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jeudi 10 décembre 2020

666

 


J''ai reçu deux coffres paysans que j'avais commandés chez un antiquaire de Moscou. Le jeune livreur qui me les a déchargés me dit: "J'ai quand même une question, pourquoi donc achetez-vous ces vieux coffres? 

- Mais parce qu'ils sont beaux! ils ne sont pas plus chers que des meubles Ikea, mais ils ont de l'âme, ils ont été faits avec goût et amour...

- Ils ont combien? 200 ans?

- Mais non, il y a encore 30 ou 40 ans, les gens fabriquaient toute cette beauté. Ils sont peut-être du XX° siècle ou du XIX°..."

Aujourd'hui, je retourne au lac, côté église des quarante Martyrs. Mais j'avais des semelles glissantes, donc je n'ai pas trop fait la maline. Cependant, les couleurs étaient irréelles, toute la disgrâce du néo Pereslavl que ne masquent ni la verdure, ni les fleurs, ni  la neige, enchâsse de grands vitraux miroitants qui jettent de toutes parts des lueurs surnaturelles. Le lac étend à perte de vue des bleus paradisiaques, des glacis dorés et fulgurants, et des cygnes au loin déambulent, comme des anges que notre impureté tient à l'écart, mais qui sont là, attentifs. Et là, tout à coup, dans cet instant magique, cette fugace trouée ouverte sur l'éternel,  j'entends le tintamarre d'une "musique" atroce, et me retourne pour voir d'où cela venait: une jeune mère, sur patins à glace, avec une poussette-luge, faisait tout ce qu'elle pouvait pour transformer son bébé en un abruti à son image, incapable de contempler le monde en silence. Sa grand-mère, à sa place, aurait sans doute chanté à l'enfant une merveilleuse chanson russe. Ou peut-être déjà son arrière-grand-mère. Car les joyeux komsomols élevés dans le monde nouveau soviétique n'ont évidemment pas transmis grand chose de plus aus générations suivantes que chez nous les soixante-huitards des trente glorieuses...



J'ai fait un rapide dessin, et je suis allée au café français, où j'ai trouvé Gilles et sa femme en train d'emballer des myriades de chocolats de rêve dans des ballotins blancs, doublés de doré. Ils m'ont recrutée pour installer les décos de Noël dimanche. Pour ce qui est du concert du 25, en raison des mesures Covid à la noix, il sera conçu comme une soirée privée, parce que tout de même, il est bien connu que tout le monde fait semblant. Donc, nous recevrons, sans publicité, des amis pour fêter la Noël française, avec vielle-à-roue, gousli, balalaïka, et si je trouve quelqu'un pour s'en charger, Katia par exemple, lecture en russe d'un ou deux chapitres de Yarilo. Plus, expo de mes aquarelles dans les locaux, celles qui ont été faites en France, puisque c'est un café français... J'en ai un certain nombre et peut en encadrer encore.









J'ai vu ce matin une émission qui m'a remonté le moral. Si, si! C'est une émission politique de grande écoute, celle de Soloviov sur la chaîne 1. Il y avait là différents politologues, je veux dire de différents horizons politiques, dont Sergueï Mikheïev, politologue orthodoxe dont je suis souvent les émissions. D'abord ce qui m'a frappée, par rapport à tous les débats des médias officiels français, c'est la liberté de ton et la courtoisie qui régnaient sur ce plateau. Pourtant le thème, en France, aurait provoqué des cris d'orfraie chez nos journalistes: ces gens, quel que fût leur analyse personnelle de la situation, étaient tous d'accord pour constater que les thèses "complotistes" se réalisaient les unes après les autres et que si on ne faisait rien, nous allions nous retrouver devant un asservissement et un avilissement sans précédent de l'humanité, si ce n'est l'extermination pure et simple de la plupart d'entre nous. Ils concluaient tous au caractère pervers des mesures anticovid, que la maladie fût ou non aussi grave qu'on cherche à nous le faire croire. Tous d'accord pour constater que l'on visait l'anéantissement de l'économie traditionnelle, de la société traditionnelle, et de toutes ses fondations spirituelles et culturelles, morales, y compris la famille et les sentiments humains.

Certains étaient communistes et restaient coincés dans la rhétorique de la lutte des classes, de la gauche et de la droite, et l'un d'eux finissait par donner la Chine en exemple d'aboutissement socialiste, alors que justement, la Chine et sa dictature électronique sont l'exemple de ce que les libéraux occidentaux cherchent à imposer à tout le monde. Ce qui m'a prouvé une fois de plus à quel point capitalisme privé et capitalisme d'état procédaient au fond de la même racine maudite. J'ai entendu avec intérêt déclarer que Staline n'avait fait que mettre la "culture bourgeoise" à la portée du peuple. C'est-à-dire qu'il a répété ce qui a été fait chez nous par la République, il a privé le peuple de sa culture originale pour lui imposer une culture de musée à laquelle il n'a jamais eu vraiment accès et qui a enfanté des milliers de profaillons académiques et d'intellectuels de broussailles qui ont dévitalisé tout ce que l'humanité avait créé avant eux dans la spontanéité, la vérité et la simplicité. D'où le mauvais goût post-soviétique. D'où mon livreur de coffres qui méprise les créations des paysans, d'où la patineuse qui bousille l'oreille et l'intellect de son gosse avec le tapage de la culture de masse importée. 

