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dimanche 17 mars 2019

Triomphe de l'Orthodoxie



Je vois des tas de considérations sur le carême passer sur facebook, et des orthodoxes s’interroger sur ce qu’on peut manger tel ou tel jour, et je m’en tiendrai au métropolite Onuphre de Kiev :
"Le Seigneur n'indique les mesures ni du carême ni de la prière. Cette mesure, c'est l'homme qui la détermine, et chacun a la sienne. Le critère selon lequel cette mesure doit être déterminée est le suivant: il doit rester capable de travailler et ne pas devenir un cadavre, étendu sur son lit, épuisé par le carême, et il ne doit pas devenir un original, mentalement retranché des obligations inhérentes à la croix de son existence, et errant par la prière à travers les espaces de la vie des autres".
 Dès le départ, mon intention était de mettre plus l’accent sur les prières, les lectures et les méditations spirituelles que sur la nourriture, car ayant faim, je m’endors sur ma traduction encore plus que d’habitude, et me jette sur du chocolat, alors que le sucre est un poison dont je cherche à m’affranchir, mais qui est considéré comme parfaitement carémique. 
Le carême arrive ici en fin d'hiver, quand tout le monde est exténué, et qu'il n'y a plus que de vieux légumes pourris dans les magasins, les seuls qui s'en tirent bien sont les Russes qui ont fait provision tout l'été de conserves maisons (c'est-à-dire la majorité d'entre eux). Heureusement, ici, une partie de ces Russes vendent leur surplus au marché. Car la conserve industrielle, comme tout ce qui est industriel, je fais un rejet. 
A noter quand même que le carême est apparu dans des pays où il ne fait jamais froid, où légumes et fruits abondent et où l'on regarde les étoiles tourner sur la Méditerranée...
Cependant, le temps passe, je vieillis, il y a des choses à régler avant la fin du monde ou la fin de ma vie, je ne sais laquelle précédera l'autre.
Je me souviens des paroles du père Elisée, à Solan: il faut s'accepter tel que l'on est et porter la croix de son imperfection en sachant que Dieu seul peut nous en délivrer, que nos efforts ne servent à rien sans son intervention. J'ai souvent eu le réflexe du pari de Pascal, que Brassens résumait et caricaturait quelque peu dans une de ses chansons:

Mettez-vous à genoux
Priez et implorez
Faites semblant de croire
Et bientôt vous croirez. 

