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dimanche 4 décembre 2016

Partir, c'est mourir un peu...

 Il faut 20 jours ouvrés pour faire mon invitation, ce qui risque de me bloquer en France plus d'un mois.  Je suis terrassée, et surtout par l’idée de laisser mes chats si longtemps à la discrétion de Kostia. Je repense à leur terrible voyage, à la petite patte que tendait Georgette, à travers les barreaux de sa cage, pour trouver du réconfort au contact de ma main, quand nous allions de Moscou à Pereslavl.
Les passeports sur un plateau, c'est pour les acteurs, les footballeurs mais pas pour les vieilles Françaises russifiées. Qu'elles se tapent le parcours du combattant, renvoyées comme une balle de bureau en bureau et d'un diable-vauvert à l'autre par des fonctionnaires tordus.
Je me débrouille mal parce que je deviens pathologiquement incapable de faire face à tout ce qui est bureaucratique ou administratif. Je l’ai toujours été, car je suis une femme du moyen âge ou même de la préhistoire, je suis à l’aise dans les activités normales de l’être humain et dans la dimension fabuleuse et spirituelle où il est censé se développer. Tout ce qui est lié à la modernité et à son carcan de lois et d’impératifs administratifs me plonge dans une panique atroce, je n’arrive ni à m’organiser, ni à me concentrer, je vis dans la peur permanente de perdre mes papiers ou de ne pas les établir à temps. En vieillissant, cette inaptitude et cette aversion s’accentuent. D'autant plus que je n’ai pas trop de temps devant moi pour m’occuper de l’essentiel.
Il reste à espérer que cela prendra un peu moins de temps que prévu, que c’est le délai maximum. Que l’on ne me fera pas attendre le visa. Qu’il n’y aura pas de problèmes. Je vais me sentir affreusement fragile et angoissée tout le temps que va durer cette parenthèse.
Je suis allée à la paroisse de Kostia, celle du père André qui a travaillé ici. Tout le narthex est tapissé de marbre noir dans lequel sont gravés les noms des enfants du pays morts pendant la guerre: il y en plus de 12 000, ce qui me paraît indiquer une hécatombe supérieure à celle de la guerre de 14, chez nous. Et cela après les saignées de la guerre civile, des répressions, de la collectivisation... L'église est consacrée à saint Georges le Victorieux, elle est environnée d'avions et de tanks de l'époque.
  La liturgie commence à 9h.30, elle dure aussi presque trois heures, je ne sais pas pourquoi car le sermon est plutôt court, et on ne peut pas s’asseoir dans l’église, car toutes les places sont prises par les vieilles habituées. Ensuite, c’est le repas et la catéchèse pour adultes. le père André a parlé des différences avec le catholicisme. Il a commencé par le baptême qui, dans le catholicisme, délivre du péché originel, alors que dans l'Orthodoxie, il intègre le baptisé dans le corps de l'Eglise. Le catholicisme m’est devenu complètement étranger, mais je ne sais pas si la vision qu’en donne sa catéchèse n’est pas un peu caricaturale. Par exemple, c’est juste que les extases de sainte Thérèse peuvent revêtir un caractère érotique, d’après ce que j’ai entendu dire, mais je ne crois pas qu’elle ai jamais pensé avoir des relations charnelles avec le Christ comme avec un mari ordinaire. Comme je ne l’ai jamais lue, je ne peux pas me prononcer. Mais je conçois la dimension érotique de la religion, car le monde créé en est tout entier baigné et cela se retrouve dans le cantique des cantiques. Du reste, Panarine, dans la "civilisation orthodoxe", en parle abondamment, de l'érotisme cosmique chrétien. Ensuite il a décrit les stigmates de saint François comme le résultat psychosomatique d’une compassion aux souffrances du Christ qui frôle une identification abusive à celui-ci, c’est une explication plausible. Sa façon de s’adresser aux animaux et aux fleurs lui paraît relever de la psychiatrie, et moi, je l’admets très bien,  moi aussi, je m’adresse aux animaux et aux fleurs, je ne leur fais naturellement pas de prêche ou de sermon, mais je ne pense pas que François d’Assise l’ai fait non plus, il englobait simplement toutes créatures vivantes dans sa prière. Il a parlé de l’imagination, de l’enivrement spirituel, de l’exaltation cultivés par les catholiques, mais présents aussi chez les orthodoxes. De la casuistique, et je me suis demandé si le tsar de mon roman n’y recourait pas lorsqu'il justifie la terreur et l’Opritchnina. Quand Ivan dit à Kourbski, dans sa lettre, qu’il aurait mieux valu pour lui mourir innocent de sa main que le trahir, cela ne relève-t-il pas d’une certaine casuistique? Et ce n’est pas moi qui l’ai inventé…
J’ai regardé une série sur Ivan III et la princesse Sophie Paléologue. C’est une bonne série, bien que Sophie soit un peu trop mignonette. Ivan III est crédible, car pas exactement beau, mais avec du charme, une certaine puissance astucieuse et une simplicité, une familiarité qui étaient celles de l’époque. Cela me servira pour la correction de mon roman, encore qu’à mon avis, les scénaristes aient pris autant de liberté que moi avec l’histoire, sinon plus. Ce qui est étrange, c’est que tout ce qui a trait à la vieille Russie me bouleverse, me captive et m’envoûte comme si je retrouvais une patrie perdue. A tel point que je me figure arriver de l’autre côté accueillie par tous ces personnages qui auront hanté ma vie.
Kostia est venu essayer de me remonter le moral. Il y est parvenu, l’appartement que nous avons visité est finalement disponible et accessible. J’aurai mon pied à terre à Moscou, un endroit agréable et pratique. 
Il m’a tracé sur le front une croix avec de l’huile venue du tombeau de saint Spiridon et m’a fait baiser l’icône qui figurait sur le flacon… J'ai bu un coup d'hydromel.
Olga Kalashnikova a publié une photo de deux isbas magnifiquement restaurées dans un village par ailleurs à l'abandon. Preuve que l'on pourrait éviter de saccager toute le Russie ancestrale pour construire des cabanes en plastique...
Photo d'Olga Kalashnikova. Dans cette magnifique restauration, même les petites clôtures basses et discrètes ont été respectées, au lieu d'être remplacées par le mur de Berlin.










