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vendredi 3 novembre 2017

Pourquoi un agent financier de Poutine français est-il venu s’installer à Pereslavl Zalesski ?

A la dernière conférence internationale au musée « AlexandrovskaïaSloboda », est venue en qualité d’invitée Laurence Guillon, Française de souche qui est devenue orthodoxe, s’est installée dans la ville voisine de Pereslavl Zalesski et écrit un roman sur le premier tsar russe Ivan le Terrible. Nous avons conversé avec elle sur ce qui pousse des étrangers à déménager en Russie et ce qui différencie les taxis russes des taxis français.
— Vous êtes née et avez vécu en France, mais pour certaines raisons, vous avez décidé de déménager en Russie. Cest pour toujours ?
—  Je veux vivre ici tout le temps. J’ai pour cela différentes raisons. L’une d’entre elles, c’est mon intérêt pour la Russie. J’ai eu connaissance de ce pays quand j’avais quinze ans. Jusqu’alors, je m’intéressais à la Grèce antique, et un peu à l’orthodoxie grecque, il y avait donc quand même un enchaînement logique dans mon enthousiasme  pour la  Russie. Après la lecture de Dostoïevski, j’eus le désir de me convertir à l’orthodoxie, ce que je fis à l’âge de dix-neuf ans. J’appris le russe moi-même puis à la fac. A un moment,  cet intérêt faiblit et je m’en allai même en Amérique, mais l’Amérique me déçut et je revins à la Russie. Et en 1990, je fus invitée en Russie par le cinéaste et historien Viatcheslav Lopatine, avec lequel j’étais amie. Je participai à l’expédition « sur les traces de Radichtchev » de Pétersbourg à Moscou. Il y avait là des députés du Mossoviet, des journalistes, des acteurs, tout ce qu’on voulait et moi (rire). Et dans chaque petite ville, je devais prononcer des discours. Cette expédition me conduisit définitivement à déménager en Russie. Je trouvai du travail au lycée français de Moscou, où je travaillai 16 ans. Je me russifiai complètement et ne voulais pas revenir en France. Mais ma mère tomba malade et je dus prendre ma retraite pour aller la rejoindre. Quand maman mourut, le père spirituel du monastère orthodoxe que je fréquentais me dit que je devais retourner en Russie. Je connais un moine français orthodoxe, le père Basile Pasquiet, de France, qui est maintenant devenu archimandrite au monastère de la Sainte Trinité de la ville de Tcheboksary. Il me disait que je devais partir, parce que la Russie était notre dernière arche. Et voilà comment jai décidé de partir. Il y a un an, j’ai commencé à me faire établir avec bien des difficultés un permis de séjour, après avoir acheté une maison à Pereslavl.
— Et pourquoi avoir choisi Pereslavl et pas une autre ville ?
— Je suis artiste peintre, j’aime faire des aquarelles. Et quand je travaillais au lycée français, je voulais partir quelque part en vacances et appris qu’il y avait une maison de repos pour les artistes peintres à Pereslavl. J’y suis venue et j’ai adoré la ville. Les monastères étaient alors en piteux état, maintenant, ils sont restaurés mais la ville se dégrade. Malheureusement, depuis lors, la ville a été bien abîmée. Cela m’irrite de voir  comment on détruit tout ce qui est ancien et beau. Et l’on construit du monstrueux et du moche, du prétentieux même pas russe. Cela me cause un vrai chagrin. Cela m’attriste que les gens ne connaissent déjà plus leurs traditions, leur folklore, oublient leurs ancêtres. Mais cela se produit dans le monde entier. C’est une espèce de processus satanique.
Pourtant, j’aime Pereslavl, j’aime le lac. Et  ensuite, Ivan le Terrible, c’est mon sujet. Ici, les gens sont bienveillants. Et ce n’est pas si loin de Moscou, où j’ai mes principaux amis et mon père spirituel.
— Une autre raison de votre déménagement en Russie est d’après vous la situation en Europe.
— Je vois comment la France se détruit. On nous dit que ce sont des réfugiés, mais la proportion de réfugiés est petite. Ce sont des jeunes Africains agressifs. Et c’est pour moi tout simplement une invasion. Je pressens que nous aurons bientôt le Kossovo à l’échelle européenne. Et je ne veux pas voir ça.
— Et vous parlez de cela dans le blog « les chroniques de Pereslavl » que vous tenez en français, en premier lieu pour vos anciens compatriotes ?
