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mercredi 15 avril 2020

La conscience inférieure


photo Natalia Kaplenko Razouvakina
 Entrée du Seigneur à Jérusalem. Et journée de la cosmonautique. «Science et religion» est une antithèse purement soviétique. Comme si même Gagarine, devenu la première personne au monde à atteindre des sommets sans précédent pour l'humanité, avait déclaré, soi-disant,  qu'étant allé dans l'espace, il n'y avait pas vu Dieu. Mais ce n'est pas le cas. Iouri Alexeïevich n'a rien dit de tel le 12 avril 1961. Non, et plus tard non plus. C'est l'infatigable Nikita Sergueïevich (Kroutchev) qui a  ratissé tout ce qui pouvait lui tomber sous la main dans sa minable grange  athéiste. Or Gagarine a dit, en fait, quelque chose de très important!
Voyant notre planète par le hublot de son Vostok-1, il s'est exclamé: «Je vois la Terre. Comme c'est beau! " Et c'est important. L'homme qui fut le premier parmi les hommes à tomber dans cette sphère de l'univers où  Dieu l'avait seul précédé, a répété en substance les paroles du Créateur, lorsqu'il acheva la création du monde matériel: «Et Dieu vit tout ce qu'Il avait créé, et que cela était très bon ... »(Genèse 1, 31) Et l'homme était avec Dieu ...