Et de celles du père Barsanuphe: "Je ne peux rien vous expliquer si vous ne le vivez pas. Mais je vous le dis: ça marche. C'est un fait d'expérience."
Or, cette expérience, je l'ai eue.
Mais tout est toujours à recommencer.
C'est pourquoi je mets la prière en premier, dans mes efforts de carême, parce que le reste, en principe, en est complètement conditionné.
Je m’interroge sur mon peu de repentir. Certes il y a des choses dont je ne suis pas fière, j’ai des remords. J’ai des remords vis-à-vis de maman et de mes animaux, essentiellement. Parfois des enfants de l'école avec lesquels je fus impatiente. Des gens que j'ai négligés, des secrets que j'ai trahis. Des mots que je n'ai pas dits et qu'il aurait fallu dire, des mots que j'ai dits et qu'il aurait fallu garder pour moi. Mais est-ce du repentir?
J'ai une sorte de repentir collectif. C'est-à-dire que lorsque je vois des horreurs aux quatre coins du globe et que j'entends de monstrueuses stupidités, ou des calomnies, ou que je vois se nouer des intrigues mortelles, je suis hérissée de colère et d'appréhension, mais j'éprouve de la douleur et de la honte comme si j'y participais, ou comme si c'était le fait de quelqu'un de ma famille, et d'une certaine façon, c'est exact. Et pourtant non, tout mon être se révolte à l"idée d'être apparentée, physiquement et spirituellement à des monstres incompréhensibles, à des ennemis déclarés et à des fourbes sans la moindre conscience. Je délègue à Dieu le soin de leur pardonner ou de les sauver si c'est possible... Dans les cas extrêmes, il n'est pas à notre portée de le faire, mais il y a tous les cas intermédiaires, les idiots utiles, les mutilés de l'âme...
Et lutter contre mes passions ne me motive pas excessivement non plus. C’est vrai qu’étant vieille et voyant venir la mort, pour la rencontrer dignement, et m’envoler plus facilement, j’aimerais assez me débarrasser de toutes les frustrations que je traîne toujours, et je tiens encore à la vie comme un vieil arbre à son rocher. 
J’ai beaucoup plus de remords d’avoir cédé à la colère quand je m’occupais de maman, ou de certains enfants à l'école, ou de n’avoir pas su m’occuper de mes animaux, de tous ceux que j’ai eus, à l’exception de Joulik et Picasso, que d’avoir eu quatre ou cinq aventures dans ma vie. Bien sûr, ce n’était pas ce que je voulais, ce que je voulais, c’était aimer un seul homme et ne pas céder par lassitude, surprise ou désespoir, à quatre ou cinq abrutis. 
Le seul homme qui ne m’ait jamais lâchée, c’est Ivan le Terrible, il ne m'a pas fait un petit, mais un livre. 
J’essaie de lire régulièrement des prières. J’ai lu le canon de saint André de Crète chez moi, parce qu’à l’église, je ne comprends rien. De plus, il faut se battre avec le portail pour sortir la voiture, le dégivrer, le dégager, et aller à l'église à pied sur la patinoire ce n'est plus de mon âge. Ce n’est pas que j’ai tellement bien compris en le lisant chez moi, mais disons que c'était mieux, quand même. On donne des versions bilingues slavon russe, mais je n’arrive pas à me concentrer sur le russe quand j’ai le slavon dans l’oreille, que je sois à l’église ou que j’écoute le canon sur youtube. En réalité, il faudrait apprendre tout cela par cœur…
Quand j’étais à Solan, et ce fut même la grande découverte que m’apporta Solan, je comprenais tout.  Et les textes liturgiques sont si profonds, si beaux et si pédagogiques qu’il est important de les comprendre. J'ai lu en français les psaumes qui suivent le canon, et j'ai eu tout à coup tout le monastère de Solan qui m'arrivait, la lecture des soeurs, la beauté du lieu, le mistral printanier s'engouffrant par la fenêtre, et autour, les vergers, les chemins dans la garrigue. Non que je n'étais pas à ce que je lisais, mais cela m'arrivait comme un film en surimpression. Car j'entendais là-bas les psaumes aux offices, je les lisais aussi en me promenant. 
Donc j’avais le choix entre la compréhension du texte seule chez moi ou l’office à l’église, avec la prière en commun, les cierges et les chœurs, mais un canon dont je ne saisirais pas les trois quarts. 
Le canon, et les réflexions sur celui-ci du père Alexandre Schmemann, m’ont amenée à la lecture quotidienne de la Genèse. Mais voilà que d’après ce que j’ai vu, nous en sommes déjà à celle d’Isaïe. Je laisse donc tomber la Genèse pour Isaïe.
Dans la Genèse, mon attention a été attirée par un détail:
Dieu créa donc l'homme à son image; il le créa à l'image de Dieu, et il les créa mâle et femelle. (Genèse I, 27).
Physiologiquement, nous sommes d'ailleurs tous mâle et femelle, simplement chez l'homme, les éléments mâles l'emportent, chez la femme, les éléments femelles, avec des nuances de proportions chez les individus. Mais que cette polarisation mâle/ femelle, provenant d'une ressemblance initiale qui se différencie pour aboutir à cette complémentarité soient inscrites profondément en nous et du reste en tout être vivant me paraît digne d'être méditée et riche de conséquences. Et sans doute enracinée dans la Divinité, inconnaissable mais source de toute créature, qui nous fit "à son image". Sinon, pourquoi?
Pour le reste, je ne peux m'empêcher de trouver à tout cela des éléments mythiques, sachant qu'à mes yeux, le mythe n'est pas un mensonge, mais un récit exprimant une vérité spirituelle qui n'est pas toujours exprimable et ne se laisse pas enfermer dans le stricte cadre rationnel. Comme dit le père Stephen Freeman, la Bible est une icône, demande-t-on à une icône d'être réaliste?
Plus loin, j'ai été frappée par l'événement qui déclenche le châtiment de Sodome et Gomorrhe: l'arrivée des deux anges chez Loth. Loth les reçoit comme on reçoit des hôtes en orient et dans l'antiquité et toute société traditionnelle, et ces hôtes étant deux anges avaient sans doute un éclat particulier; or que font les habitants de Sodome, de tous âges, devant ces émissaires sacrés et rayonnants de la divinité qui, chez un être normal comme Loth, provoquent vénération et empressement bienveillant? Ils exigent de les "connaître", et même l'offre que leur fait Loth de ses filles vierges à la place, ne les distrait pas de ce vil  dessein. C'est-à-dire qu'ils sont tellement déchus, que voyant la beauté révélée, la beauté sacrée, la beauté pure et éternelle, leur première pensée est de la souiller, de la profaner. Comment Dieu peut-il encore supporter une civilisation comme la nôtre, qui salit, pervertit et empoisonne tout ce qu'elle touche? Je pense que nous avons atteint un degré de nuisance et de dégradation dont Sodome et Gomorrhe étaient encore loin.
J'essaie de lutter contre Internet, et c'est plus difficile qu'il n'y paraît. C'est sans doute à classer dans les passions qu'il faut dompter en premier lieu. Un de mes correspondants qualifie Facebook de drogue. Et je pense que c'est exact. Il est plus facile de se débarrasser de la cigarette que d'une drogue de ce genre, parce qu'elle est imbriquée avec d'autres aspects: mon travail créatif, la promotion de mon livre, le blog, les traductions. Les amitiés réelles que j'ai nouées sur les réseaux avec des gens que j'ai rencontrés dans la vie ou non, mais qui m'apportent des échanges intellectuels, spirituels, leur humour et même leur réconfort et leurs encouragements. J'ai été seule sur ce plan-là une très grande part de ma vie, puisque je ne partageais aucune des idées dominantes de l'intelligentsia française et que pour elle, c'était rédhibitoire et en fin de compte, pour moi aussi. Internet m'a donné accès à plein de résistants solitaires. Ensuite, nous vivons sur une telle poudrière et sur un tel cloaque, que l'inquiétude nous pousse à en prendre des nouvelles, l'inquiétude et aussi la curiosité, une curiosité intellectuelle qui peut devenir une fascination morbide: un tableau se compose petit à petit qui fait vraiment peur. Ne pas avoir conscience de ce qui se trame, même de manière forcément confuse (mais cela va se précisant toujours plus) nous met à la merci complète des bonimenteurs et des hypnotiseurs, et d'une certaine façon, fait de nous leurs complices. Mais ainsi que le disait Nietzsche, prends garde en regardant le gouffre que le gouffre ne regarde pas en toi. Je ne me souviens pas de la phrase exacte, mais c'est cela l'idée, et je me sens parfois sous l'oeil de Sauron. L'équilibre est donc très difficile à garder.