— Je leur fais part de mon expérience de vie à Pereslavl, de ce que j’observe en Russie. Parfois, j’y évoque aussi la France, je compare et j’établis des parallèles. J’ai depuis longtemps remarqué combien on mentait effrontément sur la Russie. On peut considérer Poutine comme on veut, mais ce n’est ni Hitler, ni Staline. Et quand j’ai entendu parler de cette histoire du Donbass, j’ai vu qu’on mentait encore. Je me suis mise à traduire en français le matériel que je trouvais sur cette situation. Et voilà que j’ai vu que je faisais partie d’une liste noire établie par une journaliste française, en qualité d’agent  financier de Poutine ! Je n’ai jamais su gérer mon argent, j’en perds sans arrêt, mais je suis devenue agent financier de Poutine ! (rire).
— Vous écrivez un livre sur le premier tsar russe. Pourquoi votre choix est-il tombé sur ce souverain russe ? Pourquoi pas, par exemple, Alexis le Paisible, Pierre I ou Nicolas II, mais précisément, Ivan le Terrible ?
— J’étais très jeune quand j’ai découvert Ivan le Terrible. J’avais vu une émission à la télé française, dans laquelle il y avait des extraits du film d’Eisenstein. J’étais absolument envoûtée. Je lus une biographie d’Ivan le Terrible, mais c’était un catalogue d’atrocités, commises soi-disant sous Ivan le Terrible. C’était pour moi comme un conte terrifiant. Et je commençais à inventer mes propres contes sur ce thème. J’ai même écrit un premier roman, que j’ai malheureusement édité et qui est heureusement passé inaperçu. Je rejette à présent complètement cette première édition. J’ai écrit un deuxième roman et quand je suis revenue en Russie, je l’ai pratiquement réécrit tout entier. Et je continue à le corriger. Bien que ce soit un roman, je ne veux pas salir la mémoire de personnages que j’aime. Je ne veux pas dire qu’Ivan le Terrible était un saint. Si le métropolite Philippe ne lui a pas donné sa bénédiction, c’est qu’il avait de bonnes raisons pour cela.
— Votre venue à Alexandrov pour une conférence scientifique consacrée à l’époque d’Ivan le Terrible, c’est pour votre livre ?
— C’est pour le livre et parce que je m’intéresse à cette époque. J’ai l’impression que les personnages de mon roman vivent avec moi. A Pereslavl, tout me rappelle Ivan le Terrible. Je vais à la liturgie au monastère saint Théodore et je me dis : bonjour, tsar Ivan, voilà, je suis ici, dans ton monastère. Je sais qu’Ivan a construit cette église, qu’il y venait souvent, et aussi au monastère saint Nicétas.  Il me semble que ces gens  m’ont adoptée, que je fais partie de la famille, aussi étrange que cela puisse paraître. Je ne sais pas pourquoi cela me fascine à ce point, peut-être parce que c’est vraiment un monde fabuleux et un personnage  fabuleux. Un personnage très russe, tiré à la fois d’un roman de Dostoïevski et d’un conte. C’est à la fois effrayant et très beau. Je suis sûre que les gens d’autrefois vivaient dans une beauté que nous ne pouvons même pas nous imaginer. L’architecture de bois, les églises, le carillon incessant des cloches, et partout des gens qui chantent. Je suis sûre que le tsar lui-même chantait. J’ai remarqué que je m’ennuyais parfois avec des intellectuels qui me font des conférences. Mais quand je suis avec mes cosaques et mes ethnomusiciens, je me sens bien, parce qu’ils parlent peu et chantent beaucoup.  Et quand nous chantons ensemble, c’est une sorte de miracle. Ces gens-là ne sennuient jamais. Ils trouvent leur conjoint dans ce milieu et élèvent leurs enfants dans cet esprit.  Et cest déjà comme sils étaient sauvés.  Cest lesprit et l’âme de la Russie. Cest ce que nous avons perdu en occidentEt c’est l’une des principales raisons de mon retour, tout cela me manque. C’est pour moi comme une source vive..
— Il vous est plus facile de vivre avec les Russes qu’avec vos compatriotes ?
— Oui, les Russes sont plus naturels, plus sincères, ils ont plus de largesse d’esprit  et ils ont conservé du lyrisme. Pour venir à Alexandrov, j’ai pris un taxi et nous avons longuement discuté de l’avenir de l’humanité, d’histoire, de politique.  Je n’ai pas de telles relations avec les taxis en France. Avec mon plombier, je parlais de saint Théophane le Reclus. Avec les plombiers français, je n’ai  jamais eu de telles conversations.  Quand je suis venue acheter ma maison à Pereslavl, le taxi m’a dit que j’avais bien fait, parce que sa ville était imprégnée de prières. On ne me dira rien de tel en France, parce que personne ne fait attention à cela, parce que la France est un pays athée.
— Vous n’êtes pas la seule à représenter l’Europe à Pereslavl ?

