer près du lac et je les ai emmenés à l'église des Quarante Martyrs, mais j'ai bêtement oublié mon appareil photo. C'était si beau, là bas, une belle croix de glace, vestige de la Théophanie, brillait sur la rivière Troubej, le lac déployait une surface blanche et chatoyante sous des nuages bleu foncé, et le vent vif et violent déferlait au travers du soleil. Je ressentais quelque chose de mystérieux que je ne trouve qu'ici, et que je ne sais même pas comment exprimer, une sorte de paix sévère et lumineuse, infiniment profonde.

lundi 18 février 2019

Retour au pays de ma visiteuse


J’ai accompagné hier Martine à l’aéroport avec un sentiment de tristesse, d’abandon, d’appréhension également, car les gens au pouvoir chez nous sont épouvantables, je vois arriver un avenir de cauchemar et ne sais même pas si la Russie l’évitera.
Elle a beaucoup plu à tout le monde par sa sincérité chaleureuse.
Avec le père Valentin, nous avons évoqué la situation générale. Il m’a demandé quelle était la différence entre mai 68 et les gilets jaunes : « Mai 68, c’étaient des étudiants trotskistes, maoïstes, et en gros, tous ceux qui sont au pouvoir maintenant et qui éborgnent et mutilent les gilets jaunes, lesquels travaillent souvent dur, mais ne peuvent plus vivre, et manifestent le week-end, parce qu’en semaine ils n’en ont pas le loisir. De plus 68 était sûrement une révolution colorée dirigée contre de Gaule qui gênait les Américains, l’OTAN et le projet européen. »
Comme j’ajoutais que je voudrais voir toute cette chienlit soixant- huitarde, les banquiers transnationaux mafieux  qu’elle sert et les idéologues transhumanistes, pendus haut et court, il a protesté qu’en tant que prêtre il ne pouvait participer à cela, mais qu’il pouvait du moins bénir de loin ! "Père Valentin, et si demain je vous confesse que les malades et les cyniques au pouvoir partout m'inspirent des sentiments peu chrétiens, qu'allez-vous  me dire?" Il m'a répondu en riant: "Eh bien... tout le monde est pécheur, je vous donnerai l'absolution!" Puis, à l’évocation des intrigues de Bartholomée et du métropolite Emmanuel, il s’est transformé en professeur Tryphon Tournesol furieux dans Objectif Lune. Au point que ma chienne s’est mise à grogner sur mes genoux. «Toi, lui dit-il alors, je ne t’ai rien demandé !
- Mais père, ne la grondez pas : elle vous approuve ! »
Il est parti d’un grand éclat de rire.
Il y avait ce matin, dans l’église, une morte qui attendait dans son cercueil la célébration de ses funérailles, après la liturgie.  Une vieille, la tête ceinte d’un bandeau orné d’icônes. Elle était terriblement inerte, mais elle avait un visage très paisible.
Avec Martine, j'ai fait, la veille de son départ, un tour sur la place Rouge. Les Russes laissent les décorations du jour de l'an jusqu'à la fin de l'hiver, car elles compensent l'absence de lumière. Nous avons visité l’église saint Basile le Bienheureux. Dans une des douze églises qui la composent, on diffuse en permanence de la musique liturgique de l’époque, très sévère, captivante, mais aucune des gardiennes ou vendeuses de souvenirs affreux n’est capable de me dire d’où elle sort et où l’on peut se procurer le disque. J’envisageais déjà d’écrire au conservateur, mais le père Valentin pense qu’il s’agit de l’ensemble d’un certain Yourlov, et me suggère d’explorer cette piste.
Ensuite, j’ai revu avec Martine le palais des boyards  Romanov, celui où vivait Nikita Romanovitch Zakharine, leur ancêtre,  qui apparaît dans mon livre Yarilo. C’est là qu’il recueille la famille de Fédia, puis Fédia lui-même. Cet endroit féerique est resté « dans son jus », et dans un état de conservation surprenant.  Les appartements des hommes, sombres et très intimes, avec leurs voûtes peintes, leurs petites pièces aux fenêtres de mica, leurs murs tendus de tissu précieux ou de cuir damasquiné et doré, leurs poêles de céramique, leurs meubles, leurs armes, les caves de pierre du XV° siècle. Et l’appartement des femmes, tout en haut, en bois, et très clairs, avec les bancs recouverts de tapis, les métiers à tisser et les quenouilles, une petite chaise et des jouets d’enfants, des coffres peints, du velours de Turquie découpé mais pas encore assemblé, pour confectionner un précieux caftan d’homme, car tout était réalisé en famille. Les garçons, à partir de six ans, avaient les cheveux coupés et passaient dans la partie masculine de la maison, où l’on entreprenait leur éducation de futur guerrier au service du tsar. Les filles confectionnaient les éléments de leur dot, pour leur mariage à venir. On mariait garçons et filles généralement à l’adolescence.  Car il n‘était pas question de courir le guilledou, même si les garçons le faisaient parfois, avec des paysannes ou des filles légères aux bains de vapeur.  Et il n’y avait pas officiellement de prostitution, juste des filles entretenues, parfois, par un seigneur mal marié. Ce joli palais parle d’une vie patriarcale vertueuse et sévère, où chacun est au service des autres, ou responsable des autres, et à chacun son devoir, sa fonction, sa place sacrée, sa croix.  Une vie simple, malgré le caractère très ornementé du décor, et des vêtements, dans une maison de proportions assez modestes, par rapport aux demeures seigneuriales européennes. Une vie contraignante, certainement adoucie (ou parfois compliquée) par une grande solidarité de clan, et beaucoup d’activités créatives et manuelles, chants, danses, contes, confections d’objets ou de vêtements, décors…
Un peu plus loin s’est conservé le palais des Anglais, construit pour l’ambassade anglaise qui fit suite au naufrage du bateau de Chancelor près de l’actuelle Arkhanguelsk. C’est devant ce palais que Fédia rencontre, dans mon livre, l’artiste anglais Arthur.




