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mercredi 15 novembre 2017

A l’éternelle liturgie paysanne de la terre nourricière ils ont opposé le jeu de l’absurde.

Paysans de la région de Vologda
photo Sergueï Prokhoudine-Gorski 1907

En complément de mon article sur le négationnisme néocommuniste, j'aimerais proposer cet extrait de la "Civilisation Orthodoxe" d'Alexandre Panarine, consacré à la paysannerie et à la collectivisation, à l'intérieur d'une vaste analyse du destin de la Russie et des problèmes actuels de notre monde, de la société marchande et du globalisme. Ce livre pénétrant et difficile (très difficile à traduire) me paraît profondément vrai. Je l'avais traduit sur la commande d'un moine du mont Athos et m'aperçoit d'ailleurs qu'il me faudrait encore le recorriger.
Car dans cette affaire, ce n'est pas sur la noblesse ou ce qu'on appelle, à tort en Russie, où elle était très peu présente, la bourgeoisie, ni même sur la classe intellectuelle que je m'apitoie le plus, c'est sur la paysannerie, exactement comme chez nous, d'ailleurs. Naturellement, je suis scandalisée par le sort fait à la famille impériale et à de nombreux nobles et officiers. A de nombreux marchands, qui n'avaient pas du tout la mentalité du riche ou du bourgeois occidental, comme on le voit dans le livre de Chmeliov "l'été du Seigneur". A de nombreux artistes remarquables qui ont quasiment tous eu un sort tragique, qu'ils aient ou non marché dans la combine révolutionnaire, un peu, beaucoup ou passionnément. Il n'y a pas d'écrivain, de peintre, de musicien ni de cinéaste de l'époque qui n'ait eu de plus ou moins gros problèmes, je le vois à chaque fois que je tombe sur un article biographique: Essénine, Goumilev, Akhmatova, Blok, Boulgakov, le peintre Korine, Mandeslstam, Tsvetaïeva, la chanteuse populaire Lydia Rousslanova, le grand chirurgien saint Luc de Crimée, le père Pavel Florenski, esprit encyclopédique qui pouvait apporter tant de choses à son pays, et combien d'autres... Même Eisenstein est mort à temps. Leur implication dans les événements était variable et parfois nulle, mais je garde à l'esprit que beaucoup, dans ces classes là, ont adhéré à ce qui se passait, exactement comme aujourd'hui nos bobos et notre presse font notre malheur, et contribué à brouiller la cervelle de foules plus simples. 
Le paysan, c'est l'âme d'un pays, c'est sa mémoire, sa longue, très longue mémoire, et c'est sur lui qu'on s'est acharné, sur lui et sur le chrétien, c'est d'ailleurs en russe quasiment le même mot. Contrairement à la légende colportée par la propagande et reprise impudemment de nos jours, c'est toute la paysannerie et non pas le "koulak" des immondes caricatures destinées à donner un permis de spolier et d'affamer tranquille, qui fut l'objet de la "sollicitude" prolétarienne de tous ces amis de l'humanité à revolver.
J'ai entendu plusieurs fois des communistes me justifier cette politique en partant du principe que "les paysans ne comprenaient rien à la révolution".
J'ai lu un commentaire expliquant que "sans cela, les villes seraient mortes de faim". En dehors du fait que c'est complètement faux et qu'une paysannerie qu'on laisse tranquille est tout à fait capable de nourrir les villes, cela signifie qu'aux yeux des tenants de cette thèse, peu importait de faire mourir toutes les campagnes si l'on  sauvait les précieux citadins.
Enfin d'autres commentaires déclarent que l'on exécutait des traîtres et que c'était parfaitement normal.
C'est-à-dire que toute l'élite intellectuelle russe, non seulement en émigration, mais restée sur place souvent au péril de sa vie, et devenue "soviétique" par la force des choses, les Essénine, Blok, Akhmatova etc, méritait le sort souvent abominable qui lui a été fait, et avec elle, les chrétiens orthodoxes et les paysans, fort nombreux. Que de traîtres, en Russie, décidément!
Cette tournure d'esprit me glace le sang: est un traître toute personne qui n'épouse pas la cause. Et démontre qu'en effet, le patriarche Tikhon avait raison d'accuser les commissaires du peuple d'avoir divisé le pays, c'est bien ce qu'ils ont fait, et pour longtemps. Car on peut toujours pardonner ce qui a été commis, et même il le faut, mais comment pardonner à celui qui ne reconnaît pas ses crimes, les justifie et se déclare prêt à recommencer?
Alexandre Panarine est profondément antilibéral, comme moi, slavophile, comme moi, croyant, comme moi. Il n'est pas communiste, et décrit la perversité du marxisme et ses effets sur son pays avec une grande lucidité. Cependant, il pense que la Russie avait plus ou moins digéré cet affreux truc, que la vie y était devenue supportable et qu'il n'aurait pas fallu y toucher, dans la mesure où l'on se décidait enfin à foutre la paix aux croyants, c'est une opinion que je partage. Se débarrasser du communisme pour se retrouver la proie des apparatchiks devenus oligarques et des chacals occidentaux n'était pas forcément gagner au change.
Dans l'état actuel des choses, je verrais même d'un bon oeil une nationalisation de tout ce qui est d'intérêt collectif et national, et pas seulement en Russie. Le communisme, malgré l'agressivité et l'aveuglement de ses nostalgiques ne me paraît pas actuellement un danger, car le serpent du totalitarisme progressiste matérialiste a une fois de plus mué et l'a abandonné comme une vieille peau, pour prendre sa forme peut-être la plus dangereuse, celle du libéralisme mondialiste néoconservateur. C'est-à-dire plus simplement du pouvoir des mafias, suite logique de l'assassinat des peuples organiques et homogènes, de la destruction de leur mémoire, de leur culture originale et de leur spiritualité.

