Je suis très fatiguée, au point que je ne peux rien faire,j'ai le dynamisme d'une méduse échouée. Génia
Kolessov m’a dit que lui aussi, par temps orageux, n’était plus bon à rien.
Nous sommes climatodépendants et ici, le climat, c’est quelque chose...
Vendredi soir, la
belle-fille du Français Jean-Pierre, Taïssia, donnait un concert au bar du
café. Elle chante, avec une voix magnifique, des chants populaires, accompagnée
par deux violoncellistes. Son interprétation est très personnelle, et quand
elle nous invitait à chanter avec elle, ce n’était guère facile, il est
possible qu’il en soit de même pour moi, du reste. Quand on chante en solo,
c’est le problème, le folklore se chante surtout en groupe. Mais c’était très
beau, et cela fait connaître des chants et une culture que les gens ont
tendance à oublier, dans laquelle trop souvent ils n’ont pas été élevés. Ils découvrent ou redécouvrent cette quintessence de l'âme russe qui m'a si profondément envoûtée et qui nous vient de si loin, peut-être de notre origine commune.
Samedi, j’avais
le festival des gens heureux de Boris Akimov, où je ne me produisais pas, et
heureusement, car un orage se promenait entre Pereslavl et Moscou, et j’étais l’ombre
de moi-même. J’avais mal à la tête depuis déjà trois jours. Je voulais voir Ania Ossipova et ses
merveilleuses réalisations dans le style traditionnel. Quand je suis arrivée,
il était encore tôt, mais elle avait déjà beaucoup vendu. J’en étais très
heureuse pour elle, son mari était très fier. Son équipière ne semblait pas vendre autant, mais elle fait exclusivement des matriochkas, on n’a pas toujours
besoin d’une matriochka... Elles sont simples, dans la tradition des matriochkas
authentiques, telles qu’on les faisait autrefois, mais bien sûr, il s’est
trouvé des gens pour lui reprocher de ne pas leur faire de gos yeux avec de
grands cils, façon Disney, et de ne pas les barioler d’or et de toutes sortes
de couleurs clinquantes, en accord avec les barrières en profnastyl rouge
pétard, les portails en faux fer forgé doré doublé de plastique jaunasse et autres horreurs dont se délecte
le malheureux produit de la modernité post-soviétique...
Taïssia devait se
produire à cette fête, mais j’étais trop fatiguée pour l’attendre, et je l'avais déjà écoutée au bar. Il y avait
un autre groupe, je ne l’ai pas attendu non plus, mais le lendemain, Katia m’a
invitée à venir l’entendre dans le foyer de l’église du Signe, où elle chante
le dimanche. J’y suis allée, pour Katia et parce que l’évêque y était aussi, mais
je pressentais que cela n’allait pas trop me plaire, et en effet, cela ne m’a pas
plu, je me suis emmerdée comme un rat mort. Deux dames à mes côtés partageaient
mon point de vue. Les musiciens avaient de bonnes bouilles, la soliste ne chantait
pas mal, les guitaristes jouaient correctement, mais c’était ennuyeux comme la
pluie, cela me rappelait la variété américanoïde des années 60 avec des
toutoubidou et des chababadada, quelque chose qui ne ressemble ni aux Russes, ni aux Français, ni peut-être même aux Américains, en fin de compte. Dans le genre contemporain j’aime mieux Dania
le balalaïker, même si je ne raffole pas toujours de son répertoire, il se donne tellement,
il a tellement de tempérament, qu’on est pris malgré soi, il fait de ces emprunts quelque chose de complètement personnel. Ou bien le country de
Jason, qui sent le tabac, la bière, le café et le vent du petit matin qui vous dissuade, par sa fraîcheur, d'aller vous tirer une balle dans le crâne au réveil. J'observais avec surprise que l’assistance appréciait énormément, à part
mes voisines et une amie de Katia. Du coup, la chanteuse était intarissable, il
n’y avait plus moyen de l’arrêter.
Après le thé en
commun, Katia a proposé d’aller au restaurant « le Hérisson repu »
où, pour une fois, il y avait de la place, avec son amie. Elle nous a confié
son désir d’écrire, elle tient un journal depuis des années, mais cela lui fait
peur, car elle voudrait « vivre et aimer ». J’ai connu cela, je ne
vivais pas, je n’aimais pas, et je n’écrivais pas non plus, à part, comme elle,
un journal. « Ecrivez, lui dis-je, le reste viendra en plus... et s'il ne vient pas, au moins vous aurez écrit.»
Son père,
écrivain connu, lui disait qu’écrire était une sorte de strip-tease
psychologique et spirituel, que si l’on avait peur de dénuder et exposer son
âme, ce n’était pas la peine de s’y mettre. Je pense qu’il a raison, et c’est
effrayant, en soi, car cela se produit à notre insu. Certains qui n’ont pas grand chose à montrer de ce côté-là,
dénudent leur vide, et nous entretiennent de cela avec beaucoup de complaisance. Ils en rajoutent d'ailleurs souvent dans l'exhibitionnisme.
Submergée par les poires, j'essaie de faire face, je les fais sécher, je congèle des compotes, des clafoutis, je fais des confitures, et il y en a toujours autant, le malheureux poirier croule et se brise de tous les côtés. Ce soir, le père Vassili est venu avec sa femme et leurs nombreux enfants, ils en ont emporté trois cageots pleins. Le plus petit, depuis sa poussette, me souriait en mangeant la récolte. La matouchka me parlait de son Kouban méridional où pousse tout ce qui pousse en France, les abricotiers, les pêchers, les cerisiers, les noix, la vigne... cela sentait déjà tellement l'automne, malgré la tiédeur, rafraîchie par le vent du soir.
Voici le post d'un excellent artisan céramiste traditionnel, d'origine russo-hongroise, Sergueï Fenvechi:
En quête d'informations pédagogiques sur Youtube, j'ai vu qu'on proposait d'écouter de la musique moderne, nouveautés 2023.
Eh bien, ai-je pensé, je vais écouter les derrières merveilles de la scène. L'attraction avait de nombreux noms. Beaucoup de ces chansons vous sont familières, et vous fredonnerez ces derniers succès, meilleures chansons et autres séductions de bas étage. Mais non, voyons... laissez tomber...
J'ai écouté obstinément, avec patience, dans l'attente d'une vraie musique. J'ai enduré ce vacarme pendant deux heures. Et j'ai été horrifié.
A l'issue de tout cela, mes conclusions sont les suivantes:
1) Les paroles sont incompréhensibles, le sens des chansons est inaccessible.
2) il n'y a pas de musique. C'est-à-dire à moins d'appeler musique quelque chose de rythmé par des percussions, ponctué par les quelques sons adjacents d'autres instruments, dont beaucoup sont inaudibles. Pourquoi diable tant d'interprètes pour des sons qu'on n'entend pas?
3) Je vérifie la musicalité des chansons par leur capacité à être fredonnées, sifflées, marmonnées, pour cueillir des champignons dans la forêt et profiter de la vie. Même si je ne connais pas les paroles de la chanson. La musique est sauvegardée!
Or il n'y a pas de musique!!! En termes de mélodie. Maintenant, on appelle musique tout bruit et tumulte produit par des instruments de musique.
4) Les textes sont exposés à travers un certain type de déclamation. Toutes les "chansons" sont similaires, exposant les textes de la même manière. Aucune chanson ne se distingue des autres. Sauf si la vitesse change un peu. Eh oui, pas de chant du tout. Par rapport au chant d'opéra, comme modèle de chant. Ou, plus simplement: "Ah Natalia, Natalia, ouvre donc le portail"... C'est aussi une espèce de récitation mais il y a une mélodie.
5) Il n'y a aucun art dans la musicalité. Le monde se dégrade. Les rappeurs ont aussi déclamé des virelangues, mais au moins, dans les parties sans texte, ils avaient des mélodies talentueuses. Et maintenant, même cette allusion a disparu. A la mélodie.
6) Je ne peux pas chanter. Même quand je parle, je ne génère pas de sons. C'est vrai, parfois, je vais chanter une chanson folklorique, si je me saoûle, et si on me le demande, pour se moquer de moi. Donc, pour me gausser de moi-même, je vais chanter, en avertissant tout le monde, qu'on n'a pas besoin de me fuir dans la forêt, que je ne chanterai pas longtemps))))). Cependant, à voir comment chantent ces artistes à succès maintenant, je pourrais faire un triomphe. Je vais jouer quelque chose à une maison de disques, on mettra ça au point, on le sortira comme le truc tout ce qu'il y a de plus spécial, et je deviendrai la super star. Maintenant, tout est dépassé? Et l'ennuyeux Mummy Troll l'est aussi. On l'adorait!!! Or un imbécile essayerait de chanter la même chose sur la scène de son école pour ses camarades de classe qu'on lui cracherait dessus et le mettrait dehors par la peau du cou.