Et puis le nombre de correspondants s'accroissant, il est aussi quasiment impossible de leur accorder l'attention que chacun mérite. J'avais vu l'interview du très séduisant acteur Oleg Menchikov: "Je suis seul dans la vie, disait-il, et très affligé de l'être, et, oui, je reçois des milliers de lettres d'admiratrices, je suis persuadé que parmi elles, il est des femmes qui seraient faites pour moi, mais lesquelles? Comment les reconnaître dans cette foule?"
La foule d'individus isolés où nous nageons comme des poissons de banc...
Les vidéos et articles intéressants sont, comme les individus, légion, ils s'abattent sur nous, et nous ne parvenons même plus à les lire, nous sautons de l'un à l'autre, cela devient un flux continu, étourdissant, sur les détails duquel on a du mal à s'arrêter. De sorte que dans cette bigarrure, les choses tragiques et importantes peuvent passer inaperçues, puisque l'indignation des gens est manipulée, comme leur attention, on capte leur cervelle avec de gros entonnoirs fluorescents et clignotants, faisant de ce qu'ils prennent encore pour de la compassion un réflexe conditionné. En étant un peu averti, on se dit que là où il y a tintamarre, grosse caisse, gros sanglots, gros drapeaux, grands discours, là où il y a unanimité dans l'invective, on peut être quasiment certain qu'il s'agit de mensonges, calomnies, manipulations et coups montés, et c'est mon réflexe depuis un bon bout de temps. Néanmoins, notre résistance et notre relative lucidité suffisent-elles à contrer le tohu-bohu du diable? Ne nous fait-il pas ainsi perdre notre temps et notre paix intérieure? Pourtant, le patriarche Cyrille a invité les croyants à ne pas laisser toujours la parole, sur les fils de discussion, aux ennemis délirants de l'Eglise et aux trolls de tous poils...
Je survole, parfois je soulève un couvercle: oh ça pue et ça bouillonne, n'y va pas. Mais on n'évite pas les éclaboussures.
Enfin, est-ce que je donne assez? Je ne l'ai pas choisi mais je vis seule, et je supporte mal d'être dérangée. Je sacrifie de mon temps et de mes forces pour de justes causes, par exemple, celle du métropolite Onuphre et de ses fidèles, et cela est béni par mon père spirituel. Mais dans la vie courante, je ne me dérange pas pour grand monde et ne donne asile qu'aux chats et aux chiens.
Voici le bilan, au bout d'une semaine. Je dirais que l'effort de lire et de prier, le peu que je fais m'apporte quand même une sorte de recueillement, de légèreté de l'âme. Et des larmes.
Aujourd'hui dimanche du Triomphe de l'Orthodoxie. Mon intention était d'aller à Moscou me confesser à mon père Valentin, et communier. Mais Génia, qui a une datcha au village de Tverdilkovo et lutte avec succès pour sauver la berge du lac Plechtcheïevo des promoteurs, m'avait dit que la cathédrale saint Basile le Grand, du monastère saint Nicétas, serait, après sa restauration, inaugurée ce dimanche.
Je voulais voir cela, cette cathédrale date d'Ivan le Terrible, et après la révolution, on l'avait laissé se dégrader, comme le reste. Je suis arrivée un peu avant l'ouverture officielle des portes, l'évêque était encore dehors, au pied de l'escalier, avec toute une suite de moines, hiéromoines aux brillants vêtements de brocart violet. Ils sont entrés les premiers, tous les fidèles derrière, et il y avait beaucoup de monde.
Tout l'intérieur a été repeint à fresque, et c'est bien ce que j'ai vu de plus beau dans le genre, à Pereslavl. Les fresques sont très belles, j'ai particulièrement aimé Alexandre Nevski, c'est tout à fait comme cela que je le vois. Moins saint Gleb, qui m'a vaguement  rappelé des affiches héroïques de la guerre de 40: la mère patrie t'appelle.
 L'iconostase de métal repoussé est à la fois très ornée et suffisamment discrète pour ne pas étouffer les icônes qui sont également très réussies, surtout celles du bas, le Christ et la Mère de Dieu. Dans la Déisis, on retrouve dans tout Pereslavl les mêmes copies des mêmes icônes anciennes, qui plus est très connues, et naturellement, on copie toujours des icônes, anciennes ou modernes, mais quand on les retrouve complètement, sans véritable "digestion", et qu'on les retrouve partout, c'est un peu gênant. Cependant, j'ai été dans l'ensemble extrêmement heureuse de voir cette restauration, qui est belle, simple, spirituelle. Même le sol est bien, de simples carreaux genre terre cuite, pas de marbre, pas de granité, et tout cela a été réalisé avec soin et amour, sans souci de faire riche.
De plus, il y avait beaucoup de ferveur. En fait, je soupçonne que s'il y avait tant de monde, c'est que l'higoumène a un certain rayonnement, et des enfants spirituels avaient dû venir d'autres villes, et aussi de Moscou. J'avais renoncé à communier, en changeant mes plans, mais je le regrettais beaucoup. Tous les moines que je voyais avaient un air de grande bonté. Et je pensais à mes histoires de repentir: ma flemme et ma complaisance envers mes petites faiblesses me gardent à l'extérieur. Dans l'expérience religieuse, il m'apparaissait tout à coup qu'on peut être dedans ou dehors. Et l'on peut être dans l'église, sans être DEDANS. J'ai vécu une semaine sainte où j'étais dedans, j'avais changé de monde, et ce qu'on appelle justement "le monde", au sens religieux, évangélique, ne me concernait plus. Or aujourd'hui, j'avais loupé une occasion d'entrer dans cette autre dimension, où étaient les moines, et l'évêque, et je restais un peu à la périphérie. Les regardant tous, je voyais à quel point ils étaient russes, et la Russie que j'aime, je ne la trouve plus que dans les églises et dans les festivals de folklore. Mais je la trouve, et c'est déjà bien. Elle existe et elle résiste.
L'office, très solennel, a duré près de cinq heures, parce qu'en cours de liturgie, on a ordonné deux hiéromoines, et après la liturgie, il y avait la lecture des anathèmes envers tous les hérétiques. J'avais rencontré mes deux jeunes amies, Nadia la fabricante de cierges et Katia, et elles m'ont dit ensuite que presque tout leur entourage tombait sous le coup de ces anathèmes: "Eh bien par chance, leur ai-je répondu, je n'ai rien compris! Mais ne vous frappez pas, dans l'orthodoxie, il y a la lettre, et puis il y a l'économie..."
Je n'en pouvais plus, j'avais bien sûr mal au genou. Et Nadia, elle, était malade, cette fervente orthodoxe était venue avec de la fièvre. J'avais laissé Rita dans la voiture, et me tourmentais pour elle. Je n'en avais pas l'intention, mais elle qui ne s'était jamais intéressée à la chatière, à tel point que je doutais un peu de ses capacités mentales, par rapport à Doggie ou Joulik, a brusquement réalisé, et, alors que j'ouvrais le portail, je l'ai vue arriver. J'avais peur d'être en retard, et puis maintenant qu'elle connaît, elle va recommencer...
La chatière pour aller faire ses besoins dehors, aucune motivation. Pour me suivre quand je la laisse, alors là, c'est une autre histoire.
En Ukraine, ce triomphe de l'Orthodoxie est fêté avec une grande ferveur par l'Eglise persécutée. D'immenses processions se constituent. Il me semble que le métropolite Onuphre et ses fidèles seront la pierre d'achoppement de l'offensive satanique transnationale contre le christianisme en général et l'Orthodoxie en particulier.


