Encore une fois, je suis restée coincée à Moscou. Le jeudi soir, je suis allée au diable vauvert, soit au métro boulevard Dmitri Donskoï, dans l'église du même nom, retrouver Skountsev, et à sa place, m'attendait un gros lapin russe goguenard. Mais ne nous hâtons pas de tirer des conclusions désagréables sur Skountsev, habitué et des lapins et des plans, il n'y était pour rien, simplement, tout le monde se fichait éperdument sur place et de Skountsev et de moi-même et personne n'a été capable de me dire où répétait le chœur cosaque, au contraire, on m'assurait qu'il n'y avait plus personne dans les locaux. Quand à mes coups de fil répétés, Skounstsev n'entendait pas son téléphone, occupé qu'il était à chanter ou faire chanter les autres. Cependant, il a fini par m'appeler, et nous nous sommes retrouvés à l'Arbat, où il a un local sensationnel. Il m'a montré des accords de base, sur les gousli, et je pense avoir oublié la moitié de ce qu'il m'a dit, mais avec lui, j'apprendrai, car il est d'une patience à toute épreuve, et il connaît bien son affaire. Nous avons aussi bu le thé et discuté. A propos d'un joueur de gousli, il me dit: "C'est un païen." Skountsev, lui, est vieux-croyant, il ne reconnaît pas les réformes malheureuses et inutiles du patriarche Nikon, au XVII° siècle. "Tu as un problème avec le paganisme, Volodia? lui rétorquai-je. Moi, cela ne me dérange pas tellement.
- Moi non plus. Il est partout, dans nos traditions et jusque dans l'église, c'est notre enfance. Ce qui me dérange, c'est le néopaganisme, cette espèce de reconstruction artificielle et aggressive envers nous, ces poses que prennent les gens qui se disent païens, ça, ça me dérange."
Il était à l'inauguration du monument à Ivan le Terrible et proclame qu'il a été abondamment calomnié, et ça, je l'admets, mais que tout soit faux, dans l'histoire officielle, au point où il le dit, cela me paraît peu probable, d'autant plus qu'il y a l'histoire de l'église et les vies des saints martyrs de son époque pour témoigner de la version contraire. Cela étant, la position d'Ivan le Terrible n'était pas simple, et il a fait certainement moins de victimes que Pierre le Grand, auquel tout le monde trouve normal d'élever des monuments, pour la simple raison qu'il était occidentaliste, adorait les Allemands et les Hollandais et détestait, comme Lénine, tout ce qui était profondément russe. En tant que vieux-croyant, il est compréhensible que Volodia soutienne Ivan le Terrible, en réalité, si je devais choisir entre Pierre le Grand et Ivan le Terrible, je choisirais ce dernier sans hésiter.
Je devais repartir le lendemain, mais je voulais me confesser à mon père Valentin. Il m'invita à venir le faire à 8 heures du matin. Mais Xioucha recevait son frère Kolia et une charmante et jolie jeune femme de ses amies, Tania. La soirée s'est prolongée, et pour une fois, le matin suivant, je ne me suis pas réveillée, et j'ai posé à mon père spirituel un beau lapin français. J'ai décidé d'aller me confesser le samedi après-midi, mais c'était le père Valentin qui n'était pas disponible, il était malade. Du coup, j'ai traîné jusqu'au dimanche.
