Une amie m'a reproché de me focaliser sur ce qui ne va pas, d'être toujours en colère, ce qui lui paraît manquer de charité. Sur le moment cela ne m'a pas fait très plaisir, et puis j'ai pensé qu'en effet, j'étais fort irritable, car plutôt écorchée vive, et qu'il me faudrait dépasser cela, mais là dessus, Ania Ossipova, venue m'aider à ranger et nettoyer avant mon opération imminente, me dit que d'après un saint starets, les gens constemment de bonne humeur étaient souvent indifférents aux autres, tandis que ceux qui compatissaient et luttaient étaient plutôt convulsés.
Nous étions, après l'effort, au restaurant Ultracooks, très bon, et pas cher, et nous avons discuté avec le grand bonheur de la compréhension mutuelle, malgré nos différences d'âge et de tempérament, car nous avons les mêmes préoccupations fondamentales et aussi une appréhension poétique de la vie qui n'est plus partagée par grand monde. Et pour faire mentir la rumeur,je lui ai dit que j'avais beaucoup de chance, parce qu'entre elle et Katia, Gilles, le café, les Suisses, j'étais très bien entourée. Même avec la chatte du Donbass, j'ai de la chance, car c'est un véritable petit ange de porcelaine, à la présence discrète et légère, comme si Georgette l'avait investie de la mission, couchée comme elle sur mon bureau ou dans son refuge de la boîte Ikea, de veiller sur moi. Les autres chats l'ont acceuillie sans problèmes, je la vois même jouer avec eux avec des sauts de chaton primesautier.
Tout cela, en dépit des maisons moches, du climat, des mobylettes et autres nuisances contemporaines que je ne suis pas la seule à déplorer. Une jeune femme que ma voisine m'avait demandé de loger provisoirement m'a dit qu''elle-même n'en pouvait plus des radios à tue-tête et des pétarades qui l'empêchaient d'entendre les oiseaux, le vent et les grillons...
J’ai subi mon opération des yeux, on m’a mis des cristallins artificiels. Je vois le
texte que j’écris sans lunettes, en revanche, de loin, je lis mal les lettres
dans la rue, bien que ce ne soit pas non plus le flou de la myopie. Le médecin,
Elena Borissovna, me dit que c’est normal, et que petit à petit tout se mettra
en place, que les lentilles ont trois focus et marchent ensemble. Katia,
hilare, s’est exclamée que j’étais devenue bio-ionique.
L’opération
n’était pas douloureuse, mais pénible, avec des lumières aveuglantes, et des
tiraillements dans l’oeil. Actuellement, le gauche est à la traîne, c’est
normal aussi, car c’est le droit qui dirige. Et puis je fais de la sècheresse
occulaire, ce qui trouble également la vision, Elena Borissovna m’a donné des
gouttes.
La clinique
de Serguiev-Possad est superbe, très propre, on opère les gens quasiment à
la chaîne, avec un suivi sérieux et gratuit. En revanche, les cristallins et
l’intervention ne sont pas gratuits du tout, mais la vue c’est la vie...
Personne n’est encore venu me brancher l’électricité. J’ai rallumé l’ordinateur grâce à la rallonge de la débroussailleuse. Et j'ai branché un amplificateur de WIFI.
Le jour de
ma première opération, j’ai voyagé avec une paroissienne de l’église Znamenié,
Olga Victorovna, une dame ronde, avec de beaux yeux clairs, mais déficients, et
des vêtements de paysanne soviétique. Elle est intelligente, avec beaucoup de
personnalité et nous avons trouvé immédiatement des terrains d’entente. Elle a
trois enfants, je connaissais le dernier, Maxime, qui jouait du tambour chez
les cosaques. Elle n’est pas optimiste pour l’avenir du pays, elle pense que
les écrans et le portable détruisent profondément l’esprit des enfants et que,
malgré tous les efforts pour apporter aux siens une culture et une
spiritualité, ils sont victimes de l’énorme pression de la société et de la
mode, incapables de lire, de se concentrer. Elle fait partie de ces femmes qui
essaient de restaurer maisons, églises, et vie locale, à Pereslavl et dans les
villages du coin et me convie à une procession pour le lendemain de la Trinité,
depuis Tverdilkovo jusquà Loutchinskoie en passant par Filimonovo. J’étais très
heureuse de m’être fait cette nouvelle amie, intelligente, simple et franche.
Au moment où
j’étais aveugle et où tout m’était interdit, Ania, la voisine, m’a demandé de
loger sa jeune copine Ioulia et ses enfants pour quelques jours,. Cela m’a apporté quelques contraintes, mais
d’un autre côté, elle m’a rendu bien des services, et nettoyé la maison.