saint Alexandre Nevski


mardi 12 mars 2019

La Poste, huitième tentative

J'ai fait à la Poste une huitième tentative, à l'issue de laquelle j'ai récupéré mon livre, qui risquait de repartir vers son expéditeur, mais pas l'autre paquet, introuvable sans numéro, et j'avais oublié mon téléphone.
Un quart d'heure avant l'ouverture, il y avait déjà six personnes devant la porte. Un type en était à sa septième tentative et filmait dans l'espoir de diffuser le scandale et de porter plainte. Il s'est fait réprimander par une femme de la queue: "Toute l'équipe est partie, vous feriez ce qu'ils font, pour leur salaire de misère? Continuez comme cela, et ils nous fermeront la poste pour y mettre un local commercial!"
C'est sûr qu'on hésite à se faire expédier quelque chose...  Je me souviens d'avoir un jour fait la queue pour ce qui s'était avéré un faire-part de mariage.
Ensuite je suis allée accueillir Tania à la gare routière. Je reçois toujours des factures et des commandements de payer pour un certain Klimov, qui habitait chez moi autrefois, et cela bien que nous ayons déjà fait le tour de toutes les administrations pour faire établir de nouveaux contrats et signaler que j'occupais cette maison toute entière, qu'elle ne consistait plus en deux appartements différents. On nous a dit que le fournisseur avait changé, qu'il fallait faire un nouveau contrat, et que c'était dans un autre endroit de la ville, où la dame de service ne savait que faire, le chef étant absent, elle m'a fait un nouveau contrat, en prenant des photocopies des factures de Klimov. Nous sommes allées aussi aux impôts, où j'étais convoquée: je n'aurais pas déclaré à temps quelque chose, mais heureusement, Tania avait la preuve que si, nous l'avions fait ensemble. Après l'avoir raccompagnée à la gare routière, j'ai trouvé dans ma boîte une lettre des impôts français (partie le 2 février!) me réclamant une taxe d'habitation impayée, mais laquelle? J'ai vendu il y a trois ans! et une facture pour Klimov et aussi pour le propriétaire précédent! Alors que je paie les miennes par la banque...
Tania a découvert sur le livret de la maison, où sont répertoriés les occupants et les caractéristiques techniques, que le fameux Klimov avait quitté les lieux en...1987!
Peut-être que depuis ce temps, les occupants suivants tentent vainement de faire enregistrer qu'il n'y vit plus?
Si vous avez la phobie de l'administration, n'envisagez pas de vivre ici sans juriste... Parce qu'en plus, leurs papiers sont illisibles et aucun logo ne les différencie les uns les autres.

Tania

dimanche 10 mars 2019

Pardon

Adam chassé du paradis Vologda XVI° siècle
Voici venu le dimanche du pardon, après lequel le carême commence. Nous nous demandons tous pardon, parce qu'on ne peut faire cette préparation spirituelle en ayant quelque chose contre quelqu'un, ou en ayant offensé quelqu'un sans avoir réglé cette affaire. A Pereslavl, personne ne m'a offensée et réciproquement. Sur Facebook, cela a pu arriver.
Vous n'êtes pas obligés de ricaner, mais je vais essayer de limiter mes séances facebook. De ne pas intervenir dans les débats politiques, de me cantonner à la promotion de mon livre ou au groupe de soutien au métropolite Onuphre, après tout, là, je sais où j'en suis, et puis le père Valentin m'a dit que j'étais "un combattant de l'orthodoxie", le patriarche Cyrille lui-même a demandé de ne pas toujours laisser noblement l'espace d'Internet au aboiements inlassables des ennemis de l'Eglise...
Mon autre intention était d'essayer de prier régulièrement, de lire les Ecritures et d'aller régulièrement aux offices. Ce serait déjà pas mal.
Dans l'un et l'autre cas, je suis assez convaincue de la nécessité de l'effort.
Pour le reste, j'écoutais ce matin l'évêque dire que si l'aspect alimentaire de la question faisait de ce carême un supplice dont on s'inflige les règles parce que cela se fait, ou une occasion de se prendre pour un grand ascète en jugeant la faiblesse des autres, mieux valait ne pas le respecter.
Je ne risque pas de me prendre pour un grand ascète ni de juger la faiblesse des autres, j'ai trop conscience de la mienne sur ce plan-là, mais oui, l'aspect alimentaire de la question me casse vraiment les pieds. Ce n'est pas d'un carême que j'aurais besoin, c'est d'un régime, et ce n'est pas de me passer de viande (ce que je fais la plupart du temps) d'oeufs et de laitages mais de sucre, et cela pour de réelles raisons de santé, et cela me demanderait d'ailleurs de plus grands efforts de volonté. En revanche, suivre le carême oblige à toujours chercher ce qu'on va bien pouvoir manger, et préparer, à moins d'avaler les légumes crus, et encore il faut aller les acheter, et en fin d'hiver, les trouver. Chaque année, j'approche de ce carême exténuée d'avance. Je n'en suis pas fière mais c'est ainsi.
Un homme m'a abordée dans cette même église, en me conviant aux festivités de la maslenitsa, dernier jour, qui avaient lieu sur la place de l'administration, et où je n'avais pas mis les pieds, redoutant le kitsch de l'événement: les cosaques locaux s'y rencontraient aujourd'hui, or je suis une afficionado des cosaques et du folklore. En attendant l'heure de la manifestation, je suis allée au café français me taper une quiche et un gâteau, avant le carême. J'y ai trouvé le père Constantin, avec un écrivain qu'il m'a présenté, et qui m'a tracé des éditeurs et de tout ce qui tourne autour un tableau correspondant à leurs équivalents français, les préjugés idéologiques en moins, et encore pas sûr, ou alors ils sont remplacés par autre chose, mais en gros, avoir écrit un bon livre ne débouche pas forcément sur une publication. Lui, en tous cas, s'intéressait visiblement au contenu du mien, qu'il a trouvé très actuel, d'après ce que je lui en disais, bien qu'il soit situé à une autre époque.
Je me suis rendue ensuite sur la place voisine où tout était, comme prévu, d'un kitsch abominable. Le grand mannequin de la maslenitsa, le toboggan pour les gosses en plastique gonflable, la scène où se trémoussaient de fausses paysannes, avec de faux costumes, en braillant du faux folklore, avec micro, batterie, tout un tohu-bohu. Elles rendaient méconnaissables des chansons traditionnelles que pourtant je connaissais, tout cela d'une laideur affligeante, sonore et visuelle, et devant, une foule ahurie qui ne participait pas à grand chose. J'ai fini par dénicher mes cosaques, dans un coin, ils se rencontraient tous en tombant dans les bras les uns des autres. Il y avait parmi eux le Suisse Benjamin qu'ils ont entièrement adopté. Ils se sont livrés à des jeux divers, au son de l'accordéon, qui se terminaient tous par une sorte de mêlée de rugby, laquelle déclenchait invariablement les aboiements furieux de Rita, dans son sac suspendu à mon épaule: ces bagarres lui semblaient tout à fait répréhensibles. La sono des "paysannes" était si forte qu'on entendait à peine l'accordéon, la glace fondait, mais il ne faisait pas vraiment chaud et très humide. Rita commençait à grelotter, et moi aussi. J'ai fini par rentrer. Pour faire le plus important, avant de rater, comme chaque année, mon carême dans les grandes largeurs: demander pardon à ceux que j'ai pu offenser par des remarques maladroites ou acerbes, ou des bavardages intempestifs, ou un manque d'attention...

Lamentation d'Adam, chassé du paradis.

Et pour se donner un peu d'élan, merci Claude, une bonne lecture: https://orthodoxologie.blogspot.com/2019/03/sa-beatitude-onuphre-comment-se.html