— Il y a encore un autre Français, le patron du café français. Il est marié avec une Russe. Il a un pâtissier qui est venu travailler. Et c’est très amusant de le regarder, car c’est un homme excellent et très professionnel,  mais il a du mal à comprendre la Russie.  Comme dans cette nouvelle de Leskov où un Allemand voulait rééduquer les Russes. Là bas travaille une vieille tsigane, elle me demande à son propos :  il ne se repose jamais ?  Non, c’est un professionnel, pour lui, le travail avant tout. Il me dit : le travail, cest ma religion. La tsigane me dit : mais ici, on est en Russie ! Le pâtissier ne peut comprendre que pour les Russes la santé et  la famille passent d’abord, et ensuite le travail. Je le comprends, parce que je suis archaïque. Je comprends qu’en premier lieu, pour les Russes vient la communauté. Et les Russes ont besoin d’une motivation forte, mais pas matérielle. La motivation matérielle, pour eux, c’est ennuyeux. Et je suis moi-même comme cela. Je ne peux pas travailler que pour l’argent. Je dois mettre mon âme dans mon travail. Comme les Russes.

Edouard Yegorov pour "Ouïezdni Gorod", journal de la ville d'Alexandrov. traduit par mes soins.
http://www.alexnews.info/archives/21063



A Pereslavl, l'hiver a commencé sans moi

Le lac Plechtcheïevo photo Alexandrina Viguilianskaïa 
La veille de mon départ, mon amie Sacha Viguilianskaïa m'a annoncée sa venue. Je lui ai laissé l'usage de la maison, mais je ne l'ai pas vue, il me fallait partir coûte que coûte... Or je rêvais de la recevoir chez moi.
Sacha a travaillé avec moi, dans les premières classes bilingues du lycée français et nous en gardons toutes deux un souvenir ému. Nous avions de merveilleux élèves, auxquels j'ai eu le sentiment que nous avions apporté un peu de ce qui manque à la plupart des enfants et qui se transmettait autrefois dans les familles paysannes traditionnelles. L'une de ces enfants, devenue adolescente, m'a d'ailleurs retrouvée et remerciée il y a quelques temps.
Nous fêtions les fêtes du calendrier, de la façon la plus magique possible, impliquant tout le monde dans la préparation, la décoration, les chants, les danses et les jeux du moment, avec la participation d'ethnomusiciens qui leur faisaient découvrir de vrais instruments et un monde épique qui faisait rêver.
Je suis partie sous la pluie et la neige fondue, et les photos que publie Sacha sur Facebook montrent que la féerie hivernale a commencé à déployer sur Pereslavl ses lumineuses merveilles...
Je me console avec le soleil de l'arrière saison méridionale, les feuillages dorés et pourpres, intacts, grâce à la sècheresse et les après midis tièdes...
Mais j'aurais bien voulu recevoir Sacha et me promener avec elle, recueillir ses impressions. C'est une personne poétique, ravissante et profonde. Nous avons toujours des choses à nous dire et nous voyons rarement.

Le monastère Goritski, photo Alexandrina Viguilianskaïa 

La rivière Troubej  photo Alexandrina Viguilianskaïa 


Le monastère Danilovski  photo Alexandrina Viguilianskaïa 
La rivière Troubej  photo Alexandrina Viguilianskaïa
Le lac Plechtcheïevo   photo Alexandrina Viguilianskaïa 
La Belle Place   photo Alexandrina Viguilianskaïa 

jeudi 2 novembre 2017

Les tombes où je n'irai pas cracher

En ce lendemain de la toussaint 2017, j'aimerais aussi honorer les morts sur la tombe desquels tant de gens vont encore cracher, au nom de leur idéologie indécrottable et de leurs illusions néfastes, comme le fait le libéralisme mondialiste et ses médias complices sur les victimes du Donbass. Je suis tombée sur un témoignage de plus, au fil des commentaires de Facebook, et ces témoignages, j'ai décidé de les rassembler petit à petit, ça et là, ceux de mes amis, ceux qu'on trouve au fil des articles, des livres, pas chez Soljenitsyne, mais un peu partout, j'en voyais même passer dans l'émission lacrymale "Жди меня", "attends-moi", où des gens venaient rechercher des parents disparus avec l'aide de la télé, et Dieu sait qu'en Russie, le réservoir était inépuisable, entre la révolution, les répressions et la guerre. La veille de mon départ, j'ai demandé à mon père Valentin ce qu'il pensait des remises en question des témoignages de Soljenitsyne lui-même, des calomnies dont on le couvrait: "C'est n'importe quoi, m'a-t-il répondu. Il avait raison."
Voici donc le témoignage d'enfants qui avaient trouvé asile en Tchéquie et racontaient leurs odyssées dans une rédaction, juste après la révolution:

Le 12 décembre 1923, dans toutes les classes du lycée Russe fondé en Tchéquie, pour les enfants des soldats blancs et des émigrés, fut proposé à ceux qui en faisaient partie le sujet « mes souvenirs de l’année 17, avant mon entrée au lycée ».  Le temps imparti pour ce travail était de 2 heures, raison pour laquelle il ne fut en majorité pas terminé… Chacun écrivit ce qu’il voulait. Les participants étaient d’origines les plus diverses. Il y avait parmi eux beaucoup de cosaques, surtout du Don, des natifs des capitales, Kiev, Odessa, du Caucase, de Crimée, de Sibérie etc.  Les autres sont arrivés plus tard, par tous les moyens bons ou mauvais. Les auteurs ont de 6 à 22 ans. Un tiers d’entre eux sont des fillettes – J’ai vite vu comment on découpait les gens. Papa m’a dit : « Allons-nous en, Marc, tu es trop petit pour voir ça ». - Notre vie a en quelque sorte tout de suite basculé. et tout a dégringolé vers le bas. – Le sang russe a vite commencé à couler, mes proches sont morts sans une plainte, sans malédictions ni récriminations. – Je suis le seul de la famille à m’en être sorti. – C’est comme ça que j’ai su que c’était la révolution. Dans une petite maison, on avait jeté une bombe. Je me suis précipitée là bas. Tout s’écroulait. Dans un coin gisait une femme. A côté delle son fils, les jambes arrachées. J’ai tout de suite su ce qu’il fallait faire, car j’aimais le scoutisme. J’ai envoyé mon petit frère chercher un cocher, j’ai bandé les blessés, comme je pouvais…Le plus affreux dans la révolution, ce sont les blessés. On ne leur donnait jamais rien à manger. Il nous fallu, à nous les enfants, réunir de l’argent pour leur acheter du pain. –Tout était devenu gratuit, et il n’y avait rien. – Un commissaire est venu, il a frappé sa botte de sa cravache et nous a dit : « Qu’il n’y ait plus trace de vous dans les trois jours ». C’est comme ça que nous sommes partis de la maison. – On nous a chassés sept fois de nos appartements. .- Nous avions beaucoup d’affaires, et nous devions les transporter nous-mêmes. J’étais alors très petite, et je me suis réjouie, quand les bolcheviques nous ont tout pris. – Nous vivions alors à la recherche de pain…- Je vendais alors sur les marchés. On restait debout, les pieds gelés, on avait faim jusqu’à la nausée, mais il n’y avait rien à faire. – Quand ma deuxième sœur a aussi attrapé le typhus, je suis allé vendre des journaux. Il fallait se nourrir. – On a fusillé notre père, tué notre frère, son gendre s’est tué lui-même. – Mes deux frères sont morts. – On a tué ma mère, mon frère et ma sœur. On  a tué mon père et torturé ma mère par la faim… On a emmené mon oncle, ensuite on l’a trouvé dans l’une des fosses, il y en avait là bas beaucoup. – Mon père est mort du typhus, et nous avons commencé à manger des patates pourries.  – on a tué mon oncle, parce qu’il avait le même nom, c’est ce qu’ils ont dit eux-mêmes. – J’ai compris ce qu’était la révolution quand on a tué mon gentil papa. – Nous étions six, je suis resté seul. – Papa a été fusillé parce que c’était un médecin.  Papa est mort du typhus abdominal, on ne l’avait pas admis à l’hôpital, et notre famille est tombée en perdition.  – On a fusillé mon père, parce qu’il y avait près de la ville paraît-il des troupes. – Chez nous, grand-père et grand-mère sont morts de faim, et notre oncle est devenu fou. – Cette année, j’ai perdu mon père et ma mère. – On a emmené quatre fois mon frère pour le fusiller, afin de l’effrayer, il a fini par mourir d’une congestion cérébrale. – Nous nous sommes nourris six mois avec des orties et des espèces de racines. – Chez nous, on avait comme partout des « Ouvrez !» autoritaires, des perquisitions pillardes, des maladies, la famine, les exécutions. – C’était très dur. Maman qui était belle, brillante, toujours élégante était devenue toute petite et très bonne. Je l’ai aimée encore plus. -  J’ai vu à 11 ans et des fusillades, et des pendaisons, une noyade et même un roué. – Tous nos réalistes sont morts. Personne nest revenu à la maison. Ils ont tué aussi mon frère. – Pendant ces années, j’ai tellement pris l’habitude de la mort que maintenant, elle ne me fait plus aucun effet. – Je suis allée à la prison, j’ai demandé qu’on n’égorge pas papa, qu’on m’égorge plutôt moi. Ils m’ont chassé. – Le médecin venait, et montrant maman, il demandait : « Elle n’est pas encore morte ? » J’étais couché à côté et j’écoutais cela chaque jour, matin et soir… - J’ai vu des montagnes de blessés qui ont agonisé trois jours sur la glace. – Ils ont enfermé mon papa dans une cave pleine d’eau. On ne pouvait pas y dormir, ils se tenaient tous debout. A ce moment-là, maman est morte, et bientôt papa est mort aussi…- Ses parents se cachaient. La faim les obligea à envoyer leur fils chercher du pain. Il fut reconnu et arrêté. Ils l’ont tourmenté toute une semaine : ils lui coupaient la peau, lui cassaient des dents, lui brûlaient les paupières avec des cigarettes, exigeant qu’il livre son père. Il a tout supporté, n’a pas lâché un mot. On a retrouvé au bout d’un mois son cadavre incroyablement défiguré. Tous les enfants de notre ville venaient le voir. La Tchéka s’était installée dans la maison de mes parents. Quand on a chassé les bolcheviques, j’ai parcouru les pièces méconnaissables de notre maison natale. Je lisais les notes des fusillés, tracées à la dernière minute. J’ai trouvé une mâchoire, arrachée à quelqu’un, la petite chaussete chaude d’un nourrisson, une tresse de jeune fille, avec un morceau de viande. Le plus affreux se trouva dans nos granges. Elles étaient toutes remplies jusqu’au toit de cadavres torturés. Sur le mur de la cave, on avait griffé ces dernières paroles : « Seigneur, pardonne… » - Le jour, on nous tuait, et à la faveur de la nuit, on nous ensevelissait. Elle était la seule à nous recevoir tous. S’en allaient les propres et les sales, les rouges et les blancs, apaisant leurs cœurs jeunes mais trop vite vieillis. Leurs âmes s’en allaient vers le trône du Seigneur. Il fera justice à tout le monde. – On se moquait de moi disant que j’étais né sous le feu des mitraillettes. Elles tiraient, il est vrai, chez nous presque chaque jour. – J’errais tout seul et je vis comment dans un village, on avait mis une selle sur le dos d’un prêtre de 80 ans  et on le chevauchait. Ensuite, on lui arracha les yeux et pour finir, on le tua.  – A la fin, je tombai moi-même à la Tchéka. On y fusillait dix personnes par nuit. Avec mon frère, nous savions que ce serait bientôt notre tour, et nous avons décidé de nous enfuir. Nous avons convenu au sifflet de tous nous enfuir chacun de notre côté. Nous n’avons pas eu longtemps à attendre. La nuit, on nous a fait sortir et on nous a emmenés. Et nous faisions semblant de rien, nous riions, plaisantions, nous quittâmes le chemin pour la forêt. Quelqu’un a sifflé et nous nous sommes tous égayés. Quelqu’un a été blessé, nous les avons entendus l’achever. Neuf s’en sont tirés. Il nous a fallu longtemps souffrir de la faim. Je suis resté un mois entier dans une cave sombre…

(D’après le matériel du livre du professeur V.V. Zenkovski « Souvenirs de 500 enfants russes » Prague 1924.)