7) Où va le monde? Et l'art populaire? Et à ce propos. Il m'est maintenant plus agréable d'écouter des enregistrements d'indigènes d'Afrique, avec une danse de deux heures sur le même thème et le seul son d'un bâton cogné sur une bûche. au moins, je comprends pourquoi ils font ça. Mais la variété moderne après Beethoven et Tchaïkovski, ou même "Kalinka, Kaaaalinka"; ou "ma petite boîte est pleine"... Bien que ce soient aussi des chansons populaires factices. Mais elles se démarquent par la mélodie!
Ou même si on prend "lapti, mes lapti", c'est une petite chanson créée par le peuple. J'aime particulièrement "une mouche a aimé un moustique". Même si c'est aussi la création d'un auteur quelconque. Mais sur youtube, on la trouve dans un esprit populaire défiguré. C'est particulièrement dégoûtant de l'entendre dans une version académique.
8) Quels airs fredonneront nos enfants? Mieux vaut ne pas mentionner les petits-enfants. que comprendront-ils de... Je n'ose pas dire la musique en général, mais au moins une simple mélodie?
9) L'ère de la digitalisation nous a plongés dans un touk-touk primitif, touk-touk-touk-, touk-touk, touk-touk-touk... et crevez comme des touks-touks sans visage.Frappés sur la tronche. Et cela ne concerne pas seulement la musique mais tous les autres arts, et le mode de vie en général. Lorsqu'un goupe d'adolescentes m'a été envoyé pour modeler, ill y avait des filles avec des griffes de deux centimètres, très soignées. Le sens de leur vie était déjà tracé, c'était clair. Et puis pas mal de garçons ne sont pas capables d'orienter un objet dans l'espace et la bonne direction. Je montre et dirige avec des mots; mais ils arrivent à tourner l'objet d'une manière tout à fait surprenante, pas dans le bon sens. De toutes sortes de manières, sauf la bonne. J'ai même pensé que je devrais peut-être apprendre d'eux divers procédés pour faire ce qu'il ne faut pas faire. Leurs professeurs m'expliquent que les enfants modernes sont tous au téléphone. Et que font-ils dans leur téléphone, avec le peu qu'ils savent? De toute évidence, ce n'est pas la connaissance qu'ils recherchent. Eh non, ils ne la cherchent pas. Des balles courent sur l'écran, ils tirent dessus... Ils exacerbent leur ignorance, ils s'abêtissent dans le cadre des limites proposées par les concepteurs du jeu. De tels joueurs n'ont qu'à apprendre les limites des possibilités proposées par les programmateurs du jeu et lutter bêtement pour la victoire... pour remporter une victoire virtuellement sans valeur, en affirmant leur stupidité. Ils n'apprennent pas à créer eux-mêmes mais à consommer les propositions des autres. Ils apprennent à participer au programme de quelqu'un d'autre.
Je manquais de jouets, dans mon enfance. Nous vivions avec des fournitures limitées. Je devais fabriquer mes propres jouets. J'ai découpé des voitures en papier, fabriqué des arcs et des flêches avec des amis, sculpté des pistolets moi-même, joué au football et à d''autres jeux, et bien plus encore, jusqu'à ma décision de partir à l'aventure dans une nature inconnue, quittant la maison toute la journée pour la banlieue, et sans nourriture, cependant, car au départ, je n'avais pas l'idée de foutre le camp on ne sait où; cela m'est venu spontanément... or les enfants d'aujourd'hui restent chez eux, rencontrant parfois de plus zombifiés qu'eux par toutes sortes de drogues qui font autorité. Avec dans leurs poches toutes sortes de douceurs .
10) la musique vivait en nous. Nous vivions de façon mélodieuse. de différentes mélodies. Nous n'acceptions pas la cacophonie monotone et stupide. Nos yeux étaient ouverts à la diversité du monde. Le monde était intéressant. Nous y entrions de nous-mêmes. Ceux qui avaient des sujets d'intérêt limités, nous ne les comprenions pas, et nous les considérions comme des anormaux.
Maintenant, réfléchissez-vous même à ce qui se produit dans la variété et où cela nous conduit.
Outre que ce texte recoupe admirablement mes propres interrogations, observations et réflexions, on voit bien là pourquoi les barrières en tôle rouge en travers des beaux paysages, les maisons de plastique, sans proportions ni style, et où, effectivement, tout cela nous mène, et pas seulement ici, mais partout: à la débilité et l'avilissement général si on n'inverse la tendance. Plus de Russes ni de Français, mais des ectoplasmes conformes à l'idée que se font du populo inutile les transhumanistes de la caste qui en feront le diable sait quoi. J'espère que le processus sera ici enrayé, mais je n'en ai pas la certitude, parce qu'on continue à abrutir les gens de toutes les manières, et que même les chansons patriotiques soviétiques de la dernière guerre, qui étaient souvent fort belles, sont dénaturées par des interprétations hideuses, lors de manifestations officielles, pour faire jeune et dans le coup ou par pure contagion de la connerie galopante. Car lorsqu'on n'a rien reçu, on déteste instinctivement ce qui nous dépasse.
En complément de ceci, j'ai ouvert la vidéo d'Ariane Bilheran, "la fabrique du consentement":
Il faut à mon avis écouter plusieurs fois cette analyse profonde et juste, exposée avec simplicité et clarté, mais très dense. Elle parle justement du folklore et de sa disparition programmée, parce qu'il fait lien, il relie les gens entre eux, et les gens avec leurs ancêtres, ce qui est aussi le cas de toute expression de la culture, naturellement, mais la culture populaire, en disparaissant, ne laisse pas la place à la culture des bibliothèques et des musées qui, du reste, souvent s'en nourrissait directement ou indirectement.
Mon père spirituel a parlé à Dany de "catastrophe spirituelle". Ce qui rejoint aussi le constat d'Ariane Bilheran. Elle parle de l'effondrement de notre civilisation, que le totalitarisme vient achever, parce qu'elle ne tient plus debout depuis un moment. En fait, il n'y a pas si longtemps, quand il y avait encore une paysannerie, la situation était réversible; Mais les protecteurs de la paysannerie, c'étaient les rois et les tsars, avec leur disparition, plus rien ne venait empêcher les gnomes de faire de nous ce qu'ils voulaient. Pour ce qui est des Russes, leur civilisation était vivace, mais ils ont chopé notre vérole progressiste par contagion, en entrant dans l'orbite européenne, ils ont été pris dans le vortex, et c'est infiniment triste. Je compte sur un miracle, une volée d'anges musiciens pour colmater les trous de notre arche et couvrir le tohu-bohu sinistre du diable et de son train qui s'agitent par dessous.
Ariane Bilheran évoque la nécessité de faire notre deuil de tout ce que nous perdons et allons perdre. Elle est beaucoup plus jeune que moi, en ce qui me concerne, j'ai beaucoup de mal à le faire, bien que sur le fond, elle ait sans doute raison. C'est à ce point douloureux que dès l'enfance, pressentant tout cela, j'en étais instinctivement révoltée. Il me faudrait dépasser cela et penser au Royaume des Cieux et à la Jérusalem céleste, d'autant plus que Dieu a été miséricordieux, je ne laisserai pas d'enfants sur terre, mais je souffre pour les enfants des autres.
Je suis en train d'apprendre un chant qui remonte à Ivan le Terrible et raconte comment il a donné leur territoire aux cosaques du Terek. Il est très difficile, cela vient petit à petit, mais cela demande du travail et du temps. "Ce chant, des étudiants en musicologie n'arrivent pas toujours à le chanter, me dit Skountsev, alors ne t'étonnes pas..." Mais les cosaques ne connaissaient rien à la musicologie, seulement ils étaient tombés dedans quand ils étaient petits, et si leur vie pouvait être brève et tragique, elle était éclatante et noble, et cela se sent au caractère méditatif de la mélodie, et aux images naturelles du texte, tout cela est profondément harmonieux et habité par un souffle. Je mesure au caractère de ce chant la profondeur de notre déchéance, avec un chagrin brûlant.
