A la dernière conférence
internationale au musée « AlexandrovskaïaSloboda », est venue en
qualité d’invitée Laurence Guillon, Française de souche qui est devenue
orthodoxe, s’est installée dans la ville voisine de Pereslavl Zalesski et écrit
un roman sur le premier tsar russe Ivan le Terrible. Nous avons conversé avec elle
sur ce qui pousse des étrangers à déménager en Russie et ce qui différencie les
taxis russes des taxis français.
— Vous êtes née et avez vécu en France, mais pour certaines raisons,
vous avez décidé de déménager en Russie. C’est pour toujours ?
—
Je veux vivre ici tout le temps. J’ai pour cela différentes raisons. L’une d’entre
elles, c’est mon intérêt pour la Russie. J’ai eu connaissance de ce pays quand
j’avais quinze ans. Jusqu’alors, je m’intéressais à la Grèce antique, et un peu
à l’orthodoxie grecque, il y avait donc quand même un enchaînement logique dans
mon enthousiasme pour la Russie. Après la lecture de Dostoïevski, j’eus
le désir de me convertir à l’orthodoxie, ce que je fis à l’âge de dix-neuf ans.
J’appris le russe moi-même puis à la fac. A un moment, cet intérêt faiblit et je m’en allai même en
Amérique, mais l’Amérique me déçut et je revins à la Russie. Et en 1990, je fus
invitée en Russie par le cinéaste et historien Viatcheslav Lopatine, avec
lequel j’étais amie. Je participai à l’expédition « sur les traces de
Radichtchev » de Pétersbourg à Moscou. Il y avait là des députés du
Mossoviet, des journalistes, des acteurs, tout ce qu’on voulait et moi (rire).
Et dans chaque petite ville, je devais prononcer des discours. Cette expédition
me conduisit définitivement à déménager en Russie. Je trouvai du travail au lycée
français de Moscou, où je travaillai 16 ans. Je me russifiai complètement et ne
voulais pas revenir en France. Mais ma mère tomba malade et je dus prendre ma
retraite pour aller la rejoindre. Quand maman mourut, le père spirituel du
monastère orthodoxe que je fréquentais me dit que je devais retourner en
Russie. Je connais un moine français orthodoxe, le père Basile Pasquiet, de France,
qui est maintenant devenu archimandrite au monastère de la Sainte Trinité de la
ville de Tcheboksary. Il me disait que je devais partir, parce que la Russie
était notre dernière arche. Et voilà comment j’ai décidé de partir. Il y a un
an, j’ai commencé à me faire établir avec bien des difficultés un permis de
séjour, après avoir acheté une maison à Pereslavl.
— Et
pourquoi avoir choisi Pereslavl et pas une autre ville ?
— Je
suis artiste peintre, j’aime faire des aquarelles. Et quand je travaillais au
lycée français, je voulais partir quelque part en vacances et appris qu’il y avait
une maison de repos pour les artistes peintres à Pereslavl. J’y suis venue et j’ai
adoré la ville. Les monastères étaient alors en piteux état, maintenant, ils
sont restaurés mais la ville se dégrade. Malheureusement, depuis lors, la ville
a été bien abîmée. Cela m’irrite de voir comment on détruit tout ce qui est ancien et
beau. Et l’on construit du monstrueux et du moche, du prétentieux même pas
russe. Cela me cause un vrai chagrin. Cela m’attriste que les gens ne
connaissent déjà plus leurs traditions, leur folklore, oublient leurs ancêtres.
Mais cela se produit dans le monde entier. C’est une espèce de processus satanique.
Pourtant,
j’aime Pereslavl, j’aime le lac. Et ensuite,
Ivan le Terrible, c’est mon sujet. Ici, les gens sont bienveillants. Et ce n’est
pas si loin de Moscou, où j’ai mes principaux amis et mon père spirituel.
— Une
autre raison de votre déménagement en Russie est d’après vous la situation en
Europe.
— Je vois comment la France se détruit. On nous dit que ce sont des réfugiés, mais la proportion de réfugiés est petite. Ce sont des jeunes Africains agressifs. Et c’est pour moi tout simplement une invasion. Je pressens que nous aurons bientôt le Kossovo à l’échelle européenne. Et je ne veux pas voir ça.
— Je vois comment la France se détruit. On nous dit que ce sont des réfugiés, mais la proportion de réfugiés est petite. Ce sont des jeunes Africains agressifs. Et c’est pour moi tout simplement une invasion. Je pressens que nous aurons bientôt le Kossovo à l’échelle européenne. Et je ne veux pas voir ça.
— Et
vous parlez de cela dans le blog « les chroniques de Pereslavl » que
vous tenez en français, en premier lieu pour vos anciens compatriotes ?
— Je
leur fais part de mon expérience de vie à Pereslavl, de ce que j’observe en
Russie. Parfois, j’y évoque aussi la France, je compare et j’établis des
parallèles. J’ai depuis longtemps remarqué combien on mentait effrontément sur
la Russie. On peut considérer Poutine comme on veut, mais ce n’est ni Hitler,
ni Staline. Et quand j’ai entendu parler de cette histoire du Donbass, j’ai vu
qu’on mentait encore. Je me suis mise à traduire en français le matériel que je
trouvais sur cette situation. Et voilà que j’ai vu que je faisais partie d’une
liste noire établie par une journaliste française, en qualité d’agent financier de Poutine ! Je n’ai jamais su gérer
mon argent, j’en perds sans arrêt, mais je suis devenue agent financier de
Poutine ! (rire).