 A ceux qui justifient ces choses avec de mauvaises raisons, et notamment "la fin justifie les moyens" ou "on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs", "il ne faut pas désespérer Billancourt", "c'étaient de vilains koulaks ou de vilains popes", je répondrai par l'opinion de Dostoïevski, qui avait pressenti tout cela: le bonheur de l'humanité ne vaut pas une seule larme d'enfants. combien de larmes d'enfants ont-elles été versées à l'occasion? Et en fin de compte, pour quel bonheur?



12 декабря 1923 г. во всех классах Русской гимназии, созданной в Чехии, для детей белых воинов и эмигрантов, было предложено учащимся написать "Мои воспоминания с 1917 года до поступления в гимназию". Для исполнения этой работы было дано 2 часа, почему большинство её не закончило... Каждый писал, что хотел. По происхождению своему учащиеся оказались принадлежащими к самым разным слоям. Среди них очень много казаков, особенно донцов, есть уроженцы столиц, Киева, Одессы, Кавказа, Крыма, Сибири и т.п. Остальные всеми правдами и неправдами пробрались позже. Авторам от 6 до 22-х лет. Одна треть из них девочки.— Я скоро увидел, как рубят людей. Папа сказал мне: "Пойдем, Марк, ты слишком мал, чтобы это видеть". — Жизнь как-то сразу у нас покачнулась, и всё покатилось по наклонной плоскости... — Скоро начала литься русская кровь, мои близкие умирали без стона, без проклятий и жалоб. — Я уцелел только один из всей семьи.— Я так узнала революцию. В маленький домик бросили бомбу. Я побежала туда. Всё осыпалось. В углу лежала женщина. Рядом её сын с оторванными ногами. Я сразу сообразила, что нужно делать, т.к. увлекалась скаутизмом. Я послала маленького брата за извозчиком, перевязала раненых, как могла... Самое ужасное в революции — раненые. Их никогда не кормили. Приходилось нам, детям, собирать им деньги на хлеб.— Всё стало бесплатно и ничего не было. — Пришел комиссар, хлопнул себя плеткой по сапогу, и сказал: "Чтобы вас не было в три дня". Так у нас и не стало дома. — А нас семь раз выгоняли из квартир. — У нас было очень много вещей, и их нужно было переносить самим. Я была тогда очень маленькой и обрадовалась, когда большевики всё отобрали... — Жили мы тогда в поисках хлеба... — Торговал я тогда на базаре. Стоишь, ноги замёрзли, есть хочется до тошноты, но делать нечего. — Когда и вторая сестра заболела тифом, пошел я продавать газеты. Нужно было кормиться...— Нашего отца расстреляли, брата убили, зять сам застрелился. — Оба брата мои погибли. — Мать, брата и сестру убили. — Отца убили, мать замучили голодом... Дядю увели, потом нашли в одной из ям, их там было много. — Умер папа от тифа, и стали мы есть гнилую картошку. — Моего дядю убили, как однофамильца, сами так и сказали.— Я поняла, что такое революция, когда убили моего милого папу. — Было нас семь человек, а остался я один. — Папа был расстрелян за то, что он был доктор. — Умер папа от брюшного тифа, в больницу не пустили, и стала наша семья пропадать. — Отца расстреляли, потому что были близко от города какие-то войска. — У нас дедушка и бабушка умерли от голода, а дядя сошел с ума. — За этот год я потерял отца и мать...— Брата четыре раза водили на расстрел попугать, а он и умер от воспаления мозга... — Мы полгода питались крапивой и какими-то кореньями. — У нас было, как и всюду, повелительное: "Открой!", грабительские обыски, болезни, голод, расстрелы. — Было очень тяжело. Мама из красивой, блестящей, всегда нарядной, сделалась очень маленькой и очень доброй. Я полюбил её ещё больше.— Видел я в 11 лет и расстрелы, и повешения, утопление и даже колесование. — Все наши реалисты погибли. Домой не вернулся никто. Убили и моего брата... — За эти годы я так привык к смерти, что теперь она не производит на меня никакого впечатления. — Я ходил в тюрьму, просил не резать папу, а зарезать меня. Они меня прогнали. — Приходил доктор, и, указывая на мою маму, спрашивал: "Ещё не умерла?" Я лежал рядом и слушал это каждый день, утром и вечером...
— Я видел горы раненых, три дня умиравших на льду. — Моего папу посадили в подвал с водой. Спать там было нельзя. Все стояли на ногах. В это время умерла мама, а вскоре и папа умер...— Его родители скрывались. Голод заставил послать сына за хлебом. Он был узнан и арестован. Его мучили неделю: резали кожу, выбивали зубы, жгли веки папиросами, требуя выдать отца. Он выдержал всё, не проронив ни слова. Через месяц был найден его невероятно обезображенный труп. Все дети нашего города ходили смотреть.Чека помещалось в доме моих родителей. Когда большевиков прогнали, я обошла неузнаваемые комнаты моего родного дома. Я читала надписи раcстрелянных, сделанные в последние минуты. Нашла вырванную у кого-то челюсть, теплый чулочек грудного ребенка, девичью косу с куском мяса. Самое страшное оказалось в наших сараях. Все они доверху были набиты растерзанными трупами. На стене погреба кто-то выцарапал последние слова: "Господи, прости..." — Днём нас убивали, а под покровом ночи предавали земле. Только она принимала всех. Уходили и чистые и грязные, и белые, и красные, успокаивая навсегда свои молодые, но рано состарившиеся сердца. Души их шли к Престолу Господнему. Он всех рассудит..— Надо мной смеялись, что я вырос под пулемётным огнем. Стреляли, по правде, у нас почти каждый день. — Я бродил один и видел, как в одном селе на 80-тилетнего священника надели седло и катались на нём. Затем ему выкололи глаза и, наконец, убили. — Наконец я и сам попал в Чека. Расстреливали у нас ночью по 10 человек. Мы с братом знали, что скоро и наша очередь, и решили бежать. Условились по свистку рассыпаться в разные стороны. Ждать пришлось недолго. Ночью вывели и повели. Мы ничего, смеёмся, шутим, свернули с дороги в лес. Мы и виду не подаём. Велели остановиться. Кто-то свистнул, и мы все разбежались. Одного ранили, и мы слышали, как добивают. Девять спаслось. Голодать пришлось долго. Я целый месяц просидел в тёмном подвале...