В поисках познавательных сведений в Ютубе этот Ютуб предложил послушать современную музыку, новое в 2023 году. Ну-ка, подумал, послушаю новых прелестей в эстраде... Названий для завлекаловки было много. Приблизительно всякие такие, как эти песни вам знакомы и будете подпевать, самые свежие хиты, лучшие песни и тому подобное подлое завлекательство. Нннну... пусть пойдёт.... Слушал упрямо с терпением ради ожиданий действительной музыки. Часа два терпел то, что шумело. И ужаснулся. Выводы мои такие после этого: 1) тексты плохо понятны, смысл песен недостижим. 2) музыки нет. То есть музыкой названо нечто ритмичное ударниками, подбиваемые какими-то дополнительными звуками от других инструментов, среди которых многие не прозвучиваются. Нахрена столько игроков для шумов, если их не слышно? 3) музыкальность песен проверяю возможностью напевать, просвистеть, промурлыкать, собирая грибочки в лесу и радуясь жизни. Даже если слов песни не знаю. Сохраняется музыка!!!! А музыки нетути!!!!! В степени мелодии. Сейчас музыкой называют любой шум и гам, наделанный музинструментами. 4) тексты выкладываются неким типом декламации. Все "песни" похожи, однотипно выкладывающие текст. Никакую песню не отделить от другой. Разве что скорость чуток меняется. Да и пения нет совсем. Если сравнить с оперным пением, как образец именно пения. Или и попроще, например "Ах, Наталья, ты Наталья, отворяй-как ворота..." , как бы декламация, а мелодия-то есть. 5) искусства в музыкальности нет совсем. Мир деградирует. Реперы тоже декламировали скороговоркой, но хотя бы в безтекстовых проигрышах являли талантливые мелодии. А теперь и этого намёка не стало. На мелодию. 6) мне петь нельзя. Я и в речи не звукогеничен. Правда, иногда спою народную песенку, выпимши и если попросят, чтобы надо мной посмеяться. Так, для стёба над собой и спою, предупредив всех, что в лес убегать не надо от меня, долго петь не буду))))))) Однако, так, как поют сейчас эти хитовщики, я смогу поиметь серьёзный успех. Поиграю со звукозаписывающей студией, в чём-то определимся и распустим это особенной особенностью и стану звездищем. Сейчас прохавают всЁ? Прохавали же занудливого Мумий Тролля. Ликовали им!!! А попробовал бы недотёпа так же спеть на школьной сцене для одноклассников и оплевали бы, стаскивая со сцены за шиворот. 7) Куда мир катится? Насчёт искусства популярного? И насчёт популярности искусства. Мне теперь приятнее слушать записи про аборигенов Африки с двухчасовой пляской одними и теми же движениями и только со стуком палки по бревну. Этих я хотя бы понимаю почему так делают. А современную эстраду после Бетховена и Чайковского.... после хотя бы "Кааалин-ка, калинка, калинка моя..." , или "Ой, полным полна моя коробушка..." . Хотя, это тоже искусственно созданные песни. А как отличаются мелодией!!!! А вот хотя бы " Эх, лапти мои, вы лапти мои... " народом создана песенка. Особенно люблю песенку " Комара муха любила". Даже если тоже от автора некоего. Но в ютубе она искома в искажённом от народности духе. Особенно противно слушать эту песню в академическом варианте . 8) какие мелодии будут напевать наши дети? О внуках и упоминать не приходится. Что будут понимать они о ... не смею произнести про музыку вообще, а хотя бы о простой мелодичности заикнусь. 9) эпоха цифровизации ввергла нас в примитивное тук-тук, тук-тук-тук, тук-тук, тук-тук-тук... и подыхайте безликими тук-туками. Настучанными по башке. И не только насчёт музыки, других искусств, а вообще насчёт образа жизни. Когда ко мне направили группу подростков для полепить из глины, были девочки с когтями по два сантиметра, очень ухоженными. Направились насчёт смысла жизни, уже понятно. Да и парни многие не способны сориентировать в нужном направлении предмет во пространстве. Показываю и словами направляю, а они умудряются повернуть предмет совершенно удивительно не так, как надо... всяко разно, но как раз не так. Даже подумал, что мне самому следует у них поучиться разным изворотам, чтобы сделать так, как не годится. Мне поясняют их педагоги, что современные дети все в телефонах. И что же при их малознании делают они в телефонах? Явно не знания ищут. И да, не ищут. Шарики по экрану гоняют, пульками стреляют... Усугубляют свои незнания, в общем, тупеют в пределах, предложенными программистами игры. Таким игрокам надо лишь усвоить пределы возможностей, заложенных программистами и тупо стремиться к победе... добиться виртуальной никчёмной победы в утверждении своей тупости. Сами же научаются не создавать что-либо, а потреблять чужие предложения. Научаются стать участниками чужой программы. Мне в детстве не хватало игрушек. Жили же в ограниченном достатке. Приходилось игрушки делать самому. Кроил из бумаги автомобили, с друзьями делали луки и стрелы, сами строгали пистолеты, играли в футбол и другие игры, да много ещё всякого, вплоть до решения искать приключения в незнакомой природе, уходя из дома на целый день в пригород и без еды, однако, ведь первоначально не было идеи умотать неведомо куда, идея приходила спонтанно... а теперешние дети сидят по домам, изредка встречаясь с более авторитетно зазомбированными всякой дурью. И в кармане сладости и вкусняшки. 10) в нас жила музыка. Мы жили мелодично. Разными мелодиями. Тупая однообразная безмелодичность нами не принималась. Наши глаза были открыты к разнообразию мира. Мир был интересен. Мы в него лезли сами. Ограниченных в заинтересованностях не понимали и считали их ненормальными.
Дальше вы и сами думайте, что происходит в эстраде и к чему приведёт.
Après une dernière soirée à la rivière Khapior, je suis rentrée de nuit, par la piste, à la stanitsa. L'air sentait l'absinthe, il soufflait un vent puissant et tiède, il avait soufflé toute la soirée, pendant que chantaient les cosaques dans l'obscurité croissante. Une des responsables de la manifestation voulait absolument brancher une sono "pour les jeunes", Skountsev s'y est opposé à juste titre. Car pour les jeunes il était justement extrêmement important d'apprendre à écouter et de sortir de l'univers du vacarme et du faux-semblant.
La nuit est très noire dans le Don, avec des étoiles très vives, mais des nuages les cachaient en partie. Il en traînait de grosses et presque dorées, dans les ténèbres que des éclairs de chaleur hantaient de brusques déploiements vacillants, une danse enflammée de séraphins tout à tour invisibles et révélés.
Le lendemain, je devais repartir pour Moscou avec Sergueï le militaire et sa jeune femme Sacha, et puis un autre jeune homme arrivé au dernier moment, mais toute cette compagnie changeait sans arrêt d'avis. Il paraît que c'est un trait des cosaques, nous sommes comme ça, nous sommes spontanés. On est sans arrêt en train de les attendre, on ne sait jamais ce qu'ils vont faire. Mais ils font preuve d'un grand charme, distribuant câlins et sourires désarmants.
Skountsev en est un exemple extrême, qui épuise même ses compatriotes. Il est, comme on dit, pour l'utilisation des compétences. Avant le départ, il a fallu faire le taxi pour lui, et comme il restait quelques jours de plus, rapporter à sa femme des bagages qui pesaient un âne mort, et que si son ascenseur avait été à nouveau en panne, ni elle ni moi n'eussions pu transporter au dixième étage!
Afin d'avoir la paix pendant qu'il promenait le maître et installait ses bagages dans notre coffre, Serioja, le militaire du Kremlin, qui s'était décidé finalement à rentrer avec moi, m'avait laissée au musée Fiodor Krioukov, grand écrivain cosaque qui était originaire de la stanitsa de Skountsev. Moyennant quoi, je ne sais ce qu'il est advenu; dans la bagarre, du sac où j'avais mis la bouffe de la chienne, la botte d'absinthe que j'étais si heureuse d'avoir cueillie, et le bocal de boeuf en conserve maison qu'on m'avait offert au camp.Le conservateur était ravi de tomber sur une Française passionnée par les cosaques et m'a interrogée sur mon itinéraire. Je lui ai pris, à sa grande joie, les oeuvres complètes du grand homme local. Il m'a donné sa carte en me suppliant de revenir. Mon taulier Kolia, de son côté, m'a dit qu'il m'attendait l'année prochaine.