vendredi 8 mars 2019

Davydovo


Pour la fête des femmes, j'ai fêté la maslenitsa, ou semaine grasse, au village de Davydovo, à 100 km d'ici, sur la route d'Ouglitch. Katia en avait rencontré des habitants aux festivités de la maslenitsa de Pereslavl, à laquelle je ne suis pas allée, car la maslenitsa est souvent prétexte à un déchaînement de kitsch, et voyant ce qu'on fait de la ville, je m'attendais au pire, eh bien non, il y avait aussi de vrais folkloristes. Ceux-ci nous avaient aussitôt invitées à leur maslenitsa. Et nous y sommes allées, par un temps immonde, pluie glaciale sur la glace, transformée en vrai savon liquide.
Néanmoins, la fête était très gaie, et surtout très naturelle. Ce n'était pas une fête destinée à être montrée, c'était la fête des gens de ce village qui, en réalité, est une communauté, régie par le prêtre local, le père Vladimir, et bâtie autour de la notion de charité (un centre pour enfants autistes et trisomiques, avec toutes sortes d'activités, notamment de l'hippothérapie) et de la restauration d'une vie russe et chrétienne. Le folklore lui-même y est pratiqué comme une fonction naturelle des gens, sans concerts systématiques, il n'y avait pas de scène où se produisait un ensemble, avec des curieux errants tout autour, mais des gens qui fêtaient la maslenitsa avant le carême, comme il se doit. Le père Vladimir cherche toujours à agrandir la communauté, et met des terres à la disposition de ceux qui veulent s'y installer. Il faut s'y rendre utile, comme on peut, mais semble-t-il, sans contraintes draconiennes, l'essentiel étant d'aider, en particulier les enfants handicapés, qui doivent bénéficier de l'attention bienveillante générale. "Parce que, nous a-t-il dit, c'est bien joli d'aller à l'église, mais ce que nous demande le Christ, c'est de nous aimer les uns les autres, et d'être charitables envers ceux qui en ont besoin". La communauté a une ferme, qui produit oeufs et produits laitiers, en vente pendant la fête. On vendait aussi une délicieuse tisane, avec des herbes variées et sans doute du gingembre, pour réchauffer les participants congelés sous la pluie, des crêpes, évidemment, et des sucettes fabriquées maisons, ainsi que les productions manuelles des enfants. 
La folkloriste Iana est la fille du père Vladimir. Mariée avec Génia. Ils ont huit enfants, et leur belle isba est un véritable bazar, comme pratiquement toutes les maisons de familles nombreuses que j'ai vues en Russie. Les gosses, leurs jouets, leurs vêtements grouillent de tous les côtés. Nous avons rencontré chez eux Gricha et sa femme Polina, la fille d'un cosaque de l'ensemble Kazatchi Kroug, dont ils ont chanté le répertoire. Polina se souvenait de moi, ce qui n'était pas réciproque, mais il est possible qu'elle ait beaucoup changé depuis ce moment, et puis, dans les concerts des cosaques, il y avait du monde. Elle et son mari ont six enfants: "il faut remonter la démographie"! Il y avait encore beaucoup d'autres gens, dont certains arrivaient en cours de soirée, à la russe, on fait la tournée des voisins en apportant quelque chose. Ils étaient tous extrêmement chaleureux, chantaient avec bonheur. Nous avons mangé des crêpes, de l'excellent fromage de chèvre, du très bon poisson de la Volga dit "karass" en russe. Comme me le disait ensuite Katia, au retour, les folkloristes sont des gens sains. "Les acteurs sont des malades enivrés d'eux-mêmes, les écrivains aussi, les peintres souvent, mais les gens qui pratiquent le folklore sont des gens normaux, équilibrés, avec des familles unies et normales, leurs gosses grandissent là dedans, ils n'ont pas besoin de drogue, ils vivent avec la musique, dans un univers de beauté, un univers épique, ils n'ont pas besoin de tout ce que propose notre civilisation factice, et ils trouvent leur femme ou leur mari, dans le même milieu, parce que lorsqu'on a récupéré sa tradition, et tout ce qu'elle nous apporte, on ne peut plus s'en passer".
Katia est la fille d'un acteur et dramaturge connu, mort il y a une dizaine d'années. Je lui donnais à tout casser 25 ans, elle en a 38.
A Davydovo, dans cette Russie recomposée, dans ce village réinvesti souvent par des Moscovites qui lui ont redonné vie, on se sent très loin de tout ce qui nous révulse dans la société des cyborgs. On pourrait même complètement l'oublier, vivre sans elle, tant qu'elle ne fera pas la peau à ceux qui ne veulent pas en entendre parler.
A la fête, j'ai enfin rencontré le père Joseph Gleason et sa femme. Ils y participaient pour la troisième année, et des Américains orthodoxes en poste à Moscou étaient venus les rejoindre.
"Un starets a prédit qu'il nous arriverait ici des étrangers," m'a dit Katia.

Katia, à notre arrivée. Les femmes du village approchent le lieu de la fête. Les
hommes approchent de leur côté, en face, et tout le monde se rejoint au centre.



le père Vladimir devant le maison de sa fille Iana

jeunes musiciens




jeu du cheval

la maison de Iana et Génia

Polina, Gricha et Iana chantent
deux Américains....

jeudi 7 mars 2019

Toujours la Poste...

Hier la dame de l'immigration me téléphone très aimable: mon dossier est revenu, je dois aller le chercher. J'y vais ce matin. Il faut refaire la déclaration de demande, refaire toutes les visites médicales, et le papier de la banque.
J'étais venue en taxi, car tout a regelé à mort, le portail bloqué, car une des portes est trop basse, elle était trop basse dès le départ, et en plus, la palissade s'est enfoncée de ce côté. Elle est garantie trois ans, si les types n'ont pas fichu le camp depuis au Kamtchatka... J'ai essayé en vain de la débloquer à l'eau bouillante.
Après l'immigration, j'ai fait une cinquième tentative à la poste maudite, pour essayer de récupérer mon livre et un autre paquet arrivé depuis: une queue d'une vingtaine de personnes devant l'unique guichet, j'ai battu en retraite. 
Dans l'après-midi, sur les conseils d'une voisine, j'ai mis du sel au pied du portail, ce qui est contraire à mes convictions, mais j'ai trop souffert!J'ai dégagé la porte. Et je me suis cassé la gueule sur la glace, mon genou arthrosique en a pris un coup. A noter que Rita est restée une patte levée, l'air profondément perplexe. Rosie, la dernière fois que ça m'est arrivée, était accourue très inquiète.
Je suis allée faire des courses. Par ce temps de dégels et regels, je ne sortirais jamais, si je pouvais, mais il faut de temps en temps faire les courses, en plus des démarches à la gomme. Puis je suis repassée une sixième fois à la poste, qui était fermée, parce que demain, c'est le 8 mars, fête des femmes!
Donc comme lundi, j'ai des démarches administratives, je n'irai pas à la poste avant mardi, une septième fois, et là, je pense qu'il faudra prendre un livre et un pique-nique et ne pas décarrer avant d'avoir mes deux paquets...
Or c'est le début du carême, on aimerait pouvoir se concentrer sur son âme, la modernité ne nous laisse pas ce loisir. 
Ce matin, le ciel était clair, avec des étoiles peu nombreuses mais énormes.
Le divan plaît beaucoup aux chats. Il y a largement la place pour quatre chats. Mais ils sont tellement cons, que si le premier occupant en voit arriver un deuxième, il s'en va aussitôt. Avant cette équipe, j'ai eu des chats qui dormaient tous ensemble dans les pattes les uns des autres. Ceux-là, non. Quatre égoïstes jaloux, exclusifs et mal aimables. Et Rita n'est pas mieux, dans le genre, c'est "ôte-toi de là que je m'y mette".