La vie est une fête de la totalisation sensuelle, de l’accouplement et de la pénétration mutuelle, de l’ouverture permanente. La mort, au contraire, est le passage de la réunion organique au stade inférieur de la division en éléments isolés- à l’intérieur d’un corps donné comme au sein de ses relations au monde extérieur. Toute la culture actuelle économico centriste du change est fondée sur les présomptions d’une action intentionnelle, convenue à l’avance et de pointe – sans stimulation matérielle garantie elle ne marche pas. En ce sens, c'est un éloignement de la vie, car cette dernière consiste en une activité spontanée, qui se déverse hors de ses limites, qui pousse à travers tous les obstacles. La paysannerie et son amour pour la terre représentaient une spontanéité de cet ordre.
Comparez l’ancien type paysan que les commissaires bolcheviques ont mis tant d’énergie à combattre – ces eunuques du harem appelé propriété socialiste, avec les nouveaux « agraires » auxquels nous avons affaire aujourd’hui.  Son drame est celui de la vie elle-même, que l’on a tranchée, tronquée, déracinée, stérilisée. Les commissaires ont adopté la technologie de l’absurde, et à l’éternelle liturgie paysanne de la terre nourricière ont opposé le jeu de l’absurde.
Au début, dans la période d’excédent, ils prenaient au paysan, qui venait de recevoir sa terre, toute sa récolte. Le travail devenait par là même absurde. Ensuite, dans la période de la collectivisation, les commissaires nécrophiles, sous les yeux des paysans, vouaient à sa perte le blé qu’ils leur avaient enlevé, en l’arrosant comme il convient. Le bétail confisqué mourait de faim dans les parcelles collectives, les récoltes confisquées pourrissaient ou brûlaient. Ce théâtre de l’absurde, organisé avec une sombre et mauvaise jubilation de nécrophiles devant la vie profanée dura des décennies.
On semait du lin, seulement pour le récolter à l’automne et le brûler. Au temps de « l’épopée du maïs », sous Khrouchtchev, des superficies de terre étaient dévastées pour être occupée par le « roi des champs » qui trompait la science et ne donnait rien. Après la famine monstrueuse des années 30, qui avait commencée à la suite de la collectivisation générale, le pouvoir décida de céder momentanément à « l’instinct de propriété ». On accorda aux paysans de misérables parcelles de jardin, moins de 1% des surfaces cultivables du pays. C’était un petit oasis de vie dans le royaume de la scholastique socialo-bureaucratique mortifère. Et cet oasis nourrissait de ses sucs le pays exsangue, fournissant près de 40% de toute la production agraire. Mais cette petite revanche suscita aussitôt l’agitation et la haine des eunuques du communisme, qui commencèrent à exiger pour chaque poule élevée, chaque arbre fruitier planté un impôt qui excédait des dizaines de fois le « bénéfice » possible du paysan.
Le foyer paysan misérable était isolé et bloqué par tous les efforts d’une armée mobilisée de surveillants-expropriateurs. Il était interdit de mener le bétail au pré, on ne pouvait faucher pour le nourrir que dans des endroits peu commodes, au hasard, près des ravins, et encore en cachette, avec les coups d’œil traqués qui accompagnent les pratiques illégales et honteuses.  La réaction rationnelle à cette censure omniprésente et qui ne connaissait pas la pitié envers les manifestations de la vie eût été de tout laisser tomber, de partir à la ville et de passer dans les rangs de la bureaucratie et de la technocratie victorieuses.
Beaucoup le firent. La différenciation socialiste distingue et oppose deux parties de la paysannerie : celle qui, à la vie et au travail de la terre réels a préféré le « travail du texte »- l’activité bruyante d’innombrables activistes des jeunesses communistes, des propagandistes, des agitateurs, des organisateurs, des agents de terrain, des contrôleurs – et celle qui est restée fidèle à la vie même du peuple et au-delà de cela, à l’ordre cosmique. Quelle force vitale, quelle énergie de l’éros fallait-il pour continuer, dans les circonstances de la nécrophilie inlassable des commissaires, son affaire de paysan, qui transforme le corps et la volonté en un organisme cosmique, en l’expression de la nature opprimée, assiégée par la technosphère !
Dans la logique de la modernité, on pourrait évaluer la différenciation de la paysannerie asservie et l’expliquer par les critères de la « mobilité sociale ».
S’en allaient à la ville, en quittant la terre pour toujours, les plus mobiles, les plus adaptables, les plus réactifs aux appels de la modernité avec toute son « école du succès » rationaliste. Mais une réflexion contemporaine plus mûre  nous découvre des secrets inaccessibles à la sociologie traditionnelle. Selon quelque critère supérieur, ceux qui restaient sur la terre devraient être reconnus comme les meilleurs conservateurs du feu cosmique chancelant qui répond de la continuation de notre existence.
La question de ce que la campagne a donné à la ville industrielle se pose d’une nouvelle façon.  Du point de vue du positivisme sociologique, elle lui a simplement donné la masse physique d’une nouvelle force de travail. Du point de vue de la nouvelle métaphysique du cosmisme, elle l’a gratifié du type d’homme que la ville actuelle n’est plus en état de former : celui qui apporte au monde l’offrande de son activité spontanée et désintéressée, de sa réceptivité et de sa curiosité  insatiables,  de son empathie et de sa participation, en un mot, de cette ouverture à la vie sans laquelle la production sociale n’est, au sens propre, pas possible. Car la production se fonde sur deux aspects :
1) sur l’ouverture des gens à la nature, au dialogue difficile et plein de sens auquel ils doivent être constamment prêts ;
2) sur l’ouverture  des uns aux autres, sans laquelle une coopération sociale quelque peu  développée et efficace n’est pas possible.
Aujourd’hui, nous sommes menacés par une véritable paralysie de la production sociale.
La domination du paradigme de Saussure,- la séparation du signifié et du signifiant, est le signe d’une phase nouvelle et inattendue des relations entre la nature et la culture. La maladie de la naturophobie prends le dessus sur la culture, elle ne se sent déjà plus les forces de « lutter avec la nature » et de répondre à ses défis par les exploits de nouvelles découvertes fondamentales, découvertes ou révélations artistiques.

La nouvelle culture, qui s’isole elle-même et craint de goûter à tout ce qui est primordial, cosmique et naturel, passe sa commande sociale à la technique : isoler la personnalité du milieu naturel et de toutes dépendances naturelles, la faire entrer entièrement dans un texte artificiellement construit. Comme l’écrit V. Koutyriev, « il faut regarder la vérité dans les yeux : la partie « d’avant-garde », progressiste de l’humanité se transforme en matériau de base du monde informatique et s’apprête, comme l’y invitait l’académicien V. Glouchkov », à « entrer dans la machine ». 