En quittant sa rue, j'ai aperçu à nouveau la bignonne et ses trompettes oranges. J'ai conduit tant qu'il faisait jour et le Don m'a offert pour mon départ un soleil chatoyant, presque rose, pris dans des vapeurs à la fois colossales et légères, bouclées, translucides, violettes au dessus d'immenses champs de tournesols d'un jaune intense et gras, avec les brûlures circulaires de leurs centres bruns. Ce pays m'apportait des éléments du mien, de mon midi français, dans un ensemble pourtant absolument dépaysant qui sent déjà la Grèce et la Turquie, et aussi l'Asie géante, béante qui s'étend d'ici jusqu'à la Chine. La végétation aride n'est cependant pas vraiment méditerranéenne, car si la mer n'est pas encore si loin, aucune chaîne de montagne ne vient faire obstacle au souffle énorme de l'arctique. Les hivers sont très froids, plus brefs que dans le nord, mais très froids, et les étés torrides. Je pensais aux souvenirs d'une Française, qui avait visité le sud de la Russie avec son mari vers 1850. Elle disait qu'elle avait l'impression de rêver, d'être dans une sorte de conte hallucinant, et évoquait un jeune cosaque de son escorte, qu'elle avait vu jouer avec un aigle. J'imagine bien, car dans ce même pays, pourtant dénaturé par la modernité, je ressentais quelque chose de comparable. La rivière Khapior, les falaises en moins, me rappelait l'Ardèche des années 50, par son aspect désert et sauvage, son cours capricieux. Les cris des enfants, ou les chants des adultes, ne me gênaient pas dans ma contemplation, alors que la radio me révulse. Je m'éloignais contre le vif courant, sur ce sol de sable doux et meuble, et je regardais le ciel reflété dans ces eaux lisses. La lumière froissée, et le soleil qui s'y berçait, dans un halo doré, ne me blessaient pas les yeux et révélaient des formes qui me restaient indiscernables, quand elles ne m'étaient pas traduites par ce miroir magique.
Le jeune cosaque dernièrement arrivé me parlait de son pays avec lyrisme, ce n'est pas un hasard si le Donbass résiste avec tant d'héroisme, il me semble d'ailleurs davantage le prolongement du Don que de l'Ukraine, mais j'ai fait très plaisir au conservateur du musée Krioukov en lui disant: "Vous savez, pour moi, les Grands Russiens, les Ukrainiens, les Biélorusses et les Cosaques, ce sont juste différentes sortes de Russes, et je crois que c'est Dostoievski qui disait avec raison que rien n'est pire que des Russes qui rejettent leur russité." Ce garçon me suggérait d'aller sur les bords de la mer d'Azov, que j'imaginais comme une sorte de lac salé, mais pas du tout, il m'en vantait les vagues magnifiques, les paysages arides et les champs de lavande...
Sérioja a pris le volant à la nuit tombée, mais en cours de route, il m'a demandé de le remplacer une heure, et je me suis aperçue que ma voiture éclairait bien peu la route en position de code. Lui aussi s'en était aperçu, mais il est jeune, et cela ne le gênait pas trop. A un moment, j'ai été suivie par une voiture de police tonitruante, et je me mettais sur le côté pour la laisser passer, or elle me poursuivait. "Pourquoi ne vous arrêtez-vous pas quand on vous suit?
- Mais je croyais que vous vouliez juste me dépasser parce que vous étiez pressés...
- Et le geste de notre chef, pour vous faire garer sur le bas côté?
- Je n'ai pas vu le geste. Le chef non plus.
- Madame, il faut vous faire remplacer, vous êtes fatiguée. Votre vigilance en souffre...
- Oui, c'est vrai mais justement, mon équipier va prendre la suite..."
Pour être honnête, la femme de Sérioja n'avait pas vu non plus l'officier nous faire ce geste. Et je ne sais d'ailleurs même pas pourquoi il l'a fait. Mais ils ont été très gentils, ces flics, ils ont le respect des grands-mères. En réalité, jusqu'à la tombée de la nuit, Sérioja était bluffé par ma façon de conduire, il me donnait même quelques avis, à la fois admiratifs et goguenards. Cela me rappelait certains retours de concerts où les cosaques me surnommaient Schumacher et disaient à Micha, qui avait la conduite agricole: "Donne le volant à Laura, sinon, on n'arrivera jamais..."
Je réfléchissais, pendant ce voyage, à ce qui m'attirait particulièrement chez ces sacrés cosaques, chiants, machos et complètement dingues, et leur merveilleux folklore. C'est un mélange de gravité et de malice goguenarde, de sauvagerie et de douceur, de noblesse, d'insolence, de vitalité, le culte de la bravoure, l'amour de la nostalgie et du rêve, le lyrisme, la folle générosité, toutes choses que la modernité abhorre, qu'elle tourne en dérision et qu'elle persécute. Un petit garçon est venu avec une sorte de fierté très sérieuse demander à Skountsev s'il pouvait se servir de son accordéon. Tous les gosses que je voyais dans ce camp, même si leurs parents sont dispersés loin de leurs terres ancestrales, grandissent à la lumière de ce soleil sauvegardé, entre un père barbu ou moustachu, et une mère qui, sans être effacée, tient son rôle, ils apprennent à se battre et à rêver, à admirer et à aimer, à faire éventuellement le sacrifice de leur vie; ils apprennent à être des hommes au sens où on l'entendait autrefois, avant l'avènement des gnomes.
Quand même, c'est curieux, la vie, je viens de m'apercevoir que le père Nikita de Donetsk, qui est venu me voir, il n'y a pas si longtemps, était ce même père Nikita, au sujet duquel j'avais traduit un article dans ce même blog, en 2018. Je n'avais pas fait le rapprochement, et d'ailleurs, j'avais même oublié cet article.
Aujourd'hui, je suis tombée sur un fil de commentaires enragés, sous une déclaration de Poutine comme quoi il ne laisserait pas tomber le Donbass. Ce qui est au plus haut point déplaisant, c'est que ces commentaires sont russes et reprennent exactement mot pour mot les mensonges et la propagande des BHL, Ackermann, Glucksmann, Vitkine etc.... sauf qu'ici, ce sont les Ganapolski et autres journalistes d'Echo Moskvy ou de la chaîne de l'oligarque Khodorokovski, ou encore Navalny et ses navalnichons. C'est-à-dire qu'ici même, au pays du dictateur Poutine, toute une partie des médias reprend exactement les mots d'ordre des nôtres et ment. Purement et simplement, et avec un aplomb terrible. Or Poutine les laisse parler...
Sous cette chape de mensonges, les cris du Donbass ne parviennent à personne. s'ils parviennent, on rétorquera avec le même aplomb, que ces victimes n'ont pas volé leur sort, comme les bobos parisiens le font avec les gilets jaunes éborgnés. C'est-à-dire que pour ces gens, en France ou en Russie, la liberté d'expression, ou les droits de l'homme, sont des concepts réservés à leur seul usage ou à celui de victimes vraies ou fausses, choisies parce qu'elles servent leurs desseins politiques et leurs arrières plans financiers ou leurs règlements de compte personnels.
Dans ce fil de commentaires, on glapissait l'habituel refrain consistant à mettre la guerre du Donbass sur le dos des menées impérialistes de Poutine, car du côté occidental, il ne saurait y avoir que croisade pour la démocratie naturellement. Curieux que je tombe, en cherchant autre chose, précisément sur cet article au sujet du père Nikita, après avoir lu ce tissu de conneries. Il s'intitule: Mettez la musique plus fort, qu'on n'entende pas qu'on nous tue.
Et c'est bien exactement ce qui se passe. Quand ce sont des Européens qui font la sourde oreille, passe encore. Mais des Russes?
Il est vrai qu'ils sont russes comme nos bobos sont français: amateurs de monde sans frontières métissé, sous le patronage des usuriers de l'upper class, des surhommes richissimes qui nous veulent tant de bien. Les cris des peuples opprimés ou exterminés ne doivent arriver à leurs oreilles que s'ils vont dans le sens où l'on nous pousse, et qui est celui de notre disparition.
Pour avoir suivi l'affaire depuis le début, traduit abondemment, je sais que les documents que j'ai vus sont vrais, et la preuve en est pour moi, qu'ils sont très peu regardés, ne bénéficiant d'aucun soutien médiatique. S'ils étaient le fruit de la "propagande du kremlin"; s'ils étaient financés, ils auraient une large audience, or même la "propagande du Kremlin" n'a jamais l'audience de ce qui est soutenu par le fric apatride de nos grands bienfaiteurs des lendemains transhumanistes radieux. Ainsi, envers et contre tout, je maintiens que les Russes n'ont pas envahi le Donbass, que malheureusement, Poutine ne l'a pas annexé; que sa population est l'objet d'un plan d'extermination occidental ou plus exactement mondialiste, et se défend comme elle peut, avec un beau courage. C'est même en voyant l'ampleur du mensonge et de la désinformation au Donbass que j'ai perdu toute espèce de confiance dans n'importe quel organe de presse officiel occidental.
Enfin j'affirme que ce qui se passe là bas est le laboratoire de ce qui nous attend tous, et que ce plan d'extermination concerne autant les européens de souche que les Russes sur leur propre territoire, et que l'Ukraine n'est pas plus indépendante actuellement que ne l'est la Palestine de Tel Aviv.
Accessoirement, j'ai vu aussi que dans la dictature chinoise, que les mondialistes voudraient bien prendre comme modèle, les gens s'intéressent seulement aux infos censurées qui seules leur paraissent crédibles.
