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mercredi 18 juin 2025

Lassitude

 



L'église de Loutchinskoié

Katia achète une maison à Filimonovo, l’un des villages voisins de Loutchinskoie. C’est une isba très bien aménagée, et très jolie, avec une façade d’un rouge profond et des encadrements de fenêtres bleu indigo. Elle est habitable tout de suite, mais elle pense, pour l’instant, la louer l’été. Elle a un grand terrain, et au-delà, c’est la campagne intacte, sans horribles cottages en plastique. Ce qui me plaît dans cet endroit, c’est qu’il regroupe des gens qui cherchent à restaurer la vie et l’architecture locale, cela va des églises à la maison de la culture soviétique, et une isba sauvée de la destruction à Pereslavl et remontée à Filimonovo servira d’atelier pour des stages de travail du bois à la façon traditionnelle. Je crois beaucoup à ces humbles et courageuses initiatives, et c’est le mieux que nous puissions faire, dans l’effrayant contexte de dégénénerescence humaine, intellectuelle, spirituelle et morale où nous nous trouvons plus ou moins partout.

Les Israéliens ont attaqué l’Iran « pour se défendre ». La planète entière retient son souffle, en tous cas, en occident inféodé à la CIA-Mossad de l’empire anglosioniste, on surveille en frémissant l’approche de la déflagration tant désirée et si opiniâtrement préparée. Une figure du renseignement français qui avait le tort de dire les choses telles qu’elles sont avait observé les similitudes entre les provocations d’Israël à l’égard de l’Iran, qu’il fallait pousser dans une guerre qu’il ne voulait pas, et le piège tendu à la Russie pour la faire intervenir en Ukraine et passer pour l’agresseur, alors qu’on lui empoisonnait la vie depuis des années. Cet homme vieint de se « suicider » opportunément. Il avait un visage honnête et intelligent, c’était un homme de bien. Mais nous sommes gouvernés par une mafia éhontée, une bande de gargouilles, capables de n’importe quelle vilenie. Les gens de bien sont leurs cibles de prédilection.

Les parentés entre l’Ukraine et Israël sont de plus en plus flagrantes, à commencer par la fourberie et les inversions accusatoires, les provocations, les appels au meurtre et à la vengeance, pour une dent toute la gueule. 

Le père Basile s’est rendu à Godenovo pour les 600 ans de l’apparition de la Croix miraculeuse, mais comme j’avais rendez-vous chez l’ophtalmo, je n’ai pas pu le rejoindre. Il devait venir à Pereslavl, pour faire la connaissance de Gilles, car ils ont un ami commun, mais il n’a finalement pas pu venir, à ma grande déception. Il a parlé de moi avec l’évêque, monseigneur Théoctyste, qui me trouve fatiguée. «C’est qu’elle est perturbée par toutes les nouvelles qu’elle suit sur internet.

- Précisément, je lui dis de ne pas les regarder ! »

C’est-à-dire que j’ai aussi mal aux jambes, les yeux récemment opérés, je vis dans un climat qui ne me coinvient pas du tout. Pour ce qui est d’internet, je suis submergée par un immense sentiment d’impuissance et de dégoût, une sorte de fatigue de l'âme. Nous essayons de vivre, au bord du gouffre, et je me souviens de ce que disait le métropolite Onuphre il y a déjà longtemps, quand on persécutait déjà son troupeau; "Priez pour garder figure humaine". Oui, c'est cela, garder figure humaine, c'est déjà en soi devenu un ezploit. Ce qui me remonte le moral, ce sont les éclairs de lumière que je vois autour de moi, dans les mailles de ce filet de laideur et de banalité qui s'étend partout, les gens qui créent, qui réparent, qui aident, qui sauvent, les traditions, le patrimoine, les animaux, les soldats; ce qui se passe aux villages de Filimonovo et Loutchinskoié, et mes relations avec les amis que j’ai ici, avec Katia, Ania et ses parents, le café, son personnel et sa direction, l’adorable petite Léna, toute cette humanité encore normale, chaleureuse, enthousiaste, fervente. J'ai trouvé sur VK une vidéo où de très jeunes femmes chantent une chanson traditionnelle sur la guerre, et l'attente de ceux qui sont partis la faire, c'est pour moi déjà une sorte de petit miracle que résonnent encore ces belles voix authentiques dans le tintamarre: Elles expriment des sentiments vrais et simples, et leur chanson porte en elle des siècles de patience.