Mikheïev a commencé par déclarer qu'il n'était pas spécialiste des questions abordées, qu'il n'était pas scientifique et qu'il n'était même pas sûr d'être extrêmement cultivé mais qu'il était orthodoxe et que cela lui suffisait pour reconnaître ce qui était en train de se passer. "Qu'est-ce que Dieu? L'Evangile nous dit: au commencement était le Verbe, et si Dieu est le Verbe, le diable, lui, c'est le chiffre, le diable a un numéro: 666." Soloviov lui a fait remarquer que dans la tradition juive, tous les événements des écritures ne se reféraient pas au passé mais concernaient aussi le présent et même le futur, ce qui était aussi naturellement l'avis de Mikheïev. Ce dernier a fait remarquer à ses collègues que le débat gauche droite, la lutte des classes et tous ça était complètement dépassé, car les mouvements de gauche étaient les premiers à promouvoir cette dictature électronique ultracapitaliste et qu'on pouvait justement voir en Chine le monstre enfanté par la combinaison des deux tendances, qui ont la même origine et aboutissent, pour finir, à la même chose. Il pense même que pour nous imposer le cauchemar totalitaire planifié, on aura recours comme d'habitude à de grands discours humanistes. Bref, il est le seul qui ait vu le phénomène dans toute son ampleur métaphysique. 

Si tout cela me remonte le moral, c'est qu'un tel débat à la télé russe dans une émission très regardée est plutôt bon signe, en dépit de toute la grosse propagande du covid et des mesures universelles qui l'accompagnent, et qui sont ici appliquées plus ou moins, selon la ferveur mondialiste des fonctionnaires locaux. En un mot, quelque chose ou quelqu'un résiste encore en Russie alors qu'en France, l'état et les médias sont entièrement au service de la pieuvre. Or de la résistance de la Russie peuvent dépendre beaucoup de choses pour tout le monde. L'émission s'est terminée par un appel à l'oubli de nos divergences dans une lutte commune contre ce danger sans précédent.

Pour ceux qui comprennent le russe:



L'émission est très longue mais ce qui concerne le covid fait environ une heure

mardi 8 décembre 2020

Crépuscule sur la glace

 


Il fait beau, froid, mais pas de neige. Cependant, le lac est transparent comme du verre et je voulais voir cela de plus près. Je suis partie à pied vers le marécage, avec Rita emmitouflée dans mon sac à dos. Les horribles maisons poussent sur l'escarpement comme des champignons vénéneux, la gangrène de la modernité. Je leur ai tourné le dos et me suis enfoncée dans les taillis, sur le chemin des pêcheurs, ce que je n'avais pas fait depuis longtemps, à cause de mes genoux qui maintenant, vont beaucoup mieux. Moins de laitage, les doses massives d'huile de poisson que je prends, quelques kilos en moins?

J'ai pu constater que le chemin était plus encombré, des arbres sont tombés, des roseaux ont poussé. Bon an mal an, je suis arrivée aux roseaux, à la glace, au lac. J'ai trouvé là deux patineurs, qui m'ont joyeusement accueillie. J'avais l'impression de marcher sur l'eau, car la surface dure était complètement translucide, avec les calligraphies laissées par les patins qui s'entrecroisaient au dessus des gribouillis jaunes des algues du fond. j'aurais eu un beau point de vue sur le monastère Nikitski, n'étaient les différentes baraques posées sur l'escarpement comme des valises à la consigne.

Les couleurs étaient paradisiaques, des bleus d'un autre monde, sur des collines et des roseaux mordorés. Je me suis mise à dessiner rapide, debout sur place. Le soleil baissait, mais il était encore aveuglant, le temps que le dessin fût fini et fixé, il avait disparu. J'ai pensé qu'il était temps de rentrer, mais voilà, je ne retrouvais pas le chemin des pêcheurs. Il y a deux ans, l'hiver, il était très visible, mais là, le niveau du lac a baissé, les roseaux se sont multipliés...  Je me suis dit que je le rattraperais un peu plus loin, mais une de mes jambes est passée à travers la glace et s'est enfoncée dans l'eau froide. Je l'en ai retirée à grand peine, et suis repartie vers le lac. Au loin, je voyais deux jeunes patineurs, et je leur faisais de grands signes, tout en allant à leur rencontre. Ces deux gamins semblaient sidérés de voir surgir cette vieille du marécage: "Mais d'où sortez-vous? Vous êtes passée à travers les roseaux? Et pourquoi faire?

- Pour voir le lac, le ciel, dessiner..."   

   



Je voulais trouver un chemin pour rejoindre la route qui longe l'escarpement, mais ils n'en connaissaient pas, et m'ont accompagnée sur la glace jusqu'à la plage municipale, cela devait faire presque deux kilomètres, et j'en ai fait presque autant sur le bitume, avec mon pied mouillé, pour rejoindre ma maison.

En arrivant, j'ai eu du mal à retirer mes affaires, car la guêtre qui recouvrait ma jambe côté chaussure trempée avait commencé à geler, elle était dure et raide. 

Néanmoins, cette balade m'a changé les idées. Il est difficile de vivre une époque comme la nôtre, quand on ne peut plus se raccrocher à rien, quand tout ce que nous aimions, et qui faisait notre grandeur, est réduit à néant. Là bas, sur le chemin, dans cette campagne déserte où j'étais la seule à marcher, j'ai croisé un concombre masqué cycliste: auprès de qui craignait-il de se contaminer? Les herbes folles, les arbres nus?

On me reproche d'être pessimiste, alors que je pense avoir eu l'espoir chevillé au corps toute ma vie, et je l'ai même encore. J'espère un miracle, car étant donné que les populations marchent quand même majoritairement dans la combine de la mafia, avec plus ou moins de zèle et d'aveuglement, il y a toutes les chances que le cauchemar se poursuive et s'amplifie, avec les "vagues" à répétition, le torchon sur la gueule ad vitam aeternam, et des populations accrochées aux vaccins comme les drogués à l'héroïne. Et si ce miracle ne survient pas, alors il ya toutes les chances que le bordel introduit dans nos génomes et notre environnement par ces mafias conduisent l'humanité à une rapide dégénerescence et à sa disparition, mafieux compris, d'ailleurs.