Dans ce programme d'extermination fourbe et sournois, l'univers "intellectuel" est partout infiltré par des personnages acharnés à détruire la culture locale. Chez nous, le processus remonte à 68. Mais il est également à l'oeuvre en Russie et on ne fait rien, en haut lieu, pour l'enrayer. Il se déchaine à présent afin de réduire la population de nos pays à des ilots résiduels de blancs dégénérés qui ne sauront plus qui ils sont ni d'où ils viennent, et serviront de souffre-douleurs à leurs remplaçants et à la Caste mondialiste qui nous les impose. Il suffit de réécrire leur histoire et de les priver de tous référents culturels ou spirituels leur permettant d'appréhender leur propre culture. La République et les médias ont depuis longtemps effacé la culture populaire qui ne suscite plus que des sarcasmes, pour lui substituer une variété vulgaire dégradante universelle; martelée à la radio, à la télé, dans les supermarchés, une sorte de lavage de cerveau permanent. L'afflux de populations allogènes complètement étrangères à la culture locale va permettre d'achever le boulot. A cela, me répond une Russe, il convient d'opposer une éducation familiale vigilante et solide, et je suis évidemment d'accord, mais ce n'est pas suffisant, car la pression sociale est énorme et l'endoctrinement omniprésent. C'est ainsi que nombre d'ados élevés normalement se désolidarisent de leur famille pour être aussi cons que les autres et ne plus avoir les problèmes d'une mentalité non conforme. Même moi, j'ai fait semblant de m'intéresser à Jonny et Sheila qui étaient tout ce que je détestais le plus au monde, pour ne pas me démarquer de mes copines ou plutôt des copines que je cherchais à avoir. Je suis bien placée pour savoir qu'il n'est pas facile d'être seul contre tous.
C'est pourquoi je ne cesse de prôner la pratique du folklore, dans un pays qui ne l'a pas encore perdu. Le folklore donne avec la joie de créer, de s'exprimer, de chanter, l'accès à une communauté, il est par essence un facteur de mise en communion. A l'église, on prie dans son coin, à moins de chanter au choeur, si l'on dessine, écrit, lit, on est aussi tout seul, mais la musique traditionnelle et la danse se pratiquent en groupe; elles sont un moyen de communication, un ciment du groupe. Ceux qui reviennent au folklore reviennent en Russie. Ils ne sont pas, comme je l'étais avec mes dessins et ma graphomanie, et mes lectures, isolés et marginalisés. Et ils restent avec leur famille, car ils jouent et chantent en famille, ils se trouvent des conjoints qui chantent aussi, leurs enfants grandissent là dedans, c'est un instrument de résistance humaine, culturelle et spirituelle. Je voyais bien, l'autre soir, l'émerveillement de ceux qui avaient été invités à notre soirée du café où l'on ne cessait de chanter et de jouer.
Du coup, ce soir, j'ai été invitée à manger une fondue chez Benjamin, notre Suisse cosaque. Il habite à ce qui était il n'y a pas si longtemps l'extérieur de Pereslavl et se retrouve cerné par les bâtisses de nouveaux riches, heureusement qu'il a du terrain...
Il a un petit garçon, Savva, qui paraît très pensif et très observateur, tout l'intéresse, il écoute et sourit. Sa femme est la fille du métropolite vieux-croyant qui a précédé l'actuel métropolite Corneille, et qui lui ressemble un peu, disons qu'il avait le même genre de visage russe très noble. Une fois veuf, son père était devenu moine, puis métropolite. Elle m'a montré l'album de leur mariage, et les excellentes photos de sa soeur m'ont emplies d'un véritable émerveillement, car on était là vraiment en Russie, d'ailleurs même Benjamin a l'air russe, là au milieu, autant que sa chemise et ses bottes, et la fiancée, en costume vieux-croyant, une robe très simple, très belle, un voile fermé sous le menton, tout semblait si beau et si pur, comme l'écho d'un monde perdu pourtant encore récent. Mais là encore, la communauté des vieux-croyants reste puissante, au point d'avaler tout cru un Suisse de deux mètres, et je le comprends, car Benjamin n'est pas de son temps, heureusement pour lui, il est complètement à sa place là où il est, comme sur ces photos de mariage, avec sa couronne dorée sur la tête et sa chaste fiancée.
Benjamin pense que Poutine est suffisemment astucieux pour trouver son compte dans le retour de Navalny et les remous provoqués dans la société, il pense que c'est une sorte de diversion. Il s'attend à des changements profonds qui n'iront pas dans le bon sens, en tous cas en Europe, mais éventuellement aussi en Russie, seulement plus tard. Dans 20 ans. Il y a des chances pour que je ne les voie pas, mais je plains son petit garçon Savva ou d'ailleurs tous les enfants de la terre de devoir vivre dans le monde qu'on nous fait.
Je fais beaucoup de progrès avec Skountsev; en même temps, je vois à quel point tout cela demande d'investissement, quand on ne l'a pas sucé avec le lait de sa mère, pour ainsi dire déjà commencé à l'assimiler dans ses entrailles, comme c'était le cas autrefois. Il paraît que les enfants des cosaques Nekrasovtsi, qui avaient conservé leurs traditions 300 ans en Turquie, où ils s'étaient réfugiés après le schisme, les perdent depuis qu'ils sont dilués dans la Russie contemporaine, qui les perd également, avec sa paysannerie, bien que pas mal de jeunes y reviennent, en quête d'authenticité, en quête d'eux-mêmes. C'est déjà quelque chose, en France, ceux qui retournent à la terre sont loin de revenir à la tradition française.
Apprendre ces chansons et jouer de ces instruments développe beaucoup de facultés, évidemment la mémoire, la concentration, la coordination, le sens de la place du détail dans l'ensemble, l'attention à ce qu'on fait, et à ce que font les autres, l'adaptation à un rythme, en dehors naturellement des aspects artistiques, mais ces aspects artistiques découlent eux-mêmes de l'harmonie de tout le reste. Et ceux qui pratiquent cela depuis l'enfance ont indéniablement quelque chose de plus que ceux qui n'en ont aucune idée, et aucune tablette, aucun ordinateur ne développera une personnalité et son intelligence de manière aussi complète, surtout si l'on y ajoute les interactions avec le milieu naturel, et la vie spirituelle, à laquelle tout ceci introduit.
Je l'avais constaté sur les enfants que j'avais eu en maternelle deux ans de suite. Et pourtant, nous étions loin de pratiquer cela tout le temps, mais je crois que dans tout ce que je faisais avec eux, j'amenais précisément cet esprit qui relie les détails dans une harmonie supérieure, car c'est ainsi que bon an mal an, je me suis formée moi-même.
Je peux donc tranquillement assurer que notre éducation contemporaine, notre milieu contemporain servent principalement à fabriquer des crétins et des monstres. Ceux qui échappent à l'un et l'autre destin et restent normaux n'ont plus qu'à vivre plus ou moins comme des parias et à se trouver une niche écologique quand cela reste possible. Cela je l'ai toujours su. Dès qu'on m'a mise à l'école.
Ce milieu contemporain exerce d'énormes pressions sur les individus, même quand ils reçoivent une éducation normale. Il est très difficile de rester soi-même, de rester vrai, j'en faisais déjà l'expérience dans les années 70. Car on se retrouve dans une grande solitude. Et lorsqu'on est jeune, on a envie d'avoir des amis, d'avoir un compagnon ou une compagne.
Une jeune fille que j'avais eue en moyenne et grande section m'a retrouvée et m'envoie de temps en temps des lettres. Elle m'appelle toujours maîtresse... Elle m'avait dicté alors un ravissant petit poème, qui ressemblait à un haiku. C'était une petite fille avec de longs cheveux blonds, à moitié russe. Elle me dit qu'elle écrit toujours, grâce aux encouragements que je lui avais prodigués alors. J'ai beaucoup aimé tous ces enfants, ils avaient presque tous quelque chose, une espèce de grâce. Ceux de ces deux classes. Ils étaient de milieux dits privilégiés, ce qui ne rend pas forcément les choses plus faciles, car les parents ont souvent des attentes particulières...
Skountsev dit que les gousli ont un effet thérapeutique. C'est vrai, je le sens. A mon avis, ils font faire aux gouttes d'eau des cristallisations harmonieuses, et c'est un autre avantage du folklore, à un niveau qui n'est plus celui de l'apprentissage, mais de l'être. La musique traditionnelle exerce un effet bénéfique sur l'organisme de ceux qui la pratiquent et j'irais jusqu'à dire sur le milieu environnant. Mais elle déchaine souvent l'agressivité des pauvres décérébrés qui écoutent en boucle à tue-tête le tohu-bohu préfabriqué qu'on leur distille à longeur de radio et dans tous les restaurants et supermarchés. Ce sont ceux-là qui construisent des horreurs, scient des arbres séculaires, massacrent des animaux pour le plaisir, pataugent dans les tripes de la vie éventrée et profanée avec une sorte de frénésie grossière et sombre.