1 commentaire:

  1. Chère Laurence,
    J’apprécie beaucoup vos nouvelles de Russie que je lis avec plaisir ! J’espère que vous aurez bientôt votre visa de trois mois, et rapidement votre permis de séjour, on se sent angoissée pour vous !
    Je voudrais juste commenter ce que vous écrivez de la catéchèse du Père André, car je suis catholique romaine et je pensais répondre à ce qui me parait être des questions en fait. Je parle bien sûr du catholicisme traditionnel, la religion établie par Notre-Seigneur, telle qu’elle a été pratiquée jusqu’au coup d’état des Francs-Maçons au concile Vatican II en 1962.
    On ne peut parler « d’érotisme » dans le cas de Sainte Thérèse (que ce soit Sainte Thérèse d’Avila ou Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus). Il ne s’agit que de l’amour ardent d’une âme pour son Sauveur crucifié. Sinon, nous devrions accuser Sainte Marie-Madeleine, qui lava les pieds de Jésus avec ses larmes et les essuya de ses cheveux, d’érotisme aussi ! C’est notre cœur que Jésus demande, et il est bien normal que nous le Lui donnions, puisqu’Il nous a donné le Sien, transpercé par la lance du Centurion sur la Croix.
    En ce qui concerne le baptême, oui, il nous intègre dans le corps de l’Eglise, corps mystique du Christ, mais en conséquence du fait qu’il efface en notre âme le péché originel et y fait naitre la Très Sainte Trinité, nous rendant ainsi les temples de Dieu qui habite en nos âmes par la grâce sanctifiante.
    Quant aux stigmates, Saint François d’Assise n’est pas le seul saint à les avoir eus ! Il y a littéralement des centaines de Saints Stigmatisés, comme Sainte Catherine de Sienne, Sainte Lutgarde, Saint Roch, Sainte Gertrude, et plus près de nous, Padre Pio. Ce n’est pas seulement de la compassion aux souffrances du Christ, c’est un désir d’imitation auquel le Christ satisfait. L’amour désire la ressemblance. Il est normal que les saints désirent ressembler au Christ et que Jésus, Qui nous a aimé le premier, désire que nous Lui ressemblions. Jésus a dit « Si quelqu’un veut venir après Moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il Me suive (Mat XVI -24) ». Et Saint Paul a dit « ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi ». (Galates II -20).
    D’ailleurs, il n’y a pas que des stigmatisés, il y a aussi des corps totalement préservés, incorrompus (plus de 300 cas) ! Je ne crois pas que l’on puisse parler de « résultat psychosomatique » dans ces cas-là…
    Saint François d’Assise aimait les animaux, c’est vrai, parce qu’ils sont des créatures de Dieu, et que même s’ils n’ont pas d’âme immortelle, ils suivent toujours leurs instincts donnés par Dieu et ne L’offensent donc jamais. Il les associait donc à sa louange du Créateur.
    Voilà, j’espère avoir répondu à certains points que vous souleviez (ou que le Père André soulevait !)

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