Ne voyant pas d'autre issue, je vais dire le soir à 10 heures, heure locale, des prières pour le monde, c'est ce que recommande le mont Athos. Pour créer un égrégore bénéfique qui contrarie le leur, leur énorme, leur ténébreuse entité tentaculaire, qui rend les gens fous et ignobles et fait de notre environnement un enfer.

J'écris comme on fait ses valises, et je publie sur le Net, comme on jette une bouteille à la mer. Comme l'orchestre qui continuait à jouer sur le pont du Titanic. Pour les quelques uns qui lisent encore et qui en auront peut-être le temps.

Dans un sens, cela me donne une espèce d'insouciance, de je m'en foutisme. Je vis au jour le jour. Je fais ce que j'ai à faire, enfin j'essaie. Pour l'honneur.

Si vous me trouvez pessimiste, renseignez-vous bien. Un sursaut général nous sauverait. Mais les optimistes roupillent. Je ne mettrai pas cette fois de vidéo sur ce thème, on me les censure. Mais je rapporterai ce que m'écrit un ami, beaucoup plus pessimiste que moi, car incroyant: 

Sinon tout  va bien nous sommes en train de vivre la dissémination des laboratoires de virologie génomique comme jadis nous avons connu la dissémination de l'arme nucléaire   Le Covid est probablement le premier essai et chaque labo, à l'instar d'un Etat met en place sa propre "Force de Dissuasion covidienne"  en faisant la démonstration qu'il est capable de protéger une population et surtout son économie par une modification du génome humain en quatrième vitesse quels que soient les risques. C'est une première mondiale à grande échelle. Nous assistons à un pas de plus vers le remplacement des Etats souverains par des entreprises états mafieux. Voilà. J'ai terminé et j'en pleure de rage; 


J'ai vu un compte-rendu de l'exposition "Visages de vieux-croyants" dont je fais profiter ceux qui me lisent, car ce sont de vrais visages russes, dans toute leur pureté, leur beauté et leur noblesse, c'est la Russie que je suis venue trouver, celle que mon âme a reconnue comme sienne dès mon adolescence. Je prie chaque jour pour la réunion des vieux-croyants et des nikoniens, et quand je regarde le visage du métropolite Corneille, je vois un saint homme russe de la Russie éternelle, comparable au métropolite Onuphre. Pas besoin de paroles, le film est accompagné par un chant.



Le lac aujourd'hui:






dimanche 6 décembre 2020

la saint Alexandre

 


Aujourd'hui on fêtait Alexandre Nevsky, à la cathédrale du même nom. Nous avions une liturgie épiscopale, avec monseigneur Théoctyste, les gens étaient très joyeux. Le père Andreï a évoqué saint Alexandre, qui s'est sacrifié pour son pays en nous recommandant de le prier pour qu'il intercède en faveur de la Russie et de sa ville natale de Pereslavl, ce que je ne manque jamais de faire. J'y ai retrouvé Katia que je n'avais pas vue depuis un bon moment, Nadia, et aussi l'arrière-petite nièce de notre nouveau martyr local, saint Constantin de Pereslavl, dernier prêtre de l'église du métropolite Pierre, et assassiné par les bolcheviques en 1918, Irina. Katia ayant disparu, je suis d'abord allée seule avec Nadia au café français, et nous avons longuement discuté de la difficulté de vivre dans une époque comme la nôtre, d'y réaliser des choses aussi simples et vitales que de fonder une famille et d'élever des enfants. Nadia compte s'acheter une maison à la campagne qu'elle ait ou non un mari pour y vivre avec elle.

à gauche, le père Andreï
Ensuite, revenue chez moi, j'ai recu Irina. Elle avait loupé mon expo et je lui avais promis de lui faire une présentation privée. Elle habite Moscou mais comme elle s'occupe activement de l'église de son arrière-grand-oncle et de sa restauration urgente, elle vient souvent ici. Elle brûle de lire Yarilo en russe, parce que c'est une fan d'Ivan le Terrible, qu'elle croit très calomnié. Skountsev, qui m'en a parlé un peu plus tard, le canonise presque, pour lui, vieux-croyant, les Romanov sont des imposteurs.
Irina me conseille, pour la traduction, l'équivalent russe des éditions du Net. Elle y a publié des documents sur son arrière-grand-oncle: "Les éditeurs vont faire pression sur vous pour que vous changiez votre texte. Là, ça ne vous coûte rien, vous pouvez corriger si besoin est, vous faites vous-même votre maquette, et de plus, cela ne vous empêche pas du tout d'être publiée ensuite par un éditeur, mais vous pouvez quand même commencer à le faire connaître". 
Le fait de garder le contrôle de mon livre a beaucoup motivé mon choix de l'autoédition sur internet, le problème, me semble-t-il, c'est que les gens, en France, considèrent que ce qui est publié de cette manière est forcément nul, comme si les éditeurs officiels ne publiaient que des génies, mais c'est comme cela, l'autoédition, c'est de la merde, les sites d'informations parallèles, c'est forcément des fake news. Or nous sommes arrivés à un moment où cela est moins vrai que jamais. Parfois, étant donné l'histoire du covid qui complique encore les choses, les librairies sont toutes fermées, ou en faillite, je suis tentée de lire Yarilo chapitre par chapitre en une série de vidéos; je ne compte pas sur des droits d'auteur pour vivre et qu'adviendra-t-il de nous dans six mois? 
La question se pose pour moi de publier maintenant Epitaphe, dont le contenu subversif me ferme pratiquement toutes les éditions bien pensantes et elles le sont massivement.
Publier la version russe de Yarilo de cette manière, au moins au début, n'est peut-être pas une mauvaise idée, au moins suis-je sur place pour en faire la promotion... Je crois que finalement pas mal de gens attendent de le lire, déjà à Alexandrov, d'après le guide Edouard, ici à Pereslavl, à Moscou.... peut-être pas des milliers, mais déjà plus qu'en France.