Un paysan et ses gousli. Quelle serenité et quelle dignité... né en 1904, contemporain de mon grand-père
Je suis ce matin allée faire une prise de sang, les analyses rituelles. J'ai trouvé une généraliste qui est en même temps cardiologue, dans un centre de diagnostic. Elle est sympathique, et cherche à soigner avant tout le terrain de son patient. Elle m'a confirmé que le masque à longueur de temps était une hérésie et tout, sauf une mesure médicale destinée à sauver les gens. Néanmoins, la pieuvre mondialiste empoisonne également la Russie, de gré ou de force, peut-être de force, car tout cela est moins oppressif que dans d'autres pays, où cela prend une tournure si inquiétante qu'il faut être extrêmement hypocondriaque ou complètement abruti pour ne pas soupçonner quelque chose de pas net.
J'ai noté que l'on ne faisait pas les tests covid sadiques qui se pratiquent en France, les gens doivent eux mêmes prélever dans le nez, le plus haut possible et dans la gorge, mais personne ne va les ramoner jusqu'au cerveau. En revanche, une vieille qui venait se faire tester, dûment masquée jusqu'aux yeux, me collait à la réception, m'interrompant pour demander des renseignements à la bonne femme de service, j'espère qu'elle n'était pas malade, car je ne comptais ni sur son masque à la con ni sur le mien pour éviter la contagion...
D'ailleurs le médecin m'a dit que je faisais bien de me tenir à l'écart des hôpitaux si ce n'était pas indispensable.
La fille qui m'a fait le prélèvement n'était pas fort aimable, la parole brève, et je ne pouvais pas voir son visage à cause du masque, mais je le devinais très fermé. A l'issue du processus, je lui ai dit merci. J'ai vu son regard s'illuminer comme celui d'un enfant.
Je pense que dans ce genre d'endroits, beaucoup de Russes prennent un air rébarbatif pour faire sérieux. J'ai constaté cela aussi dans les services d'immigration.
En France, en plus des "incivilités" ce délicieux euphémisme destiné à jeter un voile pudique sur les viols collectifs de gamines, les agressions sauvages contre de paisibles citoyens, les pillages, les profanations et les incendies qu'en d'autres temps commettaient les huns, les tatars, les sarrasins, les pirates et les grandes compagnies, on s'attaque aux équidés, à coups de poignards, on les mutile, on les torture, on les tue.
Le cheval est dans la tradition slave un symbole de vie, associé au soleil et au printemps. Il figure, stylisé, partout dans l'art populaire. Sur le faîte des maisons, il protégait les occupants de celles-ci. Sur la chemise du marié brodée par sa fiancée, il était censé favoriser la fertilité et chasser les mauvais esprits. Chez des barbares normaux, du type huns ou mongols, je doute qu'on en soit jamais arrivé à torturer et tuer des chevaux pour le plaisir . Et cela me paraît un signe particulièrement sinistre. Mais le produit de trois ou quatre générations de cerveaux lavés ne déchiffre plus les signes et ne les comprend plus. J'avais lu dans les écrits du père Vsévolod Schpiller comment les cosaques des armées blanches, quittant la Crimée sur le dernier bateau en partance, pleuraient en voyant leurs chevaux désespérés les suivre à la nage, et cela m'avait paru le symbole le plus tragique de la révolution et de son programme d'extermination de ce que la société russe comptait de plus noble. Les aggressions sadiques commises par des créatures des ténèbres sur des chevaux en France me paraissent celui de l'achèvement d'un processus qui a pourri mon pays à mort, il me semble tristement complémentaire de l'incendie de Notre Dame, et aussi de l'infanticide légalisé. Un pays où les églises brûlent, où l'on assassine les bébés et où l'on torture les chevaux a perdu toute bénédiction. Que dire encore des viandards associant les massacres indignes qu'ils font de la faune sauvage avec leurs racines, alors qu'ils ne connaissent plus ni leurs traditions, ni leur folklore, ni leur foi, et je dirais même ni leur terre qu'ils surexploitent n'importe comment, ni leur bétail qu'ils font vivre dans des conditions concentrationnaires?
Je voudrais croire qu'un miracle sauvera la France et que la Russie ne suivra pas jusqu'au bout le même chemin. Un chemin de perdition qui fut très court mais me paraît tragiquement irrémédiable, un peu comme celui qui sépare la prostituée du coin de la rue de la communiante qu'elle fut, du moins dans les chansons de Fréhel, quand il y avait encore des communiantes et des petites filles. A tel point que me submerge un écoeurement indicible. Je survole toutes ces clameurs de détresses sans écho, de haine, d'indignation, et ces doctes commentaires, et ces mensonges éhontés qui trouvent toujours preneurs, ces justifications passionnées de ce qui est injustifiable, ces impudentes inversions accusatoires, et je n'ai plus envie de jouer. Ni de justifier ou d'expliquer mes propres positions, mes propres tâtonnements, d'autant plus que si je suis de plus en plus persuadée que notre monde du progrès et des lumières est un asile de fous, un bordel où l'on perd figure humaine, un abattoir, je ne peux souvent pas l'expliquer à des gens qui n'ont plus les récepteurs pour comprendre ce qui leur est arrivé et même, ne veulent surtout pas le savoir, car cette horreur est trop vertigineuse. Et puis, la laideur insensée, la vulgarité de notre quotidien sont devenues à beaucoup de gens absolument intrinsèques. Leur opposer des arguments n'a même plus de sens. C'est sauve qui peut. Et sauve qui tu peux, et qui le veut. La lumière ne peut rien pour les aveugles, à quoi bon leur allumer des cierges? Déjà, si l'on arrive à garder le sien allumé, on a bien de la chance....
Fréhel: les filles qui la nuit s'offrent au coin des rues
J'ai vu passer des costumes de fête traditionnels russes d'une grande beauté, introduits par la remarque que la plupart des gens ne voulaient pas croire qu'ils étaient portés par des paysans. Comme je ne cesse de le dire, la modernité, que ce soit sous sa forme capitaliste ou sa forme communiste qui sont les deux faces d'une même médaille, s'efforce depuis des décennies de démontrer qu'avant elle, c'étaient les ténèbres, et que les paysans vivaient partout en haillons dans des masures, sales, affamés, grossiers et ignares, avant qu'on vînt leur apporter les lumières du progrès. C'est pourquoi à mon avis les idéologues de tous poils s'efforcent tous de faire table rase de tout ce que nos ancêtres ont pu laisser de beauté, pour que personne ne puisse établir de comparaison. Comparaison que les folkloristes ici effectuent naturellement dès qu'ils retrouvent les traditions perdues, car il est difficile de ne pas la faire.
Une correspondante m'écrit: le peintre Korovine a très bien parlé de tout cela dans un de ses récits, quand son collègue Serov voulait peindre un paysan, et celui-ci partit se changer, ce qui "avait tout gâché", comme le dit Valentin Serov. Ce à quoi le paysan vexé répondit: " Mais qu'est-ce que tu veux donc, barine, que les gens pensent à jamais que nous n'avons rien à nous mettre?"
Очень хорошо об этом писал
художник К.Коровин в одном из рассказов, когда художник Серов хотел
написать крестьянина, а он пошел переоделся, чем "все испортил", как
сказал Валентин Серов. На это обиженный крестьянин сказал: "Что ты,
барин, хочешь , чтобы все на века думали, что нам надеть было нечего?"
Je trouve cette remarque très profonde et très significative. Car dans la conscience générale des classes urbaines cultivées, c'est ainsi que devait apparaître le paysan: fruste, pauvre, inculte et mal vêtu. Tout le mouvement pictural russe des "Ambulants" reposait là dessus. Et je prétends qu'incultes et mal vêtus, nous ne l'avons jamais été davantage qu'aujourd'hui, et pour ce qui est de la pauvreté, tout dépend de ce qu'on entend par là, si vivre dans un clapier avec salle de bains en consacrant toutes ses forces à un travail aliénant, complètement dépourvu de sens, pour gagner de quoi dépenser au supermarché voisin, sans avoir le temps de s'occuper de ses gosses ou de ses parents, nous rend plus riches que de vivre en famille dans une isba ou une ferme, du travail de la terre, avec autour une communauté paysanne, un travail intense et partagé en été, mais le loisir en hiver de faire de l'artisanat pour soi ou pour revendre au marché, des fêtes, chants et danses, une activité créatrice inscrite dans le quotidien, dont nous sommes complètement privés aujourd'hui.