https://vk.com/video-206175906_456244211

Katia m’a envoyé la vidéo des noces du fils de Sakharov, Vova, une noce à l’ancienne, avec les chants rituels, et une fête déchaînée, mais pure et joyeuse, des danses sous la pluie, et pour finir l’orchestre balkanique de copains serbes, ce reportage familial ressemble à un film de Kusturica. C’était la vraie Russie, sauvée et transmise à leurs enfants et à leurs amis par mes vieux cosaques, que je regrette bien de ne pas rencoontrer plus souvent, elle vit toujours. Quand on voit cela, et qu’on le compare eux petits mutants des motos, des radios, des écrans, on a envie de pleurer, mais d’un autre côté : cette jeunesse du folklore existe, et elle est sauvée. Elle ne quittera plus cette merveilleuse dimension pleine et vivante pour l’univers sinistre et déchu des distractions vulgaires.

https://vk.com/video-230771737_456239017


Il fait un temps qui me rappelle l’année 17, on se croirait au mois de septembre. Il pleut des cordes, il ne fait pas chaud. Mes iris sont déjà couchés par la pluie, et ils fleurissaient bien, cette année... Une de mes spirées fait de longues frondes courbes, une fontaine de fleurettes blanches qui attirent de ravissants scarabés mordorés. Mais je n’arrive plus à rester sur ma terrasse, perpetuellement mouillée. Je me réfugie dans le grenier, lumineux et vaste.

J’ai dîné hier soir chez Olga et Ghislain, nous avons parlé de la Russie et de la France. Ghislain reste un aristocrate français catho et ne s’intègre pas tellement, en dépit d’Olga, mais il ne tient pas à rentrer, comme l’y exhorte sa famille, parce que « notre France n’est pas celle-là, celle de Macron ». Il regrette que la Russie ne tourne pas définitivement la page communiste, même si nous sommes d’accord pour considérer qu’un retour du régime de l’URSS n’est pas à craindre sous sa forme précédente. Mais il n’est pas sain de retomber mentalement et spirituellement dans cette ornière et de passer à côté de la vraie vocation spirituelle du pays. Il a cité la sainte grande duchesse Elizabeth : « La Russie restera sainte mais ne sera plus grande ». Il y a des Russes impérialistes, en particulier chez les communistes, qui rêvent de restaurer une URSS dans la lignée du rêve occidental de puissance à la Pierre le Grand. C’est une fausse voie. Olga disait qu’il fallait à la Russie ne plus chercher de modèle à l’étranger mais dans sa propre culture, son propre génie. Et personnellement, ce n’est ni Pierre le Grand ni Staline qui m’ont attirée ici, mais précisément la sainte Russie, la Russie paysanne, fervente et poétique. La Russie a beaucoup souffert de ses décennies communistes, elles ont laissé des traces terribles, et notemment, comme disait Olga, une espèce de banalité bourgeoise, de beaufitude qui n’est pas du tout russe, mais la marque du mutant contemporain indistinct. Pourtant, il y a quelque chose d’irréductible, chez les Russes, et ils restent vivants, ils arrivent même à intégrer leur folklore paysan dans la vie moderne, comme le montre le film sur la noce des Sakharov, et à la transfigurer de cette manière. Ghislain et Anne-Laure trouvent que c’est loin d’être le cas des Français, beaucoup plus désunis que les Russes, et déchristianisés, on peut même dire déculturés. 

Anne-Laure évoquait la pesanteur de la société française, les interdits étouffants et absurdes, les conversations lisses qui évitent les sujets litigieux, toutes les tracasseries quotidiennes qui font aux gens la vie impossible. Il y a déjà vingt ans, je disais qu'en France, tout ce qui n'était pas interdit était obligatoire, et je m'attendais à ce qu'on obligeât bientôt les enfants à porter des casques et des genouillères dans les cours de récréation.. Ariane Bilheran en trace un tableau similaire dans l'Antipresse, à la faveur de son voyage, après deux ans d'exil en Amérique du sud. Elle retrouve un pays triste à l'atmosphère oppressante. Il m'arrive d'avoir des accès de nostalgie quand je vois des paysages de l'Ardèche, de l'Auvergne, de la Drôme, du Gard, du Vaucluse, des villages de pierre, des garrigues et des champs de coquelicots. Mais récemment, Dany m'a fait part de ce que lui avait raconté un visiteur français: pour avoir la paix, il s'était installé dans un village perdu, et avait eu le désir de remplacer la douche de la maison qu'il venait d'acquérir par une baignoire. Le plombier chargé de l'opération avait commis l'erreur de déposer une heure l'objet sur le seuil, à le vue de tous. Le voisin a aussitôt envoyé une dénonciation au fisc, car les baignoires sont devenues un objet de luxe!