La maison du voisin part pour être moins épouvantable que je ne le craignais, d'abord, quelle chance, il met un toit neutre, donc si je plante des arbres, ce qui dépassera se fondra avec le reste. Ce qui me dérange le plus, c'est l'énorme épaisseur de terre qu'il a rajoutée. Et puis la nécessité de créer un écran végétal, sous peine de vivre désormais dans un aquarium, me prive, en plus des perturbations créées par cet apport, du seul endroit où je pouvais faire un potager.


Mais je me pose quand même des questions. Ma maison est très grande et a englouti pas mal d'argent, or je ne l'occupe pas en entier, loin de là, et en louer une partie est à la fois peu rentable et souvent pesant. Je ne sais pas ce qui va se passer avec nos retraites. Je me dis parfois qu'il vaudrait mieux aller dans un coin  encore joli, acheter un studio pour le louer. Je serais sûre de continuer à percevoir ma retraite telle qu'elle est, je l'envisagerais beaucoup moins. Par flemme. Bien que Pereslavl, et mon quartier, ne ressemblent plus à rien. Je ne pensais pas qu'il fut possible de saccager un endroit à ce point. En ce moment, les maisons se vendent bien, car les moscovites fuient la capitale et la tyrannie des masques.

Irina pense que je devrais la garder, et en louer la moitié, en finissant de l'aménager. 

Je me suis amusée à dessiner des arbres, par dessus la bâtisse. le sapin prévu, le noisetier, un saule, et il faudra encore autre chose de taille moyenne qui ne craigne pas l'eau, peut-être une viorne aubier.


 


vendredi 4 décembre 2020

Vampires

 Aujourd'hui, fête de la Présentation au Temple, je suis allée au monastère saint Théodore, car deux personnes de ma connaissance m'avaient invitée à le faire, et les moniales se sont aussi plaintes que je ne venais plus, mais de toute façon, avec le covid, on n'a plus accès au réfectoire et on rentre chez soi direct. La liturgie a été suivie d'une procession, avec bénédiction de l'église et des fidèles. J'ai trouvé particulièrement touchantes les moniales qui riaient comme des petits filles tandis que l'évêque les aspergeait copieusement d'eau bénite avec son air malicieux.

Il paraît que la télévision de Iaroslavl me cherchait à l'éparchie, pour une petite interview. J'observe que pour me trouver, on s'adresse plutôt à l'éparchie qu'au café français!

L'élégance des bâtiments du monastère m'a frappée, ils sont du XVI° et XVII° siècle, très sobres. Malheureusement, beaucoup de détails kitsch à l'intérieur, le kitsch écclésiastique de la firme Sofrimo, qui produit mobilier, icônes et chasubles pour tout le patriarcat.


J'ai dernièrement eu un échange avec une vieille intellectuelle russe émigrée sur Ivan le Terrible, au sujet duquel est sortie une série télévisée qui ne fait pas l'unanimité, elle rend même certains journalistes fous de rage. La vieille intellectuelle la trouve fidèle à la vérité historique. Je lui ai objecté que cette vérité était remise en question, et pas seulement par des nostalgiques de Staline auquel ils s'obstinent à comparer le tsar, ou par des illuminés qui voudraient le canoniser. Elle m'a rétorqué qu'elle ne prenait en considération que les historiens sérieux, soit ceux du XIX° siècle. Ce n'est pas que je ne les considère pas comme sérieux, et du coup, j'ai commencé à lire une somme de divers textes sur la question qui m'a été offerte par je ne sais plus qui. Mais les historiens que j'avais vus rassemblés à Alexandrov ne m'ont pas fait l'effet de rigolos, alors que j'en avais rencontré un qui m'avait inspiré la plus grande méfiance par son révisionnisme forcené. Or ces historiens disent avec certitude qu'on ne sait pas grand chose, que la plupart des sources ont brûlé, qu'officiellement, de façon vérifiée, ses répressions ont fait 8000 victimes ce qui est loin du bilan des guerres de religion ou de Staline dont on fait son équivalent moderne. Et enfin, on ne trouve pas trace de tout cela dans le folklore. Alors que dans ce même folklore, le tsar présentable qu'est Pierre le Grand pour tout le monde est présenté comme le chat joyeusement enterré par les souris. J'ai laissé tomber la discussion assez vite, je ne suis pas assez spécialiste, et mon interlocutrice était trop catégorique.

Cela dit, le supplice de son mage anglais raconté par sir Jerôme Horsey fait froid dans le dos, et je ne pense pas qu'il l'ait inventé. Mais ne peut-on mettre parfois en doute ce que raconte Kourbski qui l'a trahi et l'opritchnik allemand Staden, peu recommandable? Bref, personnellement, j'incline à penser qu'entre le film d'épouvante et la réalité, il y a peut-être une marge. Lui-même dit dans une lettre à Kourbski: "Quel souverain serait assez fou pour exterminer son propre peuple"? Et en effet, dans la mesure où, à son époque, le sort d'un souverain et celui de son peuple étaient étroitement liés. Cependant, qu'il ait eu la main très lourde avec son aristocratie, que son Opritchnina se soit livrée à toutes sortes d'exactions, qu'il ait sombré à ce moment-là dans la débauche et la cruauté, je ne le nie pas.