Alexandre Panarine, la Civilisation Orthodoxe, chapitre II


mardi 14 novembre 2017

Des oiseaux à l'aube

Je pensais aujourd'hui à quelqu'un de profondément perdu, qu'on ne sait plus par quel bout attraper. et qui finit sa vie dans le malheur. Le salut ne serait pourtant pas loin, à Solan, où le père Elisée en a exposé le mode d’emploi. A vrai dire, je ne me presse pas trop non plus de faire le mien pour de bon,  et de franchir les stades nécessaires, à commencer par fuir la politique sur facebook autant que possible et à prier pour le tsar qui cherche ma chaleur du fond de nulle part. Je suis certaine que cette âme m’a suivie toute ma vie, gardée en réserve, et que maintenant, il me faut prier pour elle et pour la mienne. Mais avec l’aide de Dieu, car je n’en suis pas du tout capable, pas du tout capable, j’appelle Dieu au secours chaque jour. Nous ne sommes capables de rien, dit le père Elisée, il faut le savoir. Bien sûr, j’ai fait le livre, mais si Fédia en est quelque peu réhabilité, peut-être même trop, je ne suis pas sûre que ce soit le cas pour le tsar, en tous cas pas aux yeux de mes lecteurs ! Pourtant, je l’aime, si atroce qu’il fût parfois, j’ai de la fascination et de la compassion pour lui, comme Fédia lui-même. Fédia aussi s’est accroché à moi, je les ai aimés tous les deux, mais Fédia peut-être plutôt comme un frère ou comme mon double. Fédia, je l'ai sans doute trop absous, peut-être parce qu'étant mon double, il ne pouvait pas être dénué d'empathie. Est-ce compatible, peut-on garder une capacité d'empathie qui ne veut pas disparaître et commettre des choses terribles par la force des événements? Le livre s'est constitué de cette manière et je n'en ai pas eu le contrôle absolu... Après tout, c'est une sorte de conte.
Je suis sortie ce matin par un mistral violent qui chassait de petits nuages blancs et touffus au travers d’un champ noir de grosses étoiles, brillantes et miroitantes. Ces étoiles du midi, ces étoiles des nuits de mistral, je les regardais de mon hamac à Cavillargues, ou en sortant des agrypnies du monastère de Solan.  Elles sont si calmes et si présentes, elles jettent avec tant de force leurs rayons dans les ténèbres, de très petits anges à leurs postes lointains qui nous sembleraient trop énormes si on les voyait de près.
Hier, Claire m'a montré son chef d’œuvre de broderie, son exploit spirituel, le linceul du Christ pour les vendredis saints du monastère de Solan. Elle y travaille depuis plusieurs années, au tout petit point comme au  moyen âge, comme dans les ateliers de la tsarine Anastasia. Le linceul représente le déploration du Christ, avec des anges et les quatre évangélistes. Une fois il a brûlé en partie, une autre fois, on en a volé un détail. J'avais une amie iconographe qui me disait que le diable s'acharnait sur elle chaque fois qu'elle peignait une nouvelle icône.
Elle m'a montré des livres qu'on lui a offerts et qui rassemblent des icônes catholiques, dont on sent tout de suite qu'elles sont catholiques, selon l'expression du père Barsanuphe, elles ne sont pas dans l'Esprit: il n'y a pas derrière toute la structure théologique, la liturgie où l'icône prend sa place, l'icône n'étant pas un ensemble de trucs iconographiques et de "symboles", mais un élément constitutif de notre Eglise visible et invisible, passée et présente, dont les églises matérielles et ce qu'elles comportent sont l'image, comme notre église neuve de Solan, qui a été bâtie dans l'Esprit, justement, non par un architecte profane mais par une communauté de croyants.Elle.m’a paru dimanche encore plus belle que la dernière fois, les chants y résonnent si bien, on dirait que tout l’espace intérieur prie avec nous. J’ai dit à la mère Hypandia qui me demandait comment j’allais : «Je reste spirituellement attachée à Solan…
- Ce n’est rien, Laurence, au plan de l’invisible, nous sommes toujours tous ensemble. »
A l'aller, je me suis arrêtée pour dire mes prières, le soleil se levait sur le Ventoux, et j'entendais les oiseaux, que l'on n'entend déjà plus à Pereslavl, des oiseaux discrets qui voient arriver l'hiver et répandent de légers scintillements sonores entrecroisés. Au retour, j’étais hypnotisée par les reflets somptueux et les vibrations des peupliers d’or et d’argent et des vignes qui rougeoyaient dans la lumière comme autant de buissons ardents à la combustion exubérante, le long des oliviers bleus et des cyprès bruns… Je pensais à mes longues promenades en toutes saisons avec Jules, puis Doggie, à mes prières dans le vent, ce joyeux mistral qui accompagnait mon enfance de son pas capricieux et puissant de cheval lâché.
Le soleil se lève sur le Ventoux




