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mardi 7 mars 2017

8 mars


Le monastère Goritski vu depuis la garnison
Lioudmila, ma rencontre du monastère Feodorovski, m'a invitée, aujourd'hui, veille du 8 mars, à un concert. Je croyais que c'était celui de l'ensemble cosaque local, avec sa fille, mais c'était celui de la garnison de Pereslavl, dans la salle des fêtes du quartier militaire, avec des soldats partout, c'était bourré, plus une place de libre, mais dès que je me suis avancée, quelqu'un s'est levé pour faire asseoir l'ancêtre.
Le concert était très touchant, et me rappelait le style music hall des années 50, avec une couleur russe et martiale. Il s'agissait de fêter les femmes et mères des militaires, à l'occasion du 8 mars, et aussi les femmes qui travaillent dans l'armée et à qui on offrait des cadeaux.
Le 8 mars, une femme ne peut pas faire un pas sans que tout le monde lui souhaite sa fête, et parfois lui offre des fleurs, même des inconnus. Le colonel qui présidait aux réjouissances évoqua les femmes en ces termes: "On prend le petit-déjeuner, les enfants dorment, on revient le soir, le repas est prêt, les enfants dorment déjà, c'est là notre vie, et comment y ferions-nous face sans votre soutien attentif?"



lundi 6 mars 2017

L'amour et le pardon.

Depuis déjà quelques temps je remettais à plus tard la traduction d'une homélie du métropolite Antoine de Souroj, dont l'élévation spirituelle et la profondeur convenaient parfaitement au début du Carême, car elle nous fait entrevoir ce que c'est que le repentir, pourquoi nous devrions tous l'éprouver, pourquoi l'éprouvent plus que nous les personnes, à l'image du métropolite Antoine, les plus saintes et les plus spirituellement accomplies.
J'ai de façon sporadique des altercations avec des révisionnistes staliniens qui voudraient me convertir à leurs vues avec un zèle de commissaire du peuple, assimilant l'anticommunisme à de la russophobie, et l'un d'eux m'a défini la période soviétique comme "l'apothéose de l'histoire russe", en dépit de ses innombrables martyrs et dommages culturels, par élimination des éléments les plus cultivés et les plus capables dans toutes les couches de la population, et par destruction pure et simple et à grande échelle du patrimoine, églises, palais, icônes, traditions. Je me refuse à faire fi de tout cela et à piétiner les tombes de tous les innocents qui ont fait les frais d'un Moloch idéologique implacable. Ces staliniens qui me reprochent de ne pas comprendre la Russie parce que je ne partage pas leur enthousiasme pour leur idole, ignorent complètement la notion de sobornost, pourtant déterminante pour saisir les profondeurs de l'âme russe et sa spiritualité, mais de quelle spiritualité pourrait-il être question chez des idéologues bétonnés?
L'homélie du métropolite Antoine relève de cette notion de sobornost, cette communion et cette solidarité entre tous les êtres humains dans la chute et la rédemption, et si Staline et sa politique sont absolument injustifiables, pose la question du pardon qu'il faudrait cependant, en tant que chrétiens, pouvoir lui accorder, et des limites de notre amour ordinaire. Le pardon n'est pas du tout une notion bien considérée en Occident, où l'on ne cesse d'instruire des procès à sens unique et de pousser des clameurs vengeresses, mais le pardon répare, et je reste encore impressionnée par celui que Iouri Iourtchenko avait accordé au bourreau ukrainien qui l'avait torturé pendant dix jours, et qui, fait prisonnier, le lui avait demandé depuis sa civière.
Pardonner n'est pas justifier, réussir à aimer un monstre d'un amour christique n'est pas la même chose que d'en faire un héros. Ceci précisé, il faudrait en effet, réussir ce tour de force, car notre salut ne se fait pas dans l'isolement et la division, mais dans le rassemblement et la communion.
Devant l'ampleur de la tâche et notre incapacité à correspondre à cet impossible, à cet énorme amour divin, on conçoit que nul d'entre nous ne puisse s'abstenir de se repentir.
Je mets toujours un cierge à saint Silouane en lui demandant de m'aider, sinon à aimer mes ennemis, du moins à ne pas les haïr.