Il reste qu'à mon avis, cette âme sombre n'était pas sans lueur, un peu comme un personnage de Dostoievski, et c'est ainsi que je l'ai montré, dans mon roman qui est beaucoup plus un conte qu'un récit historique. De la série, je n'ai vu que deux épisodes, je les ai trouvés plutôt plats. Après quoi, j'ai vu dans les commentaires de ceux qui ont regardé la suite, que cela devenait très caricatural. Les ébats amoureux du tsar et des cruautés hallucinantes. En ce qui concerne les ébats amoureux, les commentateurs notent que deux de ses tsarines sont montrées en train de le chevaucher, ce qui était impossible à l'époque, qu'ils supposent puritaine, et ce n'est pas mon avis; je pense qu'on était certainement moins puritain à l'époque que plus tard, et pourtant, ce genre de fantaisies érotiques ne devaient pas être pratiquées pour une autre raison: le tsar et les hommes russes de l'époque étaient beaucoup trop machos pour l'envisager. Je pense que de toute façon, on peut exprimer la sensualité du tsar sans recourir à des scènes de ce genre.

Ensuite, on montre Basmanov père et Basmanov fils s'entretuer dans un cachot sous les yeux du tsar qui avait promis la vie sauve au vainqueur. Je connaissais trois versions de la fin de Fédka Basmanov et celle-ci ne m'avait pas convaincue, puisqu'il avait décapité son père sur l'ordre de ce même tsar, après quoi, soit il aurait été exécuté dans la foulée, soit expédié avec sa famille à Saint-Cyrille-du-Lac-Blanc où il serait mort de maladie assez rapidement. La série a choisi la plus immonde. J'ai choisi la plus acceptable, en fonction du fait que le jeune homme avait épousé la nièce de la tsarine Anastassia, et je donne une version personnelle du parricide et de ses suites.

Pour ce qui est du personnage de Fédia, j'ai bien conscience d'avoir probablement, comme me disait Iouri Iourtchenko, "fait d'un vrai salaud un ange déchu", il y a certainement de cela, car dans mon oeuvre littéraire, j'ai mis beaucoup de moi-même, et Fédia, devenant un peu mon double, s'en est trouvé considérablement adouci. Cependant, mon intuition me dit que ce garçon détestait son père parce que celui-ci l'avait peut-être profané, en tous cas maltraité; il me semble que le jeune homme aimait le tsar; il avait épousé sa nièce, donné son prénom à l'ainé de ses fils. Enfin, je pense que le parricide a été partiellement assumé pour sauver ses deux enfants chéris en supprimant un père détesté. C'est comme ça que je vois les choses, avec mon intuition d'écrivain, qu'il ait été un salaud fini ou un ange déchu.

J'éprouve parfois une espèce de peur irrationnelle, de répugnance insurmontable à lire ou voir des choses sur le tsar Ivan qui me paraissent  outrées, à tel point que parfois je me pose des questions sur la nature de telles réactions. C'est comme si on crachait sur des gens de ma famille, ou comme si la fureur ulcérée qui s'emparait de moi n'était pas la mienne mais passait par moi.

Quand j'écrivais mon livre, un écrivain belge avait vu en rêve que depuis l'enfance, j'étais escortée par une âme orthodoxe du XVI° siècle, morte tragiquement, qui attendait de moi sa délivrance. Or à ce moment-là, il ne savait pas que j'étais prise par ce roman.

Je me demande si la mission a été accomplie, car un lien puissant m'unit à ces deux êtres, me laisseront-ils tranquille lorsque le livre sera traduit, édité peut-être? J'ai parfois l'impression d'être en communication permanente avec ces deux fantômes qui ne sont pas de tout repos, et fort ombrageux, et même un tantinet vampiriques. Et peut-être ce que j'ai écrit n'est-il pas exact historiquement, mais pour eux mystérieusement salvateur.





jeudi 3 décembre 2020

OVNI


 En complément de mes réflexions d'hier, j'ai trouvé aujourd'hui cet aphorisme du starets Nicolas Gourianov: "Nos pensées et nos paroles ont une forte influence sur le monde environnant, les animaux, les plantes. Priez avec des larmes pour tous les malades, les faibles, les pécheurs, pour ceux pour lesquels personne ne prie. Pour les fleurs, les pierres, les plantes. Ne faites pas de mal aux oiseaux, faites leur la charité. Demandez à Dieu que nous restent sur la planète de l'air et de l'eau pure, et invoquez fermement le Très Doux Sauveur du monde: "Jésus, Fils de Dieu, prends pitié de moi pécheur".

J'en suis persuadée et c'est d'ailleurs prouvé, je pense du reste que l'expérience spirituelle et l'expérience artistique humaines vont beaucoup plus loin dans l'appréhension de la véritable réalité du monde que l'approche scientifique matérialiste (car il existe aussi une approche scientifique que ne bornent pas les aprioris matérialistes) et évidemment que "l'intelligence artificielle", qui est l'intelligence du diable, la contrefaçon de l'intelligence. Cela est très sensible dans le plus beau livre que j'ai lu sur le moyen âge, "les quatre vies d'Arséni" de Evguéni Vodolazkine, sur un guérisseur russe qui finit dans la peau d'un starets.