intérieur du palais, photo de Martine

intérieur du palais, photo de Martine

intérieur du palais, photo de Martine

intérieur du palais, photo de Martine








jeudi 14 février 2019

le secours de saint Serge

Nous aurions dû partir pour Moscou aujourd'hui, mais je dois aller donner mon dossier pour le permis permanent au service d'immigration demain matin. J'espère que nous aurons le temps, Martine et moi, de visiter au moins la place Rouge.
Pour son dernier jour à Pereslavl, il a fait tout à coup très beau, un soleil radieux. Nous sommes allées à Serguiev Possad voir la laure de la Trinité saint Serge, avec ses coupoles d'or qui brillaient d'un éclat surnaturel dans la lumière. C'était, mises à part les hordes de Chinois, le conte de fées russe tant attendu. Le ciel d'azur sur la neige étincelante, les architectures blanches et colorées que semblait irradier un doux feu intérieur. Ce désagréable sentiment d'angoisse et de tristesse qui me poursuit depuis plusieurs jours ne me quittait pourtant pas. J'ai entraîné Martine dans la plus belle et la plus ancienne église, celle où repose saint Serge. Trois femmes chantaient admirablement l'acathiste au saint, tandis qu'un moine lisait distinctement et avec ferveur. Une vieille à genoux pleurait. Je me suis approchée de la châsse, et de sa guirlande de lampes à huile suspendues multicolores, j'avais moi-même envie de pleurer et suppliait saint Serge de venir en aide à l'Orthodoxie, à la sainte Russie et à moi qui suis venue vivre ici, et de me délivrer de cette affreuse angoisse. Puis je me suis inclinée pour vénérer ses reliques. L'angoisse m'a quittée, d'un seul coup.
Dans une boutique de bondieuseries, j'ai acheté des disques religieux, un joli vase et des cierges qui sentent merveilleusement le miel. Martine m'a dit: "C'est la première fois que je vois des choses qu'on peut avoir envie d'acheter".
Sa visite à l'église l'avait profondément émue, bien qu'elle ne se fût pas approchée de la châsse, parce que "c'eût été un blasphème".
Au retour, nous sommes retournées déjeuner au café français, où nous avons vu le pâtissier Didier et le gentil Maxime, avec lesquels nous avons discuté et plaisanté comme avec de vrais Français typiques...
Puis comme il faisait très beau, et que la neige avait nappé la glace, nous avons suivi le bord de la rivière, et enfin pu apprécier ce qu'il reste de pittoresque à Pereslavl. Après cela, il ne me restait plus de courage pour les vêpres de la sainte Rencontre, et demain, la visite au service d'immigration m'empêchera d'aller à la liturgie...
Mais quand même, saint Serge m'a répondu et aidée. Et quand j'ai lu cet article de Maxime: https://orthodoxe-ordinaire.blogspot.com/2019/02/un-grossier-et-tenace-sentiment.html?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+LexiqueDunChretienOrthodoxeOrdinaire+%28LEXIQUE+D%27UN+CHRETIEN+ORTHODOXE+ORDINAIRE%29
j'ai su avec une ferme certitude intérieure que j'avais vraiment bien fait de partir. Un pays où ce genre de personnages tient le haut du pavé n'est plus fait pour moi.