Des ans l'irréparable outrage

L'hiver revient, mais pas pour longtemps, demain, réchauffement, fonte de tout ce qui sera tombé aujourd'hui. Le mois de mars est vraiment difficile à vivre, ici. Il faut profiter de cette moquette blanche et propre qui s'étend partout pour marcher d'un pas sûr, et aller se promener, ce que j'ai fait ce matin avec le petit chien. Je voulais acheter ciseaux, fil, aiguilles, centimètre, tout ce qu'il fallait pour raccourcir les rideaux offerts par Liéna Asmus, mais plus de ciseaux, plus de centimètres, jusqu'au 20 mars, la gestion des stocks est inconnue au bataillon. La jeune mercière me fait cadeau de son propre centimètre... en revanche, pour les ciseaux, c''est râpé.
Dans le parc, près du café français, m'aborde un bonhomme qui a dû être beau, nez aquilin, yeux clairs, mais l'alcoolisme (me semble-t-il) et l'âge ont fait leur oeuvre. Si je croyais ne pas faire le mien, d'âge, il a eu vite fait de mettre fin à cette illusion: "Vous avez combien, dans les 65 ans?
- Tout juste.
- Moi aussi, je suis de 49."
Oui, eh bien ça fait un peu plus, pépère. Je l'aurais rencontré avant la bouteille et les ravages des ans, cela aurait-il pu coller? Peut-on encore s'aimer quand de part et d'autre ne subsistent que des ruines? "Mon Dieu, me dis-je, quand je serai dans l'éternité, je serai jeune à jamais, j'aurai l'âge de mon âme!" Mais là bas, tout est si différent, sans doute, que cela donne le vertige quand on tient trop,à la terre. Etre jeune me fera une belle jambe... Mais si, ça compte, ça compte de ressembler à ce qu'on est dans la conception de départ, et non dans son état usé, défiguré, rapiécé. Le vieillissement, me disait le voisin du père Valentin, l'oncle Slava, c'est quand les cellules perdent la mémoire de ce qu'elles doivent reproduire. Alors la Mémoire Eternelle ne va pas oublier la gueule que j'avais à 20 ans, quand je me demandais celle que j'aurais à 60...
Au café, je prends la tartine de légumes et des pâtes de fruits, avec un thé vert au citron. Carémique. Je ne sais pas ce qui me prend, à mon âge, de suivre ça ric rac! Ce doit être l'ambiance...
Au retour, je tombe sur le Serbe qui est toujours à côté de la quincaillerie: "Qu'est-ce qui se passe chez vous, en France, c'est quoi, ça?
- C'est, mon ami, la transformation progressive de notre pays en Kosovo ou en Ukraine, je m'y attends depuis que l'OTAN a détruit le vôtre.
- Oui... Et cela me fait de la peine de vous le dire, mais vous ne l'avez pas volé!"
Cela me fait de la peine de l'admettre, mais en effet. Moi, j'étais en Russie, mais dans l'ensemble, tout le monde a gobé la légende des vilains Serbes qu'on distillait sur tous les médias de France et de Navarre. J'ai connu en stage une enseignante qui, en poste à Belgrade et rapatriée, se faisait traiter comme une pestiférée parce que sa version des choses ne ressemblait pas à la version officielle.

