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dimanche 29 novembre 2020

Les braises

 Un ami folkloriste, Dima Paramonov, répond à mon cri du coeur devant des photos de la magnifique petite ville de Mojaïsk: "Russes! Je ne veux pas voir disparaître tout cela, vos cottages en plastique, c'est de la merde, et aucun peintre n'a envie de les dessiner" que la civilisation russe est terminée et que tout disparaîtra. De la part d'un garçon qui est très actif dans la renaissance du folklore, c'est dur à entendre. Il est vrai qu'il avait ouvert un musée des gousli à Moscou, où l'on donnait des cours, et à la faveur du Covid, on le lui a fermé. Il est parti vivre dans un village de l'Oural, sans doute espère-t-il retarder ainsi le moment où il sera rattrapé par le siding et la tuile mécanique bleu pétard, accompagnés de la radio à tue-tête, ce qu'il pense inéluctable pour l'ensemble du pays. 

Je dis "à la faveur" du Covid, parce qu'évidemment, tout ceci est voulu. Tous les gros ploucards du business mafieux transhumaniste détestent viscéralement tout ce qui est russe de chez russe, comme ils détestent chez nous tout ce qui est français. Et ce sont eux, comme chez nous d'ailleurs, qui forment les mentalités, détiennent les médias, et le fric des investissements, eux qui décident de laisser pourrir la patrimoine ou d'en hâter la fin par des incendies, eux qui soutiennent tous les spectacles dégradants, la musique de merde, la sous-culture de masse transnationale. 

Le peintre Alexandre Pesterev, dans son isolat de Férapontovo, me disait exactement la même chose que Dima: tout ce que nous aimons est condamné.

La Russie du XIX° siècle était encore un monde jeune et extrêmement vivace, avec une riche culture populaire, une vaste paysannerie, qui faisait beaucoup d'enfants. Le début du roman de Cholokhov le Don paisible, rend bien cette impression de vitalité. J'avais lu autrefois les souvenirs d'une dame française partie en Russie avec son mari dans les années 1850. Sa description du sud de la Russie est prenante, fascinante. Il lui semblait déboucher dans un autre monde, il lui semblait, dès qu'elle quittait les bâtiments officiels des villes de province, ses fonctionnaires et nobles locaux, être la proie d'une hallucination permanente tellement elle était AILLEURS. Et elle évoque un jeune cosaque de son escorte qu'elle voyait jouer avec un aigle.

Ce monde étrange, extrêmement original, très homogène, avec un folklore qui, selon des musiciens italiens du XVIII° siècle, révélait une seule mélodie de base, dans tout l'empire, depuis la Sibérie et le nord jusqu'à l'Ukraine et la Bielorussie incluses; une seule mélodie avec des milliers de variantes, reflet de l'âme russe, cette communion de personnes unies transversalement et horizontalement en Dieu, avec toutes leurs nuances personnelles qui entraient en résonnance harmonieuse, c'est sans doute un peu ce que nous avions en occident au moyen âge. Nous avons dit de ce monde russe qu'il était attardé, alors qu'il était seulement miraculeusement conservé. Et il s'est conservé d'ailleurs en partie,  au delà de la catastrophe communiste, sans doute jusqu'aux années Brejnev;  

Il en a fallu de l'acharnement et de la cruauté, pour le faire disparaître. Au XVII° siècle, il s'est dressé toutes classes confondues pour évacuer les Polonais. Avec Pierre le Grand, c'était déjà plus difficile, le schisme des vieux-croyants ayant introduit une fracture inguérissable dans un peuple qui, plus qu'aucun autre en Europe, était une grande famille, avec ses querelles internes et ses mauvais sujets, mais une profonde parenté spirituelle et culturelle entre tous ses représentants. Pierre le Grand a inoculé l'occident à la Russie, il a été le premier à mépriser tellement son propre peuple et à le méconnaître qu'il a donné un nom étranger à sa capitale. Mais quand les Français sont venus apprendre la vie aux Russes, ils se sont encore levés comme un seul homme pour les mettre dehors. Y compris les nobles de Pétersbourg coupés de leur culture, et même les étrangers phagocytés par cet étrange et captivant pays, les Allemands, les Italiens, les émigrés français russifiés.