Le soir suivant, c’est le père Vassili qui nous a invitées, j’avais peu envie d’y aller, quand je vois trop souvent du monde, je suis épuisée. C'est ce qu'exprime une citation de Jim Carrey, trouvée sur facebook: "La solitude est dangereuse. Elle est très addictive. Elle devient une habitude après que vous ayez réalisé à quel point elle est calme et paisible. C'est comme si vous ne vouliez plus avoir affaire aux gens parce qu'ils vous épuisent." C'est exactement ce que je ressens, c'est pourquoi j'essayais, dans mon jeune temps, de ne pas devenir maniaque, et de m'entourer d'animaux, mais les animaux ne parlent pas.

On nous a montré le potager au milieu des moustiques, les arbres fruitiers, les baies, les pommes de terre, tout. Puis les six enfants nous ont tour à tour fait la démonstration de leurs talents, le piano, l’accordéon, le saxo, tous les uns après les autres, et pour finir, la petite qui, débarrassée d'une dent qui branlait, s'est joyeusement mise à brailler avec conviction des chansons de films et de variétés sans jamais s’arrêter. A table, des milliers de questions sur les plats nationaux des Français, leurs costumes, leurs fêtes, et tout cela, avec Anne-Laure qui comprend mal et répond laborieusement, de sorte qu’il fallait quand même traduire... La petite chanteuse m’a offert un dessin, il a fallu faire une photo de groupe, on nous a donné encore des glaces, de la confiture de rose, on nous a escortées jusqu’à la voiture, couvertes de bénédictions, laissé partir en agitant la main, tout cela infiniment touchant, mais absolument épuisant. 

Entretemps, j'étais retournée au gosuslugi pour l’inscription obligatoire des étrangers, mon passeport n’est pas accepté par le site. Là, on m’a envoyée au fonds de pension, où l’on m’a dit qu’il y a cinq ans, on m’avait fait ma carte de sécu d’après mon permis de séjour, et il faut la recommencer d’après le passeport, et revenir dans deux jours pour terminer tout cela. Je reviens aujourd'hui, cela n'était pas prêt, c'est remis à vendredi. Je songeais qu’en fin de compte, demander la naturalisation ne m’aurait peut-être pas imposé plus de démarches que remplir ces obligations mises en place pour les étrangers.

 

De grands souffles chassant tout là haut les nuages

Emportent se jouant la neige des pétales

Aux lisières bleuies des voiles de l’orage

Qui bénit de pluie lourde une pénombre étale.

 

La blancheur fragmentée des poiriers au printemps

Se perd dans la lumière en l’azur éboulée

Sous d’obscurs chevaux qui montent du néant

Piétiner hennissants la fin de la journée.

 

La fin de notre temps et des douces années,

Dont nous ne voyions pas la chute ignominieuse

Le désastre fatal et la mort programmée,

Que l’on avait inscrit dans leur suite radieuse

 

J’écoute les oiseaux, dont le chant éternel

Résonne obstinément par dessus notre enfer,

Jetant au vent qui passe de mystérieux appels

Nous laissant pressentir un tout autre univers.








mercredi 11 juin 2025

Deuche

 


J’apprécie d’avoir de l’air et beaucoup de ciel, dans mon pigeonnier. Quand j’ouvre la fenêtre, j’ai l’impression d’être dehors. Je regarde se lever la lune et dériver les nuages, j’ai même vu passer une mongolfière, un ballon rouge dans l'immensité du ciel qui voguait et grossissait peu à peu en silence..