mercredi 6 mars 2019

Un autre Dieu

Tout fondait sous la pluie et puis tout a regelé et j'ai l'impression que c'est parti pour un mois de dégels et de regels. C'était beau, aujourd'hui, un vif soleil et du vent, mais se promener sur la patinoire, ce n'est plus pour moi. J'attends la fin de tout ça, et je regarde le manteau neigeux: comment vais-je aménager mon potager, où planter un argousier, pour qu'il ne risque pas d'envahir les voisins, mais qu'il ait quand même du soleil? Car les argousiers poussent comme du chiendent, alors que j'aurais beaucoup de mal à faire pousser un pommier, bien que j'ai l'intention d'essayer les arbres nains, dont le système racinaire réduit n'atteindra peut-être pas la nappe toute proche, si je rajoute de la terre...
J'ai fait une commande de graines, persil, basilic, aneth, coriandre et autres, des ipomées, et puis une plante décorative de marécage, en russe labaznik. Ca vient très haut, pour une plante. Et aussi une symphorine, j'ai vu que cela poussait partout dans  le voisinage. La symphorine,  j'en voyais à Annonay, chez mon grand-père, cela me rappellera la France et mon enfance, et cela fait des baies blanches qui égaient le jardin quand tout disparaît, à l'automne.

Ces projets m'occupent l'esprit, ils sont terrestres, naturels et mettent de la beauté dans l'environnement qui en a généralement bien besoin. Cela me change du puzzle épouvantable que me composent les nouvelles glanées sur facebook, ce cauchemar de science-fiction préparé par la bande de dingues, de satanistes et de mafieux qui contrôlent une grande partie du monde, dont l'Europe, et ont aussi des complices en Russie. Je pourrais laisser tomber Facebook, mais j'y ai beaucoup d'amis, et puis je me suis engagée dans le groupe qui défend le métropolite Onuphre, et a permis, je pense, au moins à certains orthodoxes capables de surmonter leurs préjugés confortables, de comprendre ce qui est en train de se passer et à qui nous avons affaire. Nous sommes si peu à dire la vérité, si peu à la voir, et ces croyants, ces 80% de croyants orthodoxes locaux, derrière leur saint métropolite, sont si fermes, si fervents et si abandonnés. Enfin, abandonnés. des hommes... Mais  Dieu est avec eux, je n'en doute pas une minute, comme dit un de leurs hiérarques, ils restent soudés, conservent leurs communautés même quand on leur vole leurs églises, et sont près de devenir de vrais confesseurs de la foi. Derrière toute la puissance brutale de ceux qui ont donné licence à leurs indignes persécuteurs de leur pourrir la vie, nous savons bien qui se tient, il se tient partout, il triomphe partout, il est en train de détruire non seulement les pays, les peuples, et tous les sentiments élevés des hommes, leur culture ancestrale, leur spiritualité, mais toute la magnifique création de Dieu, et pensant à mon jardin, je me dis qu'ici, pendant encore quelques temps et peut-être jusqu'à ma mort, il y aura des fleurs, des arbres, des buissons, des jeux de lumière, et des oiseaux. Les oiseaux qui disparaissent en France, et que je nourris ici l'hiver.
Quelqu'un écrit sur un fil de commentaire chrétiens: "Il nous faut trouver un autre Dieu. Un Dieu compatible avec notre réalité. Les paraboles ne fonctionnent plus."
Je suis restée un moment à relire cela dans mon lit: "Trouver un autre Dieu". C'est-à-dire que l'on peut en arriver à penser que la "réalité", telle que nous l'avons faite, et qui ne colle effectivement pas du tout avec ce que Dieu nous demande, ni avec la réalité de nos ancêtres, même relativement récents, cette espèce de folie sinistre que personne ne peut arrêter et qui transforme des enfants en objets sexuels ou en fournisseurs d'organes frais, les enlève à leurs parents lorsqu'ils ne sont pas élevés comme le veut la caste, se propose de contrôler totalement les gens, de les métisser comme des vaches, qu'ils le veuillent ou non,  de leur formater la cervelle et de les faire vivre à rebours complet à la fois de leur nature et de leur destin spirituel, eh bien il faut le changer, il faut l'adapter à tout ça. C'est donc à nous de décider comment Dieu doit être, au lieu de réaliser que nous nous sommes tellement éloignés de lui que nous ne savons même plus où nous nous trouvons, dans une pagaille hideuse, de plus en plus confuse, de plus en plus dégradante, de plus en plus infernale. Dieu peut donc être traité comme un objet de consommation. Ou comme le chien qu'on a pris par caprice et qu'on abandonne au bord de la route, pour en prendre un plus sage ou plus racé. Et pour achever le tableau: "les paraboles ne fonctionnent plus". Bonnes gens, vous avez lu? "Les paraboles ne fonctionnent plus!"