(Использованы материалы книги профессора В.В. Зеньковского, "Воспоминания 500 русских детей",Прага , 1924 год.)-На заставке жертвы Сибирского ЧК(Иркутск.)


Toussaint

A mon arrivée de Russie, à Lyon, m'attendait ma soeur, et nous sommes allées selon notre coutume, dans un restaurant à Vienne. Que la France me paraissait jolie, mignonne, le résultat d'un art de vivre millénaire, et pour combien de temps existera-t-elle encore? Le long de la route, dans la douce lumière, chatoyaient des feuillages d'un rouge profond ou d'un jaune éclatant. Certains restaient verts encore, mais d'un vert épuisé, très pâle qui tranchait avec celui, soutenu, des conifères. Nous sommes allées en vitesse déposer nos chrysanthèmes sur nos tombes, pour être sûres que cet honneur serait rendu dans le fil de mon court séjour. Et nous avons pris les allées de ce cimetière d'Annonay que du plus loin que mes souvenirs remontent, j'arpentais le 1° novembre, quand maman m'emmenait prier pour mon père. Et le voici, ce caveau qui m'intriguait dans mon enfance par son silence et son hermétisme: c'était là que reposait celui que j'aurais appelé papa s'il avait vécu, que j'appelais papa quand même, d'ailleurs, et je l'appelle toujours ainsi. J'ai déposé mon bouquet, il semble que je sois la seule à le faire encore, sur ce caveau oublié où il n'avait rien à faire, où on n'avait pas prévu de coucher un jeune homme. J'ai ensuite salué les deux Russes de la famille Chenet, Stoliaroff et Skliaroff, et laissé mon deuxième hommage devant le tombeau de mon grand-père: ici reposent ceux qui m'étaient le plus chers et que j'avais si peur de perdre, quand j'étais petite: maman, papi et mamie, mes tantes... Sur les cinq jolies filles Pleynet, deux sont encore parmi nous, Mano et Renée. Deux magnifiques chrysanthèmes attendaient le nôtre, et à leur couleur ocrée, j'ai reconnu que c'était Mano qui les avait choisis, car c'est sa teinte de prédilection.
Le cimetière était la proie d'une inhabituelle animation. Les Annonéens, comme autrefois, s'y retrouvaient pour s'y congratuler. Tous les caveaux étaient abondamment fleuris, ce qui donnait aux lieux quelque chose de festif, tant de couleurs, comme de calmes feux d'artifices sur les pierres et au pied des croix, à l'ombre des vénérables cèdres, immenses, séculaires. Beaucoup de noms nous disaient quelque chose, sur ces dalles grises, des noms que prononçaient couramment nos grands-parents, des gens qui étaient des connaissances ou des cousins. Dans les années 70, tout ce folklore funéraire local faisait ricaner la jeune génération de ma famille, mais nous avions tort, nous étions contaminées par les conneries de notre temps, il y a dans ces retrouvailles au chevet des morts une profonde justice et une grande consolation. Le respect des morts va avec celui de la vie et l'attention au devenir des âmes.
Au retour, nous avons parcouru la ville, qui avait autrefois un charme mélancolique, mystérieux, et que la modernité et des édiles grossiers ont bien défigurée, et cela depuis longtemps, puisque mon grand-père avait assisté à l'assassinat d'une église romane du XII° siècle au début du XX°... Mais nous en reconnaissions des endroits, des atmosphères.
La veille, j'avais bu un coup avec le père Valentin et une amie russe exilée en Allemagne. Le père Valentin rayonnait de joie malicieuse, et je retrouvais l'ambiance des premières soirées que j'avais passées dans la famille Asmus, quand j'en avais fait la connaissance. "Père, lui dis-je tout à coup, il me semble que votre matouchka Inna va soudain apparaître, avec son fauteuil, dans votre cuisine..."
Il hocha la tête en souriant: "Mais elle est là, elle est là, n'en doutez pas!"
Vieille carte postale d'Annonay