Pour la liturgie de la Pentecôte, il y avait du monde, à l’office du petit matin. J’ai énuméré mes péchés sans commentaires en quelques secondes, mais lorsque le prêtre a posé son épitrachlion sur ma tête, j’ai senti la grâce se poser sur moi, d’abord pesante, puis légère, un sentiment de bienveillance et d’apaisement. Mais deux bonnes femmes ont ensuite immobilisé ce pauvre père Alexis très longtemps, une vieille, puis une jeune qui avait l’air d’une vagabonde un peu dérangée, et une fois donnée l'absolution, elle continuait à lui tenir la jambe. Le sacristain en avait tellement marre qu’il est venu ostensiblement replier le lutrin, emporter l’évangile, et souffler le cierge devant les portes royales pour faire comprendre à la pénitente qu’elle commençait à nous casser les pieds. Raconter sa vie un jour de grande fête, quand il y a la queue, c’est pour le moins indélicat...

Au moment de la distribution des prosphores, je me tenais à proximité, parce que ne pouvant rester debout en ce moment, le seul coin où je pouvais m’asseoir était à l’entrée. Mais tandis que je m’approchais, j’ai vu une telle foule se précipiter avant moi, que j’ai renoncé, et suis allée attendre le moment de la communion un peu plus loin. Alors j’ai vu arriver une dame qui me tendait une prosphore avec un sourire. Elle avait remarqué qu’on m’avait coupé la route, et avait pensé à moi. J’en ai été profondément touchée. Les gens sont d’une extrême gentillesse, à l’église, mais même ailleurs, je dirais d'une façon générale que les Russes sont vraiment bons.

J’ai vu Liéna, la jeune femme de Sacha, qui travaille au café avec Gilles. Elle est adorable, très spontanée, avec des expressions gentilles et amusantes de petite fille. Elle avait une jolie robe, une sorte de tafetas à carreaux vert pâle et rose, avec un jupon, elle ressemblait à une gravure ancienne, et comme je la complimentais, elle me dit, enchantée: "Et si vous la voyiez au soleil, elle rayonne!" Liéna a été convertie par l'évêque Théoctiste, et je me souviens du jour où cela s'est passé. Il donnait une conférence, et elle lui posait des questions hardies et naïves qui le ravissaient, et auxquelles il répondait avec une sorte d'humour gourmand. Depuis, son mari aussi, s'est fait baptiser.

Nous discutions devant l’église quand la vagabonde prolixe que le sacristain n’arrivait pas à arrêter nous aborde. Elle était maigre et mal attifée, mais avait dû être jolie, ou aurait pu l’être encore. Elle nous demandait d’appeler pour elle son fils, dont on lui avait retiré la garde, car elle n’avait pas de téléphone. J’avais oublié le mien, la jeune Liéna l’a fait mais sans obtenir de réponse. « Et s’il me rappelle, je lui dis quoi ?

- Que je l’aime, que je prie pour lui et que nous serons tous dans la gloire de Dieu. »

J’avais honte de mon agacement, car il était visible qu’elle n’était pas dans son assiette, et il m’apparaissait que le plus grand de mes péchés actuels était précisément cette irritation de vieille grognon qui me faisait manquer de charité..

Anne-Laure m’a invitée au restau, elle m’a demandé ce que je pensais de l’évolution de notre civilisation. Je lui ai répondu qu’à mon avis, si elle continuait comme ça, elle nous conduirait tous à notre perte, physique et morale, et même intellectuelle, car elle allait contre la vie, elle détestait la vie, et n’en comprenait pas le caractère sacré, c’était une civilisation de mort. « Oui, mais comment s’arrêter sur le chemin du progrès, l’homme n’est-il pas ainsi fait ?" C'est le propos du livre de Barjavel Ravages, que j'avais lu, encore adolescente, dans la foulée du Meilleur des Mondes.

- Eh bien dans un sens, si, je crois que dans la Rome antique, tout était déjà en germe. Mais le christianisme a provisoirement recentré la civilisation méditerranéenne et occidentale sur le sens spirituel de l’existence, l’essor technique n’est venu qu’avec la désacralisation du monde qui a succédé à l’humanisme. Moi, si vous voulez, j’ai toujours été archaïque, hostile à cette civilisation depuis mon plus jeune âge. Cependant, je n’en rejette pas tous les aspects. Il me semble que si nous retrouvions la conscience que le monde est sacré et qu’on ne peut pas se permettre d’y faire n’importe quoi, on pourrait commencer à vivre autrement, en nous protégeant, par des garde-fous spirituels, sociaux et juridiques, des individus brutaux, cupides et dominateurs qui ne connaissent maintenant plus aucune limite, plus aucun frein. Je ne suis pas systématiquement passéiste, et beaucoup de recherches et de trouvailles ont été faites pour cultiver autrement, avec moins de fatigue et plus d’efficacité, sans violer continuellement la nature, pour conserver un certain confort sans tout polluer ni détruire, mais le débat est pratiquement interdit, et rendu terriblement confus, sans doute à dessein. »