lundi 13 novembre 2017

Blanchir les rouges

un paysan "dékoulakisé" mendie sa nourriture avec ses enfants
Devant le négationnisme communiste qui se manifeste de plus en plus et malgré mon soutien à la population du Donbass, exterminée par de pseudo néonazis ukrainiens soutenus par de vrais capitalistes apatrides, je tiens à me démarquer de la récupération de la cause par des nostalgiques d’un régime à qui je ne pardonnerai jamais ses exactions ni sa haine méticuleuse et avérée de tout ce qui me faisait aimer la Russie. Voici un article publié par Russiepolitics, dont j’apprécie par ailleurs toutes les autres analyses sur la Russie contemporaine et la politique occidentale à son égard :
J’y répondrai par un commentaire (auquel je souscris pleinement)  à ce même article :
Zakhar Prilepine porte toujours ses idées national-bolcheviques et se livre ici à une manipulation des faits, souvent par omission, pour les faire valoir.
Il aurait fallu équilibrer ses propos par un contradicteur.
Personnellement j'ai relevé sur ses douze points :
1 - En accord avec le précédent commentaire, il serait bon de rappeler que les bolcheviques avaient sapé le gouvernement du Tsar et l'effort de guerre de la Russie qui avait été attaquée par les Empires Allemand et Austro-Hongrois.
2 - Relever que le gouvernement provisoire à tendance libérale et pro-occidental avait trahi le Tsar et détourné le pouvoir n'exonère pas les bolcheviks de leur coup d'état d'octobre suivi de l'établissement de la dictature "du prolétariat", ni de l'assassinat du Tsar et de sa famille. S'il est difficile d'être certain de ce qui se serait passé si le gouvernement provisoire avait pu continuer, les chances d'éviter la guerre civile, de signer le calamiteux traité de Brest-Litovsk et les interventions étrangères eurent été grandes. Donc oui, je pense sincèrement que la Russie se serait portée mieux, et de beaucoup, sans Lénine et les bolcheviques.
3 - L'intérêt des Austro-Allemands à soutenir les bolcheviques pour désorganiser leur seul adversaire à l'est, le sortir de la guerre et pouvoir se concentrer sur le seul front ouest est évident. Ce but fut atteint par la signature du traité de Brest-Litovsk.
Il est invraisemblable que les britanniques et autres occidentaux aient soutenu, même secrètement, les bolcheviques. Par contre, ils sont fortement impliqués dans la seule révolution de février et le gouvernement provisoire leur convenait.
4 - S' "il convient de rappeler que dans le premier gouvernement soviétique, il n'y avait qu'un seul juif - Trotski", il convient aussi de rappeler que les juifs avaient globalement une grande et disproportionnée représentation dans les structures du pouvoir bolchevik
 ( cf. par exemple
5 - Il serait aussi bon de rappeler qu'un grand nombre de ces anciens officiers tsaristes qui, confrontés à un choix difficile provoqué par le coup d'état bolchevique, avaient choisi de combattre pour l'armée rouge, finiront "épurés" une fois leur rôle d' "idiots utiles" achevé.
6 - Les bolcheviques, par leur coup d'état, l'établissement de la dictature et la trahison de la signature du traité de Brest-Litovsk, ont provoqué la guerre civile et l'intervention des pays alliés trahis par ce traité séparé.
Zakhar Prilepine est le Tsar de la manipulation, et n'a pas l'excuse de l'imbécilité : de facto et de jure, pas de coup d'état d'octobre, pas de guerre civile !
Toute l’affaire ukrainienne est une manipulation, est-il bon d’ajouter une autre manipulation aux manipulations déjà existantes ? Evidemment, quand on tient dur comme fer à son idéologie et qu’on l’oppose à l’idéologie ou aux mensonges politiques des autres, on peut être tenté de le faire, je n’adhèrerai pas à cette combine, il est clair pour moi comme de l’eau de roche que capitalisme, nazisme et communisme sont les trois têtes d’un même serpent qui a nom progressisme matérialiste forcené.
J’ai cru, au début de la crise du Donbass, que je pouvais adhérer au mouvement dans la perspective d’une union sacrée face au vrai totalitarisme de notre temps, celui du libéralisme mondialiste en regard duquel les vieux communistes ne sont plus un danger, et j’ai joué le jeu, mais n’ayant pas une forme de pensée idéologique, systématique et totalitaire, je me suis vite heurtée à des manifestations de gauchisme ou de néostalinisme enragés qui m’ont fait toucher du doigt que je serais fatalement exclue du jeu pour incompatibilité profonde
Il ne peut y avoir de réconciliation nationale tant que les gens adhèrent à des supercheries politiques et historiques, il ne peut y avoir de pardon sans repentir, ni de repentir sans prise de conscience.  La manipulation qui pointe fait du combat contre le libéralisme mondialiste un combat communiste justifiant, pour la nécessité de la mobilisation, la réécriture des événements, l’oubli des martyrs, des innocents sacrifiés et des dégâts culturels abominables dont je vois tous les jours les traces. Fausser la perception de ce qui s’est passé fausse également la perception de ce qui se passe aujourd’hui. Et permet aux propagandistes de l’autre camp de ressusciter une guerre sainte contre le communisme qui devrait apparaître comme un prétexte mensonger artificiellement tiré de la naphtaline.
Alexandre Panarine, auteur du livre « la Civilisation Orthodoxe » que j’ai traduit péniblement,  analyse très bien les problèmes du monde contemporain et les sources du globalisme, et montre que la révolution bolchevique fut une abomination antirusse meurtrière sans précédent, que la Russie a plus ou moins digérée et russifiée et qu’on n’aurait pas dû toucher, et laisser évoluer vers autre chose, plutôt que de lui asséner la perestroïka et de la livrer au libéralisme capitaliste sans conscience, c’est une opinion que je partage et qui n’excuse à mes yeux rien de ce qu’ont commis les communistes. Beaucoup de communistes russes que j’ai pu voir partageaient  d’ailleurs un peu cette vision des choses : le bolchevisme a été une horreur mais Staline a mis de l’ordre. Je ne vais pas jusque là, mais disons qu’avec eux, j’arrive encore à discuter.
Prilepine pousse la russification jusqu’à nier le rôle des révolutionnaires juifs dans cette affaire. Pour exempter les juifs de ces crimes ? Non, pour blanchir la cause jusqu’au trognon, ou la rougir disons, pour russifier un machin qui n’avait au départ rien de russe et détestait la Russie dans toutes ses manifestations. Cela arrangera sans doute bien ceux qui pensent que tout ce qui est juif est innocent par nature, et voué aux shoah permanentes organisées par des goys très méchants. Or là encore, il ne peut y avoir pardon que s’il y a repentir et aveu. Sinon, on en arrive encore à la situation ukrainienne où des gens à double nationalité israélo-ukrainienne et à noms de famille russifiés ou ukrainisés  jettent des slaves ahuris les uns sur les autres pour le bénéfice de trusts et de banquiers insaisissables, de la  grande puissance rapace qu’ils ont noyautée, et cela en accusant les seuls Russes des crimes soviétiques qui ulcèrent encore les Ukrainiens à juste titre.  Il n’est que de lire le journal de Tsvetaïeva, mariée au juif Ephron, pour se rendre compte du rôle des juifs dans cette histoire : pratiquement tous les commissaires du peuple l’étaient. Ce qui me fut confirmé par une émission historique de la télévision française faite par l’historien  Marc Ferro, sur la Russie dans la guerre de 40, où j’ai entendu cette phrase qui m’a marquée : « Au début, les Allemands ne massacraient pas systématiquement les juifs, ils exécutaient les commissaires du peuple, il faut dire que tous les commissaires du peuple l’étaient. »
Le voisin juif de mon père spirituel, converti à l’orthodoxie, nous a dit un jour qu’il avait honte de ce que les juifs avaient fait à la Russie.
Tous les peuples ont du sang sur les mains, eux aussi. Et je ne peux pardonner à des gens qui ne reconnaissent pas ce qu’ils ont fait et crachent sur les tombes de leurs victimes, à noter que parmi ces victimes, il y eut aussi des juifs, à commencer par Mandelstam ou Ephron, ce même mari de Tsvetaïeva.
J’ai publié récemment l’épitre du patriarche Tikhon, que cherche à désamorcer Prilepine. Le patriarche Tikhon, au contraire de ses héros bolcheviques, était profondément russe, il comprenait que ces virus sociaux avaient introduit dans l’organisme de la Russie un facteur de division permanente, comme l’ont fait en leur temps les révolutionnaires français dans le tissu organique de la France. Je vois avec chagrin que cela est bien vérifié et que nous avons des chances de ne jamais nous en sortir.
Pour moi, la Russie, c’est la sainte Russie, c’est même « les Russie » artificiellement séparées d’abord par les communistes et ensuite par les Américains sur les décombres de l’URSS. Je la reconnais dans la procession géante du métropolite Onuphre en Ukraine, dans la renaissance orthodoxe en Russie, dans le combat pour sauver des promoteurs et des fonctionnaires véreux les vestiges d’une architecture féérique, dans le travail de mes amis folkloristes, dans tout ce qui se réclame de la Russie éternelle, certainement pas dans ce qui prétend faire naître la Russie en 1917, comme nos laïcards socialistes font naître la France en 1789. C’est cette Russie qui peut « sauver le monde ». Pas celle de Lénine qui proclamait que les seuls Russes intelligents étaient ceux qui avaient du sang juif.
Dans cette affaire du Donbass, je suis évidemment solidaire du peuple du Donbass, communiste ou non, mais préfère désormais me contenter d’envoyer de l’argent aux gens dans le besoin ou de traduire ce qu’il me paraît pertinent de montrer, de façon indépendante, mais je ne m’associe pas du tout à ceux qui en font comme Prilepine une récupération idéologique. Que cela soit clair.
Et pour ce qui est de la Russie que j’ai choisie, ce n’est évidemment pas celle qui se reconnaît dans l’idéologie de Prilepine, même si parmi eux se trouvent de fort braves gens et si je m’associerai à eux dans le cas ou ils se montreraient plus russes que communistes dans la guerre que fait à la Russie l’élite mondialiste. Comme saint Luc de Crimée en son temps, contre les envahisseurs nazis.
Contre l’élite mondialiste, je m’associerais quasiment à n’importe qui d’ailleurs. Mais je ne participerai pas aux mensonges ni aux supercheries confortables, et ne trahirai pas les martyrs de l’Eglise orthodoxe ni toutes les petites gens qui ont été ruinées, assassinées ou déportées.
D’une manière générale d’ailleurs, entrer dans le combat politique, je veux dire adhérer à un mouvement ou à un parti, c’est être amené à approuver des mensonges dès lors qu’ils nous arrangent ou qu’on hésite à compromettre la cohésion du groupe, et dans ce domaine, approuver des mensonges, c’est fermer les yeux sur des injustices et cracher sur des tombes. C’est aussi aggraver la confusion ambiante et aveugler les gens.
Mon combat sera donc spirituel et culturel, et si je dois mourir au combat, que ce soit en martyr, dans une procession, ou dans une église.

Battez-vous bien, à coups de propagande et de contre-propagande. Le Christ se taisait devant ses juges.

vendredi 10 novembre 2017

Élevez-vous, portes éternelles...