vendredi 27 octobre 2017

Pink Floyd

Ca y est, j'ai tous les certificats médicaux, plus l'invitation. On m'a fait une invitation papier, pour être bien sûr que la transcription de mon nom sur le visa sera bien la même à la lettre près que sur la traduction officielle de mon passeport et sur les autres papiers, parce que sinon, des fonctionnaires zélés refusent la demande.
Ilya avait des courses à faire, et nous avons traîné tout l'après midi à Iaroslavl, pour finir dans un self service avec un businessman assez maladif qui ne mange que des légumes crus. Il fait des affaires avec la Tchécoslovaquie et la Bulgarie. "Laurence est une Française qui s'installe en Russie, lui dit Ilya.
- Vous avez raison, on est très bien en Russie, en Europe, ils ont plus de SDF que nous, j'en vois partout..."
Puis nous avons philosophé au retour, et écouté Pink Floyd, dont Ilya est amateur. Je replongeais dans cette étrange musique, que j'écoutais en fumant des joints avec mes copines dans les appartements parisiens des années 70, et qui me revenait, sur la route nocturne de Yaroslavl. C'est beau, hallucinogène. On est emporté dans une sorte d'état hypnotique par des sons qui deviennent de plus en plus bizarres et intrigants, proches et lointains, cristallins ou sourds, et tout à coup, au bout de ces marches à la lisière des mondes, on revient à soi, à la réalité, à une sorte de réalité. Où s'en est-on allé tout ce temps? Derrière qui avons nous cheminé?
Il me semble que Pink Floyd, c'est la musique classique de notre fin de siècle européenne. Quel contraste avec la Russie qui m'entoure de toutes parts... Cela me rappelle le jour où j'écoutais Charles Trenet dans ma voiture, en revenant de Pereslavl, et où j'ai eu tout à coup envie de pleurer: aurais-je pu croire autrefois qu'un jour Charles Trenet me tirerait des larmes?
Ilya attend avec impatience que Poutine se déclare candidat. Il ne veut pas du tout de changement et considère les ados fans de Navalny comme des petits cons qui n'ont pas connu le désastre de la Perestroïka et des années 90: "Nous avons enfin un peu de stabilité, ce n'est pas pour la perdre. Les gens ont vécu des moments très difficiles, ils arrivent à avoir un petit quelque chose à soi, et il faudrait tout bouleverser?"
Comme beaucoup de Russes, il ne comprend pas la permanence dans les structures de l'Etat de nuisibles et de traîtres évidents que tout le monde déteste.

La route de Yaroslavl

jeudi 26 octobre 2017

La mort éternelle

Expédition avec Ilya à Yaroslavl pour constituer ma collection de certificats médicaux. Nous sommes partis à six heures du matin, en chemin tempête de neige. Nous allons d'abord au centre de dépistage du SIDA où nous recevons une liasse de papiers à remplir et couvrir de tampons au cours de la journée. Pas de queue, je suis passée première, l'infirmière n'était guère aimable, mais la prise de sang ne m'a pas fait mal.
Ensuite et ailleurs, analyses d'urine pour dépister les maladies vénériennes, de type syphilis, et radio des poumons pour la tuberculose. Là, infirmière très aimable qui me couvrait de mots caressants comme si j'avais cinq ans.
Puis au diable vauvert, autre dépistage, prélèvement de sang par une piqûre au doigt, que l'on vous presse ensuite pour faire sortir la quantité souhaitée. Supportable...
Passage au rez-de chaussée chez un dermatologue vénérologue, tout content de voir arriver une Française, et qui me fait un prélèvement dans le nez pour savoir si j'ai la lèpre!
Tout cela nous a pris beaucoup de temps, j'étais très fatiguée, d'autant plus que je débute une sinusite, mais cela aurait pu se passer beaucoup plus mal. A Moscou, obtenir un permis de séjour est un vrai challenge, et le centre est à 60 km dans la cambrousse.
Nous devons retourner demain chercher les résultats et peut-être mon invitation, si le stylo du chef est arrivé jusqu'à elle pour la signer. Sinon, Ilya qui a des choses à faire à Moscou, me l'apportera mardi. Car moi aussi, j'ai des choses à faire à Moscou, notamment me faire enregistrer au consulat pour pouvoir prouver au Crédit Agricole que je ne suis pas SDF...
Au retour, Ilya me racontait qu'il avait connu le "tabor" de mes deux tsiganes de la patisserie. Sa grand-mère habitait à côté, et il jouait avec les petits tsiganes, ce qui inquiétait beaucoup la vieille femme. Au point qu'elle était allée trouver le chef, un barbu intimidant aux yeux de braise, et lui avait déclaré: "Je te préviens, si tu touches à Ilioucha de quelque manière que ce soit, je te maudirai de telle façon que je te garantis la mort éternelle!"
Cette grand-mère était la fille d'un paysan aisé qui ne se consolait pas de ne pas avoir de fils, et chaque fois que sa femme accouchait, il lui disait: "Nioura, tu m'as encore fait une bonne femme, qu'est-ce que je vais en faire?"
La grand-mère connaissait de nombreux contes slaves complètement païens, tout cela coexistait si bien, que près de la source de sainte Barbara, un arbre était toujours surchargé de rubans, vieille coutume consistant à en nouer un aux branches en faisant un vœu. Le prêtre de l'église voisine conspuait cette habitude dans ses sermons, et tout le monde l'approuvait, avec des hochements de tête pleins de vénération, mais chaque fois qu'il venait à la source et à la chapelle, il trouvait l'arbre imperturbablement enguirlandé.
Ce qui n'empêchait pas la grand-mère d'Ilya de considérer les tsiganes comme des païens...
Elle connaissait aussi des chansons, ce que j'ai vainement cherché dans mon village de Krasnoïé. Ilya m'a dit qu'il essaierait de me trouver des vieux qui pourraient m'en transmettre.
Ilya m'a rapporté que chaque village avait sa rebouteuse, considérée comme une sorcière que l'on craignait, mais on allait la trouver plus volontiers que le médecin. Ces femmes étaient aussi accoucheuses. Cela correspond parfaitement au portrait que je trace de la tante Frossia, étrange servante, guérisseuse et accoucheuse de Fédia Basmanov, dans mon livre. Servante n'est peut-être même pas le mot juste, car ils sont quasiment collègues et son office de servante est très secondaire.
J'ai eu la flemme d'aller faire les courses,  pas de pâtée pour les chats, ce sera croquettes pour tout le monde. Je n'ai moi-même pas grand chose à manger. Je suis fatiguée et à l'horizon, le départ qui s'approche...