J'ai vu ensuite la vidéo d'un paysan français qui montrait une poignée de terre en disant: "Il faut enfin se souvenir que cela, c'est sacré, et que nous ne sommes pas des robots." Ce qui est valable pour les citadins de plus en plus dégénérés, mais aussi pour beaucoiup d'agriculteurs industrialisés qui n'ont plus aucun respect du vivant. 

Hier, Sacha Merzlov, un francophile francophone qui a fondé une association « les plus beaux villages de Russie » sur le modèle des « plus beaux villages de France », a voulu me rencontrer au café français. Il a fait travailler ses étudiants sur une lettre que j’avais écrite à Nikita Mikhalkov, au sujet du massacre des environs du monastère Nikitski et de la rive nord du lac, médité par toujours le même genre de rhinocéros irrécupérables et malfaisants. Mais à ma grande déception, le brillant cinéaste ne m’avait pas répondu. Cette lettre a finalement pas mal voyagé, depuis que je l'avais publiée dans mes chroniques, si elle est étudiée en fac !

Le cuisinier du café m'a à la bonne et avait écrit: "Bon appétit!" sur le carton de la pizza que j'avais commandée. C'est un gros nounours au regard d'intellectuel.


Sacha Merzlov est arrivé en Deuche à Pereslavl, et il a fait sensation. Je suis allée photographier la brave petite voiture, avec un pincement au coeur. Il avait amené un couple de Français, Christophe et Chantal, qui projettent éventuellement d’émigrer, au moins d’acquérir ici une position de repli. Ils trouvent Pereslavl totalement détruit, avec des bâtisses moches qui ne présentent aucun intérêt, et pensent plutôt à Rostov, ou au village, il est vrai assez délabré, de Ribnoïé Poretchié. Quand c’est resté beau et authentique, c’est délabré, parce que simplement, personne ne trouve encore de raisons profitables de défigurer l’endroit concerné. Maintenant, en dépit des mutilations subies par la pauvre ville de Pereslavl, j'y ai trop d'amis pour encore déménager ailleurs. Dans un sens, elle m'offre en raccourci le symbole même de la Russie post-soviétique et de la tragédie européenne post-industrielle, post-révolutionnaire. Un chaos hideux où surnagent des éclairs de beauté, et des gens qui luttent parmi les mutants pour sauvegarder les braises de la foi et de la Tradition, et les transmettre.

Chantal m’a dit que lorsqu’on pensait mal, en France, on était complètement ostracisé. Je regardais ces deux aimables Français avec une grande compassion. Des gens qui, autrefois n’auraient jamais imaginé partir, surtout en Russie. Et eux aussi avaient de la compassion pour moi, au spectacle de mon émotion, quand nous avons évoqué Nîmes, Uzès, le Gard, l'Ardèche... Nous nous sommes laissé voler notre pays, notre histoire, tout ce qu'avaient bâti nos ancêtres, ce qu'ils nous avaient transmis et je n'ose imaginer dans quel état sera la population dans un demi siècle. Je prie pour que cela n'arrive pas aux Russes, en proie aux mêmes démons, mais encore vivants, malgré des persécutions et une rééducation que nous n'avons pas connues à ce point. Mais peut-être d'une façon plus sournoise et plus efficace, en fin de compte....

Sacha Merzlov évoquait tous les projets de son association, les problèmes posés aux gens qui essayaient de sauver le patrimoine, l’éventualité d’une coopération avec moi, et là dessus, Slobodan m’écrit, à propos d’une chronique que j’ai faite assez récemment et que Nicolas Bonnal a répercutée, sur la loi qui prive les défenseurs des sites naturels et historiques de tous moyens de s’opposer à leur exploitation immobilière par des barbares. Il n’en revenait pas. Eh si, pourtant, c’est la triste réalité. C'est incompréhensible, mais c'est comme ça.

Après, je suis allée au village de Litchentsi, j’étais invitée à participer à une procession depuis celui de Tverdilkovo en passant par Filimonovo, puis à chanter, mais en raison de mon arthrose, j’ai décidé d’attendre tout le monde au point d’arrivée.