 L’évêque Emmanuel est venu inaugurer la nouvelle église de Solan. Je me tenais sur le parvis, dans le mistral, sa petite chanson aigre et désolée jouait avec les beaux chants byzantins graves et chauds comme l’or qui se déroulaient devant le porche de pierre, orné d’une représentation sculptée de la Protection de la Mère de Dieu, et je voyais les sœurs et tous mes orthodoxes d’ici, Hélène, Michel, Paul-Serge et Lydia, Annamaria et Giovanni, Emmanuelle, Claire, Denise, Madeleine et son mari, tout le monde était là, les Roumains, le vieux-croyant russe, et beaucoup d’autres que je ne connaissais pas, des catholiques, des protestants. Comme cette église s’inscrit naturellement dans les bâtiments de cet ancien mas, devenu monastère, et transformé par des éléments de décoration en bois qui viennent de Grèce, de Serbie ou de Roumanie, et dans le paysage environnant, comme tout cela est organique, harmonieux... Les bas-reliefs qui courent autour de la façade, sculptés en guise de travaux pratiques par les élèves tailleurs de pierre d’un lycée technique d’Avignon, sont de très jolies copies d’originaux romans, mais qu’adviendra-t-il des originaux dans l’époque qui vient ? L’église de Solan les récapitule, les prend avec elle…
Au moment de l’ouverture officielle des portes, on lut le psaume 23 : «Levez vos portes, princes, et élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. Qui est ce Roi de gloire ? Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans le combat. Levez vos portes, princes, et élevez-vous portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. Qui est ce Roi de gloire ? Le Seigneur des Puissances, c’est lui, le Roi de gloire. »
Quelle étrange miracle que le mont Athos accomplit là, en nous rendant dans notre langue contemporaine tout un enracinement dans le plus profond de la tradition méditerranéenne perdue, et dans notre passé roman, à travers Byzance qui en était la source…
A l’intérieur, tout était si beau, si pur, ces colonnes de pierre, aux chapiteaux sculptés par le père Séraphin, et l’acoustique merveilleuse. L’église ayant utilisé des pierres glanées ça et là, à la faveur de carrières qui fermaient ou de granges qu’on détruisait, différents tons de gris ou d’ocre jaune se marient en une harmonieuse mosaïque, reflet de notre terre locale, complétée par des poutres décorées à la roumaine, puisque les ouvriers venaient de Roumanie. La seule fausse note était les icônes, dont j’ai appris que Dieu merci, elles étaient provisoires, une iconographe géorgienne travaillant à la version définitive.
La sècheresse nous a donné un automne exceptionnel, et je regardais en partant cette liturgie des peupliers d’or et des vignes rouges, chasubles de brocart, vin et sang répandu, sous les brumes irisées qui encensaient le Ventoux et les villages portés doucement par leurs collines, comme des reliquaires par des princesses en vêtements de velours. La France mourait sous mes yeux en beauté, dans l’indifférence aveugle ou parfois sourdement inquiète de ses habitants qui ne connaissent plus ni leurs chants, ni leurs prières.

Mais Dieu sème encore ses graines dans ce terreau ingrat, et qui sait ? Il donnera peut-être encore de beaux fruits… ou peut-être, dans l’universel désastre, la nourriture spirituelle, l’orientation et le réconfort qui nous permettront de nous regrouper dans l’attente du Second Avènement : ne crains pas, petit troupeau…

 






