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vendredi 8 mars 2019

Davydovo


Pour la fête des femmes, j'ai fêté la maslenitsa, ou semaine grasse, au village de Davydovo, à 100 km d'ici, sur la route d'Ouglitch. Katia en avait rencontré des habitants aux festivités de la maslenitsa de Pereslavl, à laquelle je ne suis pas allée, car la maslenitsa est souvent prétexte à un déchaînement de kitsch, et voyant ce qu'on fait de la ville, je m'attendais au pire, eh bien non, il y avait aussi de vrais folkloristes. Ceux-ci nous avaient aussitôt invitées à leur maslenitsa. Et nous y sommes allées, par un temps immonde, pluie glaciale sur la glace, transformée en vrai savon liquide.
Néanmoins, la fête était très gaie, et surtout très naturelle. Ce n'était pas une fête destinée à être montrée, c'était la fête des gens de ce village qui, en réalité, est une communauté, régie par le prêtre local, le père Vladimir, et bâtie autour de la notion de charité (un centre pour enfants autistes et trisomiques, avec toutes sortes d'activités, notamment de l'hippothérapie) et de la restauration d'une vie russe et chrétienne. Le folklore lui-même y est pratiqué comme une fonction naturelle des gens, sans concerts systématiques, il n'y avait pas de scène où se produisait un ensemble, avec des curieux errants tout autour, mais des gens qui fêtaient la maslenitsa avant le carême, comme il se doit. Le père Vladimir cherche toujours à agrandir la communauté, et met des terres à la disposition de ceux qui veulent s'y installer. Il faut s'y rendre utile, comme on peut, mais semble-t-il, sans contraintes draconiennes, l'essentiel étant d'aider, en particulier les enfants handicapés, qui doivent bénéficier de l'attention bienveillante générale. "Parce que, nous a-t-il dit, c'est bien joli d'aller à l'église, mais ce que nous demande le Christ, c'est de nous aimer les uns les autres, et d'être charitables envers ceux qui en ont besoin". La communauté a une ferme, qui produit oeufs et produits laitiers, en vente pendant la fête. On vendait aussi une délicieuse tisane, avec des herbes variées et sans doute du gingembre, pour réchauffer les participants congelés sous la pluie, des crêpes, évidemment, et des sucettes fabriquées maisons, ainsi que les productions manuelles des enfants. 
La folkloriste Iana est la fille du père Vladimir. Mariée avec Génia. Ils ont huit enfants, et leur belle isba est un véritable bazar, comme pratiquement toutes les maisons de familles nombreuses que j'ai vues en Russie. Les gosses, leurs jouets, leurs vêtements grouillent de tous les côtés. Nous avons rencontré chez eux Gricha et sa femme Polina, la fille d'un cosaque de l'ensemble Kazatchi Kroug, dont ils ont chanté le répertoire. Polina se souvenait de moi, ce qui n'était pas réciproque, mais il est possible qu'elle ait beaucoup changé depuis ce moment, et puis, dans les concerts des cosaques, il y avait du monde. Elle et son mari ont six enfants: "il faut remonter la démographie"! Il y avait encore beaucoup d'autres gens, dont certains arrivaient en cours de soirée, à la russe, on fait la tournée des voisins en apportant quelque chose. Ils étaient tous extrêmement chaleureux, chantaient avec bonheur. Nous avons mangé des crêpes, de l'excellent fromage de chèvre, du très bon poisson de la Volga dit "karass" en russe. Comme me le disait ensuite Katia, au retour, les folkloristes sont des gens sains. "Les acteurs sont des malades enivrés d'eux-mêmes, les écrivains aussi, les peintres souvent, mais les gens qui pratiquent le folklore sont des gens normaux, équilibrés, avec des familles unies et normales, leurs gosses grandissent là dedans, ils n'ont pas besoin de drogue, ils vivent avec la musique, dans un univers de beauté, un univers épique, ils n'ont pas besoin de tout ce que propose notre civilisation factice, et ils trouvent leur femme ou leur mari, dans le même milieu, parce que lorsqu'on a récupéré sa tradition, et tout ce qu'elle nous apporte, on ne peut plus s'en passer".
Katia est la fille d'un acteur et dramaturge connu, mort il y a une dizaine d'années. Je lui donnais à tout casser 25 ans, elle en a 38.
A Davydovo, dans cette Russie recomposée, dans ce village réinvesti souvent par des Moscovites qui lui ont redonné vie, on se sent très loin de tout ce qui nous révulse dans la société des cyborgs. On pourrait même complètement l'oublier, vivre sans elle, tant qu'elle ne fera pas la peau à ceux qui ne veulent pas en entendre parler.
A la fête, j'ai enfin rencontré le père Joseph Gleason et sa femme. Ils y participaient pour la troisième année, et des Américains orthodoxes en poste à Moscou étaient venus les rejoindre.
"Un starets a prédit qu'il nous arriverait ici des étrangers," m'a dit Katia.

Katia, à notre arrivée. Les femmes du village approchent le lieu de la fête. Les
hommes approchent de leur côté, en face, et tout le monde se rejoint au centre.



le père Vladimir devant le maison de sa fille Iana

jeunes musiciens




jeu du cheval

la maison de Iana et Génia

Polina, Gricha et Iana chantent
deux Américains....

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