Que dire du bolchevisme introduit à la faveur de la trahison des élites, travaillées par toutes les idées qui, parties d'un occident devenu fou, ont fini par infecter toute la planète? Avec quelle méchanceté méthodique se sont-ils acharnés sur la Russie, précisément sur la Russie, paysanne, croyante, poétique, contemplative, artistique, pour la transformer en fourmillière mécanique sans mémoire? Séduite, violée, battue, assommée, dressée, endoctrinée, poussée à se détester elle-même et à traquer en elle tout ce qui pouvait lui rappeler sa vraie personnalité... Aujourd'hui, les descendants post-soviétiques des ardents komsomols qui ricanaient en 73,  lorsque je leur disais que les nouveaux bâtiments de Moscou étaient tous plus affreux les uns que les autres, détruisent les derniers vestiges de ce que leurs ancêtres russes avaient mis des siècles à bâtir ou se transmettaient depuis la nuit des temps. Le beauf international aux gosses maussades cramponnés à leurs écrans remplace peu à peu le Russe authentique, avant sans doute, comme nous le sommes nous-mêmes à la suite de processus analogues, d'être remplacé à son tour par le surplus délinquant et abruti de l'Asie ou de l'Afrique.

Il se trouve de ces descendants pour verser dans le négationnisme et justifier le massacre et le dressage de leurs ancêtres non conformes au modèle moderniste. Cela valait le coup de s'infliger tout ça, pour avoir une salle de bains dans son clapier en béton et aller dans le cosmos nous installer la toile d'araignée électronique qui fera de nous tous des esclaves hagards.

Pourtant, dans ce bordel hideux que devient la Russie, il surnage des ferments de renouveau, des cellules saines, plus peut-être qu'en Europe. Le folklore séduit beaucoup de jeunes, il reste pas mal de gens qui sont patriotes, qui aiment leur pays, qui voudraient le sauver. Une goutte dans la mer, me dit Dima Paramonov. Je dirais un peu plus que cela, un courant, une sorte de discret Gulf Stream.

Et quel autre choix avant nous que de souffler sur les braises qu'il nous reste? 

Derrière l'isba de l'oncle Kolia surgit une structure à deux étages du genre de celle que construit mon voisin. Si je reste ici, il ne me reste qu'à boiser à mort. Je déménagerais bien, j'ai vu une isba ravissante à Koupanskoié. En aurai-je le courage, et son environnement restera-t-il ce qu'il est? 

La maison du voisin, c'est un échafaudage d'allumettes, avec de l'isolant entre deux couches de contreplaqué, et le siding par dessus, je pressens qu'il sera façon fausse pierre, pourquoi s'emmerder avec du vrai quand il y a le plastique, qui  "dure éternellement" et qu'on a  été tellement nourri de faux, qu'on ne sait même plus ce que c'est que l'authentique? J'espère au moins que son toit ne sera pas bleu électrique ou rouge sang de boeuf...




J'ai fait ce dessin en 2000,  près du monastère musée qui domine la ville. Il y avait toute une enfilade de petites maisons semblables, qui s'inscrivaient de manière parfaitement organique dans l'ensemble et qui ont été remplacées par d'horribles OVNIS qu'on a envie de pousser pour mieux voir.


5 commentaires:

  1. Alors la Russie, elle aussi, ne sera pas notre refuge? Seigneur, aie pitié de nous.

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    1. Si, peut-être qu'elle le sera, quand même, mais il faut savoir qu'elle est quand même aussi très abîmée, c'est du reste ce que dit le starets français de Valaam, le père Séraphin. Il y a cette réalité brutale et consternante, mais il y a les braises dont je parle et sur lesquelles il faudrait souffler. Je pense aussi que le naufrage occidental peut faire réfléchir les russes, bien qu'on le leur cache, la plupart de leurs journalistes étant à la solde des mêmes malfaiteurs, mais pas tous, il y a des chroniqueurs politiques conscients et écoutés, à commencer par Nikita Mikhalkov. Enfin la venue d'Européens réfractaires à ce qui se produit chez eux peut aussi avoir un effet. Le problème est que souvent, ceux qui venaient jusqu'alors étaient plutôt des businessmen, qui fuient les impôts ou les contraintes sociales, et qui sont des sectateurs aveugles du progrès à tout prix.

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  2. Chere Laurence! Je partage votre douleur envers la Russie qui a ete privee de sa belle culture et sa prospérité. Apres le crime contre notre tsar en 1918 cette culture et ce gout beau et original russe a ete aneanti...parce que les gens qui constituaient la fleur de la nation ont ete aneantis... c est le sujet de mon desespoir aussi...Mais Dieu peut tout! Si la foi renait en Russie, elle obtiendra a nouveau ce qu'Elle avait tragiquement perdu apres avoir trahi cette Foi et son tsar-martyr Nicolas!

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    1. Cela fait 200 ans que l'on extermine partout les meilleurs. Je pense souvent que Dieu fait ses dernières moissons de justes. Il reste quand même un petit troupeau russe dans lequel je crois.

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