Translate

jeudi 27 mai 2021

Fourrière


 Les funérailles de la petite Nastia m'ont obligée à aller à Moscou en semaine, et à constater combien la ville devient invivable dès qu'on n'est pas un jeune cadre dynamique informaticien. Aucune place non payante. D'habitude, j'en trouve dans l'arrière cour du père Valentin. Mais il n'y en avait aucune. Restaient les places près de l'arche, sur le vaste trottoir de la rue Krasnoproudnaïa. C'est là où je me mets quand je ne trouve rien. Et là encore, tout était pris le long des murs, je me suis garée dans l'alignement des autres voitures, car je ne gênais vraiment personne. Le lendemain, j'ai constaté en sortant Rita qu'on m'avait embarqué la voiture. 

Au retour du repas de funérailles, Liéna elle-même ne trouvait pas de place dans leur cour privée. J'avais prévu de dormir encore une nuit sur place pour éviter le retour à l'heure de pointe avec toute la journée dans les pattes, mais que faire? Récupérer ma voiture, la remettre au même endroit, et repartir la chercher à la fourrière?

Evidemment, aller la chercher a été une équipée exténuante. J'ai pris un taxi, un type très pittoresque, qui exultait de n'avoir plus que quatre jours à tirer dans la capitale avant de repartir dans son Krasnodar natal. "Cette ville est maudite, elle n'a plus rien à voir avec ce qu'elle a été, la vie y devient impossible pour les gens normaux. Ils ont vu votre numéro provincial, mais non, ils embarquent votre voiture, ce sont des boucs mal égorgés, des chacals finis, ils rôdent affamés dans l'espoir d'une proie, engranger des amendes, c'est tout ce qui compte pour eux.

- Admettons, payer une amende, soit. Mais nous obliger à aller chercher la voiture au diable vauvert, quand le stationnement n'est pas gênant, c'est déjà du sadisme".

Il faut savoir que si, en France, le parking cesse d'être payant la nuit et les jours fériés, ce n'est pas le cas à Moscou. C'est pour cela que je n'arrivais pas à payer par téléphone le parking à long terme. Et on ne peut payer que par téléphone, c'est-à-dire avec un smartphone, ceux qui n'ont pas de smartphone peuvent crever. Le fonctionnaire qui m'a reçue m'a dit en rigolant que oui, que c'était désolant, que seul le fric comptait, ce qui n'était pas le cas au temps de l'Union Soviétique. Je dois dire qu'il a été très gentil, et la bonne femme qui m'a fait payer l'amende (5000 roubles, dix fois plus que pour un excès de vitesse! Il est gourmand, Sobianine!) aussi, très secourable. Mais ces formalités ont été fort longues. J'ai récupéré ma voiture à neuf heures du soir. Et je me suis retrouvée dans un dédale d'allées privées et d'impasses qui décourageaient mon navigateur peu efficace.

A l'issue de cette errance, me voilà je ne sais sur quelle avenue énorme, sans doute la chaussée des Enthousiastes, je suivais le navigateur qui avait au moins retrouvé le nord. Les bouchons prenant fin, j'ai été confrontée aux chauffards surexcités qui débouchent de partout. Enfin arrivée sur la route de Yaroslavl, j'ai retrouvé des conditions normales, mais j'étais extrêmement fatiguée. Je ne m'endormais pas, mais j'avais des difficultés de concentration. Je me suis arrêtée pour faire de l'essence et manger quelque chose, or il était déjà minuit, et on ne consentait plus à nourrir que ma voiture, j'ai donc croqué une tablette de chocolat avec de l'eau gazeuse. 

Quand je suis arrivée, j'ai été accueuillie par la pleine lune, triomphante dans ses voiles nuageux dorés, et sur le perron, j'entendais les rossignols chanter de toutes parts, un peu trop loin, car ils sont dans les bois du marécage. Il y avait au nord cette clarté permanente de la période du solstice, une sorte de transparence de la nuit, et quelques étoiles bleues au dessus de moi. 

1 commentaire: