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dimanche 26 octobre 2025

Rayons

 

le lac sous un ciel sombre

Il y a quelques temps, une dame russe qui s'occupe spontanément et bénévolement de la tombe de mon père, à Annonay, m'a dit qu'on y avait volé la vasque où elle plantait des fleurs. Une vasque qui était là depuis peut-être le XIX° siècle, ou du moins le début du XX°...Parallèlement, on vandalise ou brûle des églises, quand on ne les détruit pas officiellement. En Corse, cela ne se passe pas si facilement. Les Corses, comme les cosaques, ont la tête près du bonnet et chantent bien. C'est une société encore traditionnelle et rurale. Elle réagit.

Et puis on commence aussi à piller les musées, ce qui me rappelle celui de Bagdad et sa conservatrice en larmes, après l'invasion américaine. Mais à Bagdad, c'était le résultat d'une intervention étrangère, chez nous, bien qu'une fois de plus on mette cela sur le dos des Russes, qui l'ont large, comme l'observait déjà Céline dans les années trente, beaucoup ont le fort soupçon que notre propre gouvernement a combiné tout cela pour des raisons obscures.

Cela me serre le coeur de voir se mettre en place le processus sinistre qui livre déjà6 la France au vandalisme et à la destruction. D'une certaine manière, ce processus se manifeste également ici, et je n'ose penser au genre de mutants que produira tout ceci, ni à ceux qui ne muteront pas et devront partager avec eux un espace vital hideux et étouffant où ils seront en minorité.

Aujourd’hui, j’ai emmené Katia dans son isba, parce que sa voiture est en réparation, une fois de plus. Filimonovo était un très joli village, mais on le défigure à toute vitesse. Les maisons sont recouvertes de plastique façon fausse pierre, ou pourvues d’excroissances hideuses destinées à les agrandir en leur donnant un côté citadin, c’est terrible, cette détestation et le mépris du mutant d’aujourd’hui pour tout ce qui rappelle l’harmonie et la poésie de ses ancêtres. Mais la maison de Katia a été bien restaurée, elle reste très jolie, et l’on s’y sent bien. Elle a refait le poêle, qui est blanc, maintenant, avec des carreaux d’ornement. Elle pense même s’y installer complètement. Car là où elle vit en location, elle n’a plus d’eau depuis plus d’un mois. On refait les canalisations, et une erreur semble avoir été commise quelque part, l’eau revient un jour puis disparait à nouveau, et puis elle n’est pas propre. Anna Panikhina et son mari Andreï nous ont rejointes. Ils ont acquis aussi une isba et la réparent, dans ce village. Ils ont récupéré une isba qui allait être détruite à Pereslavl, l’ont emportée en pièces détachées et vont y faire une maison d’accueil, où l’on pourra faire des fêtes, des mariages, et aussi organiser des stages de différentes activités. Ils projettent d’acquérir l’ancienne maison de la culture soviétique qui tombait en ruines pour en faire un centre culturel, il y a déjà une salle de spectacle, avec une scène, ils ont toutes sortes de projets pour faire revivre ce village et faire acquérir les dernières jolies maisons par des gens qui les sauveront. « D’un côté tout le monde détruit, et nous, on répare, nous faisons ce que nous pouvons. C’est tout de même étonnant de voir que tant de gens, de nos jours, n’ont absolument plus aucun besoin de la beauté,  qu’ils n’en ont même plus aucune notion ». C’est là pour moi le reflet d’âmes complètement mutilées, et le symptôme d’une grave maladie spirituelle de l’humanité, probablement mortelle. En effet, il ne nous reste plus qu’à remplir modestement et obstinément notre tâche d’anticorps sains dans cet organisme en pleine déroute. J’observe que la jeunesse cultivée et généralement moscovite de Pereslavl commence un exode vers les villages environnants, car nous pressentons tous que la malheureuse ville va être achevée par son administration et son gouverneur. « Que peut-on attendre des fonctionnaires ? soupirent Anna et Andreï. Et cependant, il faut garder le dialogue ouvert, ne pas les attaquer à tort et à travers, si nous voulons obtenir quelque chose."

On a l'impression d'une espèce de catastrophe anthropologique, d'une fission de l'humanité. Il y a ceux qui restent humains et ceux qui deviennent Dieu sait quoi et avec lesquels on n'a plus de point de contact, plus de langage commun. Le processus a été enclenché avec la révolution française qui a  "éteint au ciel des étoiles qui ne se rallumeront pas", et "n'avait pas besoin de poètes". Il a continué avec le génocide des Amérindiens, puis la révolution russe, et son grand massacre de paysans et de chrétiens, deux mots alors pratiquement synonymes.




Dany m’a envoyé le témoignage d’une femme sur son expérience de mort imminente. Très étonnant, très détaillé et qui rappelle un peu le début du livre de Ioulia Voznessenskaïa, laquelle s’est très certainement inspirée de récits de ce genre. Donc notre bonne femme rejoint l’au-delà avec l’impression de rentrer chez elle, elle plonge dans la lumière et la béatitude totale et s’entretient, si l’on peut employer ce mot pour une telle conversation, avec une entité inimaginable qui est pur amour. « Tu es Dieu ? lui demande-t-elle (elle était athée).

- Non, je suis plus que ça. »

Déjà, là, je tique, car d’un point de vue sémantique, le terme Dieu désigne justement un principe incommensurable, inimaginable et inconnaissable, donc quel est le problème ? Le problème est que cette femme a une idée complètement caricaturale et rétrécie de ce que recouvre ce terme, donc l’entité ne peut pas être Dieu, elle est « plus que ça ». Elle se lance dans toute sorte de considérations sur la bienveillance, l’amour et cette expérience ineffable, tout en soulignant sans arrêt que « cela n’a rien à voir avec les religions ». Ni avec des dieux aussi triviaux que Jésus Christ ou Bouddha si estimables soient-ils en tant que personnages historiques, et elle ne peut pas les voir autrement. Elle insiste lourdement: son expérience est spirituelle et non pas religieuse, elle ne peut pas admettre qu’elle ait rencontré Quelque chose ou Quelqu’un qui corresponde au méprisable prêchi-prêcha des arriérés chrétiens ou autres. Dans les commentaires, des gens lui reprochent de ne pas discerner le Christ dans son interlocuteur, d’autres les remettent en place : elle dit bien que cela n’a rien à voir. Mais à écouter tout cela, on se demande si elle s’est jamais intéressée aux religions dont elle parle, et qui ne correspondent en rien à la vraie spiritualité qu’elle a découverte. A un moment, elle répond aux commentaires avec indignation. Les gens se disputent et passent complètement à côté du message. Mais c’est quoi, le message ? Que nous attend éventuellement une inconcevable dimension de béatitude et d’amour ? C’est précisément ce que, depuis son avènement, propose le Christ à ceux qui Le suivent. Et c’est là ce que recherchent depuis deux mille ans tous les ascètes de tous les déserts qui nous ont fait part de leur expérience. Certes, il peut exister des expressions dévoyées ou dégénérées de tout cela, des formalismes étroits, doloristes et décourageants, mais enfin à côté du bigot de service, la religion chrétienne regorge de saints, de poètes, d’artistes, de philosophes et d’écrivains qui ont eu des quêtes spirituelles et des révélations véritables où il était précisément question de ce principe d’amour infini. De plus, pour certains d’entre eux, ils n’ont pas besoin même de faire un coma profond pour entrer en contact avec lui. Saint Séraphin de Sarov s’est transfiguré devant et avec son disciple Motovilov qui l’a raconté. Ils étaient tous deux dans une lumière d’un autre monde et dans la chaleur d’un amour absolu et inconcevable, tandis qu’il neigeait autour d’eux. La révélation de cette dame ne l’a visiblement pas poussée à vérifier si dans les traditions religieuses qu’elle abhorre et méprise existait quelque chose de comparable. Elle n’a pas perdu ses préjugés en passant de l’autre côté et en revenant dans le nôtre. Elle ne veut même pas prononcer le mot âme, qui reste pour elle intolérable. Ni celui de communion, qui lui était d'abord venu à l'esprit. Mais c'est bien pourtant de communion qu'il s'agit... C’est dire à quel point les gens sont dans une grande confusion. Elle accepte l’expérience, mais rejette tout ce qui sert à l’exprimer, si tant est qu’elle soit exprimable, depuis la nuit des temps et de l’expérience humaine de communication avec la dimension sacrée et mystérieuse du monde. Ce n’est pas Dieu, c’est plus que ça, ce n’est pas l’âme, c’est autre chose, ce n’est pas la religion, c’est la spiritualité, ce n'est pas la communion, c'est... au fait c'est quoi? C'est pour moi la sobornost orthodoxe, ou médiévale, la mise en relation en Dieu des morts et des vivants, de tout le cosmos. Le père Barsanuphe disait que Dieu était le centre dont chaque existence était un rayon, et que pour entrer en communion, tous ces rayons devaient converger sur Lui, Energie et Source de tout.

 


lundi 20 octobre 2025

Enfer


Après les considérations faites par Nicolas Bonnal sur l'enfer où je vis, j'ai vu une lettre ouverte adressée à différentes instances par une héroïque jeune femme qui défend comme elle le peut ce qu'il reste de joli à Pereslavl. Il semble qu'à un haut niveau, celui du gouverneur de Iaroslavl, on ait décidé de nettoyer le coin de tous ses objets culturels, et en particulier les isbas paysannes, jusque dans les villages. Qu'est-ce qu'ils projettent de faire ici? J'en ai froid dans le dos. Je discutais de cela hier avec Ania et sa mère Angelina, venues prendre le thé. Angelina pense que les destructions sont dues à des gens qui ne sont pas du pays, mais nous n'étions pas d'accord avec cette idée, car ceux qui défendent le patrimoine ici sont souvent des moscovites ou des étrangers. Je pense que c'est  une question de gros sous, mais aussi et davantage d'absence totale de culture et de goût, et même d'une aversion malveillante pour tout ce qui peut rappeler la poésie et le raffinement des époques passées aux mutants de la nôtre, poussés dans le béton, le plastique et le vacarme. La jeune femme pose une juste question: "Vous croyez vraiment que vous êtes russes?" Non, ils ne sont pas russes, même si génétiquement, ils le sont, ils n'ont pas l'esprit russe, pire, ils le méprisent et le détestent. 

Je concède donc à Nicolas que l'enfer règnera sans doute bientôt ici aussi. Je ne m'attendais pas à y trouver le paradis. Cependant, ce massacre est assez dur à supporter. Je serai peut-être amenée à prendre des mesures, si elles ont encore un sens. 

Sur certains sites prorusses on s'extasie sur les robots chinois. Des robots chiens, par exemple. Ca, c'est le progrès, remplacer un être vivant parfaitement au point par une hideuse machine. Et les vrais chiens, ils vont les manger de plus belle après d'abominables tortures? Ah quel peuple avancé, il n'y a pas à dire... Mais avancé vers quoi? Dans quelle infernale direction? C'est drôle cette fascination pour les singeries mécaniques horribles du vivant adorable, oeuvre de Dieu; cette soif de remplacer le vrai par le faux, et de donner pour beau ce qui révulse tout être encore humain doué d'une âme. C'est une sorte d'adoration étrange de la mort, la matière inerte paraissant éternelle à la créature luciférienne qu'est l'homme contemporain, ivre d'orgueil, soumis à toutes les convoitises, et vidé de sa substance comme une mouche captive par une araignée. Admettons qu'elle soit inaltérable, mais elle est inerte, elle est morte, et hideuse. C'est une contrefaçon. Slobodan parlait des symboles et de ce qu'ils révèlent du satanisme ambiant. La passion pour les automates est bien complémentaire du phénomène. Fausses gens, faux animaux, faux insectes, faux arbres, fausses fleurs, faux enfants, faux sentiments, faux discours, fausse monnaie.

Parallèlement, et toujours dans le sens de ma chronique précédente, je suis allée par curiosité voir la page d'encore une orthodoxe soixante-huitarde, et j'ai été sidérée par le délire total de ce qu'elle répercute sur la Russie. Evidemment, je ne vais pas trop me pencher sur la propagande baveuse des illuminés de la secte libérale, alors je ne me rends pas toujours compte à quel point c'est grave, mais là, j'ai eu un choc. Et la confirmation que si j'étais restée là-bas, j'aurais depuis longtemps pété les plombs. A la limite, je préfère la laideur fantasmagorique de "l'urbanisme" russe ou disons, post-soviétique, car il n'a justement absolument rien de russe, à l'imbécilité sectaire du boomer français bien dressé qui ne sortira jamais de son moule et ne comprendra jamais qu'il a largement contribué à la destruction de son pays de rêve, qu'il ne voit d'ailleurs même pas venir.

Au café, j'avais rendez-vous avec un jeune paroissien de la cathédrale qui voulait discuter avec moi. C'est un amoureux de la France, ou disons de l'idée qu'il a de la France, c'est-à-dire de ce qu'elle était il y a encore cinquante ans, et dont on s'acharne à faire disparaître les dernières forces vives. Si ici, on s'en prend au patrimoine (mais en France aussi, désormais) dans la Macronie, on s'en prend aux gens encore normaux qui savent travailler et qui pensent d'aplomb, qui ont du bon sens, de la liberté d'esprit et du franc-parler. Avec la bénédiction des bobos gagas qui ont perdu tout cela en route et se croient si supérieurs au reste de la population, mais seront sacrifiés également, leur tour venu, avec leurs jolies maisons bien décorées et leurs jardins provençaux, leurs chiens, leurs chats et leurs petits enfants. Moi aussi, j'aimais la France dont rêve ce jeune homme, mais sans doute pense-t-il la même chose de mon amour pour la Russie qui s'obstine, avide de la moindre raison d'espérer, envers et contre tout ce que j'observe dans le microcosme eschatologique de Pereslavl... Il me dit qu'il faut prier pour le salut de nos pays respectifs. Oui, naturellement, je le fais tous les jours.

Ensuite, Gilles est arrivé, accompagné d'un autre Français, qui a des projets ici, et s'est exclamé à ma vue qu'il m'avait rencontrée chez un ami commun il y a de cela peut-être  vingt ans, quelle mémoire! Il est vrai que j'avais joué de la vielle, tout de suite, ça marque... Nous avons évoqué cet ami, et puis un autre qui est définitivement installé ici, mais se rend malade en prenant des nouvelles de la France sur internet, et je connais ça. "Arrête de te faire du mal, lui dit ce monsieur, à quoi ça sert? Tu es parti, oublie tout cela! On n'y peut rien du tout." Et il ajoute; "Je ne peux plus parler avec les Français, même avec ceux de ma famille, quand je vais là bas, ils sont complètement à côté de la plaque, ils ne comprennent rien, ils vont machinalement à la cata en étant sûrs d'être les meilleurs du monde et en dispensant des leçons de morale stupides. Cela ne sert à rien de leur parler, tu leur enlèves leur programme ils beuguent à mort".

Oui, c'est exact, j'ai vu moi-même un éclair de folie dans l'oeil d'une connaissance à qui j'apportais un début de contradiction au discours aberrant de la doxa officielle sur l'Ukraine, j'ai entendu de mes oreilles, de la part de personnes autrefois sensées, des réflexions issues des incantations télévisuelles et retiré l'impression d'avoir affaire à une espèce de secte Moon à l'échelle d'un pays entier. Et en dépit du saccage de Pereslavl, je préfère être dans cet enfer-ci que dans celui-là. 

 


dimanche 19 octobre 2025

Symboles

 


Je suis allée me promener, par un temps venteux, il y avait du soleil, de la douceur, et des nuages colossaux et légers. J’ai fait deux pastels, et rencontré un troupeau de chèvres et sa gardienne. Au retour, j’ai vu un vieux chien noir, près de sa maison brûlée, et constaté qu’il y avait avec lui un chat, sans doute abandonné en même temps que lui. Ils attendent le retour de leurs maîtres; qui les ont laissés près de la maison fantôme, et n’accordent pas un regard aux passants, si amical soit leur comportement. Ils attendront jusqu’à la mort ceux qui les ont laissé tomber. Les voisins les nourrissent, mais j'ai beaucoup de mal à supporter ce genre de choses, cela me blesse en permanence.


   J’avais répercuté une info concernant de très jeunes filles que les génocidaires de l’OTAN envoient à la boucherie par l’intermédiaire de leur compradore crochu de Kiev. Et je vois en commentaire : « honte à Poutine ! » C’était un orthodoxe que je connais depuis des années.  Je suis atterrée de voir pas mal d’orthodoxes français rester complètement et incurablement imprégnés du gauchisme hagard de leur jeunesse post-soixante-huitarde. A l’époque, j’étais facho parce que j’étais anticommuniste, et maintenant, je suis facho parce que je suis prorusse, mais les vrais fachos sont à Kiev, à Bruxelles et aussi à Tel-Aviv, ce qui concerne également toutes leurs satrapies de « l’Occident collectif »...

Bien entendu, ce public ne veut rien entendre des persécutions contre l’Eglise en Ukraine, c’est une Eglise « soviétique », n’est-ce pas ? Le métropolite Longin tabassé, le métropolite Arséni emprisonné depuis un an et demie, c'est bien fait pour eux. Pourtant, c’est pour moi très clair, les méthodes à l'oeuvre rappellent les pires moments du bolchevisme en plein essor. Ce qui est amusant, si on peut dire, c’est de voir la fusion du trotskisme avec le nazisme et le grand capital mafieux. Mais tout le monde ne le discerne pas, les gens continuent à fonctionner selon les schémas du siècle dernier. L’Europe infectée par ces délires idéologiques entretenus savamment sombre dans cette espèce de vilenie enragée propre aux médiocres parvenus.  Ces intellectuels de broussailles et ceux qui les ont formés et manipulés entraînent tout le monde vers une guerre dont le populo ne veut pas, mais le populo est désormais en minorité chez lui.     

On nous prédit la guerre à grande échelle de façon imminente, et l’UE fait tout pour cela. Mais on nous annonce que l’Europe sera prête en 2030; et en attendant, alors, qu'est-ce qu'on fait ? C’est juste la répétition, ce qui se passe ? Trump et Poutine vont se rencontrer à Budapest. Ils ignorent l’UE et ses parrains, bien qu’ils aient sans doute les leurs, enfin en tous cas Trump.

Nicolas Bonnal m’écrit que je vis en enfer, à la suite de ma dernière chronique, où j’évoque les maisons horribles et la « mise-en-valeur » de la berge de la rivière Troubej. Cependant, Anne-Laure me dit de son côté que la France est de plus en plus enlaidie. Je crois que nous vivons tous en enfer. Nous sommes de plus en plus contrefaits intérieurement, de sorte que nous défigurons tout à notre image, qui est celle du diable auquel nous nous donnons, nos propres corps et notre environnement. Cependant ici, nous sommes nettement plus libres, et beaucoup de structures mentales humaines restent encore intactes. Et puis il y a l’Eglise. Ce matin, j’ai dû, comme d’habitude, me pousser pour aller à l'office, mais je sens que cela me soigne l’âme. Je suis réconfortée par la liturgie, la communion, le petit mot de l’évêque, la bonté discrète du père Alexeï à la confession, la gentillesse des vieilles paroissiennes, la chaleur humaine de Natacha, la vendeuse de cierges... 

Slobodan développe toute une réflexion sur Halloween, les tatouages et les symboles. Le bazar macabre et satanique plaît aux enfants, et puis ce n’est jamais que du commerce, il ne faut pas en faire un drame, même si nous le ressentons comme encore une marque de plus de notre colonisation. On se tatoue n’importe quoi sur le corps, mais c’est la mode, et puis un diable cornu, quand on n’y croit pas, ne fait de mal à personne. Mais est-ce vraiment sans y penser, sans accorder aucune importance au contenu, que l’on choisit de se déguiser en diable, et l’on sait que certains se ravagent complètement l’apparence en ce sens, se faisant pousser des cornes, raboter le nez, se modelant à l’image des diables qu’on voit ricaner sur les fresques médiévales du Jugement Dernier ? Il se pose la question, et si les gens concernés ne sont pas conscients de grand chose, moi, je suis certaine que cela n’est pas par hasard. D’ailleurs, si on ne voit en tout cela qu’un folklore innocent, pourquoi interdire d’autre part les croix, les crèches et les arbres de Noël ? Pourquoi laisser aux démons la place que l’on n’accorde plus aux anges ?  Il fut un temps, c’était la mode des têtes de mort, on en mettait partout, j’en voyais sur les tee-shirts de gosses en classe, sur les vêtements et les accessoires  des ados comme des grands-mères dans le métro, c’était totalement obsédant, et cette marée de crânes fièrement ou machinalement arborés par des centaines de gens me paraissait tout-à-fait sinistre. Je suis convaincue que tout symbole et même toute forme a sa charge mystique ou magique. Les paysans russes portaient sur eux des symboles solaires de fertilité, leurs descendants se décorent de crânes et de personnages maléfiques. Pour ce qui concerne Halloween, certes, il y a derrière cette fête imposée une opération commerciale et une politique d’invasion culturelle, mais derrière ces raisons évidentes, quand on est fait comme moi, on devine des prolongements beaucoup plus inquiétants.

Après, j’ai vu un post d’une femme qui a déménagé dans le Limousin et filme son ravissant village, authentique, provincial, ses fleurs, son art de vivre. Une femme âgée qui parle avec émotion et finesse. Je pensais que j’aurais pu finir mes jours dans un cadre analogue, à Saint-Laurent-la-Vernède. Mais il faut pouvoir s’abstraire de tout le reste, et se contenter de la contemplation solitaire de ces lieux en sursis dans la tourmente, dont je ressentais l’immobilité déserte, comme des coquillages vides, rejetés sur la berge. Et les amis que j’ai laissés là-bas ne trouvent pas cela toujours simple. En quelque sorte, l’enfer russe ne me paraît pas aussi sans issue ni aussi trompeur que le paradis français qui survit seulement en certains coins de province, pour combien de temps ? La Russie défigurée reste vivante, elle a des ferments de renouveau, et des éléments de tradition qui résistent, et puis pour l’instant, son gouvernement ne veut pas sa mort.

Dany me parlait des bistrots parisiens, au petit matin, de leur lumière dans la nuit, de leur odeur de café et de viennoiserie. J’ai toujours aimé les bistrots moi-même, et la première fois que je suis venue à Moscou, dans les années soixante-dix, je me suis étonnée de n’en trouver aucun, je ne voyais que des restaurants ou des cantines, pas moyen de juste s’asseoir pour prendre une petite consommation en regardant le mouvement des rues, ou en attendant un copain. Les Russes n’ont pas la culture du bistrot. Si je vais beaucoup au café la Forêt, c’est parce que justement, entre deux courses, on peut faire une pause sans commander tout un repas, et rencontrer des gens que l’on connaît, des gens que l’on ne connaît pas, discuter avec le patron, et puis aussi donner rendez-vous à quelqu’un pour une entrevue. J’ai pensé à la chanson de Fréhel : « Où est-il mon moulin de la place Blanche, mon tabac et mon bistrot du coin ? » 




mercredi 15 octobre 2025

Microcosme eschatologique




Nous nous enfonçons dans l'automne et les ténèbres, il pleut beaucoup, avec un vent froid, de brusques éclairs de soleil, brefs et rares. Mon ordinateur était en panne, internet aussi, et je ne savais lequel des deux était en cause. J'ai mis longtemps à trouver quelqu'un pour m'aider, un ami de Vitalina qui bosse pour mon fournisseur. Il m'a dit que d'une part, je n'avais pas payé ce dernier, je croyais avoir installé un prélèvement automatique, mais ici, c'est aléatoire, et d'autre part, il y avait effectivement des problèmes qu'il a réglés.

Au café, j’ai vu une vieille dame russe très intelligente, je ne sais pas ce qu’elle fait, mais elle semble très cultivée, et d’un esprit très vif. « Il faut rêver en grand, Gilles, dit-elle. Plus on rêve grand, et plus on vit vieux !

- Ah ! me suis-je exclamée, voilà bien la mentalité russe, et c’est en partie pour elle que je me suis exilée ! »

La dame a évoqué les travaux de « mise en valeur » de la berge de la rivière Troubej, qui nous consternent tous. C’est-à-dire qu’au lieu de respecter cette berge en laissant au moins une partie des grands arbres qui la bordaient, ils ont tout arraché, tout retourné, et je pressens les allées bétonnées, les faux topiaires, les arbres en plastique aux fleurs éternelles rose fluo, les thuyas alignés comme à la parade, et les petits massifs de bégonias idiots, avec en plus quelques kitscheries inédites. Mais ce ravage a permis les fouilles du territoire de l’ancienne église, détruite par les soviétiques, et du cimetière attenant, et puis, dit la dame, il ne faut jamais désespérer, les temps changent. L’architecte qui a admirablement restauré une isba sur la berge, s’occupe d’en sauver d’autres, avec ses équipes, des spécialistes venus de Kostroma qui, de plus, travaillent en chantant des chansons traditionnelles au lieu de nous assommer avec la radio. Sacha, le collaborateur de Gilles, a observé que restaurer une isba devenait tendance, et nous a vanté celle de Katia à Filimonovo. La dame a parlé du lycée orthodoxe situé dans la campagne, près de Glebovskoié, et que je connais, j’étais allée à un concert de Skountsev à cet endroit, et m’étais étonnée de la gentillesse, de la bonne éducation et de l’enthouisasme des élèves, certains étaient venus danser sur scène avec les cosaques. « Eh bien, me dit la dame, savez-vous d’où sortent beaucoup de ces enfants ? Ce sont des enfants gâtés et drogués de riches familles qui les mettent là pour les sauver, et qui financent l’établissement. Et voilà comment ils deviennent lorsqu’on les élève correctement. Vous n’êtes pas sans ignorer que la Russie a été soumise à une destruction de l’instruction publique, à l’école et dans les universités, organisée par les Etats-Unis ? ».

D’après deux infos que nous avons vu passer, Israël et les mondialistes sont en train de prendre possession des réseaux sociaux, et ce serait l’explication du blocage actuel ici de toutes les ressources occidentales. Mais pour moi, ce n’est vraiment pas pratique et je souffre de ne pas pouvoir appeler  facilement les miens. 

J’ai découvert en me promenant l’autre côté d’une maison affreuse qu’on a construite il y a quelques années, derrière la malheureuse isba d’oncle Kolia. C’est un truc d’une laideur tellement fantasmagorique que je me pose vraiment des questions sur l’âme de celui qui l’a construite, et dont elle est, fatalement, le reflet. Je pense que c’est celui qui nous a déversé chaque jour pendant un mois quinze camions de terre à cet endroit, coupant le trajet d’un ruisseau et inondant la cuisine du voisin. On a commencé à édifier tout un lotissement de bâtisses disparates, dont deux espèces d’OVNIS sinistres, mais le chef d’oeuvre, c’est cette construction entièrement recouverte de tôle noire, avec une palissade noire et une série de lampadaires, dont la forme évoque ces ferrailles obliques destinées aux barbelés dans les camps de concentration. Je m’interrogeais sur le processus qui, d’un peuple russe obstinément rêveur, poétique, épris de nature et de beauté, de costumes colorés et de maisons en dentelle, a fait en partie une population de mutants utilitaristes qui détestent d’instinct tout ce qui est naturel, vivant et harmonieux.  Car il y a chez ceux-là une véritable aversion pour la poésie de leurs ancêtres. Ils se hâtent de l’anéantir dans notre environnement avec un zèle de komsomols des années cinquante. J’ai lu des commentaires à n’en plus finir célébrant les trois maisons arrosées de jaune citron uniforme par l’administration de la ville : il faut continuer, il faut peindre toutes les maisons comme cela, et j’ai entrevu la photo de la réalisation d’un émule, un mur jaune sur un soubassement violet, d'un effet psychédélique redoutable pour le psychisme du spectateur. Dans cet enthousiasme pour ce massacre, je sens autre chose que de l’épaisse connerie et du mauvais goût : de la provocation, une joie mauvaise, le plaisir d’emmerder les artistes peintres, les collaborateurs du musée et la jeunesse moscovite cultivée qui s’efforcent de sauver quelque chose de cette ville si sauvagement défigurée par ses propres habitants. Comme dit en rigolant Gilles à propos des occidentaux qui viennent s’installer ici : « Pourtant, ce n’est sûrement pas l’architecture ni le climat qui les attire ! » 

Mais qu'est-ce qui les attire, justement? Peut-être, en dehors du lac et de la rivière, de la proximité de Moscou, de la liberté et de la sécurité, cet intéressant microcosme, ce concentré de gens très différents, de divers aspects de la Russie anté et post soviétique. Pereslavl est en quelque sorte pour moi une sorte de lieu eschatologique où se côtoient différents univers. Saccagée jusqu’à en être méconnaissable, cette petite ville autrefois féerique conserve des églises et des monastères fréquentés, au contraire de Rostov, moins abîmée, mais moins vivante, culturellement et spirituellement. On y voit s’exercer un acharnement obtus et souvent malveillant à supprimer les dernières traces du charme d’autrefois, transformant des quartiers entiers en un conglomérat de baraques concentrationnaires, de friches industrielles, de centres commerciaux et de châteaux de la poupée Barbie, je pense parfois à l'artiste-peintre qui m'avait dit, en 99, qu'il venait retrouver ici l'atmosphère de Moscou avant le vandalisme de la période soviétique, eh bien le tour de Pereslavl est venu, les artistes-peintres vont désormais à Toutaïev. Parallèlement, s’y manifestent avec courage des tentatives de sauvetage, de restauration, des initiatives bienfaisantes. Y accourent, outre les Ukrainiens, tadjiks, Arméniens habituels, de plus en plus nombreux représentants de « l’Evrosoyouz », chassés par l’odieuse politique de « l’Occident collectif » : Anglais, Français, Suisses, Allemands, et aussi des Américains. S’y côtoient le passé profané de la sainte Russie, l’Union soviétique et un présent de science-fiction dont on redoute parfois de connaître le futur. Et dans le ciel incomparable qui projette sur le lac ses architectures étranges, flottent les merveilleuses mongolfières multicolores, énormes samovars volants qui bouent et respirent doucement en projetant des flammes.

J'ai été interviewée par une journaliste qui venait de Rostov sur le Don, une grande femme très belle qui devait avoir dans les quarante ou quarante cinq ans, avec un visage intelligent, honnête et sensible, et notre entrevue a été en tous points conforme à l’impression qu’elle donne. Intéressante, franche, profonde. Je le lui ai dit.

