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mardi 10 novembre 2020

Maisons

 


Terrifiée par les projets du voisin, et ceux des promoteurs et des fonctionnaires véreux  prêts à se jeter sur le lac Plechtcheïevo, j'ai commencé à me demander si Dieu ne m'indiquait pas de la sorte qu'il valait mieux envisager d'aller vivre ailleurs. Je suis perturbée par la laideur de plus en plus triomphante qui gangrène cette ville autrefois féérique, entre les palais arméniens lourdingues et boursouflés, les isbas défigurées par les verrues incompréhensibles d'étages supplémentaires mal fichus, couvertes de fausses planches ou de fausses pierres en plastique. Je viens d'apprendre que Souzdal allait être livrée aux barbares, on projette une "urbanisation" qui transformera les ruelles russes encore intactes de cette ville ancienne en allées piétonnes de centre commercial banlieusard. La bêtise, l'inculture, le mépris dont font preuve les fonctionnaires décideurs et leurs complices du batiment prennent des allures de bulldozer emballé.

J'avais vu une annonce très tentante, une isba ravissante, et entièrement habitable, les meubles sont moches, mais il y a tout ce qu'il faut pour vivre, et la couleur des murs ne me déplaît pas du tout. Je pourrais la payer, j'aurais même encore un peu de marge. Je pourrais conserver ma maison, la louer. Et prendre mon temps pour déménager. Le problème, c'est que cette merveille est dans un hameau paumé, ce qui d'ailleurs explique son prix, sa propriétaire m'a d'ailleurs dit au téléphone qu'elle se dérangerait pour me la faire visiter si l'endroit me convenait. Je suis partie la voir, en prenant au passage Liéna, la femme de Vassia Tomachinski, à Borissoglebsk. En arrivant chez elle, j'ai coincé ma voiture dans une canalisation presque invisible. Il a fallu rameuter des voisins pour me tirer de là. Une brave dame trouvait l'aventure extrêmement réjouissante. Elle-même avait été victime du même piège, mais que la chose arrivât à une Française conduisant une Renault lui paraissait tout à fait comique.

Liéna m'a expliqué que je ne pouvais vivre dans un endroit pareil, que les routes étaient détestables, qu'il n'était pas prudent pour une femme seule d'être trop isolée, que je pouvais être coincée par la neige et la boue, ceci, cela, le reste. Nous traversions un paysage qui me semblait absolument magnifique, très désert, très ouvert, avec des nuages sculpturaux, bleuâtres, à la fois sombres et lumineux, chatoyants. Nous avons dépassé un village qui m'a énormément plu, sur une hauteur, avec une belle église, et seulement à huit kilomètres de Borissoglebsk. Arrivées à l'embranchement qui menait à l'isba de mes rêves, nous avons constaté qu'en effet, les trois kilomètres restants risquaient d'être impraticables dans ma Renault comique. Après la mésaventure de la canalisation, je n'ai pas osé me lancer. Apparemment, si je prenais cettte maison, il me faudrait changer de voiture et prendre une tout terrain du genre solide. Liéna a voulu me montrer d'autres endroits, car à mon avis, cela ne déplairait pas au couple Tomachinski de me voir déménager de leur côté. Elle m'a emmenée dans le village du père américain Gleason, mais je l'ai trouvé plutôt triste. Puis dans un village à seulement cinq kilomètres de Borissoglebsk, Krasnovo. C'est un endroit banal, qui ne m'a pas emballée. La maison est juste à côté de l'église, où officie ce même père Gleason; elle a un terrain assez grand, avec une mare, et devant, c'est la campagne, avec juste une espèce  de cabanon moche. Contrairement à celle que je voulais voir, elle nécessite des travaux, Du côté opposé au cabanon moche, devant lequel un pin a eu la bonne idée de pousser, le terrain a la vue sur l'église qui le domine. Le tout est enclavé entre cette dernière et la maison voisine qui est le quartier général d'un moine de Rostov, le père Ignati. Liéna pense que celui-ci pourrait m'avoir cette maison pour pas cher, car il ne voudrait pas y voir s'installer n'importe qui. Et il pourrait m'aider à l'aménager. Elle me dit que son mari adore trouver artisans et matériel à des prix défiant toute concurrence. D'après elle, on peut tout à fait aménager la maison à l'intérieur de façon à la rendre habitable avant de refaire l'extérieur et la toiture. Malheureusement, le père Ignati n'était pas là pour me la faire visiter. J'y retournerai, pour me faire une idée plus juste. Devant les événements qui se préparent, j'aimerais de toute façon mettre ce qu'il reste de mes économies partiellement à l'abri et me donner la possibilité de louer éventuellement quelque chose. Quand on s'éloigne un peu, on arrive dans un paysage très ouvert, très beau, et même le terrain est plein de ciel. J'ai vu qu'il y avait des lilas, un bouleau, divers buissons, mais le mois de novembre, au bord de la neige, n'est pas le moment le plus riant. La maison ne semble pas minuscule, mais pas immense non plus. De style traditionnel. Il me faudrait voir l'intérieur. Je n'ai pas pu faire de photos, mon téléphone m'a lâché

J'aime beaucoup ma maison de Pereslavl, et par certains côtés, je n'ai aucune envie de la quitter, mais je ne sais pas si la maison du voisin, avec sa masse hideuse, et la présence de cons modernes juste sous mes fenêtres, ne va pas singulièrement me peser. En plus du préjudice esthétique, je peux avoir le joyeux bricolage, des gosses qui braillent, la radio, les chachlicks. Je voudrais me ménager une porte de sortie.

Les paysages que j'ai vus m'ont littéralement envoûtée. Je sentais mon âme s'épanouir, comme un oiseau qui prend son élan. Je pensais aux moments que je passais à regarder le ciel dans mon isba de Krasnoïé, dont tout l'environnement est maintenant plus ou moins saccagé. Regarder le ciel, regarder le ciel, sans que rien ne vienne me gâcher le spectacle, je sais que pas mal de gens peuvent ne pas comprendre à quel point pour moi c'est vital, mais me retrouver devant de vastes horizons naturels sans aucune ordure contemporaine en vue me donnait une impression de liberté enivrante et de plénitude.

Au retour, il y avait plein d'étoiles dans les branches de mon poirier. C'est le seul endroit qui reste joli. Au nord, une grosse baraque en béton gris. au sud une merde plastifiée en gestation. Et derrière les isbas à l'ouest, on projette quatre maisons, dont je pressens que l'architecture ne va pas m'enchanter.






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