c'est à ce tableau d'Olga Kalashnikova que ressemble Pereslavl au mois de mars


dimanche 5 mars 2017

Dimanche du triomphe de l'Orthodoxie

Le triomphe de l'Orthodoxie commémore la victoire de l'Eglise sur l'hérésie des iconoclastes, qui considéraient les icônes comme des idoles, et en ont fait disparaître un très grand nombre. On ne trouve pratiquement plus d'icônes antérieures à cette hérésie ailleurs qu'au monastère sainte Catherine du Sinaï.
Je suis retournée au monastère Fiodorovski, et à son petit café. La moniale de service, soeur Larissa, apprenant que j'étais française m'a d'autorité conduite à une jeune femme, Lioudmila, qu'elle a chargée de m'amener au réfectoire. Celle-ci m'a prise par le bras et ne m'a plus lâchée de la journée.
Le réfectoire m'a rappelé Solan, bien qu'il n'ait rien en commun avec celui de mon monastère français, mais c'est plus ou moins le même rituel, le repas en commun, la lecture à voix haute, en l'occurrence le baptême de la Russie à Kiev, saint Vladimir et les autres saints princes qui ont suivi. L'higoumène est la mère Varvara.
Après, nous sommes retournées au petit café, où j'ai acheté du miel, de la tisane, des pâtisseries carémiques. La soeur Larissa m'a déclaré que si j'allais dans un monastère grec en France et que j'avais pour nom orthodoxe, comme elle, Larissa, c'était la volonté de Dieu qui m'avait conduite à saint Théodore, car Larissa est un nom grec. Elle m'a fait du café, et m'a donné tout un tas de trucs.
Lioudmila est en relation avec le kazatchetsvo, la communauté cosaque locale, et m'a dit que j'y trouverais tout ce qu'il me faut dans le genre chants populaires et vieille Russie. Et sans me lâcher le bras, elle m'a entraînée chez elle.
Là elle m'a fait du thé, et servi encore des pâtisseries et confiseries carémiques mais caloriques. Elle habitait avant près de Vladimir mais se sent chez elle à, Pereslavl. "Je suis contente de vous avoir rencontrée, me dit-elle, je n'avais personne à qui parler de choses spirituelles." Elle m'a donné beaucoup de conseils et elle m'a complètement prise en main: les démarches administratives (elle est juriste), les pèlerinages, offices et processions locaux, les magasins moins chers, les marchés.
Elle a une fille ravissante et une vieille mère (de mon âge) qui croit elle aussi qu'elle a vingt ans et qu'elle peut éviter de se faire materner par une fille orthodoxe attentive.
Lioudmila est d'une famille de "koulaks" cosaques, des gens qui avaient une exploitation agricole prospère avant la révolution, dix enfants, et travaillaient dur. On les a naturellement spoliés et persécutés. Sa grand-mère, pendant la guerre, a été enlevée par les Allemands et expédiée en Allemagne pour y travailler. Au retour, elle a dû dissimuler ce fait, puisque être fait prisonnier était considéré comme une trahison par le pouvoir soviétique et que ceux qui revenaient de captivité ou s'évadaient étaient bons pour le Goulag.
Comme j'utilisais un mot qui faisait référence au diable, Lioudmila m'a interrompue: "Ne dites pas cela, car prononcer son nom, c'est le faire venir."
Elle pense (comme moi d'ailleurs) que les derniers temps sont arrivés et que nous en verrons l'aboutissement de notre vivant.
Elle a tenu à me donner un pot de confiture, de la salade de chou, un pot de conserves de courgettes à la tomate, des prosphores et de l'eau bénite, et m'a escortée jusque chez moi, pour m'éviter de porter tout cela et m'empêcher de glisser sur la glace. J'avais l'impression d'avoir rencontré un ange gardien, et d'ailleurs, elle me répétait que tout arrivait par la volonté de Dieu, y compris les Français à Pereslavl.
Hier, j'ai enfin attaqué mon icône du saint tsar Théodore, et l'ai faite très facilement, elle venait toute seule. Je me suis rendu compte que c'était justement la saint Théodore Stratilate, patron du saint tsar lui-même. Il me paraît significatif que les deux dynasties russes se soient terminées l'une par un tsar "bienheureux" et l'autre par un tsar martyr.





mercredi 1 mars 2017

Les freux sont arrivés

Le 1° mars est en Russie le premier jour du printemps, dont la venue est symbolisée pour tout le monde par le célèbre tableau d'Alexeï Kondratievitch Savrassov: les freux sont arrivés.

Les freux sont arrivés. Alexeï Savrassov
Outre que j'aime énormément ce tableau, j'ai eu la même vision, en allant faire une course, les mêmes oiseaux, au faîte d'un bouleau: les freux sont arrivés.
La neige fond, un glacier descend de mon toit. La glace aqueuse dérape sous les pas, comme du savon, le vent est mou, humide. Il faut avoir le pied marin.
En route, je vois venir à ma rencontre un bonhomme souriant qui m'aborde de but en blanc: "Je viens de me faire arracher une dent à la polyclinique!
- Ah bon, et ça vous a fait mal?
- Non, pas du tout, rien senti!"
Je crois qu'il était tellement soulagé qu'il lui fallait l'annoncer à la première personne qu'il rencontrerait. Obligeamment, il m'informe que la providentielle polyclinique se trouve au coin de la rue, c'est bon à savoir.
"Je n'ai plus de dents, me dit-il en me serrant l'épaule, la vieillesse, ce n'est pas la joie!"
Il s'éloigne en laissant une odeur de vodka dans son sillage. Il avait dû picoler pour se donner du courage, le pauvre homme!

