Je pense si souvent à Doggie, je revois tout ce qui s’est
passé, je crois que de toutes mes hsitoires d’animaux, c’est celle qui m’a le
plus brisé le cœur. Lorsque je lis ce que j’ai traduit sur Grégoire Palamas, je
ne vois pas dans cet au-delà sans espace ni rien de sensoriel, de place pour mes
petits chiens, et pourtant, je suis sûre qu’il doit y en avoir une, sinon, tout
serait trop injuste, et d’ailleurs, n’en déplaise aux moines, nous avons 99% de
gènes en commun avec les animaux (et les végétaux), et à mes yeux, le salut et
la transfiguration seront forcément cosmiques.
Le beau temps apporté par Henri et Patricia s’éternise, l'automne approchant semble le fuit mûrissant de l'été. Hier, je suis allée au lac, près de Godenovo, et je me suis baignée. Il était
lisse comme un miroir, frais, mais pas froid ; j’y suis entrée, le silence
aurait été parfait, sans les voitures qui passaient de temps en temps sur la
route proche, un silence immense, mystique, où chantait un oiseau, quelque
part. De petits nuages subtils se reflétaient dans la surface immobile, dans l’azur
dédoublé, un azur pâle et tiède. Le
paysage était à la fois modeste, sans rien de spectaculaire, mais captivant,
absorbant, avec une sorte de grandiose douceur. Je ne finis pas mes jours au
bord de la mer, mais je retrouve la possibilité de me baigner dans des endroits
beaux, à peu près intacts, pas surpeuplés. Et lorsque je nage, je n’arrive plus
à sortir de l’eau. Je l’épouse, elle me régénère et le ciel me dévore.
Je pensais à l’Ardèche, où j’allais enfant avec maman, les
pierres plates et brûlantes de Sauze, l’eau verte et mouvante, rapide, les
falaises, en face, prêtes à bondir, les odeurs balsamiques des plantes du midi.
Ou à la mer, la mer à Sainte-Maxime, à Saint-Tropez, dans les années 60, les
gens beaux, éduqués et distingués que je voyais sur la plage, avec cette rumeur
de conversations, de cris d’enfants et de mouettes, de vagues murmurantes, de
vent iodé. C’était le début de ma vie, sous le soleil, avec tous les élans de
mon corps enfantin, et de mon âme contemplative, qui cherchait l’éloignement,
et je nageais, pour le trouver, je m’éloignais dans l’infini bleu, celui du
ciel reflété par la mer, et j’entamais un silencieux dialogue, un dialogue sans
mots…
Les lacs du nord où je finis ma vie sont d’une autre
nature, leurs eaux plus étales, ils jouent avec les nuages, dont le ciel est
toujours plus ou moins hanté, discrètes présences angéliques sur eux penchés,
ou grandioses architectures de lumière, troupeaux de cavales nomades et de
sombres guerriers bleus, interminables et fascinants défilés… L’air est plein
de fantômes russes et de saintes présences.
Je ne peux pas dire que dans cette Russie que j’aime si
profondément, comme un rêve poursuivi et accompli, je n’ai pas le mal du pays,
le mal de la France, ce sentiment poignant et sournois qui jette de vives
images dans notre esprit, vives images d’un passé mort.
Le long de la route, les arbres se dorent comme les motifs
anciens d’une grande iconostase.
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