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mardi 14 novembre 2017

Des oiseaux à l'aube

Je pensais aujourd'hui à quelqu'un de profondément perdu, qu'on ne sait plus par quel bout attraper. et qui finit sa vie dans le malheur. Le salut ne serait pourtant pas loin, à Solan, où le père Elisée en a exposé le mode d’emploi. A vrai dire, je ne me presse pas trop non plus de faire le mien pour de bon,  et de franchir les stades nécessaires, à commencer par fuir la politique sur facebook autant que possible et à prier pour le tsar qui cherche ma chaleur du fond de nulle part. Je suis certaine que cette âme m’a suivie toute ma vie, gardée en réserve, et que maintenant, il me faut prier pour elle et pour la mienne. Mais avec l’aide de Dieu, car je n’en suis pas du tout capable, pas du tout capable, j’appelle Dieu au secours chaque jour. Nous ne sommes capables de rien, dit le père Elisée, il faut le savoir. Bien sûr, j’ai fait le livre, mais si Fédia en est quelque peu réhabilité, peut-être même trop, je ne suis pas sûre que ce soit le cas pour le tsar, en tous cas pas aux yeux de mes lecteurs ! Pourtant, je l’aime, si atroce qu’il fût parfois, j’ai de la fascination et de la compassion pour lui, comme Fédia lui-même. Fédia aussi s’est accroché à moi, je les ai aimés tous les deux, mais Fédia peut-être plutôt comme un frère ou comme mon double. Fédia, je l'ai sans doute trop absous, peut-être parce qu'étant mon double, il ne pouvait pas être dénué d'empathie. Est-ce compatible, peut-on garder une capacité d'empathie qui ne veut pas disparaître et commettre des choses terribles par la force des événements? Le livre s'est constitué de cette manière et je n'en ai pas eu le contrôle absolu... Après tout, c'est une sorte de conte.
Je suis sortie ce matin par un mistral violent qui chassait de petits nuages blancs et touffus au travers d’un champ noir de grosses étoiles, brillantes et miroitantes. Ces étoiles du midi, ces étoiles des nuits de mistral, je les regardais de mon hamac à Cavillargues, ou en sortant des agrypnies du monastère de Solan.  Elles sont si calmes et si présentes, elles jettent avec tant de force leurs rayons dans les ténèbres, de très petits anges à leurs postes lointains qui nous sembleraient trop énormes si on les voyait de près.
Hier, Claire m'a montré son chef d’œuvre de broderie, son exploit spirituel, le linceul du Christ pour les vendredis saints du monastère de Solan. Elle y travaille depuis plusieurs années, au tout petit point comme au  moyen âge, comme dans les ateliers de la tsarine Anastasia. Le linceul représente le déploration du Christ, avec des anges et les quatre évangélistes. Une fois il a brûlé en partie, une autre fois, on en a volé un détail. J'avais une amie iconographe qui me disait que le diable s'acharnait sur elle chaque fois qu'elle peignait une nouvelle icône.
Elle m'a montré des livres qu'on lui a offerts et qui rassemblent des icônes catholiques, dont on sent tout de suite qu'elles sont catholiques, selon l'expression du père Barsanuphe, elles ne sont pas dans l'Esprit: il n'y a pas derrière toute la structure théologique, la liturgie où l'icône prend sa place, l'icône n'étant pas un ensemble de trucs iconographiques et de "symboles", mais un élément constitutif de notre Eglise visible et invisible, passée et présente, dont les églises matérielles et ce qu'elles comportent sont l'image, comme notre église neuve de Solan, qui a été bâtie dans l'Esprit, justement, non par un architecte profane mais par une communauté de croyants.Elle.m’a paru dimanche encore plus belle que la dernière fois, les chants y résonnent si bien, on dirait que tout l’espace intérieur prie avec nous. J’ai dit à la mère Hypandia qui me demandait comment j’allais : «Je reste spirituellement attachée à Solan…
- Ce n’est rien, Laurence, au plan de l’invisible, nous sommes toujours tous ensemble. »
A l'aller, je me suis arrêtée pour dire mes prières, le soleil se levait sur le Ventoux, et j'entendais les oiseaux, que l'on n'entend déjà plus à Pereslavl, des oiseaux discrets qui voient arriver l'hiver et répandent de légers scintillements sonores entrecroisés. Au retour, j’étais hypnotisée par les reflets somptueux et les vibrations des peupliers d’or et d’argent et des vignes qui rougeoyaient dans la lumière comme autant de buissons ardents à la combustion exubérante, le long des oliviers bleus et des cyprès bruns… Je pensais à mes longues promenades en toutes saisons avec Jules, puis Doggie, à mes prières dans le vent, ce joyeux mistral qui accompagnait mon enfance de son pas capricieux et puissant de cheval lâché.
Le soleil se lève sur le Ventoux




5 commentaires:

  1. Magnifique texte bonne soirée ma Chere laurençe amities

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  2. "j'appelle Dieu au secours chaque jour..." Oui, je l'implore moi-même plusieurs fois par jour. Et les brimades les déceptions se multiplient... Le diable ne se rend jamais...

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  3. C'est votre foi orthodoxe qui vous inspire... Vous priez pour l'âme des pêcheur.
    ..."Да ведают потомки православных
    Земли родной минувшую судьбу,
    Своих царей великих поминают
    За их труды, за славу, за добро -
    А за грехи, за темные деянья
    Спасителя смиренно умоляют."... dir Pimène dans le Boris Godounov de Pouchkine.

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    1. En effet, mon âme médiévale. Il faut réparer ces zones d'ombre. Dans mon deuxième livre, j'en parle de cette manière: Le bienheureux caressa le malade d'un regard aussi pur et aussi clair qu'un souffle de brise: « Tsar, réjouis-toi, murmura-t-il. Réjouis-toi, car tout est accompli. Laisse les démons, dans leur rage impuissante, s'acharner sur ce qu'il reste de ton corps : ils ne gardent pas la meilleure part. Les torts que tu as subis, tu les as rendus au centuple, ravageant sans pitié, pour quelques brebis galeuses, le troupeau confié par Dieu à ta garde. Mais nous, tsar, nous te pardonnons parce que tu es nôtre : que soit restauré dans sa gloire l'étendard déchu de notre peuple. Les crimes absous ne nuisent plus à personne et la face du monde en est à jamais lavée. »
      Le fou béni le souverain, recula de quelques pas et se figea en face d'une fenêtre, livrant de plein fouet son corps squelettique à la lumière du couchant : « Voici maintenant que je vous parle d'un mystère, psalmodia-t-il ; nous ne mourrons pas tous mais tous, nous serons transformés, en un instant, en un clin d'œil, au son de la dernière trompette. Les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés. Il faut que ce qui est corruptible revête l'incorruptibilité, et que ce qui est mortel revête l'immortalité… »
      Il éleva les mains et son ombre projeta sur les tapis une croix tortueuse : «Quand ce qui est corruptible aura revêtu l'incorruptibilité et que ce qui est mortel aura revêtu l'immortalité, alors s'accomplira cet oracle de l'écriture : la mort a été engloutie dans la victoire. Mort, où est ta victoire ? Mort, où est ton aiguillon ? »
      Le vieillard, transfiguré se mit à rire et répéta, d'une voix que la joie brisait : «Mort, où est ta victoire ? Mort, où est ton aiguillon ? »

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