— Vous
écrivez un livre sur le premier tsar russe. Pourquoi votre choix est-il tombé
sur ce souverain russe ? Pourquoi pas, par exemple, Alexis le Paisible,
Pierre I ou Nicolas II, mais précisément, Ivan le Terrible ?
— J’étais
très jeune quand j’ai découvert Ivan le Terrible. J’avais vu une émission à la
télé française, dans laquelle il y avait des extraits du film d’Eisenstein. J’étais
absolument envoûtée. Je lus une biographie d’Ivan le Terrible, mais c’était un
catalogue d’atrocités, commises soi-disant sous Ivan le Terrible. C’était pour
moi comme un conte terrifiant. Et je commençais à inventer mes propres contes
sur ce thème. J’ai même écrit un premier roman, que j’ai malheureusement édité
et qui est heureusement passé inaperçu. Je rejette à présent complètement cette
première édition. J’ai écrit un deuxième roman et quand je suis revenue en
Russie, je l’ai pratiquement réécrit tout entier. Et je continue à le corriger.
Bien que ce soit un roman, je ne veux pas salir la mémoire de personnages que j’aime.
Je ne veux pas dire qu’Ivan le Terrible était un saint. Si le métropolite
Philippe ne lui a pas donné sa bénédiction, c’est qu’il avait de bonnes raisons
pour cela.
— Votre
venue à Alexandrov pour une conférence scientifique consacrée à l’époque d’Ivan
le Terrible, c’est pour votre livre ?
— C’est
pour le livre et parce que je m’intéresse à cette époque. J’ai l’impression que
les personnages de mon roman vivent avec moi. A Pereslavl, tout me rappelle
Ivan le Terrible. Je vais à la liturgie au monastère saint Théodore et je me
dis : bonjour, tsar Ivan, voilà, je suis ici, dans ton monastère. Je sais
qu’Ivan a construit cette église, qu’il y venait souvent, et aussi au monastère
saint Nicétas. Il me semble que ces gens
m’ont adoptée, que je fais partie de la
famille, aussi étrange que cela puisse paraître. Je ne sais pas pourquoi cela
me fascine à ce point, peut-être parce que c’est vraiment un monde fabuleux et
un personnage fabuleux. Un personnage
très russe, tiré à la fois d’un roman de Dostoïevski et d’un conte. C’est à la
fois effrayant et très beau. Je suis sûre que les gens d’autrefois vivaient
dans une beauté que nous ne pouvons même pas nous imaginer. L’architecture de
bois, les églises, le carillon incessant des cloches, et partout des gens qui
chantent. Je suis sûre que le tsar lui-même chantait. J’ai remarqué que je m’ennuyais
parfois avec des intellectuels qui me font des conférences. Mais quand je suis
avec mes cosaques et mes ethnomusiciens, je me sens bien, parce qu’ils parlent
peu et chantent beaucoup. Et quand nous
chantons ensemble, c’est une sorte de miracle. Ces gens-là ne s’ennuient jamais. Ils trouvent leur conjoint dans ce milieu et élèvent leurs
enfants dans cet esprit. Et c’est déjà comme s’ils étaient sauvés. C’est l’esprit et l’âme de la Russie. C’est ce que nous avons perdu en occident. Et c’est
l’une des principales raisons de mon retour, tout cela me manque. C’est pour moi
comme une source vive..
— Il vous est plus facile de vivre avec les Russes qu’avec vos
compatriotes ?
— Oui,
les Russes sont plus naturels, plus sincères, ils ont plus de largesse d’esprit et ils ont conservé du lyrisme. Pour venir à
Alexandrov, j’ai pris un taxi et nous avons longuement discuté de l’avenir de l’humanité,
d’histoire, de politique. Je n’ai pas de
telles relations avec les taxis en France. Avec mon plombier, je parlais de saint
Théophane le Reclus. Avec les plombiers français, je n’ai jamais eu de telles conversations. Quand je suis venue acheter ma maison à
Pereslavl, le taxi m’a dit que j’avais bien fait, parce que sa ville était
imprégnée de prières. On ne me dira rien de tel en France, parce que personne
ne fait attention à cela, parce que la France est un pays athée.
— Vous
n’êtes pas la seule à représenter l’Europe à Pereslavl ?
— Il
y a encore un autre Français, le patron du café français. Il est marié avec une
Russe. Il a un pâtissier qui est venu travailler. Et c’est très amusant de le regarder,
car c’est un homme excellent et très professionnel, mais il a du mal à comprendre la Russie. Comme dans cette nouvelle de Leskov où un
Allemand voulait rééduquer les Russes. Là bas travaille une vieille tsigane,
elle me demande à son propos : il
ne se repose jamais ? Non, c’est un
professionnel, pour lui, le travail avant tout. Il me dit : le travail, c’est ma religion. La tsigane me dit : mais ici, on est en Russie ! Le
pâtissier ne peut comprendre que pour les Russes la santé et la famille passent d’abord, et ensuite le
travail. Je le comprends, parce que je suis archaïque. Je comprends qu’en
premier lieu, pour les Russes vient la communauté. Et les Russes ont besoin d’une
motivation forte, mais pas matérielle. La motivation matérielle, pour eux, c’est
ennuyeux. Et je suis moi-même comme cela. Je ne peux pas travailler que pour l’argent.
Je dois mettre mon âme dans mon travail. Comme les Russes.
Edouard
Yegorov pour "Ouïezdni Gorod", journal de la ville d'Alexandrov. traduit par mes soins.
http://www.alexnews.info/archives/21063
http://www.alexnews.info/archives/21063