Je ne prie pas assez, mais le peu que je prie, je le fais dans cet esprit, et avec des larmes. D'un seul coup, en lisant cela, j'ai d'ailleurs été réconfortée d'avoir un tel pensionnat d'emmerdeurs à quatre pattes, emmerdeurs au sens souvent propre du terme. Que serait-il advenu de chacun d'entre eux? Les mésanges et autres passereaux survivent en partie grâce à mon restau dans le poirier, à mon grand chagrin, monsieur Moustachon recueilli par pitié, lui aussi, est un chasseur démoniaque et me rapporte de petits cadavres ailés, mais malgré ces "prélèvements", comme disent les "défenseurs de la nature", cette nourriture est utile à une population que l'hiver décime plus que chez nous. Je pense que si la neige se décidait à tomber pour de bon, Moustachon deviendrait beaucoup plus visible et moins dangereux. Je prie pour les miens, pour ceux qui sont malades et malheureux, pour ceux qui ne connaissent que le malheur et meurent de façon atroce, pour les animaux que nous faisons vivre de cette manière, et pour la création que nous profanons sans arrêt.

Dans le même esprit, j'évite d'arracher des plantes, et mon voisin ne comprend pas du tout que ses propositions, qui consistent à recouvrir tout ce que j'ai planté ou laissé pousser d'une tonne de terre pour me mettre au niveau de sa digue ne me conviennent pas. Depuis trois ans, j'ai planté toutes sortes d'humbles choses, parfois déplacé de "mauvaises herbes" que je trouvais jolies, dans des endroits où elles ne gêneront pas et se mêleront harmonieusement aux autres ou entre elles. Lui n'envisage que le gazon ratiboisé avec régularité façon moquette, les fleurs en rang dans des massifs, bref, propre, banal, ennuyeux, comme on aime chez les extraterrestres.


Mon voisin d'en face, le vieil oncle Kolia, m'a dit que les constructeurs des quatre merdes prévues derrière son isba avaient fait la même chose. Il se retrouve un mètre plus bas que leur terrain artificiel bétonné sur le marécage. Evidemment qu'un tel poids de terre sur notre faible croûte flottant sur la nappe phréatique va provoquer des résurgences chez nous en premier lieu, cela me paraît clair.

Autrement l'OVNI me prive moins de lumière que prévu, sauf que bien sûr, un sapin devient impératif, si je ne veux pas contempler un mur de plastique quand je lève les yeux. Et d'autres arbres pour ne pas voir ça l'été et pour ne pas avoir l'impression de vivre dans un aquarium.

Les Russes voilent tellement leurs fenêtres qu'on ne voit plus rien à travers mais moi, quand je n'ai pas de voisins dont la vue plonge chez moi, je ne mets de rideaux que pour la nuit, car j'aime que ma maison soit emplie de lumière, et traversée de pans de ciel et de feuillages frissonnants. Evidemment, dans un cas comme cela, il ne reste plus que les doubles ou triples séries de voilages. Ou bien les écrans végétaux. S'enfermer derrière des rideaux, c'est aussi se couper du monde, et à force de se couper du monde, on devient un extraterrestre.




Cette vidéo apporte une réflexion différente et complémentaire, à voir avant qu'on ne la censure, en se demandant pourquoi on le fait si vite...

mercredi 2 décembre 2020

Harmonie



 Je fais beaucoup de progrès avec Skountsev; en même temps, je  vois à quel point tout cela demande d'investissement, quand on ne l'a pas sucé avec le lait de sa mère, pour ainsi dire déjà commencé à l'assimiler dans ses entrailles, comme c'était le cas autrefois. Il paraît que les enfants des cosaques Nekrasovtsi, qui avaient conservé leurs traditions 300 ans en Turquie, où ils s'étaient réfugiés après le schisme, les perdent depuis qu'ils sont dilués dans la Russie contemporaine, qui les perd également, avec sa paysannerie, bien que pas mal de jeunes y reviennent, en quête d'authenticité, en quête d'eux-mêmes. C'est déjà quelque chose, en France, ceux qui retournent à la terre sont loin de revenir à la tradition française. 

Apprendre ces chansons et jouer de ces instruments développe beaucoup de facultés, évidemment la mémoire, la concentration, la coordination, le sens de la place du détail dans l'ensemble, l'attention à ce qu'on fait, et à ce que font les autres, l'adaptation à un rythme, en dehors naturellement des aspects artistiques, mais ces aspects artistiques découlent eux-mêmes de l'harmonie de tout le reste. Et ceux qui pratiquent cela depuis l'enfance ont indéniablement quelque chose de plus que ceux qui n'en ont aucune idée, et aucune tablette, aucun ordinateur ne développera une personnalité et son intelligence de manière aussi complète, surtout si l'on y ajoute les interactions avec le milieu naturel, et la vie spirituelle, à laquelle tout ceci introduit. 

Je l'avais constaté sur les enfants que j'avais eu en maternelle deux ans de suite. Et pourtant, nous étions loin de pratiquer cela tout le temps, mais je crois que dans tout ce que je faisais avec eux, j'amenais précisément cet esprit qui relie les détails dans une harmonie supérieure, car c'est ainsi que bon an mal an, je me suis formée moi-même.

Je peux donc tranquillement assurer que notre éducation contemporaine, notre milieu contemporain servent principalement à fabriquer des crétins et des monstres. Ceux qui échappent à l'un et l'autre destin et restent normaux n'ont plus qu'à vivre plus ou moins comme des parias et à se trouver une niche écologique quand cela reste possible. Cela je l'ai toujours su. Dès qu'on m'a mise à l'école.