mardi 24 octobre 2017

Locataire

Nadia la chevrière
Rosie a retrouvé sa copine Nadia avec ses chèvres et sa brebis. Elle est avec elles pleine d'une déférence à laquelle je n'ai pas droit. Nadia, malgré le temps, sort son troupeau autant qu'elle le peut, car ce petit monde a pour elle le statut d'animaux de compagnie et elle a pitié de leur ennui hivernal qui va commencer.
Rosie s'est calmée depuis sa stérilisation et son accident. Elle vit essentiellement dehors, car je crois qu'elle a trop chaud et déteste être enfermée. Elle garde la maison, salue ceux qu'elle aime bien, elle mène sa vie.
C'était aujourd'hui l'anniversaire de Lika, la femme de Gilles, au café. Didier avait fait un fraisier, dans la précipitation, car on l'avait prévenu trop tard, et Maxime ne lui a livré les fraises qu'à une heure de l'après-midi, pour cause d'embouteillages à la sortie de Moscou. Didier râlait donc avec une énergie particulière.
Malgré ses invectives colorées, il est juste, et malgré ses déclarations fracassantes, il prend pas mal de choses en considération. Il n'aime pas qu'on se fiche de lui, et qu'on ne reconnaisse pas ses torts, mais de son côté, il reconnait les mérites quand ils existent.
Au café, je me suis retrouvée avec Didier, Gilles et Maxime, en train de discuter avec lyrisme, comme tous les Français, de bouffe, de restaurants, de vins et de pâtisseries. Maxime nous racontait que d'un certain restaurant françaisde Moscou, il était ressorti en tremblant de tout son corps, tellement le repas qu'il y avait fait avec sa femme était délicieux. Il avait même photographié les plats et nous les montrait avec émotion! En face, Didier me rappelait Gabin dans le Tatoué, par ses descriptions de plats régionaux, et j'avais l'impression de m'être déplacée dans l'espace, en France, et dans le temps, les années 60...
La dame qui s'occupe du café, une intellectuelle encore jolie prénommée Alla, était en recherche d'un appartement, car elle est de Moscou, et n'a ici qu'une datcha d'été devenue glaciale et  inhabitable. Après l'avoir mise en relation avec Kostia, je lui ai proposé d'habiter chez moi en mon absence avec les chats, puisque je dois bientôt repartir pour un coup de visa. Mis au courant, le gentil Maxime m'a dit: "Oh, je suis convaincu qu'il faut toujours aider les autres, j'agirais sans doute comme toi, mais tu fais sûrement une connerie..."Alla est venue voir les lieux et m'a déclaré que la maison lui convenait parfaitement, qu'elle me verserait un loyer et y resterait jusqu'au printemps, quand sa datcha serait de nouveau habitable. J'étais un peu prise au dépourvu. Je lui ai objecté que je recevais parfois des gens, que je planifiais d'héberger mes trois joueurs de gousli: "Pas de problèmes, il y a la place, j'adore le folklore. Vous pourrez partir sans vous soucier de vos animaux, et moi je suis tranquille jusqu'au printemps... Pourquoi ne pas rentabiliser votre moitié de maison?"
Bon. Eh bien me voici avec une locataire... en réalité, c'est vrai que pouvoir laisser mes animaux m'arrange bien, je finirai le coin cuisine salle de bains pour qu'Alla ait son indépendance, et elle n'est là que pour les mois d'hiver...

Le fraisier