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lundi 19 mai 2025

Factice


spirée sous le poirier

 
Ma voisine Ania a perdu son père et je l'ai accompagnée en voiture à divers endroits. J'ai aussi logé son frère, avec sa femme et sa fillette, un peu à l'improviste, mais il m’a dit que c’était très bien comme cela, avec les chats partout, très chaleureux, vivant. On m’a offert des produits de beauté pour me remercier, c’est gentil, j'étais touchée de l'attention, mais je n’en mets jamais, et je pourrai bientôt ouvrir une boutique avec tout ce qu’on m’apporte dans le genre. J’utilise de la crème pour les talons crevassés, du lait corporel et de la crème de jour. C’est tout. Et j’ai déjà quatre tubes de crème pour les mains, des masques qui ne me rendront pas la jeunesse et dont je ne me servirai pas, car j’ai la flemme ; et toutes sortes de produits ou shampooings qui ne sont absolument pas adaptés à mon type de peau ou de cheveux, tout est pour peaux ou cheveux secs, alors que je les avais gras, et à présent normaux. J’ai aussi un flacon de numéro 5 de Chanel, beaucoup trop entêtant et sophistiqué pour moi. A un moment, j’avais aussi une ribambelle de savons, mais cela s’est un peu calmé !


Ce qu’il y a de bien, avec les Russes, c’est qu’ils ne sont pas compliqués. Ils ne se formalisent pas de grand chose. Je me souviens qu’à Cavillargues, j’avais planifié de laisser ma maison à des retraités en échange de la garde de mes chats, pendant que j’allais chercher un logement en Russie. Outre que le service était payant, le couple pressenti est arrivé avec l’expression amène de madame Alcazar dans Tintin et les Picaros. Il n’y avait pas de télé chez moi, il n’y avait pas de porte à la chambre pour empêcher les chats d’y aller, c’était impardonnable, j’avais dû laisser seuls mes malheureux animaux en les faisant nourrir par une amie.

Depuis deux jours, il fait tiède et un peu pluvieux, les pétales ont remplacé les flocons qui tombaient il n’y a pas si longtemps, et le blanc feu d’artifice de ma spirée japonaise semble se fragmenter jusqu’à l’ourlet des nuages à travers les ramures fleuries du poirier qui la surmonte. Je réfléchis à la façon dont organiser mon jardin pour qu’il devienne plus facile à entretenir, car mes forces déclinent et mon arthrose ne s’arrange pas. La vue depuis ma terrasse reste miraculeusement pittoresque au sein de cette zone industrielle que devient Pereslavl, avec ses maisons qui ressemblent toutes à des hangards, ses clôtures métalliques d’usine, ses terrains vagues défoncés, et ses constructions en blocs de béton qu’on ne prend pas la peine de crépir, sans doute parce que des esprits diminués estiment que cela ressemble à de la pierre, le comble du chic dans un pays qui n’en a pas. Quand j’ai accompagné Ania au ZAGS pour enregistrer le décès de son père, j’ai revu l’horrible installation de ces arbres en plastique aux couleurs vénéneuses, et de ces fleurs de pissenlits factices géantes, cette fois assortie de faux topiaires en forme de cygnes et de terrifiantes sculptures « modernes » en simili métal jaune brillant, c’est tellement épouvantable que, par l’effet d’une curiosité malsaine dont j’aurai à me confesser, j’aimerais bien voir la tête du « paysagiste », et du commanditaire. On a vraiment affaire à une effrayante mutation de l’humanité qui, pour la première fois de son histoire, produit massivement de la laideur fantasmagorique et un tohu-bohu obsédant. Le mutant déteste tout ce qui est vivant, vrai et naturel, comme il déteste le silence. Les animaux, les plantes et bientôt les gens devront être factices, la musique abrutissante, électronique et omniprésente pour avoir le droit d’exister. Je pense souvent à cet oiseau en voie de disparition qui avait perdu son chant faute de transmission, et qui l’a retrouvé en entendant un enregistrement. C’est ce qui s’est passé avec les cosaques, grâce à des gens comme Skountsev. Si nous perdons complètement, comme cet oiseau, nos chants traditionnels, et nos savoir-faire, nous allons dégénérer de façon irrémédiable. Nous dégénérons déjà massivement. Mais cela deviendra irrémédiable. Je n’aimerais pas laisser un enfant dans cet univers hideux, tonitruant et de plus en plus vulgaire, brutal, infâme et stupide.


Cela devient sportif, en France. Manuel pour démasquer les espions russes : les personnes isolées , retirées au fin fond de la campagne, bref, tous ceux qui n’adhèrent pas aux délires malsains de l’Europe unie, ceux qui pensent mal, ceux qui se taisent, incitation à la chasse aux sorcières. Si vous pensiez avoir la paix au fin fond de la Dordogne ou de la Haute Ardèche, vous avez tout faux. Parallèlement, tentative ratée d’arrestation de Pierre Ioanovic en pleine nuit, et Juan Branco, bizarrement empoisonné en Afrique. On peut se faire du souci pour Francis Lalanne venu dire en Russie tout ce qu’il pense de la France et de sa politique infâme. A sa place, je demanderais vite le visa idéologique.

Dans Antipresse, Eric Werner a fait un atricle très complémentaire de ces tristes nouvelles :

De même qu’il faudrait tenir un journal de l’effondrement, il faudrait tenir un journal de la dictature. Les deux choses vont d’ailleurs de pair: ce sont les deux faces d’une seule et même réalité. La dictature apparaît comme un remède à l’effondrement, sauf que, bien souvent, elle contribue à l’accélérer. Ainsi le Parlement suisse a-t-il approuvé en mars dernier un postu lat visant à mettre sous enquête un certain nombre de personnes affichant leur hostilité à l’État, au prétexte qu’elles représenteraient un «danger pour la démocratie». En allemand, ces personnes portent un nom: ce sont des Staatsverweigerer, mot que le journal Le Matin traduit en parlant de «négateurs de l’État»(1). L’incrimination négationniste n’est pas loin. On voit toutes les associations d’idées qu’elle suggère. Sauf que cette traduction est biaisée. Verweigern, en allemand, ne veut pas dire nier, mais refuser. Les Staats verweigerer ne sont pas des gens qui nient l’État, mais des gens qui le refusent, ce qui n’est pas la même chose. Ils savent très bien que l’État existe, mais ils lui dénient toute légi timité. Autant que possible, ils ne veulent pas avoir affaire à lui. 

Le père Alexeï m’a conseillé ce matin de prendre mes distances avec les nouvelles sur les réseaux, à vrai dire, si je ne m’en retranche pas complètement, il y a beaucoup de choses que je ne regarde pas, pour conserver un minimum de paix intérieure. S’il m’arrive de le faire, je suis complètement perturbée par des cruautés inouïes ou bien alors furieuse et indignée par des propos d’une fourberie, d’un cynisme et d’une stupidité hallucinants.


 

 



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