mardi 7 novembre 2017

« Tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » (Mat. 26,52-



Epître du Patriarche Tikhon au Soviet des Commissaires du Peuple 1918
Cette prophétie du Sauveur nous vous l’adressons, à vous qui bouleversez les destins de notre patrie, et vous dénommez commissaires « du peuple ». Cela fait une année entière que vous détenez le pouvoir entre vos mains et vous vous préparez déjà à fêter l’anniversaire de la révolution d’Octobre. Le sang de nos frères, abattus sans pitié à votre appel et répandu à flots crie vers le Ciel et nous oblige à vous proférer la parole amère de la vérité.
En prenant le pouvoir et en appelant le peuple à vous faire confiance, quelles sont les promesses que vous lui avez faites et comment les avez-vous tenues ?
En vérité, vous lui avez donné des pierres au lieu de pain et un serpent en place de poisson (Mat.7,9). Au peuple exténué par une guerre sanglante, vous avez promis de donner une paix « sans annexions ni contributions ».
Quelles conquêtes pouviez-vous refuser, vous qui aviez amené la Russie à une paix honteuse, dont vous n’avez même pas pu vous décider vous-mêmes à rendre publiques les conditions humiliantes? Au lieu d’annexions et de contributions, notre grand pays est conquis, diminué, démembré, et en paiement du tribut imposé vous exportez secrètement en Allemagne un or que vous n’avez pas amassé vous-mêmes..
Vous avez dépouillé nos combattants de tout ce pourquoi ils s’étaient auparavant brillamment battus. Vous leur avez appris, à eux qui étaient encore récemment braves et invincibles, à déserter la défense de la Patrie, à fuir le champ de bataille. Vous avez éteint dans les cœurs la conscience inspirante qu’ « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jean 15, 13). Vous avez échangé la patrie contre une zone internationale sans âme, bien que vous sachiez parfaitement vous-mêmes que lorsque l’affaire touche à la défense de la patrie, les prolétaires de tous les pays s’en révèlent les fils fidèles et non les traîtres.
Refusant de défendre la patrie contre les ennemis extérieurs, vous ne cessez cependant de recruter des troupes.
Contre qui les conduisez-vous ?
Vous avez divisé tout le peuple en deux pays ennemis et l’avez précipité dans une guerre fratricide à la cruauté sans précédent. Vous avez ouvertement échangé l’amour pour le Christ contre la haine et au lieu de la paix, vous attisez artificiellement la lutte des classes. Et l’on ne voit pas de fin à la guerre que vous avez engendrée, car vous vous efforcez par les mains des ouvriers et des paysans russes de faire triompher le fantôme de la révolution mondiale.
Ce n’était pas à la Russie qu’était nécessaire le traité honteux que vous avez conclu avec l’ennemi extérieur, mais à vous, qui aviez décidé de détruire définitivement la paix interne. Personne ne se sent en sécurité ; tous vivent dans la peur constante d’une perquisition, d’un pillage, d’une déportation , d’une arrestation, d’une exécution. On se saisit de gens sans défense par centaines, on les fait pourrir des mois en prison, on les punit de mort souvent sans aucune enquête ni jugement, sans même un procès sommaire rendu par vous. On exécute non seulement ceux qui se sont rendus coupables de quelque chose devant vous mais aussi ceux qui ne sont notoirement coupables de rien, mais ont été pris seulement en qualité « d’otages », on tue ces malheureux en représailles de crimes commis par des gens dont non seulement ils ne partagent pas les idées, mais qui sont bien souvent vos propres partisans ou ceux qui vous sont proches par les convictions. On exécute des évêques, des prêtres, des moines et des moniales, qui ne sont coupables de rien sur l'accusation indéterminée de quelque "contre-révolution" vague et indéfinie. L’exécution inhumaine est aggravée pour les orthodoxes par la privation de leur unique consolation avant de périr : le viatique des Saints Dons, et les corps des victimes ne sont pas rendus à leurs proches pour des funérailles chrétiennes.
Tout cela n'est-il pas un summum de cruauté absurde de la part de ceux qui se font passer pour des bienfaiteurs de l'humanité, se prétendant eux-mêmes les victimes des autorités cruelles ?
Mais c’est peu pour vous d’avoir rougi les mains du peuple russe du sang de leurs frères : sous l'alibi de dénominations diverses, contributions, réquisitions et nationalisations, vous l’avez poussé au pillage le plus évident et le plus éhonté.  A votre instigation, ont été pillées ou volées des terres, des résidences, des usines, des fabriques, des maisons, du bétail, on vole de l’argent, des affaires, des meubles, des vêtements. Au début, sous la dénomination de « bourgeois », on a volé les gens aisés, ensuite, sous celle de « koulaks », on s’est mis à voler aussi les paysans qui s’en sortaient bien et qui travaillaient, augmentant de la sorte le nombre des miséreux, bien que vous soyez obligés de reconnaître qu’avec la ruine d’une grande multitude de citoyens particuliers, c’est la richesse du peuple qui est détruite, et le pays lui-même qui est ruiné.
Séduisant le peuple obscur et ignorant avec la possibilité d’un gain facile et impuni, vous avez troublé sa conscience, étouffé en lui la conscience du péché ; mais quels que soient les noms dont vous avez pu couvrir vos méfaits, le meurtre, la violence, le vol resteront toujours des péchés et des crimes graves qui crient vers le Ciel.
Vous avez promis la liberté…
C’est un grand bien que la liberté, si on la comprend de manière juste, comme l’affranchissement du mal, qui n’opprime pas les autres, sans se transformer en arbitraire et en volonté personnelle sans frein. Mais cette liberté, vous ne l’avez pas donnée : celle que vous avez donnée consiste en une indulgence de tout acabit envers les plus bas instincts de la foule, l’impunité du meurtre, les pillages. Toute manifestation de liberté véritablement citoyenne comme supérieurement spirituelle est impitoyablement réprimée par vos soins. Est-ce la liberté quand personne ne peut sans permission se procurer sa subsistance, louer un appartement, quand des familles, et parfois tous les habitants d’un immeuble sont exclus de chez eux, et leurs possessions jetées à la rue, et quand les citoyens sont artificiellement divisés en catégories, dont certaines sont livrées à la famine et au pillage ?
Est-ce la liberté, quand personne ne peut ouvertement exprimer son opinion, sans craindre de tomber sous l’accusation de contre révolution ? Où est la liberté de parole et de presse, ou est celle de prêcher à l’église ? Beaucoup de prédicateurs audacieux l’ont payée du sang du martyr ; la voix de la condamnation et de la dénonciation publique et gouvernementale est étouffée ; la presse, à part celle des bolcheviques, n’a plus du tout la parole.
La violation de la liberté dans les affaires de la foi est particulièrement douloureuse et cruelle. Il ne se passe pas de jour sans que dans les organes de votre presse ne se glissent les calomnies les plus monstrueuses sur l’Eglise du Christ et ses serviteurs, des sacrilèges haineux, des profanations. Vous couvrez de sarcasmes les servants d’autel, obligez des évêques à creuser des tranchées (l’évêque de Tobolsk Hermogène) et envoyez les prêtres faire de sales travaux. Vous avez mis la main sur l’héritage de l’Eglise, assemblé par des générations de croyants et n’avez pas hésité à violer leurs dernières volontés. Vous avez fermé toute une série de monastères et d’églises domestiques, sans aucun prétexte ni cause à cela. Vous avez limité l’accès au Kremlin de Moscou, c’est l’héritage sacré de tout le peuple croyant. Vous violez la forme véritable de la communauté chrétienne, la paroisse, anéantissez la fraternité et autres institutions ecclésiastiques de charité et d’éducation, dispersez les réunions épiscopales, vous mêlez de la gestion intérieure de l’Eglise Orthodoxe. Chassant des écoles les saintes images et défendant d’enseigner la foi aux enfants, vous les privez de la nourriture spirituelle indispensable à l’éducation orthodoxe.
«Et que dirai-je encore ? Je n’aurai pas le temps » (Heb. 11,32) de représenter tous les malheurs qui ont atteint notre Patrie. Je ne parlerai pas de l’effondrement de la Russie autrefois grande et puissante, de la totale dégradation des voies de communication, de la destruction sans précédent de la production, de la faim et du froid, qui nous menacent de mort dans les villes, de l’absence de tout ce qui est nécessaire à l’économie des villages. Tout cela est évident aux yeux de tous. Oui, nous traversons l’époque affreuse de votre domination, et elle mettra longtemps à s’effacer de l’âme du peuple, obscurcissant en elle l’image de Dieu et imprimant en elle celle de la bête. Les paroles du prophète se réalisent : «Leurs jambes courent vers le mal, et ils se hâtent de verser le sang innocent ; leurs pensées sont des pensées impures ; la désolation et la chute viennent sur leurs traces » (Isaïe 59,7). Nous savons que nos accusations n’éveilleront en vous que la haine et la perplexité et que vous chercherez seulement un prétexte pour nous accuser d’opposition au pouvoir mais plus haute sera la « colonne de votre haine », mieux elle témoignera de la véracité de nos accusations.
Il n’est pas de notre ressort de juger le pouvoir terrestre, tout pouvoir donné par Dieu s’attirerait notre bénédiction, s’il s’avérait vraiment un « serviteur de Dieu » pour le bien de ses sujets et n’était pas « terrible aux bonnes choses mais aux mauvaises » (Rom.13, 34). Maintenant, vous, qui utilisez le pouvoir pour persécuter vos prochains, exterminer les innocents nous vous adressons notre admonestation : fêtez l’anniversaire de votre prise de pouvoir par la libération des détenus, l’arrêt des effusions de sang, de la violence, de la ruine, de la persécution de la foi ; tournez-vous non vers la destruction mais vers l’installation de l’ordre et de la légalité, donnez au peuple le repos désiré qu’il mérite de cette lutte fratricide : Autrement, il vous sera demandé compte de tout le sang juste que vous avez versé (Luc 11,51) et vous périrez vous-même par le glaive que vous avez tiré (Mat.26,52).
Tikhon, patriarche de Moscou et de toutes les Russie, le 13 (26) octobre 1918
Tomskiye yeparkhial'nyye vedomosti.-1919. № 13-14; Vestnik RSKHA- 1968. N 89-90
Traduction Laurence Guillon.


le saint patriarche Tikhon est un des nouveaux martyrs de l'Eglise Orthodoxe Russe. Comme beaucoup de prélats orthodoxes vénérables, comme saint Philippe, métropolite de Moscou, assassiné par Maliouta Skouratov, pour avoir refusé les crimes de l'Opritchnina, il a assumé sa mission jusqu'au bout avec courage, fermeté et foi. En traduisant cette admonestation à des gens pires que les opritchniks parce qu'antichrétiens et antirusses déclarés, je ne peux m'empêcher de voir les parentés avec ce qui s'est passé en France, cette division du peuple en deux qui dure jusqu'à présent et qu'on appelle démocratie, une division qui permet de régner à ce qui est devenu en deux cents ans de révolutions occidentales, russes ou tout ce qu'on voudra, de bains de sang et de désastres culturels et spirituels, une petite caste mafieuse mondialiste richissime absolument dépourvue de conscience qui nous détruit tous et de la même manière: en nous ôtant la mémoire, la conscience et en provoquant d'incessantes guerres intestines.