Les filles commençaient à confectionner leur trousseau à cinq ans. A dix ans, elles savaient déjà tout faire. Elles brodaient la chemise de noces de leur fiancé. Et lui fabriquait leur quenouille sculptée et peinte, qu'elles conservaient toute leur vie. Dans les deux cas, les objets étaient ornés de hiéroglyphes traditionnels bénéfiques, destinés à protéger des mauvais esprits ou à favoriser la fécondité. Ces motifs ont joué un grand rôle dans l'invention de l'art abstrait, comme me l'ont souligné le peintre Alexandre Pesterev et sa femme Olga Smolina, spécialiste du musée de Ferapontovo.
C'était hier, les derniers à avoir connu ça dans leur enfance viennent de mourir. Certains vivent peut-être encore.
Les cosaques de Pereslavl attendaient aujourd'hui Volodia et Marina dans le "parc russe" où ils ont leur quartier général. Ce parc russe, à l'entrée de Pereslavl, est une sorte de complexe touristique à thème patriotique, avec une architecture pseudo-typique du mauvais goût fantasmagorique habituel. Mais il faisait un temps délicieux, à vrai dire déjà un peu automnal, tiède, venté, et nous avons été reçus avec une chaleur touchante. Volodia est une célébrité dans le domaine du folklore cosaque. Avec Marina, ils ont chanté, et expliqué toutes sortes de traditions, donné des conseils. Les cosaques et leur progéniture ont montré ce qu'ils savaient faire, la danse du sabre et autres jeux guerriers, les chants. Je les trouvais tous gentils, purs, et pleins de bonne volonté. Le petit Gricha Rimm prenait son air sévère et viril, et restait collé contre l'ataman qui dirige tout cela, mais il est quand même allé danser avec les hommes!
J'ai rencontré un Français dont j'entendais parler depuis longtemps et qui habite Rostov, Iakov. En réalité, ce Français a des origines russes, ses grands-parents étaient cosaques du Don, et ont quitté la Russie au moment de la révolution. Sa mère venait de Suisse allemande et il a grandi à Nancy. Il y a 20 ans, il a opéré son retour en Russie, où il est marié avec plein d'enfants. C'est un ferronnier d'art. Nous avons commenté le mauvais goût qui nous consterne autant l'un que l'autre. "Je me retiens de plus en plus souvent de le souligner, bien que ce soit la chose qui m'indispose le plus, ici, cela me rend malade de les voir saccager ce que le pouvoir soviétique avait encore épargné. Mais j'ai peur de les agacer en insistant trop.
- C'est vrai, moi aussi, mais quand même je ne me gêne pas trop pour le dire. Vous savez, il me semble que le plus souvent, les Russes ne savent plus qui ils sont, ils se cherchent, ils cherchent à se retrouver, comme nos cosaques, ici. Le pays a été terriblement abîmé culturellement, ils sont en quête de leur savoir-faire et de leurs traditions perdues. Ils sont en train d'essayer de sortir du processus dans lequel les Français sautent à pieds joints. Quand ils se rendent compte des pertes subies, évidemment. Ce que je ne supporte pas, ce sont ceux qui sont obnubilés par l'occident et méprisent leur propre pays...
- En France, les gens qui contestent le système et veulent effectuer un retour à la terre, ce qui est en soi une saine démarche, n'ont pas le désir de retrouver leurs racines culturelles et spirituelles, comme ici, au contraire, ils se lancent dans le shamanisme, le bouddhisme, l'hindouisme, l'islam, ils font de la musique exotique, africaine, indienne, iranienne, et s'ils font de la musique traditionnelle, ils ne manquent pas de souligner qu'ils ne revendiquent pas un tel adjectif pour eux-mêmes. A vrai dire, contrairement à l'orthodoxie, l'Eglise romaine me parait elle-même déracinée et déconnectée et je ne vois pas comment la France pourrait y puiser la force de se rétablir, alors que j'ai encore de l'espoir pour la Russie."
Cette impression d'avoir affaire à un peuple d'amnésiques à la recherche de leur passé, je l'avais eue fortement quand j'étais revenue la première fois en Russie, en 1990. et j'avais aussi découvert qu'avec des approches un peu différentes, nous avions subi ou subissions tous le même lavage de cerveau.
Skountsev pense que la pieuvre mondialiste est infiltrée partout, quand on cherche à l'expluser d'un côté, elle revient de l'autre, sous un autre label, une autre apparence. Et en effet, c'est ce que me disait déjà il y a 20 ans un ancien officier du KGB que j'avais rencontré lors d'une croisière sur les fleuves et les lacs du nord.
J'ai vu aussi le Suisse Benjamin, ou Veniamine, je ne sais même pas si on peut encore dire qu'il est suisse d'ailleurs, tellement il est naturalisé. Il était avec son bébé Savva. Il est heureux comme un roi, au milieu de son équipe de cosaques, dont l'aumônier est le père Andreï, ancien vieux-croyant, et ami du père Andreï de notre cathédrale..
Des cosaques de passage ont laissé derrière eux quelques cadavres
Mes locataires sont arrivées, mais je ne sais pas pourquoi je
m'impose cela, finalement, pour rentabiliser ma grande maison, pour en
prendre l'habitude, au cas où cela deviendrait indispensable? Je
planifiais de transporter la cuisine que j'ai installée dans une seule
petite pièce avec le coin douche dans la pièce à côté, ce qui ferait une
cuisine-salle à manger décente, séparée du reste, et me permettrait de
faire une entrée complètement indépendante, mais à ce moment-là, je
perdrai une chambre, je n'aurais plus qu'un grand studio. J'avais enlevé
le lit pour arranger les deux poètes, qui voulaient installer le leur,
orthopédique. Il est maintenant démonté dans un coin. Or voilà que mes
deux arrivantes veulent deux chambres séparées. Et en plus, cela ne va
pas que ce qu'il me reste de lit dans la grande pièce, un lit superposé
double, soit trop près de la porte de l'autre chambre, il faut le
transporter à un autre endroit, dont je devrai enlever tous les tableaux.
Et puis le drap housse cela ne va pas non plus, il faut un vrai drap,
une taie d'oreiller en vrai coton, et enfin, on n'arrive pas à installer
la Wifi, j'ai dû faire appel à un spécialiste d'urgence, il n'arrive
toujours pas, toute ma journée est passée dans ce genre de détails. Le
spécialiste va me bloquer l'ordi pendant une heure. Hier, c'était le
plombier qui me faisait un cours de physique-chimie, quand je lui
demandais simplement de faire en sorte que l'eau ne passe pas dans la
douche de l'état bouillant à l'état glacial de façon inopinée et
incontrôlable...
Après quelques locataires, et leurs diverses
exigences, cela ne ressemble plus à rien, là bas. Mais quand j'aurai
terminé ces aménagements, ce sera en l'état ou rien, et qu'on me rende
l'endroit tel qu'il était à l'arrivée.
Jusqu'à présent, j'en avais
qui du moins n'étaient pas difficiles, celles-ci vont je crois bien
m'emmerder. Je vais réserver cela à des copains ou pour les réfugiés
français qu'attend l'higoumène Dmitri!
J'ai dit à Skountsev que je
ne pourrais pas travailler avec lui aujourd'hui. Il est venu hier, mais
comme il était soumis aux desiderata de l'équipe de tournage, il était
difficile de planifier quelque chose. Marina et lui ont passé chez moi
deux heures, le temps de bouffer et de répéter un peu, car il voulait
voir mes instruments, et me montrer sur pièce comment m'en servir pour
des gestes que je ne peux saisir à distance.
Sa femme m'a confié
avoir trouvé une lettre enflammée de sa bru dans de vieilles partitions
de son fils qu'elle allait jeter à la poubelle: "Elle lui mettait toute
son âme dans cette lettre, et lui l'a laissée n'importe où.
- Oui, mais cela ne l'a pas laissé indifférent, il l'a quand même épousée...
-
D'accord, mais c'est pour dire qu'ils ne sont vraiment pas comme nous,
ils ne peuvent pas nous comprendre, et réciproquement, et s'ils nous
comprennent, ce ne sont pas des hommes, et d'après le prêtre, ils ne
nous servent alors à rien. Si nous voulons être comprises, il nous faut
aller trouver des femmes."
