J''ai reçu deux coffres paysans que j'avais commandés chez un antiquaire de Moscou. Le jeune livreur qui me les a déchargés me dit: "J'ai quand même une question, pourquoi donc achetez-vous ces vieux coffres?
- Mais parce qu'ils sont beaux! ils ne sont pas plus chers que des meubles Ikea, mais ils ont de l'âme, ils ont été faits avec goût et amour...
- Ils ont combien? 200 ans?
- Mais non, il y a encore 30 ou 40 ans, les gens fabriquaient toute cette beauté. Ils sont peut-être du XX° siècle ou du XIX°..."
Aujourd'hui, je retourne au lac, côté église des quarante Martyrs. Mais j'avais des semelles glissantes, donc je n'ai pas trop fait la maline. Cependant, les couleurs étaient irréelles, toute la disgrâce du néo Pereslavl que ne masquent ni la verdure, ni les fleurs, ni la neige, enchâsse de grands vitraux miroitants qui jettent de toutes parts des lueurs surnaturelles. Le lac étend à perte de vue des bleus paradisiaques, des glacis dorés et fulgurants, et des cygnes au loin déambulent, comme des anges que notre impureté tient à l'écart, mais qui sont là, attentifs. Et là, tout à coup, dans cet instant magique, cette fugace trouée ouverte sur l'éternel, j'entends le tintamarre d'une "musique" atroce, et me retourne pour voir d'où cela venait: une jeune mère, sur patins à glace, avec une poussette-luge, faisait tout ce qu'elle pouvait pour transformer son bébé en un abruti à son image, incapable de contempler le monde en silence. Sa grand-mère, à sa place, aurait sans doute chanté à l'enfant une merveilleuse chanson russe. Ou peut-être déjà son arrière-grand-mère. Car les joyeux komsomols élevés dans le monde nouveau soviétique n'ont évidemment pas transmis grand chose de plus aus générations suivantes que chez nous les soixante-huitards des trente glorieuses...
J'ai fait un rapide dessin, et je suis allée au café français, où j'ai trouvé Gilles et sa femme en train d'emballer des myriades de chocolats de rêve dans des ballotins blancs, doublés de doré. Ils m'ont recrutée pour installer les décos de Noël dimanche. Pour ce qui est du concert du 25, en raison des mesures Covid à la noix, il sera conçu comme une soirée privée, parce que tout de même, il est bien connu que tout le monde fait semblant. Donc, nous recevrons, sans publicité, des amis pour fêter la Noël française, avec vielle-à-roue, gousli, balalaïka, et si je trouve quelqu'un pour s'en charger, Katia par exemple, lecture en russe d'un ou deux chapitres de Yarilo. Plus, expo de mes aquarelles dans les locaux, celles qui ont été faites en France, puisque c'est un café français... J'en ai un certain nombre et peut en encadrer encore.
J'ai vu ce matin une émission qui m'a remonté le moral. Si, si! C'est une émission politique de grande écoute, celle de Soloviov sur la chaîne 1. Il y avait là différents politologues, je veux dire de différents horizons politiques, dont Sergueï Mikheïev, politologue orthodoxe dont je suis souvent les émissions. D'abord ce qui m'a frappée, par rapport à tous les débats des médias officiels français, c'est la liberté de ton et la courtoisie qui régnaient sur ce plateau. Pourtant le thème, en France, aurait provoqué des cris d'orfraie chez nos journalistes: ces gens, quel que fût leur analyse personnelle de la situation, étaient tous d'accord pour constater que les thèses "complotistes" se réalisaient les unes après les autres et que si on ne faisait rien, nous allions nous retrouver devant un asservissement et un avilissement sans précédent de l'humanité, si ce n'est l'extermination pure et simple de la plupart d'entre nous. Ils concluaient tous au caractère pervers des mesures anticovid, que la maladie fût ou non aussi grave qu'on cherche à nous le faire croire. Tous d'accord pour constater que l'on visait l'anéantissement de l'économie traditionnelle, de la société traditionnelle, et de toutes ses fondations spirituelles et culturelles, morales, y compris la famille et les sentiments humains.
Certains étaient communistes et restaient coincés dans la rhétorique de la lutte des classes, de la gauche et de la droite, et l'un d'eux finissait par donner la Chine en exemple d'aboutissement socialiste, alors que justement, la Chine et sa dictature électronique sont l'exemple de ce que les libéraux occidentaux cherchent à imposer à tout le monde. Ce qui m'a prouvé une fois de plus à quel point capitalisme privé et capitalisme d'état procédaient au fond de la même racine maudite. J'ai entendu avec intérêt déclarer que Staline n'avait fait que mettre la "culture bourgeoise" à la portée du peuple. C'est-à-dire qu'il a répété ce qui a été fait chez nous par la République, il a privé le peuple de sa culture originale pour lui imposer une culture de musée à laquelle il n'a jamais eu vraiment accès et qui a enfanté des milliers de profaillons académiques et d'intellectuels de broussailles qui ont dévitalisé tout ce que l'humanité avait créé avant eux dans la spontanéité, la vérité et la simplicité. D'où le mauvais goût post-soviétique. D'où mon livreur de coffres qui méprise les créations des paysans, d'où la patineuse qui bousille l'oreille et l'intellect de son gosse avec le tapage de la culture de masse importée.
Mikheïev a commencé par déclarer qu'il n'était pas spécialiste des questions abordées, qu'il n'était pas scientifique et qu'il n'était même pas sûr d'être extrêmement cultivé mais qu'il était orthodoxe et que cela lui suffisait pour reconnaître ce qui était en train de se passer. "Qu'est-ce que Dieu? L'Evangile nous dit: au commencement était le Verbe, et si Dieu est le Verbe, le diable, lui, c'est le chiffre, le diable a un numéro: 666." Soloviov lui a fait remarquer que dans la tradition juive, tous les événements des écritures ne se reféraient pas au passé mais concernaient aussi le présent et même le futur, ce qui était aussi naturellement l'avis de Mikheïev. Ce dernier a fait remarquer à ses collègues que le débat gauche droite, la lutte des classes et tous ça était complètement dépassé, car les mouvements de gauche étaient les premiers à promouvoir cette dictature électronique ultracapitaliste et qu'on pouvait justement voir en Chine le monstre enfanté par la combinaison des deux tendances, qui ont la même origine et aboutissent, pour finir, à la même chose. Il pense même que pour nous imposer le cauchemar totalitaire planifié, on aura recours comme d'habitude à de grands discours humanistes. Bref, il est le seul qui ait vu le phénomène dans toute son ampleur métaphysique.
Si tout cela me remonte le moral, c'est qu'un tel débat à la télé russe dans une émission très regardée est plutôt bon signe, en dépit de toute la grosse propagande du covid et des mesures universelles qui l'accompagnent, et qui sont ici appliquées plus ou moins, selon la ferveur mondialiste des fonctionnaires locaux. En un mot, quelque chose ou quelqu'un résiste encore en Russie alors qu'en France, l'état et les médias sont entièrement au service de la pieuvre. Or de la résistance de la Russie peuvent dépendre beaucoup de choses pour tout le monde. L'émission s'est terminée par un appel à l'oubli de nos divergences dans une lutte commune contre ce danger sans précédent.
Pour ceux qui comprennent le russe:
L'émission est très longue mais ce qui concerne le covid fait environ une heure