lundi 6 novembre 2017

Rencontre lumineuse

le père Elisée

le père Placide à Solan

saint Païssios

Je suis allée à Solan pour la liturgie dominicale. Je m'y sens bien, tout est compréhensible, ces textes si beaux et si méridionaux. J'y retrouve Myriam et ses quatre beaux enfants. Après l'office, nous rencontrons tous le père Elisée, higoumène du monastère de Simonos Petra, au mont Athos. Je l'écoute avec la curieuse impression qu'il s'adresse à moi personnellement, sans doute s'adresse-til personnellement à chacun d'entre nous, du reste, il nous précise que venu faire notre connaissance, il se souviendra dans ses prières de chacun de nous. "Ici, en Occident, il faut d'énormes efforts pour trouver et garder la foi, mais vous avez l'héritage du père Placide, lui-même encouragé par saint Païssios et vous n'avez plus qu'à suivre le sillon qu'il a ouvert."
J'étais venue avec le sentiment d'être complètement indigne, mal préparée, pas revêtue de mon vêtement de noces, bonne à être jetée dehors, et voilà que je l'entends nous expliquer que la liturgie est une icône du Ciel, que nous y venons pour prier et pour voir ce qui se passe au Ciel. Et aussi pour laisser derrière nous tous nos soucis et toutes nos valises, pour aller dans un lieu où l'on se repose: comme si nous quittions la maison pour aller boire dans un bistro un bon café sans être dérangés. Pour nous retrouver dans l'insouciance. Et nous nous y sanctifions. Si pécheurs que nous soyons, tout ce qui se passe à l'église nous sanctifie, nous sommes sanctifiés du Christ. "Ne pensez pas, dit-il, que si nous sommes mal préparés nous ne sommes pas sanctifiés. Nous le sommes indépendamment de notre état spirituel, par le contact avec les icônes, la main du prêtre, le pain béni. C'est ainsi que nous devons considérer la liturgie et toute autre forme de prière."
Il nous a raconté une anecdote sur saint Païssios qui, aux arguments du père Placide encore hésitant à rejoindre l'Eglise orthodoxe, avait répondu en tapant sur la table: "Tout ça c'est des raisonnements humains! Il faut entrer dans l'Eglise!"
Saint Païssios avait dit à des pèlerins de Chypre qui voulaient le faire venir qu'il habiterait à 500 m de chez eux. Vingt cinq ans passèrent sans que le père Païssios ne vint, mais quand il fut canonisé, une église fut construite, qui lui était en partie consacrée, à 500 m de chez les pèlerins.
"L'église est effectivement la demeure du saint à laquelle elle est consacrée, et votre nouvelle église le sera à la Mère de Dieu qui étend sur vous sa Protection. Derrière votre communauté, il y a toute la sainte Montagne, et au sommet de la sainte Montagne, se tient l'église de la Transfiguration qui l'illumine. Tout l'Athos est sous la Protection de la Mère de Dieu. L'Athos n'est pas seulement un grand jardin plein d'églises, son héritage fait de nous tous des enfants de la Mère de Dieu qui réclame de nous une doxologie permanente, et notre intercession pour la paix du monde et le salut des âmes. 150 liturgies se déroulent chaque jour au mont Athos, au cours desquelles des milliers de noms sont commémorés. La sainte Montagne est ornée par les exploits des saints, les larmes des pères, les reliques qui sont pour nous vivantes: l'oreille de saint Jean Chrysostome a écouté saint Paul, le crâne de saint Serge garde la trace de la hache qui l'a tranchée, la main de sainte Marie Madeleine reste chaude. Pour les non croyants, tout cela ne signifie rien, mais pour nous, tout cela est vivant. Ces trésors, avec nos prières, appartiennent au monde entier. La Montagne est un enfant dans les bras du monde, car le monde aime la sainte Montagne. Nous ne sommes rien, notre valeur vient du jardin de la Mère de Dieu, nous nous appuyons sur tous ceux qui aiment la sainte Montagne et la nourrissent, sur l'extérieur qui nous envoie de nouveaux moines."
Le père Elisée dit encore que la lumière du Christ était la respiration de l'homme, et aussi que regarder le soleil en face nous aveuglait et que nous ne voyons alors plus rien. "La croix que nous portons, ce ne sont pas seulement nos épreuves ou nos missions, c'est nous-mêmes, il faut accepter de se porter soi-même. Ne pas arriver à s'aimer soi-même, et les passions que nous portons, voilà notre croix: savoir nous accueillir nous-mêmes, tels que nous sommes. La seule chose qui soit en notre pouvoir est d'offrir notre entité pécheresse à Dieu, pour qu'il la sanctifie. Assume ce que tu es, tes péchés. Tu es colérique et n'y peux rien, ne te fâche pas quand on t'en fait le reproche. C'est cette croix-là qui te mènera au paradis. Le pire serait de penser que tu es un saint. Etais-je digne de célébrer la liturgie de ce matin? Personne n'est digne. Mais le Seigneur nous accepte tels que nous sommes. Fais confiance à Dieu, il s'occupera de tout, et tu seras heureux et sans soucis. Laisse à Dieu le soin de ta vie.
Nous devons connaître notre riche héritage. La lecture spirituelle, la communion avec les autres, les sacrements, tout ce dont ton âme a besoin, tu l'as. Dieu veut ce que veut ton âme. Prie donc comme tu le peux et où tu le peux. Il faut se souvenir que nous devons nous reposer, nous réjouir, dormir en paix.la nuit. Souviens-toi toujours de la Transfiguration au sommet de la sainte Montagne. Ne laisse pas les passions et les soucis te dominer. Aie de la patience et de la paix. Combattre directement les pensées qui nous assaillent revient à jeter de l'huile sur le feu. Celui qui a peur de lui-même, de ses passions, n'a pas assez de foi, il ne fait pas confiance à Dieu. Ne remplace pas Dieu par ton propre combat. Dieu peut tout corriger à ta place."
Les enfants ont chanté pour lui, et le petit Sacha lui a déclaré, avec des yeux scintillants, qu'il voulait être moine au mont Athos. L'ancien l'a serré en souriant sur son coeur. Nous sommes allés à tour de rôle prendre sa bénédiction. Il a répété mon nom en me tenant la main, il va prier pour moi, comme pour nous tous. Je crois que la dernière lumière de la France est là, dans les monastères du père Placide, qui m'a pourtant renvoyée en Russie!

samedi 4 novembre 2017

Petits spitz et grand tsar...

Ce matin, je vois derrière la vitre du coiffeur un magnifique petit spitz celui qu'il a acquis il y a quelques mois. La féerique petite créature fondait de tendresse devant mon enthousiasme, et tandis que je parlais, m'écoutais avec une attention soutenue et méditative, comme Doggie, et comme Jules... Ces petits chiens sont une des choses les plus belles que j'ai connues de ma vie, une source permanente de joie, d'émerveillement. J'étais à ce point devenue une femme à spitz que je me sens mutilée. Je ne peux regarder le fond du jardin sans penser à Doggie, qui y repose et qui me manque. En dehors d'Ivan le Terrible, les disparus qui m'obsèdent le plus sont ma mère et mes petits chiens...

