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dimanche 22 octobre 2017

Quarantaine

l'église saint Théodore construite par le tsar
Ivan


J'ai lu sur Facebook cette phrase d'un starets bien connu, l'archiprêtre Nicolas Gourianov: "Quand on lit pour lui une quarantaine, on fait sortir un grand pécheur de l'enfer."
J'ai fait dire une quarantaine pour Féodor Basmanov, il y a déjà quelques temps. Et plus récemment, j'en ai fait dire une pour mon vieux copain, le tsar Ivan le Redoutable. Comme je n'ai aucune raison de ne pas croire le très vénérable starets dont tout le monde disait le plus grand bien et qui priait sans cesse pour toutes sortes de pécheurs, je suppose que le tsar Ivan et son serviteur Féodor, s'ils ne l'avaient pas déjà fait auparavant à la faveur de précédentes prières ou d'un repentir in extremis, ont dû quitter les ténèbres pour un séjour plus paisible et plus lumineux.
Quand à moi, je n'arrive pas à terminer mon livre, je le retouche encore, et il le faut sans doute, car sinon, il me laisserait en paix. S'il me tourmente, c'est qu'il n'est pas fini. Dois-je coller davantage à la réalité historique dont finalement on ne sait pas grand chose de façon irréfutable, dont tous les détails sont controversés? J'ai préféré la vérité psychologique et poétique du mythe, mais il faut que cette vérité là, ma vérité, ait quelque chose de vrai, de spirituellement exact, et je suppose que lorsque ce sera le cas, les protagonistes de l'histoire me laisseront tranquille. Ils seront apaisés, et moi aussi. C'est le tsar qui réclame mes soins, maintenant. Je n'en ai pas encore saisi toute la complexité. Par rapport à sa légende noire, je lui ai donné un grand charme et des côtés vulnérables, mon tsar est un fauve vulnérable. Mais ce grand charme, je suis sûre qu'il l'avait et j'ai vu passer des témoignages d'étrangers à ce sujet: il savait plaire et convaincre.
La lumière, au delà de ma fenêtre, joue avec les nuages, les pensées noires et bleues du lac que le vent chasse et inspire, que le soleil traverse et transfigure, une montgolfière survole ces splendeurs changeantes et grandioses, et des feuillages se défont, semant après la fête leurs ornements d'or. De grandes herbes et des roseaux frissonnent. Je n'ai pas le courage d'aller me promener, j'ai mal au genou, et je suis sortie ce matin pour aller à l'église, au monastère saint Théodore.
La soeur Larissa m'a donné toutes sortes de produits pour les soeurs de Solan: "le monde orthodoxe est petit, il nous faut développer des liens." Elle m'a demandé de faire prier là bas pour l'higoumène Varvara, qui est malade des poumons et vient de perdre son père spirituel, le starets Naoum de Serguiev Posad...
Ici, j'aime être chez moi. Il y fait chaud, clair, et je vois bien l'extérieur. J'attends avec impatience de pouvoir accrocher mon hamac. En France, il était sur ma terrasse, et j'en profitais presque toute l'année, ici, je dois le placer à l'intérieur, mais par les fenêtres, je verrai défiler les nuées et tomber la neige. Si je ne partais pas tous les trois mois, mes animaux auraient la belle vie. Libres comme l'air, au chaud quand ils veulent. C'est un bon endroit pour prendre un sursis avant la fin du monde.
L'année prochaine, le jardin sera déjà beaucoup plus joli. J'ai planté des buissons fleuris, seringat, hortensias, cognassier du Japon, lilas de Hongrie, lilas bleu, spirée blanche, spirées roses, viorne aubier, j'ai planté des lupins, des astilbes, des phlox, des asters, des iris des marais, des roses trémières, des bulbes de lys, de crocus et de jonquilles, des hémérocalles et aussi des framboisiers. Je commence à me sentir chez moi dans le septentrion lointain, le père Valentin m'avait dit que j'avais le caractère hyperboréen, et c'est sans doute vrai, bien que le midi m'ai vue grandir et me colle au coeur, car dès mon enfance, j'ai été sensible aux sortilèges du nord, aux contes d'Andersen, par exemple, aux féeries de l'hiver, des forêts profondes, aux populations grandes et blondes, vêtues de merveilleux vêtements brodés.
Les Russes sont heureux comme des enfants lorsque vient la première neige. Celle d'hier est déjà partie.





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