J’ai appris par elle que mes livres se vendaient en de nombreux endroits, sur des centrales d’achat, dans des magasins. Mon éditeur qui avait fermé continue à les vendre sans que je touche rien, en revanche, j’en ai des tas d’exemplaires ici que je vends comme je peux au café ou lors de mes prestations diverses. Sur Ozon, j’avais vu un commentaire très malveillant, mais je pense qu’il s’agissait de la komsomole qui a fait de Fédia Basmanov un héros soviétique et qui me poursuit d’une haine implacable, parce que mon mythe ne correspond pas au sien; l'auteur de la critique a en tous cas le même prénom. D’après la journaliste Svetlana, j'ai des réactions plus positives, qui disent que le livre est passionnant. Notre entretien m’a permis de préciser des tas de choses à ce sujet, la genèse du livre, son lien avec mon histoire personnelle, son lien avec ce qu’il se passe aujourd’hui. Je lui ai donné, à sa demande, mon opinion sur Ivan le Terrible : «Je pense que c’était un homme tourmenté, traumatisé et angoissé, et que c’était un idéaliste russe, il ne pouvait supporter que des éléments incontrôlables du réel perturbent l’idée qu’il avait de sa sainte mission, et qu’il avait la main lourde. Cela dit, il me paraît incontestable qu’il a été pas mal noirci, et si on prend par exemple Henry VIII d’Angleterre, il était largement aussi cruel, et en plus il a détruit sa propre paysannerie, chassant des milliers de gens de leurs terres et les transformant en vagabonds misérables que l’on pendait de tous les côtés. Ce n’était pas le cas d’Ivan le Terrible. Le peuple pouvait souffrir des effets secondaires de sa répression de la noblesse, mais ce n’était pas le but. Et on ne trouve pas trace de cela dans le folklore. En revanche, dans le folklore, l’Opritchnina n’avait pas très bonne presse, et d’après ce qu’on m’a dit à Alexandrov, après la dissolution de cette organisation, il ne voulait plus entendre prononcer ce mot devant lui. Quand on constitue ce genre de milice, avec des guerriers à qui tout-à-coup tout devient permis, on assiste souvent à la création d’un égrégore maléfique, c’est le cas par exemple des bataillons punitifs ukrainiens. Pourtant, les opritchniks étaient certainement braves et patriotes, j’ai lu des échanges entre Vassili Griaznoï et le tsar, le type était dévoué, il aimait son pays, il était fier de le servir, il était courageux.  Quand Prigojine était encore de ce monde, je l’avais entendu déclarer : «Nous irons en enfer, mais nous y serons les premiers ». Et je m'étais souvenue de ce que j’avais fait dire, dans mon livre, à Maliouta Skouratov, à qui on prédisait la même destination : «Très bien, j’y serai à ma place et j’y aurai toujours de l’ouvrage ! » D’une façon générale, je vous dirai que tout ce que je fais s’élabore à un niveau profond, celui de l’âme collective, et ce livre est sorti comme cela, sans que j’y ai mis d’intention particulière, surtout politique. Je crois même que les intentions et les oeuvres ne font pas bon ménage.»




 

 

 

 


Le style camp de concentration



 

Les ovnis


 

Le style baron tsigane


Le style institut de beauté, tout plastique, rose et mauve. Ce fut une isba...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 






jeudi 2 octobre 2025

Jument bleue

 

J’ai vu le père Basile au café français. De passage chez nous, il voulait rencontrer Gilles, ils ont comme ami commun le général que j’ai rencontré il y a quelques temps. Il s’est livré, pour une fois qu’il tenait des Français, à sa passion des calembours. Il était accompagné de son fils spirituel de Iaroslavl, chez qui j’avais passé une soirée et même une nuit, avec sa femme et sa belle-mère, mais je ne l’ai pas immédiatement reconnu, je m’en suis tirée en lui disant, ce qui n’est pas faux, que c’était à cause de sa soutane. Il est en train de devenir diacre. Dans Pereslavl, beaucoup de gens me connaissent, « tout le monde vous connaît » m’a dit l’évêque. Mais je n’arrive pas vraiment à me mettre cela dans la tête. Pour éviter de commettre des impairs, de blesser les gens, et cela d’autant plus que je n’y vois pas très clair, j’ai souvent un demi sourire égaré lorsque je croise le regard de quelqu’un, dans la rue, et je réponds avec empressement si on me salue, ou je reste avec mon air con si on ne le fait pas ! 

J’ai passé trois jours à Moscou, pour la fête de l’Exaltation de la Croix. Les vigiles étaient magnifiques, Liéna et son choeur se sont surpassés, et toujours avec sobriété. Les prêtres vêtus de rouge et d’or, comme l’automne lui-même, sous les voûtes bleues, devant l’iconostase doré, parmi tout un jardin de cierges. Et moi, j’arrivais même à décoller de terre, recueillie et sereine, portée par l’ange de la joie.

J’ai réussi à voir Skountsev, je l’ai rejoint chaussée des Enthousiastes, dans son studio de travail, et il m’a aidée à accorder les gousli, puis il m’a proposé d’aller voir Sacha Joukovski dans son local, à l’autre bout de la ville. J’ai accepté, parce que je n’avais pas vu Sacha depuis très longtemps. Il a fait tellement de progrès dans son art, ses vielles sont esthétiques, avec un son bouleversant, et il a même fait un violon, destiné à la musique populaire, et taillé dans une seule pièce de bois, que Skountsev a acheté pour l’offrir à son fils Fédia. Sacha nous a lu la lettre d’un violoniste classique passionné par les instruments populaires qui lui avait acheté un instrument semblable et qui s’en sert pour jouer de la musique baroque ! Mes deux bonshommes ont joué et chanté ensemble, puis nous avons pris le thé, et je ressentais une nostalgie pleine d'amour mais poignante: nous étions tous les trois en sursis, comme des gens qui profitent de leurs derniers jours de vacances, mais nous, c’est la vie qui nous quitte. Nous sommes environnés de jeunes adultes qui ont vieilli et d’enfants qui deviennent adultes. Mais nous continuons à nous passionner pour ce qu’on nous a transmis et que nous tentons de transmettre.



J’ai proposé à Sacha de lui offrir un dessin qu’il aime en échange de la réparation de ma vielle. Il ne voulait pas le faire, parce qu’il me trouvait trop stupide, de l’avoir bousillée d’abord, et d’en avoir confié la réparation à Skountsev ensuite, mais il ne ne s’en souvenait plus du tout, et m’a promis de la regarder.

Je pensais qu’il était vital pour moi de voir plus souvent des gens comme eux.

Plusieurs de mes connaissances européennes envisagent l'émigration. C’est que cela ne va plus du tout. C’est que les choses se précipitent. Ca va mal tourner. Ils sont prêts à tout pour la faire, leur guerre, et hâtent leur programme d’asservissement numérique des populations, j’en ai froid dans le dos. Ils multiplient les provocations, les glapissements, les cris de haine, les inversions accusatoires, la Russie prévient d’un prochain faux drapeau qui pourrait servir de prétexte. Medevedev, spécialiste des déclarations musclées, a posé lui aussi un diagnostic auquel j’adhère totalement. Il dit qu’il n’y aura pas de guerre, car les Russes n’en veulent pas, elle ne leur est pas nécessaire, ils se fichent éperdument de l’Europe, où il n’y a rien à prendre et où ils ne sont jamais venus en conquérants, les Russes veulent mettre en valeur leurs propres territoires et ceux qu’ils ont récupérés dans le Donbass. Envahir l’Europe, pourquoi faire ? Un conglomérat de pays ruinés par leurs propres dirigeants, envahis sous l’impulsion des mêmes par des migrants inassimilables et violents, et en pleine dégradation morale et culturelle. Mais ajoute-t-il, le problème avec les incompétents enragés, c’est qu’on ne sait jamais de quelles conneries ils peuvent être capables, et qu’ils pourraient en commettre une qui ne laisserait plus le choix.

J’ai vu à la télé française une espèce de bonne femme raconter des « fables de la jument bleue » comme on dit ici: le Goulag n’a jamais été plus dur, ni plus bondé de dissidents, Brejnev à côté,et même Staline, c’était la grande liberté, on interne même les enfants, mais c’est totalement n’importe quoi... Certes, beaucoup de gens ironisent (avec parfois beaucoup d'humour) sur tout ce délire, mais il y en a qui marchent. Des connards de droite, par anticommunisme, comme s’ils avaient été congelés depuis les années trente et venaient juste de se réveiller. Et des connards de gauche, des bobos, par conformisme woke, des mutants de l'après soixante-huit bien dressés à penser comme tout le monde. Le fils libéral d'une amie avait été arrêté et mis au frais pendant quinze jours, pour avoir participé à une manif illégale, mais d’une part, il avait été très bien traité, et d’autre part remis à sa maman qui avait déclaré aux flics qu’il eût fallu secouer davantage les puces à cette espèce de crétin. Pour ma part, je serais pour envoyer ce genre de gamins au Donbass, non pour y faire la guerre, mais pour aider la population et discuter avec elle de ce qui se passe.

Dans un fil de commentaires sur Facebook, une personne a décidé que j'étais un robot de l'IA, parce que mes arguments la déconcertaient!

Pour me changer les idées, je suis allée dessiner à Falelieievo. Quand on dépasse l’église, on voit que les maisons moches ont poussé là bas aussi, mais cela reste très beau, grâce à la nature, à l’espace qui s’ouvre sous le ciel. Et puis, il y a encore des animaux, une vie rurale. Je me suis assise pour dessiner au bord d’un champ qui se perdait sous les nuages, et des chèvres y paissaient, et puis des vaches. Quand les chèvres se sont aperçues de ma présence, elles sont arrivées ventre à terre, curieuses et amicales, tout le monde voulait de l’attention, fini le dessin, j’avais peur qu’on ne broute mon bloc de super papier pastel. Aux chèvres s’est joint un jeune taureau très joli, petit, bourru et couleur sable, avec un nez noir humide, assez timide, presque encore un veau. Je suis partie avec eux vers la voiture, face au vent d’automne, gris et plein de lueurs, au grand clocher crevassé de lumière.

Puis aujourd'hui, je suis allée dessiner sur le « val », et le résultat est très satisfaisant. Je dessine comme je le sens, et Pacha Morozov m’a dit que lui aussi, qu’il n’essayait plus de « bien peindre », mais de s’amuser, et c’est ce que je fais. Il faisait un temps merveilleux, très froid le matin, il a même gelé, mais ensoleillé, doux et frais dans la journée avec un ciel d’un bleu profond, un ciel d’enluminure. Les mésanges ont commencé à venir voleter devant ma fenêtre. J'ai le coeur serré quand je vois les fleurs pencher sous le gel, les fougères se rétracter, la vie disparaître pour six mois.