Ce village de Litchentsi est ravissant, avec une végétation harmonieuse, un étang. Deux femmes ont pris sur elles la restauration de l’église, qui est très jolie et très lumineuse. C’est dans l’église que j’ai chanté des vers spirituels, sur la vielle et les gousli. Irina, une des responsables du sauvetage des lieux, m’a remerciée avec effusion : « Je vous ai écoutée avec trois oreilles, celles que j’ai de chaque côté de la tête, et celle que j’ai dans le coeur. J’espère que vous reviendrez nous voir, parce que vous m’êtes tellement sympathique ! »

Toutes les personnes présentes étaient vraiment touchantes et gentilles. C’était la vraie Russie, encore presque intacte. J’ai ramené Olga Victorovna, elle m’a confié pendant le trajet qu’un de ses fils jouait chaque année de l’accordéon à la fin de cette procession, mais qu’il avait tout envoyé promener, pour se mettre au goût du triste jour et ressembler à n’importe quel autre petit con. Eh oui, c’est plus facile.

J’ai promis de prendre désormais sa place avec ma vielle, peut-être qu’un jour il reviendra à de meilleurs sentiments.








Claude Ginisty publie une lettre ouverte de l'Eglise Hors-frontières au sujet du négationnisme stalinien, de la restauration douteuse de monuments au petit père des peuples et à ses séides. ORTHODOXOLOGIE: le Synode de l'Eglise Russe hors Frontières met en garde contre la renaissance de l'idéologie de l'ère soviétique
J'en ai souvent parlé ici, et je désapprouve, mais je suis étonnée que cette réaction se manifeste maintenant, et surtout qu'elle ne fasse pas mention de la complaisance occidentale à la renaissance du nazisme en Ukraine et dans les pays baltes, un phénomène que j'observe depuis les années 2000, et qui est largement responsable de la nostalgie du stalinisme, en donnant à ses partisans l'occasion de justifier les purges par l'exemple des trahisons intérieures, de la fourberie extérieure, du soutien à des exactions impardonnables commises par de sinistres guignols à folklore nazi, sous l'oeil impavide, et même approbateur d'un président juif et de ses soutiens français trotskistes. Cela d'autant plus que le patriarche, lors de son voyage aux Solovki, avait pris soin d'évoquer les nouveaux martyrs de Russie. En ce moment, ce ne sont pas les staliniens russes qui persécutent l'Eglise, ni en Russie, ni en Ukraine, où les croyants et les prêtres sont arrêtés, tabassés, torturés, spoliés depuis des années, sans que personne ne daigne en parler, jusque dans les milieux orthodoxes. Les staliniens, je les trouve cons, et je ne ferai jamais l'impasse sur les croyants et les paysans massacrés, mais je ne peux pas dire qu'à l'heure actuelle, je considère cet élan résiduel comme bien dangereux, le totalitarisme a muté, prenant aux deux idéologies ennemies leurs pires défauts, et c'est en Europe que s'est replié son épicentre. Je regrette juste que ces résurgences favorisent les discours délirants sur le "danger russe" et les hallucinations de tous les crétins jamais sortis de leur congélateur depuis les années cinquante. Cela arrange parfaitement les fourbes assassins qui ont provoqué la situation où nous sommes.

mercredi 4 juin 2025

Bio-ionique

 

Une amie m'a reproché de me focaliser sur ce qui ne va pas, d'être toujours en colère, ce qui lui paraît manquer de charité. Sur le moment cela ne m'a pas fait très plaisir, et puis j'ai pensé qu'en effet, j'étais fort irritable, car plutôt écorchée vive, et qu'il me faudrait dépasser cela, mais là dessus, Ania Ossipova,  venue m'aider à ranger et nettoyer avant mon opération imminente, me dit que d'après un saint starets, les gens constemment de bonne humeur étaient souvent indifférents aux autres, tandis que ceux qui compatissaient et luttaient étaient plutôt convulsés. 

