Aujourd'hui, Artiom est venu de Yaroslavl me présenter le miroir de fileuse et autres trésors. Le miroir de fileuse était accroché à la quenouille et était censé repousser les mauvais esprits. L'accompagne une pique destinée à maintenir la laine sur la quenouille. Il m'en a donné un petit en prime, en mauvais état, mais très gracieux.
Il avait également une amulette du XII° siècle, et d'autres amulettes médiévales qui servaient également par le mouvement de leurs pampilles à éloigner les mauvais esprits. Il avait beaucoup de croix de baptêmes de différentes époques, des icônes de voyage en métal émaillé, des bagues avec des sceaux de l'époque d'Ivan le Terrible ou plus anciennes, des boucles de ceinture paysannes du XIX°... Tout cela si élégant de forme, si simple, comment ce peuple, prétendument obscur jusqu'à l'heure radieuse de son illumination de 1917, en est-il passé de ce goût fantastique et raffiné qui se reflétait dans le moindre de ses objets quotidiens, à ce naufrage dans le kitsch le plus abominable? Comment en est-il arrivé à ne plus discerner le beau du laid, l'authentique de la contrefaçon?
Artiom m'a dit qu'il ne pouvait pas regarder des films sur la révolution et ce qui se passait dans les campagnes, tant cela le rendait malade. Il a commencé avec son père, paysan lui-même, à récolter ces diverses épaves d'une époque normale, où la beauté était partout, la beauté et la poésie, d'ailleurs son père est grand amateur de poésie et en a de nombreux volumes.
Cependant, l'un comme l'autre, aiment Staline, qui a "débarrassé le pays des bolcheviques". Oui, en effet, on peut lui reconnaître le mérite d'avoir épuré les plus ignobles, Trotski y compris, mais enfin le témoignage de nombreuses personnes, y compris du vénérable starets Ilya, dont j'ai lu une interview hier, ne trace pas du personnage un tableau bien sympathique. Il est à noter qu'en France, dans mon jeune temps, ces mêmes bolcheviques étaient considérés comme de bons idéalistes, supplantés par le féroce Géorgien. J'ai lu dernièrement un extrait de Louis-Ferdinand Céline qui le caractérisait comme un bouc émissaire bien pratique. En tous cas, quelle que soit leur opinion sur la question, j'observe que la plupart des Russes le considèrent comme un progrès et un soulagement par rapport à ceux qui l'ont précédé dans l'aventure...
D'après ce qu'il me dit, des villages entiers ont été rasés, abandonnés, il va sur place, creuse à l’emplacement des anciennes maisons, ou dans le jardin de celles qui existent encore, et dans celles-ci également demeurent des objets oubliés. Il vend une partie de ses collections, pour des raisons financières, mais préfère vendre à des gens qui ne les revendront pas mais garderont les objets pour eux, comme moi.
Artiom me dit qu'une partie de la jeunesse revient vers ses racines, que des villages revivent, que des jeunes gens des villes retournent s'y installer...
Dans le crépuscule des supercheries révolutionnaires, capitalistes, industrielles et post-industrielles, nous voici quelques uns à rechercher comme des amnésiques notre mémoire perdue, et cette mémoire, c'est notre âme... Nous errons et ramassons ça et là, un objet, une icône, une étoffe: voici ce que faisaient nos ancêtres, à l'école de leurs propres parents et grands-parents, voici ce qu'ils recevaient d'eux: la beauté, la ferveur, la dignité, la pudeur, la simplicité, ces diverses choses du quotidien, si pures, gracieuses, si originales, ces costumes qui mettaient en valeur ceux qui les portaient, au lieu de les déguiser en clowns, ces chansons et cette musique nées du vent qui passe et du murmure de l'eau, des mouvements du coeur, de l'espace, du ciel et des nuages, et de la profonde succession des siècles, depuis si longtemps qu'on ne sait plus quand tout cela est né, mais l'on sait bien quand tout cela a pris fin: quand on a assassiné la paysannerie, et tout ce qu'elle représentait, quand on a "éteint au ciel des étoiles qui ne se rallumeront plus", d'après le mot d'un révolutionnaire français qui, dans son infamie sans remèdes, trouvait le moyen de s'en vanter...
Et plus s'accentue le saccage, plus s'efface le souvenir de ce que nous avons bradé contre de la fausse monnaie et des boniments, plus nous perdons figure humaine, et plus s'approche la perspective de la nuit totale au bout du crépuscule, une nuit sans astres dont la promesse du Christ sera la seule aurore...