la laure

la laure

la laure

la laure

Pereslavl

Pereslavl

Pereslavl


mardi 12 février 2019

La Russie idyllique

Pereslavl aujourd'hui

Je ne sais pas pourquoi, je traîne un sentiment d’angoisse permanent. Peut-être que j’en ai ras le bol de me battre, et je n’ai pourtant pas fini, personne ne pouvant se battre à ma place. Ces incessantes démarches, ces justificatifs à produire à chaque pas, j’ai de plus en plus de mal à faire face.
Une relation facebook d’origine russe, certainement homme d’affaires et pro Poutine, me reproche, après avoir voulu partir vers LA Russie idyllique, et critiqué l’occident de toutes les manières, de la dénigrer de la façon la plus acerbe. Mais outre que je n’ai jamais considéré la Russie comme un pays idyllique, ni d’ailleurs le mien comme terriblement mauvais, je ne peux quand même pas tirer un rideau pudique sur tout ce qui me dérange pour ne pas « désespérer Billancourt ». De nombreux partisans de Poutine estiment que l’on ne peut émettre la moindre critique à l’endroit de la Russie, il ne faut dire que des choses positives, c’est-à-dire mentir autant que ceux qui n’en disent que du mal, seulement dans l’autre sens.
Cet homme me demande où je vais bien pouvoir aller si la Russie me déplaît autant que le reste. Mais nulle part, à moins qu’on me fiche dehors. En Russie, je me sens à l’étranger, un étranger que j’aime, malgré toutes les critiques que je peux émettre, et d’ailleurs, si je l’aimais pas, je n’aurais pas de critiques à formuler, je dirais que c’est globalement un pays de merde et je rentrerais en France. Et en France, je ne me sens plus chez moi, parce que le pays ne nous appartient plus, il nous est pris, pour le donner à d’autres, et puis, je n’y ai plus d’enracinement spirituel, ou plutôt, j’ai trouvé mon enracinement spirituel ailleurs, même si d’une certaine façon, je le retrouvais à Solan.
Je m’interroge sur ce qui me lie à la Russie, et cela me ramène à ce que m’a dit Olga de mon livre : il est écrit avec votre inconscient. En réalité, si je suis génétiquement et culturellement française, mon inconscient a reconnu en Russie, dès le premier livre russe que j’ai lu, quelque chose qui lui appartenait profondément ou, plus exactement, à qui il appartenait. Et quand j’ai découvert l’histoire d’Ivan le Terrible, le film inspiré par le personnage, ce phénomène n’a fait que s’accentuer : j’appartenais au tsar, à son pays, à la Russie médiévale par quelque chose d’incontrôlable, d’inexplicable, de très profond, d’inconscient. Un attachement de cet ordre va au-delà de toute explication rationnelle et meut une âme et une vie avec  la force d’un torrent ou d’une tempête en mer.
J’ai éprouvé le même sentiment de reconnaissance envers Dostoïevski, l’écrivain qui m’a le plus marquée. J’étais subjuguée par ses romans et ses personnages. Et le folklore russe m’a également profondément envoûtée, plus qu’aucun autre.
Evidemment, tout cela n’a absolument rien à voir avec l’Union Soviétique, si quelque chose de soviétique m’émeut, c’est par ce que cela conserve de russe, par miracle et par assimilation. L’Union soviétique est l’antithèse assumée, revendiquée de la Russie, bien qu’à certains égards la Russie ait réussi à l’assimiler partiellement, comme le démontre Panarine.
Ma terreur est qu’après avoir détruit la France, dans une large mesure, la modernité n’achève la Russie, donc tout ce qui ici défigure la Russie, l’insulte ou la caricature, volontairement ou non, me rend malade, et c’est mon incapacité à rester indifférente aux traces des désastres passés et aux prémisses des désastres ultérieurs éventuels qui me fait réagir avec douleur et amertume.
Je pense quelquefois à l’écrivain André Makine qui a fait la démarche inverse de la mienne, il est parti vers la France. D’après les échos que j’en ai, il souffre de ce qu’il voit : une France qui se délite, qui se renie, qui n’est plus elle-même… Lequel de nous d’eux est le plus certain d’en prendre plein la gueule ?
Moi, je retrouve la Russie en beaucoup de gens, ici, à dose plus ou moins concentrée. Pour l’instant, la Russie est encore vivante, et l’orthodoxie est en phase avec elle. Le catholicisme est-il en phase avec la France ? Moi, je ne suis plus en phase avec le catholicisme, je crois ne l’avoir jamais été, et même, dans l’orthodoxie, j’ai retrouvé dès mon adolescence, quelque chose de mon être profond, quasiment de mon être collectif, de cette partie de mon être qui débouche sur tous les autres êtres, en passant d’ailleurs aussi par le paganisme. Même pour retrouver l’esprit de l’art roman, je passe par l’orthodoxie. Je ne sais pas si Makine est croyant, orthodoxe ou catholique…
J’écrirai sans doute ultérieurement sur la France, sans oublier la Russie, mais mes deux livres sur le tsar sont la carte, la trace de la démarche inconsciente qu’a fait mon âme dans sa quête d’elle-même et de Dieu. Et aussi l’écho de voix qui ne sont pas les miennes, mais qui ont résonné en moi, parce que tout au fond de moi, je leur donnais la parole, je devenais un orgue, un orgue universel, et ce n’est pas moi qui en jouais. Il se servait de moi pour vibrer.
J’ai essayé d’aller me promener avec Martine, mais la neige est devenue croûte de glace savonneuse et grisâtre, il n’y a pas de lumière, il fait juste 0°, mais un vent mauvais et glacial. En janvier, c’était le conte de Noël, maintenant, c’est l’Angleterre au XIX° siècle… Dickens.
Il vaut quand même mieux visiter la Russie l’été. C’est plus simple.