Nous étions, après l'effort, au restaurant Ultracooks, très bon, et pas cher, et nous avons discuté avec le grand bonheur de la compréhension mutuelle, malgré nos différences d'âge et de tempérament, car nous avons les mêmes préoccupations fondamentales et aussi une appréhension poétique de la vie qui n'est plus partagée par grand monde. Et pour faire mentir la rumeur,je lui ai dit que j'avais beaucoup de chance, parce qu'entre elle et Katia, Gilles, le café, les Suisses, j'étais très bien entourée. Même avec la chatte du Donbass, j'ai de la chance, car c'est un véritable petit ange de porcelaine, à la présence discrète et légère, comme si Georgette l'avait investie de la mission, couchée comme elle sur mon bureau ou dans son refuge de la boîte Ikea, de veiller sur moi. Les autres chats l'ont acceuillie sans problèmes, je la vois même jouer avec eux avec des sauts de chaton primesautier.

Tout cela, en dépit des maisons moches, du climat, des mobylettes et autres nuisances contemporaines que je ne suis pas la seule à déplorer. Une jeune femme que ma voisine m'avait demandé de loger provisoirement m'a dit qu''elle-même n'en pouvait plus des radios à tue-tête et des pétarades qui l'empêchaient d'entendre les oiseaux, le vent et les grillons... 

J’ai subi mon opération des yeux, on m’a mis des cristallins artificiels. Je vois le texte que j’écris sans lunettes, en revanche, de loin, je lis mal les lettres dans la rue, bien que ce ne soit pas non plus le flou de la myopie. Le médecin, Elena Borissovna, me dit que c’est normal, et que petit à petit tout se mettra en place, que les lentilles ont trois focus et marchent ensemble. Katia, hilare, s’est exclamée que j’étais devenue bio-ionique.

L’opération n’était pas douloureuse, mais pénible, avec des lumières aveuglantes, et des tiraillements dans l’oeil. Actuellement, le gauche est à la traîne, c’est normal aussi, car c’est le droit qui dirige. Et puis je fais de la sècheresse occulaire, ce qui trouble également la vision, Elena Borissovna m’a donné des gouttes.

La clinique de Serguiev-Possad est superbe, très propre, on opère les gens quasiment à la chaîne, avec un suivi sérieux et gratuit. En revanche, les cristallins et l’intervention ne sont pas gratuits du tout, mais la vue c’est la vie...

Personne n’est encore venu me brancher l’électricité. J’ai rallumé l’ordinateur grâce à la rallonge de la débroussailleuse. Et j'ai branché un amplificateur de WIFI. 

Le jour de ma première opération, j’ai voyagé avec une paroissienne de l’église Znamenié, Olga Victorovna, une dame ronde, avec de beaux yeux clairs, mais déficients, et des vêtements de paysanne soviétique. Elle est intelligente, avec beaucoup de personnalité et nous avons trouvé immédiatement des terrains d’entente. Elle a trois enfants, je connaissais le dernier, Maxime, qui jouait du tambour chez les cosaques. Elle n’est pas optimiste pour l’avenir du pays, elle pense que les écrans et le portable détruisent profondément l’esprit des enfants et que, malgré tous les efforts pour apporter aux siens une culture et une spiritualité, ils sont victimes de l’énorme pression de la société et de la mode, incapables de lire, de se concentrer. Elle fait partie de ces femmes qui essaient de restaurer maisons, églises, et vie locale, à Pereslavl et dans les villages du coin et me convie à une procession pour le lendemain de la Trinité, depuis Tverdilkovo jusquà Loutchinskoie en passant par Filimonovo. J’étais très heureuse de m’être fait cette nouvelle amie, intelligente, simple et franche.

Au moment où j’étais aveugle et où tout m’était interdit, Ania, la voisine, m’a demandé de loger sa jeune copine Ioulia et ses enfants pour quelques jours,. Cela m’a apporté quelques contraintes, mais d’un autre côté, elle m’a rendu bien des services, et nettoyé la maison.

 Katia m’a demandé de rencontrer avec elle Dmitri Troukatchov, qui est en vacances ici, pour cause de grave blessure, il est resté sourd d’une oreille, et j’espère que cela lui vaudra une démobilisation. Nous avons investi la terrasse du café Montpensier, à la sortie de la cathédrale. Troukhatchov m’a serrée contre son coeur, je lui ai dit que je priais pour lui chaque jour depuis que je l'avais su parti là bas pour donner l’exemple à ses enfants. «Je ne pouvais pas faire autrement, » m’a-t-il répondu, j’en avais les larmes aux yeux. « Il n’arrive rien que Dieu n’ait permis, nous a-t-il déclaré, et actuellement, on est en danger partout, même ici, on intercepte des drones sans arrêt. » J’ai du mal à me mettre cela dans la tête, en dehors des motocyclistes et des radios, il règne à Pereslavl une paix provinciale du genre Annonay ou Pierrelatte dans les années cinquante... Je reste dans mon jardin à regarder jouer la lumière dans les floraisons qui se succèdent, les poiriers, la spirée japonaise, puis l'églantier blanc, si souple, aves ses petites roses légères, la clématite de Sibérie, le chèvrefeuille, les iris, les ancolies... J'écoute les oiseaux, dont le chant est si bénéfique, pour l'âme et le corps, ce n'est crtainement pas un hasard si tout est fait pour que nous ne puissions plus le percevoir.

