C’était une liturgie épiscopale, ce matin, très belle, avec
habillement solennel de l’évêque, un beau chœur, et je pensais à Henri et Patricia,
qui n’ont pas assisté à ça. Sur le fond de qui se passe en ce moment, je
bénissais le ciel d’être en Russie, je pensais au père Placide. Sans doute ne
savait-il pas consciemment ce qui allait arriver, mais en m’envoyant en Russie,
il a fait preuve d’une grande clairvoyance, j’aurais très mal supporté la
situation si j’étais restée en France. Je me sentais spirituellement chez moi,
avec tous les saints du pays, je sentais spirituellement, et je dirais même
physiquement, dans un certain attendrissement et une allégresse de mon cœur, que
j’étais en communion avec le dernier petit troupeau et qu'il m'était très cher. Je me suis souvent dit que
Dieu n’avait pas abandonné l’Ukraine, puisqu’il lui avait donné comme
métropolite monseigneur Onuphre. Mais tout à coup, il m’apparaissait aussi
qu’avec monseigneur Onuphre comme métropolite là bas, tout croyant orthodoxe
normal ne pouvait pas ne pas voir qui sert celui qui le poignarde dans le dos,
de même qu’au temps du métropolite Philippe, il était évident que Dieu était de
son côté, et pas du côté du tsar ou des misérables en soutane venus à son
instigation témoigner contre le saint. La sainteté jette sur les
intrigants une lumière qui les démasque...
J'ai fait une photo de l'église du métropolite Pierre, que je voudrais tant voir sauver et réparer...
Le père Constantin était requis par l’évêque, mais il a, si
je comprends bien, des projets, on construit une maison de la culture
religieuse, et nous pourrions y organiser concerts et stages de folklore
ethnographique, expositions, lectures littéraires...
J’avais ensuite rendez-vous avec Lioudmila la juriste, dans
la galerie qui occupe une partie de l’église voisine, mais j’avais faim et une
heure à tuer, je suis allée au café Montpensier, qui est à côté, et j’ai
commandé l’excellent bortsch, sur la terrasse, face à l’église de la
Transfiguration. Une fois de plus, j’ai eu une pensée pour Henri et Patricia, ils sont maintenant partout, ici !
Le temps reste idéalement ensoleillé et tiède, il fraîchit
un peu, insensiblement. En robe d’été, je songeais que dans quinze jours
peut-être j’allumerais le chauffage et
que dans un peu plus d’un mois, je verrais les premiers flocons…
A la galerie, Lioudmila m’a présenté un vieux peintre,
Valeri Vekchine. Il voulait absolument me rencontrer, car il lit mes
chroniques, dans la traduction automatique, il a bien du mérite. Je suis tombée
amoureuse des tableaux d’un autre peintre, pas très chers, mais les temps sont
durs. Dans cette galerie, il y a de tout, du meilleur comme du pire. J’ai vu une
photo ancienne, enfin peut-être une vingtaine ou une trentaine d’années, du
bord de la rivière Troubej, avec de si jolies maisons, équilibrées, homogènes,
harmonieuses, il n’en reste plus une seule, elles ont toutes été détruites pour
reconstruire des horreurs hétéroclites.
Une des femmes qui exposaient a fait un discours pour dire
son amour de Pereslavl, avec une sincérité et une fraîcheur touchantes. Son
amie exposait de jolies céramiques, j’en ai pris une pour une dizaine d’euros.
Après quoi je me suis rendue avec Lioudmila dans la galerie
personnelle de Valeri Vekchine, une isba qui reste très jolie, un peu en
retrait de la berge de la rivière. Il nous a montré ses œuvres, qui me
plaisaient diversement au départ, mais dans lesquelles je suis peu à peu
entrée. Le problème est qu’il faut souvent regarder longuement les tableaux
pour les voir vraiment. Il avait de très belles vues de Pereslavl, des endroits
qui ont disparu, eux aussi. Il a des
styles très différents, et fait aussi des compositions abstraites à base de
planches et divers objets.
Il a le projet de faire une galerie pour les tableaux et
dessins d’enfants, qui le passionnent, et c’est une chose qui m’intéresse aussi
beaucoup. J’avais à cœur, à l’école, de
pousser les enfants à travailler ce qu’ils faisaient spontanément, en leur
donnant de beaux matériaux, pour arriver à produire une œuvre, à partir de ce
que trop d’adultes et d’enseignants considèrent comme des gribouillis. Si tout
le monde dessinait comme les enfants, ce qui était le cas autrefois dans toutes
les campagnes, le monde serait plein de beauté.
Ensuite, Lioudmila est venue chez moi, nous avons pris le
thé dans le jardin. Elle était étonnée par les changements, malgré le
laisser-aller dans mes plates-bandes. Mais bientôt, je n’aurai plus ce
problème, jusqu’à l’année prochaine. Juste celui, dans les prochains jours, des
transplantations et plantations d'automne.
Les chats font une hécatombe de souris.
Valeri Vekchine et ses tableaux |