Je dois quand même m'avouer que mon livre n'est pas terminé. A chaque nouvelle correction, je pense que ça y est, mais non. Le tsar et son favori ne me laissent pas tranquille, à présent surtout le tsar, d'ailleurs. Sans doute Fédia avait-il moins de comptes à régler ou plus de circonstances atténuantes et j'ai beaucoup atténué ses circonstances, peut-être trop, d'ailleurs. Quoiqu'en fin de compte, que sait-on de ce dévoyé couvert d'opprobre par l'histoire? Je vois des gamines entraînées par des islamistes dans l'aventure de Daesh, elles ont parfois seize ou dix-sept ans, elles en avaient peut-être quatorze au moment où elles se sont laissées embarquer, les joyeux guerriers les violaient sans doute à tour de rôle, elles faisaient des enfants en série, comment sortir du guêpier où elles se sont mises à un âge où l'on n'a pas beaucoup de raison? Et des gens les insultent à longueur de commentaires en leur souhaitant les pires outrages et les pires tortures. Admettons que Fédia Basmanov ait eu un père affreux, et qu'il ait été offert par lui au tsar, quel âge avait-il, comment avait-il été élevé, et ensuite, dans l'Opritchnina, entre son père et son impérial protecteur, quelle issue?
Mais le tsar lui-même continue à me tyranniser, ce qui est bien dans sa nature. Tantôt je crains de le noircir, tantôt je crains de trop le justifier. Dernier scrupule: bon, il était moins sanguinaire que le dit la légende, mais était-il moins luxurieux? Pour l'instant, j'ai lu deux articles de plus sur la question, deux articles russes, d'où il ressort que oui, le bougre était luxurieux, et comment! Et que même, Fédia n'était pas le seul jeune homme a avoir "connu" le souverain, en plus des mille vierges qu'il se vantait d'avoir déflorées dans sa vie. Je pense qu'il l'était. Mais je me méfie quand même de ce qu'on raconte. Qui parle de ses travers d'enfant et d'adolescent vicieux en évoquant la possibilité que les boïars qui le maltraitaient étaient seulement des tuteurs pleins de bienveillance dépassés par les défauts de l'affreux garnement? Toujours le prince Kourbski, qui non seulement s'était barré chez les Polonais mais se battait à leurs côtés contre son ancien pays... On aurait pu lui demander pourquoi, à un certain moment, il avait été si proche d'un souverain aussi lamentable.
Le premier article me semble dans la veine de la légende noire, le second me paraît plus nuancé et comporte des détails sur l'époque, le témoignage du premier Anglais à être arrivé à Moscou, profondément impressionné par sa première vision du tsar, qu'il décrit comme une sorte d'idole étincelante sur son trône d'ivoire. Ivan n'avait alors pas trente ans. L'auteur rapporte que pendant sa folle adolescence, le tsar, encore seulement grand-prince, et ses compagnons pratiquaient le jeu du défunt qui parodiait les rites funéraires: l'un d'eux gisait la bouche ouverte garnie de graines de courge en guise de dents et les yeux fermés sur un banc, comme un mort dans son cercueil à qui l'on devait rendre l'hommage d'un dernier baiser, et l'on forçait à cela une jeune fille quand on en avait attrapé une. L'auteur ne croit pas trop à la profondeur du sentiment qui liait Ivan à sa première femme Anastassia: "c'était l'attelage de l'étalon fougueux et de la biche aux abois, et quel étalon!" Eh bien moi, j'y crois, je ne suis d'ailleurs pas la seule. Je crois que cette force de la nature avait besoin de tendresse et de soutien, et gardait la nostalgie de sa mère, de sa nourrice, de sa petite enfance, avant les horreurs qui l'avaient suivie. Qui plus est, on nous dit qu'Anastassia était sage, bonne et pieuse, cela n'implique pas qu'elle fût une tremblante et timide biche aux abois. Elle avait peut-être beaucoup de caractère, elle était sûrement très intelligente, et du reste, elle gênait assez une certaine quantité de gens pour s'être attirée l'inimitié, réciproque d'ailleurs, du confesseur du tsar, et son empoisonnement final, avéré par l'analyse de ses restes.
L'auteur de l'article semble ne pas avoir d'affinités avec l'époque médiévale, et c'est un mauvais point pour lui à mes yeux. Là aussi, il y a deux écoles, complètement contradictoires, mais ce que j'ai pu lire par ailleurs, voir dans les musées, entendre aux dernières conférences d'Alexandrov me persuadent que c'est comme chez nous, si l'on est progressiste, on noircit le moyen âge, le christianisme, les traditions, la paysannerie et tout ce qui s'ensuit. Le tsar Ivan tombe aussi sous le coup de cet amalgame.
Quelqu'une de mes amies trouvait impossible d'admettre que cet affreux tsar ait pu être sincèrement et profondément croyant. En effet, bien que cela ne soit pas incompatible à des degrés divers, dans notre nature humaine. De mon côté, j'en viens à me demander si ce tsar cultivé et intelligent, qui avait réformé le code pénal, convoqué le concile des Cent Chapitres, instauré un impôt dégressif pour faire payer davantage les riches que les pauvres, consacrait une partie de son trésor à faire rechercher et racheter les Russes enlevés par le Tatars et vendus comme esclaves; qui était un fin connaisseur de l'iconographie, vénérait Andreï Roubliov et Théophane le Grec et avait à cœur de conserver leurs oeuvres et d'en transmettre l'esprit, dont le premier réflexe à la découverte miraculeuse de l'icône de notre Dame de Kazan fut d'en admirer la facture et d'en faire exécuter une copie; qui aimait la musique et composait des hymnes religieux austères; qui aimait les livres et fut le premier à en faire imprimer, pouvait vraiment être sans nuances la brute sanguinaire, le bouffon tyrannique et le prédateur sexuel présenté par une partie des historiens ou des intellectuels.
L'article donne un détail qui m'a paru vrai et me l'a un peu restitué. C'était, comme tout noble de son époque, un chasseur invétéré, et il avait toutes sortes de chiens barzoï, de faucons et d'éperviers, et un prince mongol lui avait écrit pour lui demander de lui faire porter quelques rapaces. Il lui avait répondu: "Je n'en ai plus, car il y a longtemps que je ne chasse plus, j'ai trop d'ennuis pour cela."
Je relis ses lettres à Kourbski, pour essayer de m'en faire une idée, et j'aimerais trouver l'ensemble de sa correspondance. A un certain moment, il dit à Kourbski: "quel souverain dans son bon sens ferait un massacre de ses propres sujets?" sous-entendant que son sort était lié au leur, ce qui en effet était le cas. Mais il utilise toutes sortes d'arguments bibliques pour justifier sa sévérité envers les traîtres, et va jusqu'à dire que Kourbski, coupable ou innocent, n'avait pas à craindre de mourir, puisque, dans le deuxième cas, il aurait hérité de la couronne des martyrs, alors qu'en trahissant pour sauver sa peau, il s'assurait la damnation éternelle. Du reste, quelle importance pouvait avoir le fait de vivre un an de plus ou de moins dans cette vallée de larmes?
Mais s'il n'a pas fait de cadeaux aux boïars et aux princes, et si l'Opritchnina était une organisation impitoyable, rien n'indique qu'il ait fait effectivement "un grand massacre de ses propres sujets". On n'en trouve pas de traces écrites irréfutables, et pas de trace dans le folklore, qui au contraire le célèbre, alors que Pierre I fut représenté à sa mort comme le chat enterré par les souris...
L'auteur du second article le compare à Louis XI. Louis XI était probablement plus pragmatique. Il fut également calomnié, d'ailleurs.
Je tourne donc toujours autour de cette énigme royale!
Un autre mystère pour moi est la place qu'il aura tenu dans ma vie, la fascination qu'il aura exercée sur moi, et consciemment ou non, je suis allée m'échouer dans son voisinage historique et probablement spirituel. Je m'en suis affranchie trente ans, mais depuis qu'il est ressorti de sa boîte, il ne me lâche plus, et l'idée me vient que pour m'en délivrer, il faudra aller plus loin que l'achèvement de mes deux livres, les quarantaines et les pannychides commandées au monastère, il faudra le délivrer en me délivrant, prier, accomplir des choses dont je ne connais pas encore la nature...