Katia m’a demandé de rencontrer avec elle Dmitri Troukatchov, qui est en vacances ici, pour cause de grave blessure, il est resté sourd d’une oreille, et j’espère que cela lui vaudra une démobilisation. Nous avons investi la terrasse du café Montpensier, à la sortie de la cathédrale. Troukhatchov m’a serrée contre son coeur, je lui ai dit que je priais pour lui chaque jour depuis que je l'avais su parti là bas pour donner l’exemple à ses enfants. «Je ne pouvais pas faire autrement, » m’a-t-il répondu, j’en avais les larmes aux yeux. « Il n’arrive rien que Dieu n’ait permis, nous a-t-il déclaré, et actuellement, on est en danger partout, même ici, on intercepte des drones sans arrêt. » J’ai du mal à me mettre cela dans la tête, en dehors des motocyclistes et des radios, il règne à Pereslavl une paix provinciale du genre Annonay ou Pierrelatte dans les années cinquante... Je reste dans mon jardin à regarder jouer la lumière dans les floraisons qui se succèdent, les poiriers, la spirée japonaise, puis l'églantier blanc, si souple, aves ses petites roses légères, la clématite de Sibérie, le chèvrefeuille, les iris, les ancolies... J'écoute les oiseaux, dont le chant est si bénéfique, pour l'âme et le corps, ce n'est crtainement pas un hasard si tout est fait pour que nous ne puissions plus le percevoir.
Tania Troukhatchova,
venue nous rejoindre, nous a raconté qu’elle avait fait le voyage au Donbass avec ses cinq
enfants. Elle avait appris que Dmitri avait un congé de dix jours, mais pas la
permission d’aller en Russie centrale, et le lendemain, elle partait le retrouver
avec toute sa famille. Et là bas, du reste, elle s’est perdue et a erré cinq
heures avant de retrouve la localité où l’attendait son bonhomme.
Dmitri Troukhatchov est vraiment un type bien, il émane de lui tant de bonté et de tristesse, et il garde la foi. Et il n’est pas le seul de son espèce, en dépit de la dégénescence de la jeunesse dont parle Olga Victorovna, il y a encore beaucoup de gens bien en Russie, nous en avons pas mal à Pereslavl, les enfants Troukatchov partis voir leur père, avec leur mère, au Donbass, assureront une digne relève.
Il s'était présenté comme député aux élections, j'avais gardé quelques temps sa photo sur mon pare-brise, si j'avais pu voter, il aurait-eu ma voix.
Les « Ukrainiens », c’est-à-dire toujours les mêmes vampires derrière le satrape Zelenski, ont commis deux attentats ferroviaires avec beaucoup de victimes sur le territoire russe, attaqué deux sites militaires, à Mourmansk et Irkoutsk, et le pont de Crimée. Tout le temps où ces enflures demandaient une trêve en chougnant, ou amusaient le monde avec des pourparlers, ils préparaient en douce leur sale coup, ça leur a pris dix-huit mois. Ma première réaction a été de souhaiter une réponse russe musclée, mais c’est précisément ce que veulent ces fourbes totalement dépourvus de la moindre conscience, entraîner la Russie et toute l’Europe dans une guerre totale, ils sont prêts à tous nous sacrifier et à nous remplacer avec les migrants, nous les faisons positivement écumer de haine et de mépris, ils n'arrivent même plus à le cacher. Pour eux, les Européens de l’est ou de l’ouest et les migrants eux-mêmes sont tous des sous-hommes. Dany m'avait envoyé une émission sur la façon dont ils se préparaient à spolier les gens de leurs logements, ce qui m'avait profondément affligée, car j'ai encore là bas des gens qui me sont chers. Mais, concluaient les deux journalistes, nous ne devons pas sombrer dans la sinistrose, parce que c'est précisément ce qu'ils veulent: nous rendre peureux, nerveux, méchants, suspicieux, alors aimons-nous, faisons la fête, entraidons-nous. Notre bonheur les rend malades.
En effet, et je n'ai même plus envie de croiser le fer avec les imbéciles et les ignares qui soutiennent cette mafia. Je remercie Dieu de m'avoir conduite ici. Assise à la terrasse du café Montpensier, avec la vue sur la blanche église du métropolite Pierre, dans un vent frais de printemps nordique, je me sentais à ma place. "Vous êtes à votre place, là bas", m'écrivait haineusement un "abonné au Monde"; comme dirait Christian Combaz. Oui, et lui est à la sienne là où il se trouve. De lui et de ses pareils, je ne serai jamais solidaire, et je n'ai pas pris la peine de dialoguer plus avant. Mais je le suis des Troukhatchov, de Katia, de Fédia, d'Ania et ses parents, des prêtres et des fidèles de la cathédrale ou du père Ioann, de toute cette humanité encore humaine. Je ne vois jamais sans un serrement de coeur des paysages de l'Ardèche, de la Haute-Loire, de la Drôme, du Vaucluse, du Gard. Mais de quelles persécutions mesquines ne risque-t-on pas d'être aujourd'hui victime dans ces petits villages ravissants, les échos qui me parviennent ne sont ni rassurants, ni encourageants.
C'est dur parfois d’être positif mais il fait faire l’effort 😀
RépondreSupprimerMerci Laurence de nous faire partager vos états d'âmes, même si ils sont maussades.... Les miens le sont aussi.il y a encore 2 ans, la guerre semblait totalement impossible, personne n'en veut en Europe, et puis petit à petit, le diable qui nous gouverne avance ses pions.
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