lundi 27 février 2017

Maslenitsa et dimanche du pardon

Marina Skountseva
J’ai passé quatre jours à Moscou pour fêter la maslenitsa, le carnaval russe, d’abord une magnifique répétition chez Skountsev à l’Arbat, puis à l’église saint Dmitri Donskoï. La fête elle-même était décevante, car les Skountsev étaient sur scène, avec une sono assourdissante, les gens ne connaissent plus les jeux ni les chants, et c’est une façon de les leur apporter, mais ils ont du mal à participer, car on ne s’entend pas chanter, tout cela devrait être d’abord pratiqué en famille. Tout le monde devrait s'y mettre, il ne devrait pas y avoir de scène, mais des gens qui font de la musique, chantent, dansent et jouent tous ensemble.
Il faisait très beau, avec un soleil et un air vifs, et l’on pouvait voir déjà les bourgeons gonfler, et les branches se colorer. Elles deviennent jaunes ou rouges, les arbres commencent à se réveiller, et parfois, dans le vacarme de la sono, je me débranchais de mon environnement pour contempler ces ramures dorées sur les sapins sombres, le ciel très bleu, et les joyeux nuages aux robes volantées d’argent.
Ce vacarme est très regrettable, car l’intérêt du folklore, des voix et des instruments traditionnels, c’est que leur son est naturel et subtil, il est à l’échelle humaine.
Les petites dames de notre cours avaient mis de jolies jupes dans le style russe, et des foulards noués avec art. Elles m’ont accueillie à bras ouverts. Souvent, ici, les gens vous aiment au premier regard, et ne se posent plus de questions ultérieures.

Le recteur de la paroisse nous a invités à prendre un repas très copieux avec lui. C’est un prêtre majestueux et autoritaire qui a été entraîneur de l’équipe olympique. Tout brille de propreté. Tout le monde s’acquitte de sa tâche avec diligence et file doux. Il a grandi dans le chant traditionnel et considère les activités de Skountsev comme une thérapie psychologique et spirituelle. De même le sport, et les activités culturelles pratiqués dans le cadre de « l’école du dimanche ». Aussi a-t-il privilégié l’aménagement du centre nécessaire à la mise en œuvre de tout cela, alors que l’église est encore une sorte de préfabriqué, mais la construction de l’église définitive est en cours.
Plus que la fête elle-même m’ont intéressée les répétitions. Skountsev et sa femme Marina ont fait une démonstration des principes de la danse russe authentique à un groupe d’adolescents. Au début, tout le monde était coincé. Skountsev a pris son accordéon, et a commencé à expliquer en riant aux garçons : « C’est tout simple, la danse, c’est un plaisir. Vous vous levez et vous accroupissez, et vous sautez et vous faites ce que vous voulez, et maintenant, imaginez que vous avez un sabre à la main, et que vous dansez avec ! »
Et ces gamins ont commencé à sauter comme des cabris, gracieusement, et à y prendre un vif plaisir.
De même Marina dit aux filles : «Vous êtes là pour montrer combien vous êtes jolies et aimables, et combien vous aimez tout le monde autour de vous. Et voilà qu’un garçon vient danser à vos pieds, alors vous tournez autour de lui et vous lui faites comprendre : «Bravo, comme tu te débrouilles bien, comme tu es beau ! » Voilà toute la danse ! » Et les filles se mettent à évoluer comme des cygnes, naturellement.
« J’ai essayé, me dit Marina, de travailler avec des danseurs professionnels de type « ensemble Beriozka, chœur Piatnitski », ils ne savent absolument plus être naturels, on dirait des robots, avec un sourire mécanique accroché sur la figure. C’est l’école soviétique, qui s’inspire du folklore mais n’a plus rien à voir avec la tradition populaire, le problème est que les gens confondent les deux. On leur fait écouter des chants authentiques de la région d’Arkhangelsk, ils pensent que c’est de la musique arabe, on leur fait écouter «Konfetki baranotchki », composé par un juif à New-York, ils pensent que c’est du folklore russe. Et souvent, les jeunes ne s’y intéressent pas, car ils ont du folklore une vision trafiquée et ne soupçonnent pas qu’il est à la fois plus complexe et plus simple, qu’il appartient à tous et change notre vision de la vie.»
C’est du même ordre que les fausses isbas, les millions de matriochkas vendues à l’Arbat ou à Ismaïlovski Park, tout le toc et le kitsch que le diable fait passer pour de l’or pur.

Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’envoyer des enfants dans des cercles culturels ou à des activités n’a aucun sens. Il faut que ces choses-là soient pratiquées en famille. Les enfants des petites dames du cours ne font qu’assister à nos rencontres, mais ils assimilent tout ce que nous faisons. Ils chantent nos chansons, et j’ai pu observer qu’ils dansaient avec ivresse, surtout une petite fille de quatre ans, qui trouvait naturellement les attitudes, qui sont suggérées par la musique elle-même. Il faut remettre de la musique, de la danse, de la créativité dans nos existences aliénées et spoliées, notre musique, nos danses, notre créativité, et pas des traditions exotiques qui ne nous correspondent pas. C’est en effet une démarche thérapeutique, je suis d’accord avec le père André, thérapeutique et formatrice, ainsi que je l’avais fortement expérimenté avec le peu que je pouvais pratiquer à la maternelle, mais j’appliquais les principes de la culture populaire à tout le reste : apprendre ensemble, en réalisant quelque chose de beau qui nous motive et nous fasse rêver, qui nous élève, qui nous mette en relation les uns avec les autres, et avec tout le cosmos environnant. Ainsi vivaient nos ancêtres, dont les enfants étaient peu à peu inclus dans toutes les activités de leur vie et y trouvaient naturellement leur place, dans le cadre d’une communauté organique.
La maslenitsa consiste à s'en mettre plein la lampe de crêpes à la crème, de fromage et poisson, de telle manière que le premier lundi de Carême, nous sommes tous pratiquement malades et n'aspirons qu'à manger des salades et des soupes de légumes. 
Nous nous sommes tous demandé pardon à l'église, et je joins l'homélie du père spirituel du monastère saint Elizabeth de Minsk, que j'avais traduite l'année dernière, pour donner une idée ce ce que cela représente, quand on le vit vraiment. (cliquer sur le symbole des sous-titres, si nécessaire).



mercredi 22 février 2017

Panorama

Après cette première offensive printanière, la température retombe à - 7, c'est un peu tôt encore, et même, on n'est pas tranquille jusqu'à début avril. Je suis partie promener le petit chien du côté de la source, mais j'ai pris sur la droite, vers le monastère, et je me suis élevée à flanc d'escarpement sur les anciennes berges du lac. Il m'est apparu dans toute sa beauté, avec sa glace laiteuse et phosphorescente sous le ciel foncé, lugubre et grandiose. Tarkovski trouvait des correspondances entre les tableaux de Brueghel et la Russie, la façon dont les arbres se découpaient sur la neige m'a soudain rappelé ce qu'il en disait.
Je ne sais pas si c'est dû au réchauffement suivi d'une nouveau coup de gel, mais je marchais sur une croûte bien solide qui tout à coup cédait et je m'enfonçais jusqu'au genou. Après, j'essayais de ne pas trop appuyer sur un seul pied, de ne pas rester au même endroit. J'ai dépassé une maison moche et prétentieuse solitaire, avec quand même le cabinet au fond du jardin, la fosse septique sera pour les prochaines vacances. Et j'ai vu le monastère se dresser au dessus du champ de neige, précieux, étrange, onirique, un vaisseau fantastique, l'arche qui nous emmènera là où il faut, là où il n'y a ni tristesse ni gémissements, mais la vie éternelle.
Il s'agit du monastère Nikitski, consacré à saint Nicétas le Stylite, dont la source est un peu plus loin. L'archimandrite Dmitri a la réputation d'un saint homme, c'est le père spirituel de mon plombier. L'enceinte du monastère et l'une de ses églises ont été réalisées sur ordre d'Ivan le Terrible, et on y chante encore les stichères et les psaumes qu'il avait composés (je crois que je l'ai déjà dit mais je ne me lasse pas de la présence palpable de cette histoire russe qui me fascine).
Au retour, mon comptable dostoïevskien m'a annoncé qu'il allait déposer ma demande de permis de séjour.