lundi 11 février 2019

Souzdal

Au mois de janvier, je me répétais sans arrêt: pourvu qu'il fasse aussi beau quand ma soeur viendra. Eh bien c'est raté.
Ce matin, j'ai décidé d'aller avec elle à Souzdal, histoire de voir enfin quelque chose d'harmonieux et d'homogène. Nous sommes parties par un temps gris, brumeux, en direction  de Iouriev Polski. La route était quasiment déserte, bordée de forêts givrées et de villages frileux. On ne voyait pas grand chose. Et nous n'allions pas vite.
Iouriev Polski est une ville restée assez intacte, avec son beau monastère central, mais il ne semble pas s'y passer grand chose et y trouver un café relève de la gageure, or comme je n'avais pas vu de station d'essence depuis Pereslavl, j'avais besoin d'une pause pipi urgente...
40 km plus loin, nous avons tourné vers Souzdal et fait encore 25 km dans un paysage fantomatique, avant d'arriver dans cette ville ravissante. Je sais qu'elle a subi aussi ses destructions soviétiques, et elle n'est pas exempte de "cottages" regrettables, l'Eglise elle-même a commis une espèce de pâtisserie rose fuschia qui est peut-être une hôtellerie pour les pèlerins... Mais la ville garde encore beaucoup de merveilles et n'a pas perdu sa structure générale d'origine, le long de la rivière et de ses escarpements. C'était un tel bonheur de voir cela. Naturellement, nous n'avons pas visité grand chose, nous avions peu de temps, il faudrait dormir sur place, car par un hiver de ce genre, on met des heures à progresser sur le verglas, et l'on se refroidit et se fatigue vite. Et puis c'est très riche, il y a plusieurs monastères très anciens, le kremlin, partout des églises, si originales, avec leurs clochers colorés, et d'anciennes maisons intactes aux fenêtres sculptées, des galeries marchandes du XIX° siècle, tout cela a survécu. "Par quel miracle? me demande Martine.
- Je ne sais pas. Je pourrais te dire que c'est une ville de l'anneau d'or, la vitrine touristique soviétique, mais Pereslavl aussi, et on l'a massacré, on l'a même déclassé pour le faire plus tranquillement. Ici, c'est très joli, mais plus à l'écart, peut-être, moins accessible, à Peresalvl il y a le lac qui permet des installations sportives, c'est sur la route principale, entre Moscou et Yaroslavl, un endroit où l'on peut faire du fric avec les vacanciers moscovites. Et peut-être que cela tient juste à la personnalité du gouverneur et des édiles. J'ai entendu dire que le gouverneur de la région de Vladimir était très bien, et ce n'est pas du tout la réputation de celui de Yaroslavl."
Dans les innombrables boutiques de souvenirs et de pseudo "artisanat populaire", nous n'avons rien trouvé à acheter. Un bric-à-brac complètement en toc; à la rigueur, si on en avait eu besoin, on aurait pu acheter des bottes de feutre et des moufles . Mais j'ai pris de l'hydromel délicieux à une bonne femme, dans la rue, elle avait un baratin de fer! Elle m'a refilé de l'hydromel aux baies d'argouses, pour les problèmes digestifs, et aux baies de canneberge, pour remonter l'immunité. Je n'en trouve pas à Pereslavl. "Du comme ça, vous n'en trouverez nulle part, m'a dit la bonne femme, il est fabriqué ici!"