Il avait également une amulette du XII° siècle, et d'autres amulettes médiévales qui servaient également par le mouvement de leurs pampilles à éloigner les mauvais esprits. Il avait beaucoup de croix de baptêmes de différentes époques, des icônes de voyage en métal émaillé, des bagues avec des sceaux de l'époque d'Ivan le Terrible ou plus anciennes, des boucles de ceinture paysannes du XIX°... Tout cela si élégant de forme, si simple, comment ce peuple, prétendument obscur jusqu'à l'heure radieuse de son illumination de 1917, en est-il passé de ce goût fantastique et raffiné qui se reflétait dans le moindre de ses objets quotidiens, à ce naufrage dans le kitsch le plus abominable? Comment en est-il arrivé à ne plus discerner le beau du laid, l'authentique de la contrefaçon?
Artiom m'a dit qu'il ne pouvait pas regarder des films sur la révolution et ce qui se passait dans les campagnes, tant cela le rendait malade. Il a commencé avec son père, paysan lui-même, à récolter ces diverses épaves d'une époque normale, où la beauté était partout, la beauté et la poésie, d'ailleurs son père est grand amateur de poésie et en a de nombreux volumes.
Cependant, l'un comme l'autre, aiment Staline, qui a "débarrassé le pays des bolcheviques". Oui, en effet, on peut lui reconnaître le mérite d'avoir épuré les plus ignobles, Trotski y compris, mais enfin le témoignage de nombreuses personnes, y compris du vénérable starets Ilya, dont j'ai lu une interview hier, ne trace pas du personnage un tableau bien sympathique. Il est à noter qu'en France, dans mon jeune temps, ces mêmes bolcheviques étaient considérés comme de bons idéalistes, supplantés par le féroce Géorgien. J'ai lu dernièrement un extrait de Louis-Ferdinand Céline qui le caractérisait comme un bouc émissaire bien pratique. En tous cas, quelle que soit leur opinion sur la question, j'observe que la plupart des Russes le considèrent comme un progrès et un soulagement par rapport à ceux qui l'ont précédé dans l'aventure...
D'après ce qu'il me dit, des villages entiers ont été rasés, abandonnés, il va sur place, creuse à l’emplacement des anciennes maisons, ou dans le jardin de celles qui existent encore, et dans celles-ci également demeurent des objets oubliés. Il vend une partie de ses collections, pour des raisons financières, mais préfère vendre à des gens qui ne les revendront pas mais garderont les objets pour eux, comme moi.
Artiom me dit qu'une partie de la jeunesse revient vers ses racines, que des villages revivent, que des jeunes gens des villes retournent s'y installer...
Dans le crépuscule des supercheries révolutionnaires, capitalistes, industrielles et post-industrielles, nous voici quelques uns à rechercher comme des amnésiques notre mémoire perdue, et cette mémoire, c'est notre âme... Nous errons et ramassons ça et là, un objet, une icône, une étoffe: voici ce que faisaient nos ancêtres, à l'école de leurs propres parents et grands-parents, voici ce qu'ils recevaient d'eux: la beauté, la ferveur, la dignité, la pudeur, la simplicité, ces diverses choses du quotidien, si pures, gracieuses, si originales, ces costumes qui mettaient en valeur ceux qui les portaient, au lieu de les déguiser en clowns, ces chansons et cette musique nées du vent qui passe et du murmure de l'eau, des mouvements du coeur, de l'espace, du ciel et des nuages, et de la profonde succession des siècles, depuis si longtemps qu'on ne sait plus quand tout cela est né, mais l'on sait bien quand tout cela a pris fin: quand on a assassiné la paysannerie, et tout ce qu'elle représentait, quand on a "éteint au ciel des étoiles qui ne se rallumeront plus", d'après le mot d'un révolutionnaire français qui, dans son infamie sans remèdes, trouvait le moyen de s'en vanter...
Et plus s'accentue le saccage, plus s'efface le souvenir de ce que nous avons bradé contre de la fausse monnaie et des boniments, plus nous perdons figure humaine, et plus s'approche la perspective de la nuit totale au bout du crépuscule, une nuit sans astres dont la promesse du Christ sera la seule aurore...
Mon petit musée personnel |
miroirs de fileuse, boucle et pique |
cuillère en bois du XIX°siècle. Avec un brochet... |
comme toutes mes amies russes font des bouquets avec leurs dernières fleurs, j'ai décidé de faire pareil. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire