L'église de Loutchinskoié
Katia achète
une maison à Filimonovo, l’un des villages voisins de Loutchinskoie. C’est une
isba très bien aménagée, et très jolie, avec une façade d’un rouge profond et
des encadrements de fenêtres bleu indigo. Elle est habitable tout de suite,
mais elle pense, pour l’instant, la louer l’été. Elle a un grand terrain, et
au-delà, c’est la campagne intacte, sans horribles cottages en plastique. Ce
qui me plaît dans cet endroit, c’est qu’il regroupe des gens qui cherchent à
restaurer la vie et l’architecture
locale, cela va des églises à la maison de la culture soviétique, et une isba
sauvée de la destruction à Pereslavl et remontée à Filimonovo servira d’atelier
pour des stages de travail du bois à la façon traditionnelle. Je crois beaucoup
à ces humbles et courageuses initiatives, et c’est le mieux que nous puissions
faire, dans l’effrayant contexte de dégénénerescence humaine, intellectuelle,
spirituelle et morale où nous nous trouvons plus ou moins partout.
Les Israéliens ont attaqué l’Iran « pour se défendre ». La planète entière retient son souffle, en tous cas, en occident inféodé à la CIA-Mossad de l’empire anglosioniste, on surveille en frémissant l’approche de la déflagration tant désirée et si opiniâtrement préparée. Une figure du renseignement français qui avait le tort de dire les choses telles qu’elles sont avait observé les similitudes entre les provocations d’Israël à l’égard de l’Iran, qu’il fallait pousser dans une guerre qu’il ne voulait pas, et le piège tendu à la Russie pour la faire intervenir en Ukraine et passer pour l’agresseur, alors qu’on lui empoisonnait la vie depuis des années. Cet homme vieint de se « suicider » opportunément. Il avait un visage honnête et intelligent, c’était un homme de bien. Mais nous sommes gouvernés par une mafia éhontée, une bande de gargouilles, capables de n’importe quelle vilenie. Les gens de bien sont leurs cibles de prédilection.
Les parentés entre l’Ukraine et Israël sont de plus en plus flagrantes, à commencer par la fourberie et les inversions accusatoires, les provocations, les appels au meurtre et à la vengeance, pour une dent toute la gueule.
Le père
Basile s’est rendu à Godenovo pour les 600 ans de l’apparition de la Croix
miraculeuse, mais comme j’avais rendez-vous chez l’ophtalmo, je n’ai pas pu le
rejoindre. Il devait venir à Pereslavl, pour faire la connaissance
de Gilles, car ils ont un ami commun, mais il
n’a finalement pas pu venir, à ma grande déception. Il a parlé de moi avec
l’évêque, monseigneur Théoctyste, qui me trouve fatiguée. «C’est qu’elle est
perturbée par toutes les nouvelles qu’elle suit sur internet.
-
Précisément, je lui dis de ne pas les regarder ! »
C’est-à-dire que j’ai aussi mal aux jambes, les yeux récemment opérés, je vis dans un climat qui ne me coinvient pas du tout. Pour ce qui est d’internet, je suis submergée par un immense sentiment d’impuissance et de dégoût, une sorte de fatigue de l'âme. Nous essayons de vivre, au bord du gouffre, et je me souviens de ce que disait le métropolite Onuphre il y a déjà longtemps, quand on persécutait déjà son troupeau; "Priez pour garder figure humaine". Oui, c'est cela, garder figure humaine, c'est déjà en soi devenu un ezploit. Ce qui me remonte le moral, ce sont les éclairs de lumière que je vois autour de moi, dans les mailles de ce filet de laideur et de banalité qui s'étend partout, les gens qui créent, qui réparent, qui aident, qui sauvent, les traditions, le patrimoine, les animaux, les soldats; ce qui se passe aux villages de Filimonovo et Loutchinskoié, et mes relations avec les amis que j’ai ici, avec Katia, Ania et ses parents, le café, son personnel et sa direction, l’adorable petite Léna, toute cette humanité encore normale, chaleureuse, enthousiaste, fervente. J'ai trouvé sur VK une vidéo où de très jeunes femmes chantent une chanson traditionnelle sur la guerre, et l'attente de ceux qui sont partis la faire, c'est pour moi déjà une sorte de petit miracle que résonnent encore ces belles voix authentiques dans le tintamarre: Elles expriment des sentiments vrais et simples, et leur chanson porte en elle des siècles de patience.
https://vk.com/video-206175906_456244211
Katia m’a envoyé la vidéo des noces du fils de Sakharov, Vova, une noce à l’ancienne, avec les chants rituels, et une fête déchaînée, mais pure et joyeuse, des danses sous la pluie, et pour finir l’orchestre balkanique de copains serbes, ce reportage familial ressemble à un film de Kusturica. C’était la vraie Russie, sauvée et transmise à leurs enfants et à leurs amis par mes vieux cosaques, que je regrette bien de ne pas rencoontrer plus souvent, elle vit toujours. Quand on voit cela, et qu’on le compare eux petits mutants des motos, des radios, des écrans, on a envie de pleurer, mais d’un autre côté : cette jeunesse du folklore existe, et elle est sauvée. Elle ne quittera plus cette merveilleuse dimension pleine et vivante pour l’univers sinistre et déchu des distractions vulgaires.
https://vk.com/video-230771737_456239017
Il fait un temps qui me rappelle l’année 17, on se croirait au mois de septembre. Il pleut des cordes, il ne fait pas chaud. Mes iris sont déjà couchés par la pluie, et ils fleurissaient bien, cette année... Une de mes spirées fait de longues frondes courbes, une fontaine de fleurettes blanches qui attirent de ravissants scarabés mordorés. Mais je n’arrive plus à rester sur ma terrasse, perpetuellement mouillée. Je me réfugie dans le grenier, lumineux et vaste.
J’ai dîné hier soir chez Olga et Ghislain, nous avons parlé de la Russie et de la France. Ghislain reste un aristocrate français catho et ne s’intègre pas tellement, en dépit d’Olga, mais il ne tient pas à rentrer, comme l’y exhorte sa famille, parce que « notre France n’est pas celle-là, celle de Macron ». Il regrette que la Russie ne tourne pas définitivement la page communiste, même si nous sommes d’accord pour considérer qu’un retour du régime de l’URSS n’est pas à craindre sous sa forme précédente. Mais il n’est pas sain de retomber mentalement et spirituellement dans cette ornière et de passer à côté de la vraie vocation spirituelle du pays. Il a cité la sainte grande duchesse Elizabeth : « La Russie restera sainte mais ne sera plus grande ». Il y a des Russes impérialistes, en particulier chez les communistes, qui rêvent de restaurer une URSS dans la lignée du rêve occidental de puissance à la Pierre le Grand. C’est une fausse voie. Olga disait qu’il fallait à la Russie ne plus chercher de modèle à l’étranger mais dans sa propre culture, son propre génie. Et personnellement, ce n’est ni Pierre le Grand ni Staline qui m’ont attirée ici, mais précisément la sainte Russie, la Russie paysanne, fervente et poétique. La Russie a beaucoup souffert de ses décennies communistes, elles ont laissé des traces terribles, et notemment, comme disait Olga, une espèce de banalité bourgeoise, de beaufitude qui n’est pas du tout russe, mais la marque du mutant contemporain indistinct. Pourtant, il y a quelque chose d’irréductible, chez les Russes, et ils restent vivants, ils arrivent même à intégrer leur folklore paysan dans la vie moderne, comme le montre le film sur la noce des Sakharov, et à la transfigurer de cette manière. Ghislain et Anne-Laure trouvent que c’est loin d’être le cas des Français, beaucoup plus désunis que les Russes, et déchristianisés, on peut même dire déculturés.
Anne-Laure évoquait la pesanteur de la société française, les interdits étouffants et absurdes, les conversations lisses qui évitent les sujets litigieux, toutes les tracasseries quotidiennes qui font aux gens la vie impossible. Il y a déjà vingt ans, je disais qu'en France, tout ce qui n'était pas interdit était obligatoire, et je m'attendais à ce qu'on obligeât bientôt les enfants à porter des casques et des genouillères dans les cours de récréation.. Ariane Bilheran en trace un tableau similaire dans l'Antipresse, à la faveur de son voyage, après deux ans d'exil en Amérique du sud. Elle retrouve un pays triste à l'atmosphère oppressante. Il m'arrive d'avoir des accès de nostalgie quand je vois des paysages de l'Ardèche, de l'Auvergne, de la Drôme, du Gard, du Vaucluse, des villages de pierre, des garrigues et des champs de coquelicots. Mais récemment, Dany m'a fait part de ce que lui avait raconté un visiteur français: pour avoir la paix, il s'était installé dans un village perdu, et avait eu le désir de remplacer la douche de la maison qu'il venait d'acquérir par une baignoire. Le plombier chargé de l'opération avait commis l'erreur de déposer une heure l'objet sur le seuil, à le vue de tous. Le voisin a aussitôt envoyé une dénonciation au fisc, car les baignoires sont devenues un objet de luxe!
Le soir suivant, c’est le père Vassili qui nous a invitées, j’avais peu envie d’y aller, quand je vois trop souvent du monde, je suis épuisée. C'est ce qu'exprime une citation de Jim Carrey, trouvée sur facebook: "La solitude est dangereuse. Elle est très addictive. Elle devient une habitude après que vous ayez réalisé à quel point elle est calme et paisible. C'est comme si vous ne vouliez plus avoir affaire aux gens parce qu'ils vous épuisent." C'est exactement ce que je ressens, c'est pourquoi j'essayais, dans mon jeune temps, de ne pas devenir maniaque, et de m'entourer d'animaux, mais les animaux ne parlent pas.
On nous a montré le potager au milieu des moustiques, les arbres fruitiers, les baies, les pommes de terre, tout. Puis les six enfants nous ont tour à tour fait la démonstration de leurs talents, le piano, l’accordéon, le saxo, tous les uns après les autres, et pour finir, la petite qui, débarrassée d'une dent qui branlait, s'est joyeusement mise à brailler avec conviction des chansons de films et de variétés sans jamais s’arrêter. A table, des milliers de questions sur les plats nationaux des Français, leurs costumes, leurs fêtes, et tout cela, avec Anne-Laure qui comprend mal et répond laborieusement, de sorte qu’il fallait quand même traduire... La petite chanteuse m’a offert un dessin, il a fallu faire une photo de groupe, on nous a donné encore des glaces, de la confiture de rose, on nous a escortées jusqu’à la voiture, couvertes de bénédictions, laissé partir en agitant la main, tout cela infiniment touchant, mais absolument épuisant.
Entretemps,
j'étais retournée au gosuslugi pour l’inscription obligatoire des étrangers,
mon passeport n’est pas accepté par le site. Là, on m’a envoyée au fonds de
pension, où l’on m’a dit qu’il y a cinq ans, on m’avait fait ma carte de sécu
d’après mon permis de séjour, et il faut la recommencer d’après le passeport,
et revenir dans deux jours pour terminer tout cela. Je reviens aujourd'hui, cela n'était pas prêt, c'est remis à vendredi. Je songeais qu’en fin de
compte, demander la naturalisation ne m’aurait peut-être pas imposé plus de démarches
que remplir ces obligations mises en place pour les étrangers.
De grands
souffles chassant tout là haut les nuages
Emportent se
jouant la neige des pétales
Aux lisières
bleuies des voiles de l’orage
Qui bénit de
pluie lourde une pénombre étale.
La blancheur
fragmentée des poiriers au printemps
Se perd dans
la lumière en l’azur éboulée
Sous d’obscurs
chevaux qui montent du néant
Piétiner
hennissants la fin de la journée.
La fin de
notre temps et des douces années,
Dont nous ne
voyions pas la chute ignominieuse
Le désastre
fatal et la mort programmée,
Que l’on avait
inscrit dans leur suite radieuse
J’écoute les
oiseaux, dont le chant éternel
Résonne
obstinément par dessus notre enfer,
Jetant au vent
qui passe de mystérieux appels
Nous laissant
pressentir un tout autre univers.