dimanche 10 février 2019

Pensées crépusculaires


Il y a longtemps que nous ne nous étions pas retrouvées seules ensemble, ma soeur et moi, et nous piquons des fous-rires comme au bon vieux temps. J’ai le cœur serré de la voir repartir vers l’avenir incertain de la France. Elle trouve ce qu'elle a vu, pour l'instant, de la Russie si défiguré par les constructions anarchiques et hideuses que cela ne vaut même pas la peine de recommander aux Français de venir voir. Et elle n’a pas tort, encore pittoresque il y a 20 ans, Pereslavl Zalesski ne ressemble plus à rien. «Cela me rappelle les rues des westerns, des baraques le long d’une route défoncée » me dit Martine. Elle a été emballée par le kremlin de Rostov, et ses musées, le reste, aucun intérêt. Elle trouve même que les choses vont au delà des descriptions de mon blog!
Nous y avons vu une exposition sur le rôle de la croix dans les différentes expressions de l'art populaire: elle était partout, consacrant les moindres objets du quotidien, et le berceau des enfants, lui-même symbole, avec son contenu, de l'enfant Jésus dans la crèche...
Un correspondant facebook communiste a trouvé le moyen de me dire, à propos des destructions dans le nord russe, que « l’amour du passé n’était pas dans leur culture ». En effet, il n'est pas dans la culture soviétique, celle qui l'intéresse. Du passé faisons table rase, l'Union Soviétique s'est bâtie sur l'horreur et le dénigrement enragé du passé russe, de la sainte Russie, de la Russie fantastique, féerique, celle qui sculptait, chantait, dansait, brodait, fabriquait des merveilles depuis des siècles.  Partout où la féérie russe a disparu dans le nord, elle a fait place au goulag soviétique.  Quand on vient chercher ici l’union soviétique, on la trouve, elle est partout, on peut même ne voir que cela et décréter que l’amour du passé n’est pas dans cette culture  qui s’est bâtie en détruisant méthodiquement la culture précédente, afin que les cerveaux lavés des prolétaires habillés d’oripeaux minables et parqués dans le béton, avec leurs meubles de contreplaqué poli, ne conservent aucun souvenir, aucune allusion à autre chose qui pourrait leur laisser penser que la beauté existe encore en ce bas monde. C’est pourquoi maintenant tout est si hideux en Russie, et le nouveau mensonge, qui permet de continuer à ravager ce qui subsiste, c’est « qu’en Russie, il en a toujours été ainsi ». Comme si l’Union Soviétique n’avait pas cent ans, mais mille ans. Or il est vrai que ces cent ans de malheur ont si profondément détruit le pays qu’on pourrait penser qu’il n’a jamais existé. Et les touristes européens ne font pas le voyage pour aller voir les traces de la culture de Magadan ou de Vorkhouta, qu'elle s'exprime ou non dans les versions luxe pour ex-apparatchiks friqués…
Moi, je suis venue chercher la sainte Russie, et on la trouve encore, au milieu du désastre, beaucoup de Russes la cherchent et la veillent avec autant d'amour que moi. Quand on vit ici en sainte Russie, on voit naturellement les traces omniprésentes de l’Union Soviétique et le libéralisme qu’elle a si admirablement préparé. Mais cela ne nous concerne pas, cela nous est extérieur. Cela nous blesse, bien sûr, mais cela nous reste extérieur.
Les époques, en Russie actuelle, se bousculent, certains vivent, comme mon communiste, en Union soviétique, d'autres dans l'empire russe du XIX° siècle, d'autres en sainte Russie, dans la ville invisible de Kitej, ce qui est mon cas.
En sortant de la cathédrale, ce matin, j’ai vu qu’on avait installé trois baraques de bois qui gâchent toute la place. Mais elles permettent de vendre aux touristes venus voir les églises du centre, fortement délabrées et qu’on ne réparerait pour rien au monde, les affreux « souvenirs » pseudo russes qui iront se couvrir de poussière dans les clapiers des quartiers périphériques de Moscou.
Pendant l’office, j’avais envie de pleurer, sur mes péchés, ma faiblesse et sur le tour épouvantable que prend le monde. Evidemment, je ne comprenais rien. Je me suis rendu compte au moment du sermon qu’on avait lu l’évangile de Zacchée, qui ouvre le temps de préparation au carême,  si vite, et de façon si confuse que je n'avais saisi que deux ou trois mots. Mais j’étais quand même soulagée d’être là, car les manœuvres du Phanar sont de plus en plus inquiétantes et révoltantes. La persécution s’amplifie en Ukraine, où une équipe de mafieux à double ou triple passeport  se déchaîne contre les vrais habitants du pays, en tous points conformes à leurs dignes ancêtres de l’empire des tsars, fidèles à leur foi, à leur pasteur, et soumis aux mêmes exactions que les chrétiens orthodoxes des années 20 et 30. Parallèlement, il s’agit maintenant, pour le patriarche félon et ses patrons américains, de casser l’unité du mont Athos, et de venir à bout de cette sainte montagne qui continuait à défier l’Europe et le Nouvel Ordre Mondial dont elle est le laboratoire…
Mais beaucoup de crétins orthodoxes occidentaux ne discernent pas la manœuvre. Ils restent hypnotisés par le fantôme du KGB et répètent leurs incantations comme des disques rayés.
C’était aussi la fête des nouveaux martyrs de Russie, qui sont légions, et beaucoup n’ont pas encore été identifiés. Je pensais à leur destin terrible et au prolongement de tout cela en Ukraine, et peut être demain ailleurs, partout… que Dieu nous vienne en aide.