Xioucha m'a dit qu'avec son amie Tania, elles étaient "amoureuses de moi". Tania est une jeune femme intelligente et profonde, et cela ne lui facilite pas la vie, surtout pas la vie sentimentale, et elle est très pratiquante, en plus. J'étais pleine de compassion. L'époque n'est vraiment pas faite pour les femmes comme elle, et comme moi. Nous avons évoqué l'illusion de la liberté qui nous avait conduits à une sorte d'esclavage tarifé et de solitude affective sans remèdes, et nous sommes demandés comment résistaient les gens qui n'avaient pas notre enracinement dans l'orthodoxie. D'un autre côté, dans l'orthodoxie, on trouve aussi parfois des pères spirituels pas piqués des vers qui détruisent joyeusement l'existence de ceux qui ont l'imprudence de la leur confier, c'est un fait déplorable mais réel. On a bien raison de dire que les pires ennemis de l'Eglise ne sont pas à l'extérieur mais dans ses rangs. Cependant, le tour que prend le monde nous confirme toujours davantage que, quels que soient les péchés observés chez les membres de l'Eglise, l'Eglise reste l'arche de notre salut, non seulement dans le monde à venir mais déjà dans celui-là. Je remarque que finalement, la conscience que nous sommes tous pécheurs à des degrés divers est tout de même profondément enracinée dans la conscience du Russe orthodoxe, et de plus en plus dans la mienne, avec pour conséquence une compassion croissante pour tous les autres, contraints comme chacun de nous de se débrouiller comme ils le peuvent dans le filet des passions et des contraintes extérieures d'un monde déboussolé.
Une de mes amies ayant confié à un prêtre qu'elle avait, au cours d'une soirée bien arrosée, embrassé un copain en l'absence de son mari s'est entendu répondre: "Bon, naturellement, ce n'est pas bien; mais cela prouve au moins que tu es encore vivante!"
J'ai profité de tous ces délais pour aller voir les Soutiaguine, qui vivent encore en appartement communautaire, dans lequel ils ont pu louer une chambre de plus, pour leurs filles, ce qui leur donne un peu plus d'espace. Malgré ces conditions de vie difficiles, les Soutiaguine sont toujours gais comme des pinsons, et bienveillants, pleins d'humour. Leur famille est très unie.
Nous avons parlé du Domostroï, le ménager écrit par l'archiprêtre Sylvestre, confesseur d'Ivan le Terrible. Je suis en train de le lire pour voir si le contenu est aussi révoltant qu'on le dit. "Oh s'exclame Kostia Soutiaguine en riant, moi, vous savez, à y bien réfléchir, je trouve qu'il n'est pas si mal, ce livre. Je n'ai que des femmes comme élèves, à mes cours de peinture, et je pense que les préceptes de l'archiprêtre Sylvestre ne sont pas dénués de fondement, je m'oriente vers une sévérité inébranlable, c'est une question de survie!"
C'est un grand admirateur du peintre Marquet qui jouit d'une plus grande réputation en Russie que chez nous. "Je suis allé à Paris dans une librairie spécialisée, et personne ne semblait savoir qui c'était. Je pensais que j'avais mal prononcé son nom, et je l'ai écrit. Non, ils ne voyaient pas. Je crois que je vais éditer quelque chose sur lui et l'intituler: "Marquet, peintre russe"!
Je suis allée acheter deux planches à icônes rue Ostojenka, au monastère de la Conception de la Mère de Dieu, que je trouve particulièrement beau, avec ses coupoles précieuses dont l'or et l'argent jouent avec les nuages, et avec les éclairages urbains. Au passage, j'ai vu l'ambassade anglaise, la résidence qu'Ivan le Terrible avait fait construire aux marchands et émissaires anglais, après que le naufrage d'un navire à l'embouchure de la Dvina septentrionale ait permis de nouer des relations entre les deux royaumes, et entraîné la fondation de la ville d'Arkhangelsk.
intérieur du monastère de la Conception |
le "gousliar" Romane chante une épopée russe
sur les gousli. Un instrument dont on a trouvé des
exemplaires du X° siècle dans des fouilles à
Novgorod
Bonsoir Laurence Guillon..
RépondreSupprimerJ'ai une question concernant les textes et photos que vous publiez sur ce blog..M'est-il possible, par exemple, d'en faire apparaître un passage sur ma page Facebook en en précisant la source, ou dois-je au préalable vous en demander l'autorisation (ce que je comprendrais tout à fait!). Je vous souhaite un bon carême de la Nativité. En Christ!
Vous pouvez publier ce que vous voulez, mon blog est public, citer la source est une bonne idée, que tous n'ont pas, j'ai vu quelqu'un s'attribuer un extrait de ce que j'avais écrit, mais ça prouve au moins que cela mérite d'être piqué!
RépondreSupprimerJe vous remercie..
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