Ce milieu contemporain exerce d'énormes pressions sur les individus, même quand ils reçoivent une éducation normale. Il est très difficile de rester soi-même, de rester vrai, j'en faisais déjà l'expérience dans les années 70. Car on se retrouve dans une grande solitude. Et lorsqu'on est jeune, on a envie d'avoir des amis, d'avoir un compagnon ou une compagne.

Une jeune fille que j'avais eue en moyenne et grande section m'a retrouvée et m'envoie de temps en temps des lettres. Elle m'appelle toujours maîtresse... Elle m'avait dicté alors un ravissant petit poème, qui ressemblait à un haiku. C'était une petite fille avec de longs cheveux blonds, à moitié russe. Elle me dit qu'elle écrit toujours, grâce aux encouragements que je lui avais prodigués alors. J'ai beaucoup aimé tous ces enfants, ils avaient presque tous quelque chose, une espèce de grâce. Ceux de ces deux classes. Ils étaient de milieux dits privilégiés, ce qui ne rend pas forcément les choses plus faciles, car les parents ont souvent des attentes particulières...

Skountsev dit que les gousli ont un effet thérapeutique. C'est vrai, je le sens. A mon avis, ils font faire aux gouttes d'eau des cristallisations harmonieuses, et c'est un autre avantage du folklore, à un niveau qui n'est plus celui de l'apprentissage, mais de l'être. La musique traditionnelle exerce un effet bénéfique sur l'organisme de ceux qui la pratiquent et j'irais jusqu'à dire sur le milieu environnant. Mais elle déchaine souvent l'agressivité des pauvres décérébrés qui écoutent en boucle à tue-tête le tohu-bohu préfabriqué qu'on leur distille à longeur de radio et dans tous les restaurants et supermarchés. Ce sont ceux-là qui construisent des horreurs, scient des arbres séculaires, massacrent des animaux pour le plaisir, pataugent dans les tripes de la vie éventrée et profanée avec une sorte de frénésie grossière et sombre.

Un paysan et ses gousli. Quelle serenité et quelle dignité... né en 1904, contemporain de mon grand-père


Je suis ce matin allée faire une prise de sang, les analyses rituelles. J'ai trouvé une généraliste qui est en même temps cardiologue, dans un centre de diagnostic. Elle est sympathique, et cherche à soigner avant tout le terrain de son patient. Elle m'a confirmé que le masque à longueur de temps était une hérésie et tout, sauf une mesure médicale destinée à sauver les gens. Néanmoins, la pieuvre mondialiste empoisonne également la Russie, de gré ou de force, peut-être de force, car tout cela est moins oppressif que dans d'autres pays, où cela prend une tournure si inquiétante qu'il faut être extrêmement hypocondriaque ou complètement abruti pour ne pas soupçonner quelque chose de pas net.

J'ai noté que l'on ne faisait pas les tests covid sadiques qui se pratiquent en France, les gens doivent eux mêmes prélever dans le nez, le plus haut possible et dans la gorge, mais personne ne va les ramoner jusqu'au cerveau. En revanche, une vieille qui venait se faire tester, dûment masquée jusqu'aux yeux, me collait à la réception, m'interrompant pour demander des renseignements à la bonne femme de service, j'espère qu'elle n'était pas malade, car je ne comptais ni sur son masque à la con ni sur le mien pour éviter la contagion...

D'ailleurs le médecin m'a dit que je faisais bien de me tenir à l'écart des hôpitaux si ce n'était pas indispensable.  

La fille qui m'a fait le prélèvement n'était pas fort aimable, la parole brève, et je ne pouvais pas voir son visage à cause du masque, mais je le devinais très fermé. A l'issue du processus, je lui ai dit merci. J'ai vu son regard s'illuminer comme celui d'un enfant.

Je pense que dans ce genre d'endroits, beaucoup de Russes prennent un air rébarbatif pour faire sérieux. J'ai constaté cela aussi dans les services d'immigration.  

                                 




dimanche 29 novembre 2020

Les braises

 Un ami folkloriste, Dima Paramonov, répond à mon cri du coeur devant des photos de la magnifique petite ville de Mojaïsk: "Russes! Je ne veux pas voir disparaître tout cela, vos cottages en plastique, c'est de la merde, et aucun peintre n'a envie de les dessiner" que la civilisation russe est terminée et que tout disparaîtra. De la part d'un garçon qui est très actif dans la renaissance du folklore, c'est dur à entendre. Il est vrai qu'il avait ouvert un musée des gousli à Moscou, où l'on donnait des cours, et à la faveur du Covid, on le lui a fermé. Il est parti vivre dans un village de l'Oural, sans doute espère-t-il retarder ainsi le moment où il sera rattrapé par le siding et la tuile mécanique bleu pétard, accompagnés de la radio à tue-tête, ce qu'il pense inéluctable pour l'ensemble du pays. 

Je dis "à la faveur" du Covid, parce qu'évidemment, tout ceci est voulu. Tous les gros ploucards du business mafieux transhumaniste détestent viscéralement tout ce qui est russe de chez russe, comme ils détestent chez nous tout ce qui est français. Et ce sont eux, comme chez nous d'ailleurs, qui forment les mentalités, détiennent les médias, et le fric des investissements, eux qui décident de laisser pourrir la patrimoine ou d'en hâter la fin par des incendies, eux qui soutiennent tous les spectacles dégradants, la musique de merde, la sous-culture de masse transnationale. 

Le peintre Alexandre Pesterev, dans son isolat de Férapontovo, me disait exactement la même chose que Dima: tout ce que nous aimons est condamné.