vendredi 8 février 2019

A la source

Ma soeur et moi, nous faisons un tourisme modéré par les péripéties de nos grippes respectives et celles de mes démarches. Après la traduction assermentée de mes papiers de retraite, payer à la Sberbank la taxe pharamineuse que les Russes prélèvent désormais sur l'importation d'un déménagement: quatre euros le kilo. Oubliez les meubles des ancêtres... Payer ce racket inique est en soi peu agréable, mais si seulement ce n'était pas assorti, par un raffinement de sadisme, de toute une paperasserie! J'avais reçu un dossier que je n'étais pas équipée pour ouvrir, un formulaire nécessaire au paiement. Je n'y comprenais rien, comme à la plupart des formulaires russes. Je l'ai fait imprimer en ville, car bien entendu mon imprimante ne voulait rien savoir. Munie du papier, je vais à la Sberbank, où je demande à ce qu'on me fasse ce paiement en bonne et due forme. On m'a tout fait, et attaché deux factures au papier fourni. Là dessus, le déménageur me réclame ce dernier papier, et pas les factures. Je pressens qu'il fallait remplir des rubriques, ce que la banque n'a pas fait, jugeant les deux factures suffisantes. Aux dernières nouvelles, il va essayer de se débrouiller avec ça. 
A partir du moment où le moindre événement de notre vie réclame de notre part des heures de lutte avec des formulaires et d'attente dans des banques et des administrations, j'estime être moins libre que le paysan du moyen âge à qui on demandait des dons en nature et qui vivait à son rythme de la nature qui l'environnait.
Nous avons fait un tour au café français, et vu le pâtissier Didier, et son patron, le gentil Maxime. Puis j'ai emmené Martine à la source de sainte Barbara, pour prendre de l'eau. C'est de l'autre côté du lac, dans un endroit forestier magique, au bout d'une route lisse et brillante, d'un blanc de porcelaine. Le but de l'opération était de voir au retour surgir les coupoles du monastère saint Nicétas par dessus les champs de neige. Nous les avons vues, mais il reste plein de barrières métalliques, bien que le hideux projet immobilier soit en principe arrêté. Les maisons déjà construites légalement ou non gâchent déjà suffisamment le paysage. La "pierre bleue" païenne, cette moraine granitique échouée sur un océan de terre, n'est pas visible et ne vaut plus le coup d'être vue. Il y a encore 20 ans, sans doute, mais où est l'atmosphère envoûtante escomptée, quand le malheureux objet est enfermé dans un ensemble de baraquements en bois pour touristes et sous un toit arrondi de plastique jaune? Que se passe-t-il dans la tête en forme de page Excell des gens qui ont organisé cela? Qu'ont-ils encore de commun avec ceux qui venaient adorer cette pierre, et qu'est-ce que les hordes de veaux venus payer pour cela peuvent encore bien y trouver?
Nous sommes entrées au monastère, rendu au moins à sa pieuse destination première et plus ou moins restauré, au moins ici, chez les moines de l'higoumène Dmitri, ce n'est pas l'argent qui commande. 
Martine ne trouve rien de commun entre l'architecture des églises russes et celle des églises françaises, et en effet, c'est bien différent. C'est un autre monde.
 Le côté hétéroclite, approximatif, mal bâti et grossier des constructions modernes lui saute aux yeux en permanence. En effet, cela saute aux yeux, nous ne vous félicitons pas, édiles de Pereslavl Zalesski. Vous avez, en 20 ans, ravagé ou laissé ravager dans votre ville tout ce que le communisme avait encore épargné. Et ce ne sont pas les installations sportives ni les divers petits musées ridicules destinés à vendre des "souvenirs" aux touristes descendus des cars qui rattraperont ce désastre aux yeux des Européens que vous prétendez imiter.