Tania Troukhatchova, venue nous rejoindre, nous a raconté qu’elle avait fait le voyage  au Donbass avec ses cinq enfants. Elle avait appris que Dmitri avait un congé de dix jours, mais pas la permission d’aller en Russie centrale, et le lendemain, elle partait le retrouver avec toute sa famille. Et là bas, du reste, elle s’est perdue et a erré cinq heures avant de retrouve la localité où l’attendait son bonhomme.

Dmitri Troukhatchov est vraiment un type bien, il émane de lui tant de bonté et de tristesse, et il garde la foi. Et il n’est pas le seul de son espèce, en dépit de la dégénescence de la jeunesse dont parle Olga Victorovna, il y a encore beaucoup de gens bien en Russie, nous en avons pas mal à Pereslavl, les enfants Troukatchov partis voir leur père, avec leur mère, au Donbass, assureront une digne relève.

Il s'était présenté comme député aux élections, j'avais gardé quelques temps sa photo sur mon pare-brise, si j'avais pu voter, il aurait-eu ma voix. 

Les « Ukrainiens », c’est-à-dire toujours les mêmes vampires derrière le satrape Zelenski, ont commis deux attentats ferroviaires avec beaucoup de victimes sur le territoire russe, attaqué deux sites militaires, à Mourmansk et Irkoutsk, et le pont de Crimée. Tout le temps où ces enflures demandaient une trêve en chougnant, ou amusaient le monde avec des pourparlers, ils préparaient en douce leur sale coup, ça leur a pris dix-huit mois. Ma première réaction a été de souhaiter une réponse russe musclée, mais c’est précisément ce que veulent ces fourbes totalement dépourvus de la moindre conscience, entraîner la Russie et toute l’Europe dans une guerre totale, ils sont prêts à tous nous sacrifier et à nous remplacer avec les migrants, nous les faisons positivement écumer de haine et de mépris, ils n'arrivent même plus à le cacher. Pour eux, les Européens de l’est ou de l’ouest et les migrants eux-mêmes sont tous des sous-hommes. Dany m'avait envoyé une émission sur la façon dont ils se préparaient à spolier les gens de leurs logements, ce qui m'avait profondément affligée, car j'ai encore là bas des gens qui me sont chers.  Mais, concluaient les deux journalistes, nous ne devons pas sombrer dans la sinistrose, parce que c'est précisément ce qu'ils veulent: nous rendre peureux, nerveux, méchants, suspicieux, alors aimons-nous, faisons la fête, entraidons-nous. Notre bonheur les rend malades.

En effet, et je n'ai même plus envie de croiser le fer avec les imbéciles et les ignares qui soutiennent cette mafia. Je remercie Dieu de m'avoir conduite ici. Assise à la terrasse du café Montpensier, avec la vue sur la blanche église du métropolite Pierre, dans un vent frais de printemps nordique, je me sentais à ma place. "Vous êtes à votre place, là bas", m'écrivait haineusement un "abonné au Monde"; comme dirait Christian Combaz. Oui, et lui est à la sienne là où il se trouve. De lui et de ses pareils, je ne serai jamais solidaire, et je n'ai pas pris la peine de dialoguer plus avant. Mais je le suis des Troukhatchov, de Katia, de Fédia, d'Ania et ses parents, des prêtres et des fidèles de la cathédrale ou du père Ioann, de toute cette humanité encore humaine. Je ne vois jamais sans un serrement de coeur des paysages de l'Ardèche, de la Haute-Loire, de la Drôme, du Vaucluse, du Gard. Mais de quelles persécutions mesquines ne risque-t-on pas d'être aujourd'hui victime dans ces petits villages ravissants, les échos qui me parviennent ne sont ni rassurants, ni encourageants.