La Russie du XIX° siècle était encore un monde jeune et extrêmement vivace, avec une riche culture populaire, une vaste paysannerie, qui faisait beaucoup d'enfants. Le début du roman de Cholokhov le Don paisible, rend bien cette impression de vitalité. J'avais lu autrefois les souvenirs d'une dame française partie en Russie avec son mari dans les années 1850. Sa description du sud de la Russie est prenante, fascinante. Il lui semblait déboucher dans un autre monde, il lui semblait, dès qu'elle quittait les bâtiments officiels des villes de province, ses fonctionnaires et nobles locaux, être la proie d'une hallucination permanente tellement elle était AILLEURS. Et elle évoque un jeune cosaque de son escorte qu'elle voyait jouer avec un aigle.

Ce monde étrange, extrêmement original, très homogène, avec un folklore qui, selon des musiciens italiens du XVIII° siècle, révélait une seule mélodie de base, dans tout l'empire, depuis la Sibérie et le nord jusqu'à l'Ukraine et la Bielorussie incluses; une seule mélodie avec des milliers de variantes, reflet de l'âme russe, cette communion de personnes unies transversalement et horizontalement en Dieu, avec toutes leurs nuances personnelles qui entraient en résonnance harmonieuse, c'est sans doute un peu ce que nous avions en occident au moyen âge. Nous avons dit de ce monde russe qu'il était attardé, alors qu'il était seulement miraculeusement conservé. Et il s'est conservé d'ailleurs en partie,  au delà de la catastrophe communiste, sans doute jusqu'aux années Brejnev;  

Il en a fallu de l'acharnement et de la cruauté, pour le faire disparaître. Au XVII° siècle, il s'est dressé toutes classes confondues pour évacuer les Polonais. Avec Pierre le Grand, c'était déjà plus difficile, le schisme des vieux-croyants ayant introduit une fracture inguérissable dans un peuple qui, plus qu'aucun autre en Europe, était une grande famille, avec ses querelles internes et ses mauvais sujets, mais une profonde parenté spirituelle et culturelle entre tous ses représentants. Pierre le Grand a inoculé l'occident à la Russie, il a été le premier à mépriser tellement son propre peuple et à le méconnaître qu'il a donné un nom étranger à sa capitale. Mais quand les Français sont venus apprendre la vie aux Russes, ils se sont encore levés comme un seul homme pour les mettre dehors. Y compris les nobles de Pétersbourg coupés de leur culture, et même les étrangers phagocytés par cet étrange et captivant pays, les Allemands, les Italiens, les émigrés français russifiés.

Que dire du bolchevisme introduit à la faveur de la trahison des élites, travaillées par toutes les idées qui, parties d'un occident devenu fou, ont fini par infecter toute la planète? Avec quelle méchanceté méthodique se sont-ils acharnés sur la Russie, précisément sur la Russie, paysanne, croyante, poétique, contemplative, artistique, pour la transformer en fourmillière mécanique sans mémoire? Séduite, violée, battue, assommée, dressée, endoctrinée, poussée à se détester elle-même et à traquer en elle tout ce qui pouvait lui rappeler sa vraie personnalité... Aujourd'hui, les descendants post-soviétiques des ardents komsomols qui ricanaient en 73,  lorsque je leur disais que les nouveaux bâtiments de Moscou étaient tous plus affreux les uns que les autres, détruisent les derniers vestiges de ce que leurs ancêtres russes avaient mis des siècles à bâtir ou se transmettaient depuis la nuit des temps. Le beauf international aux gosses maussades cramponnés à leurs écrans remplace peu à peu le Russe authentique, avant sans doute, comme nous le sommes nous-mêmes à la suite de processus analogues, d'être remplacé à son tour par le surplus délinquant et abruti de l'Asie ou de l'Afrique.

Il se trouve de ces descendants pour verser dans le négationnisme et justifier le massacre et le dressage de leurs ancêtres non conformes au modèle moderniste. Cela valait le coup de s'infliger tout ça, pour avoir une salle de bains dans son clapier en béton et aller dans le cosmos nous installer la toile d'araignée électronique qui fera de nous tous des esclaves hagards.

Pourtant, dans ce bordel hideux que devient la Russie, il surnage des ferments de renouveau, des cellules saines, plus peut-être qu'en Europe. Le folklore séduit beaucoup de jeunes, il reste pas mal de gens qui sont patriotes, qui aiment leur pays, qui voudraient le sauver. Une goutte dans la mer, me dit Dima Paramonov. Je dirais un peu plus que cela, un courant, une sorte de discret Gulf Stream.

Et quel autre choix avant nous que de souffler sur les braises qu'il nous reste? 

Derrière l'isba de l'oncle Kolia surgit une structure à deux étages du genre de celle que construit mon voisin. Si je reste ici, il ne me reste qu'à boiser à mort. Je déménagerais bien, j'ai vu une isba ravissante à Koupanskoié. En aurai-je le courage, et son environnement restera-t-il ce qu'il est? 

La maison du voisin, c'est un échafaudage d'allumettes, avec de l'isolant entre deux couches de contreplaqué, et le siding par dessus, je pressens qu'il sera façon fausse pierre, pourquoi s'emmerder avec du vrai quand il y a le plastique, qui  "dure éternellement" et qu'on a  été tellement nourri de faux, qu'on ne sait même plus ce que c'est que l'authentique? J'espère au moins que son toit ne sera pas bleu électrique ou rouge sang de boeuf...




J'ai fait ce dessin en 2000,  près du monastère musée qui domine la ville. Il y avait toute une enfilade de petites maisons semblables, qui s'inscrivaient de manière parfaitement organique dans l'ensemble et qui ont été remplacées par d'horribles OVNIS qu'on a envie de pousser pour mieux voir.