jeudi 7 février 2019

Retour en duo

la mésange tricotée pour moi par une des dames
qui gardaient mes chats

Avant de partir, j’ai emmené Rita chez le vétérinaire, pour faire le certificat de bonne santé. Je n’y étais pas revenue depuis Doggie. La charmante madame Langevin a poussé une joyeuse exclamation en voyant que j’avais un nouveau spitz, et j’ai failli éclater en sanglots. Non que je regrette d’avoir pris Rita ou ne l’aime pas, mais tout ce qui s’est passé avec mon petit chien me crève toujours le cœur.
Après je me sentais épuisée, au bord des larmes, il faisait beau, du mistral, les bourgeons ne demandaient qu’à s’épanouir, ce sera le cas dans dix ou quinze jours. Je n’arrive pas à croire à ce qui arrive à mon pays et au monde entier, bien que je l’ai toujours pressenti : cette barbarie montante à laquelle les gens sont peu préparés. Malgré la légende médiatique des gilets jaunes violents, entretenue grâce à diverses provocations de flics en civils et d’antifas, ils ne le sont pas du tout, ce sont justement pour la plupart de très braves gens. J’en ai aperçu sur le rond-point de l’autoroute à Montélimar, des travailleurs français, des gens courtois et souriants, beaucoup de femmes. Je leur ai fait des signes, et j’ai salué de même hier, sur celui de Pierrelatte, près de la 7, un vieil invalide, qui faisait le gilet jaune absolument tout seul, avec sa canne et sa chaussure orthopédique, et qui m’a crânement répondu d’un grand sourire… 

Cela me fait une drôle d'impression de retrouver la Russie, et Pereslavl, avec ma soeur. Nous n'avons pas pu visiter Moscou, nous ne sommes pas très bien et avons remis cela à plus tard. Le chaos des nouveaux quartiers traversés pour prendre la route de Yaroslavl l'a vraiment étonnée: "Ils étaient sous acide, ceux qui ont construit ça? C'est absolument n'importe quoi, complètement hétéroclite! Et les fils électriques en aérien, d'un immeuble à l'autre!""
A Pereslavl même, ce sont les tuyaux de gaz qui passent n'importe où, en aérien, également, avec des décrochements au dessus des voies pour laisser passer les camions. Elle n'en revient pas. Je dois dire qu'il y a de quoi!
Rosie n'étant plus là, la pauvre, pour faire la police, il paraît qu'un chat, pourtant gros et gras, vient s'introduire de nuit à grand tapage pour voler la bouffe des miens et les terroriser par la même occasion.