Mais moi je sais qui sera ce Dieu plus adapté: c'est ce qu'on appelle l'antéchrist. Dont prépare la venue la "religion du futur" qu'on essaie de nous mettre en place. 


symphorine

labaznik






dimanche 3 mars 2019

Jugement Dernier

Le mois de mars, en Russie, c'est le printemps. En France, on appellerait cela un hiver rigoureux, mais par rapport à l'hiver précédent, cet hiver du mois de mars manifeste des différences. D'abord, les arbres commencent à avoir des bourgeons, les chatons de saule gonflent et deviennent soyeux. Et puis il y a des dégels, et des regels, ce matin, j'ai dû me battre avec mon portail, le cadenas est souvent gelé, parfois une des portes prise dans la glace ne peut plus s'ouvrir, et pourtant j'avais nettoyé la veille. J'ai dû faire chauffer de l'eau. Et je suis arrivée en retard à l'église.
On assiste à des espèces de giboulées. Tempête de neige, puis soudain soleil, puis à nouveau tempête de neige, puis soleil, à travers des nuages crispés, où l'argent brillant se mêle au velours sombre.
C'était le dimanche du Jugement Dernier, et c'est le père Constantin qui a fait l'homélie. Il a rappelé que le seul péché qui nous vaudrait des problèmes au Jugement Dernier, c'était l'absence de miséricorde, l'absence d'empathie, et c'est vrai que dans l'évangile concerné, on ne parle de rien d'autre: l'enfer est pour les cœurs endurcis. Parce que dans un coeur endurci, il n'y a pas de place pour l'Amour, cet Amour qui est aux uns insupportable brûlure, aux autres illumination et béatitude.
Parallèlement, j'observe que dans ces derniers temps que semblent être les nôtres, l'endurcissement du cœur et le manque d'empathie, remplacés au gré des intérêts politiques et financiers par une pleurnicherie hypocrite sur commande réservée aux victimes convenables et rentables, réelles ou fabriquées, sont devenus tout à fait à la mode, on peut dire qu'on fait tout pour les cultiver. "Vous n'aviez qu'à travailler plus!" lance notre président à une retraitée qui touche 500 euros par mois et a peut être marné toute sa vie comme une brute dans sa ferme ou son magasin, car c'est à peu près ce que touche un paysan ou un commerçant, ou un artisan. "C'est bien fait pour eux, ce sont des feignants et des minables!" s'écrient tous les bobos devant les gilets jaunes malmenés, éborgnés, mutilés. Un huissier, en Allemagne, saisit le chien de la famille et le vend sur e-bay. Dans une manifestation féministe en Amérique, une petite fille piétine un poupon, pour montrer, sans doute bien conditionnée par sa mère,  à quel point elle est peu disposée à jouer le rôle de la maman pleine d'abnégation. Il n'y a pas de raison. On ne va pas se laisser empoisonner la vie par des chiards. Ou par des vieux. L'avortement, l'euthanasie. Poussez-vous de là, ceux qui gênent...
L'idéal de la femme prôné par les médias, les séries, le cinéma, c'est la carriériste, la mégère, la brute, comme on en voit justement parmi les CRS, prêtes à tirer des flash balls dans l'oeil de gamines de vingt ans qui en restent mutilées et défigurées à vie...
L'idéal de l'homme, c'est le cyborg en costar qui se croit plus intelligent que n'importe qui et qui est prêt à écraser tout ce qui se met en travers du chemin de la mafia qu'il sert, et de son idéologie démoniaque.
Dostoïevski avait raison de s'écrier: "Si Dieu n'existe pas, tout est permis!"
Pour moi, l'idéal de la femme reste ma mère qui ne vivait que pour les siens, celui de l'homme mon beau-père paysan, qui a soigné comme son propre père mon grand-père qui le détestait et le méprisait. Au fond, croyants ni l'un ni l'autre, ils restaient pétris de vertus évangéliques. C'était comme cela qu'on les avait élevés.
Le père Constantin rappelait que ce dimanche dernier était précédé du dimanche du fils prodigue, où, contre toutes les convenances de la société patriarcale de l'époque, le père offensé ne cesse d'attendre le retour du vaurien familial et se jette à sa rencontre en courant comme un gamin. Et auparavant, de celui du pharisien et du publicain, où la canaille méprisée de tous mais profondément repentante, repart justifiée, tandis que le juste content de lui ne rencontre pas le Dieu qu'il prétend honorer. Et avant cela encore du dimanche de Zacchée, ou une autre canaille toute aussi méprisée monte sur un arbre sans se soucier des moqueries suscitées, pour apercevoir le Sauveur dont il est profondément indigne, mais parce qu'il manifeste le besoin qu'il avait de lui, celui-ci répond à son attente, et va dîner chez lui...
Je me demandais où je me situais, certainement pas parmi les justes, pas chez les canailles méprisées non plus, ni même parmi les prostituées repenties. Capable d'une certaine empathie, mais pas d'une abnégation évangélique, même pas comparable à ma mère incroyante. Rien de bien glorieux. Mais le sens du beau et du bien en moi est perpétuellement heurté et révolté par ce qui se passe dans cette bacchanale sinistre et hideuse de la modernité, cela prouve au moins que mon cœur est toujours là, qu'il n'a pas tourné au cuir racorni ou à l'éponge de fiel... Le père Barsanuphe me disait lui aussi toujours que la pire des choses, la plus irrémédiable, c'était l'endurcissement du cœur.