Cela m'a plongé dans des abimes de
réflexions. Je ne pense pas que ce soit absolument vrai, j'ai entendu
une fois une interview du père Vladimir Viguilianski, qui a une grande
complicité avec Olessia, et il disait que la condition d'un bon mariage
était un sentiment d'amitié entre époux qui survit à l'engouement
sensuel et unit dans les circonstances diverses de la vie. Ce sentiment
d'amitié existait entre ma mère et mon beau-père. Je pense que dans un
certaine mesure, il existait aussi entre le père Valentin et sa
matouchka. Je pense qu'il existe entre le père Antoni et sa femme
Myriam. Personnellement, c'est ce que j'ai vainement cherché, car les
hommes qui avaient des points communs avec moi ne me considéraient plus
comme une femme, mais comme un copain, tandis que des "vraies femmes",
ils se plaignaient abondemment, avec toutes sortes de sarcasmes. L'amitié
implique le respect et exclut le mépris, l'exaspération et la
rancoeur. Je n'ai pas le réflexe d'aller chercher de la compréhension
chez les femmes, à l'exception de ma mère autrefois, ou de mes tantes,
et de celles qui n'ont pas ce qu'en russe on appelle "babstvo", ce côté
femelle, possessif, hystérique, tyrannique, cette tendance à être dans
la rivalité permanente, tout cela assorti d'un prosaïsme profondément emmerdant, à
des degrés plus ou moins marqués. En l'occurrence, je m'entends malgré tout mieux
avec Skountsev qu'avec sa femme, je me sentais beaucoup plus à l'aise
aux répétitions où j'étais seule avec dix cosaques que dans une
compagnie de nanas, si j'aime Xioucha et Dany, c'est que ni l'une ni
l'autre ne sont dans le registre "babstvo". Et bien que je sois
traditionnaliste, et que je conçoive très bien que les hommes aient
besoin d'être entre eux par moments, me trouver tout le temps dans une
compagnie féminine me déprimerait plutôt. Au point que je n'entrerais
pas au monastère, je préfère les monastères d'hommes!
J'ai vu
une série de photos sur des vieux-croyants de Sibérie, en république
bouriate, et ce qui me saute aux yeux, c'est que leurs petites maisons
sont solides et très bien entretenues, certaines ont des toits de tuile
métallique, car de nos jours, il est difficile de l'éviter, mais ils ne
jurent pas du tout avec les façades ni les autres maisons, ce qu'on voit
de décoration intérieure est très joli; les costumes sont très colorés,
sans doute même trop, le costume russe traditionnel tel que j'ai pu le
voir dans les musées, les livres et les ensembles folkloriques qui
récupèrent des vêtements authentiques, a des teintes riches mais moins
criardes, plutôt dans les rouges, blanc et noir. Cependant, il règne
dans ce village une harmonie qui a complètement disparu de Pereslavl,
par exemple, et de quartiers entiers de villes russes autrefois
pittoresques. Le respect de la tradition empêche naturellement de faire
n'importe quoi, autant avec ses vêtements qu'avec ses maisons, mais au
delà de cela, je pense qu'il donne une harmonie intérieure qui se
reflète dans une harmonie extérieure et si notre civilisation est si
laide, c'est qu'elle fait les âmes tordues, et des âmes tordues ne
produisent que de la contrefaçon, du mauvais goût, voire de la
monstruosité. Le mauvais goût qui atteint à présent une dimension
fantasmagorique, métaphysique, est la marque de la chute, de la
dégénerescence de la société moderne antitraditionnelle. Qui plus est,
alors qu'on nous parle sans arrêt de la misère des campagnes, ces
vieux-croyants semblent bien vivre, sans tous les excès de la société de
consommation, simplement et dignement.
Parallèlement, j'ai vu la
photo d'un tableau de Polenov que j'aime beaucoup, "une cour de Moscou",
mise en regard du même endroit de nos jours, avec la même église, et
autour un décor urbain banal. La plupart des commentaires déplorent la
transformation. Le tableau est idyllique, paisible, féérique. On y sent
l'atmosphère que j'avais trouvée à Pereslavl la première fois que j'y
étais venue; une sorte de nonchalance, de simplicité détendue dans un
décor organique, naturel et pittoresque. Quelque chose d'assez proche de
ce village de vieux-croyants, mais en plus délabré, car les
vieux-croyants ont gardé toute la vertu des anciens, ils sont
travailleurs, honnêtes, cela se sent dans leur maintien, dans la
propreté de leurs maisons.
C'est alors qu'intervient une bonne
femme qui n'échangerait pas le paysage urbain contre celui de Polenov,
car on faisait alors la lessive à la rivière et on avait les cabinets au
fond du jardin. Donc vive les cages en béton, et quand j'ai protesté,
elle m'a répondu que je ne ferais pas ma lessive dans la rivière et mes
besoins au fond du jardin. Elle rejoint en cela tous ceux qui se
scandalisent qu'on répare une église ancienne plutôt que de "construire
un hôpital ou un jardin d'enfants", c'est-à-dire la mentalité communiste
ou capitaliste utilitaire qui vend son âme pour un plat de lentilles.
Il
est évident que vivant seule, ayant grandi à notre époque et ayant un
certain âge et des rhumatismes, je n'irai pas laver à la rivière ni
recourir à la cabane au fond du jardin, encore que de ce côté-là, on
trouve des arrangements. Mais ce raisonnement me paraît profondément
faux, et du reste, même si, dans une certaine mesure il est vrai, si la
vie était plus inconfortable, plus dure, cela ne veut pas dire que nous
ayons gagné à nous la simplifier, ou que nous n'ayons pas compliqué d'un
côté ce que nous avons simplifié de l'autre, et surtout humainement et
spirituellement terriblement appauvri notre existence. Mais il y a des
gens, produits de la modernité, qui, voyant le tableau de Polenov, et
tout ce qu'il nous dit sur ce que nous avons perdu, restent au niveau
des chiottes et du linge sale, c'est comme cela. Ce qui est triste,
c'est que cette mentalité n'était pas du tout russe, elle était
petite-bourgeoise et occidentale. Mais c'est celle qu'ont imposée les
révolutions politiques et industrielles, en éliminant et rééduquant tous
ceux qui y étaient réfractaires.
Le raisonnement est faux, parce
que ce que ne faisaient pas les robots ménagers, les gens le faisaient
en commun ou à tour de rôle, et souvent en se racontant des histoires,
ou en chantant, la fonction créative de l'être humain, qui est en
réalité communicative, qui ne devrait pas être individuelle, je dirais
même qu'elle ne peut pas être limitée à l'individu sous peine de le faire sombrer dans la folie, faisait partie
intégrante de la plupart des activités. Le sacré et le symbolique
également. De sorte que la vie était probablement physiquement plus
dure, mais psychologiquement plus simple, et humainement,
spirituellement plus enrichissante et plus digne. De plus, d'accord, la
machine à laver, l'aspirateur, mais la plupart des gens passent leur vie
à accomplir des tâches qui ne les concernent pas, ne les enrichissent
pas mais au contraire les aliènent, pour ensuite perdre quatre heures
dans les transports afin de rallier leur cage en béton et s'écrouler
devant les conneries de la télévision, sans plus rien supporter, ni leur
moitié, ni les gosses ni le chien, mais ils sont persuadés qu'en les
arrachant à cette vie campagnarde communautaire et transfigurée par une
humble, ancestrale et quotidienne création collective, et par le sens sacré de l'appartenance au cosmos et à Celui qui l'inspire, on les a libérés et qu'ils sont considérablement plus
intelligents que leurs ancêtres ploucs pour lesquels ils ont un mépris
apitoyé. Moi, dépendante de la machine à laver et des commodités, après
avoir passé ma vie seule, sans mari et sans enfants, j'ai conscience
d'être une erreur de la nature, un peu comme un lion ou un ours qui a
passé la sienne dans une cage au zoo. Les talents que j'ai ne m'ont pas
donné de chaleur et ne m'ont pas délivrée de mon égoïsme. Dans le
chagrin de ne pouvoir vivre en famille, et la profonde aversion du
système de vie où j'étais née, l'obligation d'aller travailler pour
remplir un compte en banque et ne pas me retrouver sous les ponts, qui
m'emplissait de stress et d'angoisse, je n'arrivais pas à créer
spontanément, je n'avais ni les bonheurs de la femme épanouie, ni ceux
du créateur absorbé. Et j'étais obligée de vivre dans ce milieu
artificiel immonde qu'on appelle une ville, ou plutôt une agglomération,
une ville, c'est encore trop organique, et qui nous coupe de la terre
et du ciel, des forêts, des fleuves, des nuages, des étoiles, des autres
créatures que nous ne savons plus comment offenser et persécuter au
lieu de les admirer avec ravissement. Oui, j'ai poussé comme un arbre
tordu, comme un bonzaï dans son pot. Mais j'ai poussé quand même et je
ne me suis pas désséchée; alors que tant d'autres, comme la femme du
commentaire, préfèrent le béton soviétique avec un chiotte et une
machine à laver au quartier organique et vivant de Polenov, plein de
ciel, de soleil, et de coupoles dorées qui se dressent avec une douceur
recueillie, prière séculaire reconnaissante et centrale. De cela je peux
rendre grâce à Dieu qui ne me laisse pas tomber...