 Dans ma jeunesse, j'écoutais souvent Voice of America. Tous ces dissidents de cette époque soviétique - Siniavsky, Charansky, Daniel - étaient pour moi obsessionnels et primitifs, comme des informations politiques avant une leçon d'histoire. Mais Seva Novgorodtseva, les histoires de Dovlatov, j’écoutais cela avec plaisir. C'est avec encore plus de plaisir, que j'écoutais les sermons et les discours de l'archevêque de San-Francisco, Jean (Chakhovskoï). Il avait un brillant talent littéraire et polémiquait magnifiquement avec les écrits de propagande soviétique sur le thème "science et religion". Même maintenant, cela ne me dérange pas de revenir au  livre de Monseigneur. Et voilà ce que j'ai trouvé dans son article «Pâques et matière»: «En modifiant la formule verbale du marxisme, il faut dire:« C'est l'Existence divine qui détermine la conscience humaine la meilleure ». Et la conscience inférieure (dite "matérialiste"), bien sûr, est déterminée par une conscience et une existence complètement différentes (égoïstes, démoniaques). Si nous n'investissons pas consciemment et rationnellement dans un concept dont le contenu est une Existence supérieure: Dieu, nous y investissons un autre contenu, nous diabolisons l'être, c'est-à-dire nous calomnions la Genèse, la privons de sens divin ... » Et pour quelque raison, il me vint à l'esprit: l'Existence divine est très bonne. Elle est très belle. Et c'est précisément cette beauté qui, selon Dostoïevski,sauvera le monde. Une personne qui voit la beauté de ce monde ne dira jamais rien de mal à propos de Dieu. Car elle a connu Sa beauté. Alors que celui qui s'est amputé de Dieu  en lui-même, dans son cœur,  ne sera jamais beau. Et surtout, ses actes non plus.
Dimanche dernier, je ne sais quelle force inconnue me poussa à regarder le vieux film soviétique (1938) "Pierre I". Et dès le début de la séance, la nature de cette attirance me devint compréhensible. Pierre, après la défaite devant les suédois à Narva, se rue dans le monastère (près de Novgorod?) où est enfermé son héritier, le tsarévitch Alexis (génialement inerprété par Nikolaï Tchekassov), et jette à son fils la réplique furieuse: "Je pensais que tu avais déjà préparé des tranchées et des palissades, et tu continues à brûler des cierges?!" Et plus loin, encore plus fort! S'adressant aux moines et à tous les autres croyants, Pierre dit: "Et tant que les tranchées ne seront pas creusées, il n'y aura pas d'offices à l'église! Je prierai seul pour tout le monde! Pour ce cas, j'ai la bénédiction du patriarche de Constantinople. Et toi (Pierre s'adresse à son fidèle gouverneur, mis à la place, doit-on supposer, du tsarévitch Alexis) tu surveilles.  Et celui que tu trouveras sans rien à faire, tu lui arraches sa soutane et cinquante coups de baguette! Et ce péché, je le prends aussi!" Et c'est là que devient compréhensible le plus terrible malheur de Pierre le Grand: il voyait l'Eglise par les yeux de la conscience inférieure matérialiste, il voyait en elle un avantage privé immédiat, comme celui d'une allumette enflammée par mauvais temps. On dit que les cloches de cuivre enlevées sur ses ordres, dans certaines églises et monastères, n'avaient pas la qualité nécessaire à la fonte des canons. La belle affaire! Cela n'a pas empêché, dans toute la Russie des  années 30 (au moment où le film a été tourné) d'abattre  les cloches de toutes les églises. Et quelle horrible troupe (orthodoxe) de gueules tordues et édentées, rampe vers le tsarévitch Alexis à genoux, pour demander son intercession!
Et ce cadre suffisait à justifier l'arrestation et l'assassinat de milliers et de milliers de hiérarques orthodoxes, de prêtres, de moines, de croyants ordinaires, qui dans leur simplicité ne comprenaient pas pourquoi garder un Evangile, la lumière du Christ, à la maison était un crime. Ou bien juste une Croix de baptême autour du cou? Et regardez, dans les trois tomes ("Nous appartenons tous au Christ") édités sous la rédaction de monseigneur Benjamin (Likhomanov), les visages de ceux qui allaient mourir: ravagés, poussés aux limites de l'existence physique, illuminés, purs, magnifiques! Non, ils ne provenaient clairement pas de la foule montrée dans le film. Et cette foule autocritique n'assiégeait pas le tsarévitch Alexis, mais la Russie, sa foi orthodoxe. Comment ne pas se souvenir ici de l'épigraphe du "Revizor" de Gogol: "On ne peut rien reprocher à son miroir quand on a la gueule de travers!"
Et cette foule aurait rampé, rampé "jusqu'au fond", sans la terrible guerre qui redressa tous les "tordus"!
Or on nous attribue encore maintenant ce qu'on craint de reconnaître en soi-même: "l'obscurantisme", "l'ignorance", "la cupidité"!
Aujourd'hui, au cours de nos entretiens, sans doute chaque paroissienne m'a avoué qu'avant de venir à l'église au grand service de fête, elle s'était littéralement arrachée aux attaques de ses proches: "Idiote! Suicidaire! Fanatique!"
Mais que se passe-t-il? Notre situation n'est pas critique. Il n'y a pas de confinement total. Vous vous déplacez à travers la ville? Vous allez au magasin? Quel est le problème? Dans l'église, cela ne sent plus l'encens, mais l'eau de javel. On passe toutes les icônes à l'antiseptique. Si tu le veux, viens avec un masque. Si tu as peur de communier, personne ne te traînera de force jusqu'au Calice! Qu'est-ce qui vous tracasse tellement, à l'église? On a pourtant tout fait comme indiqué! Peut-être simplement que vous n'avez pas la foi? Alors il vaut mieux pas. Ne venez pas...
Seulement nous ne nous traînons aux pieds de personne pour demander quelque chose.Nous n'avons besoin de rien. Nous avons tout: Dieu. Et la beauté de cette Existence Divine. Et je suis content de l'avoir un jour reconnue. 
S'il le faut, nous nous confinerons. J'ai connu ça pendant cinq ans, quand j'étais instituteur de village. Je ne crains pas le calme. Dans le calme, Dieu arrive.  
 «La séparation des sages est tout aussi précieuse que leur unité. Les sages jusque dans leur séparation servent la vérité et ne font de mal à personne ... »
"Philosophie de la communauté." Archevêque Jean de San-Francisco (Chakhovskoï)


J'ai traduit ce poste du père Andreï qui rejoint tellement mes propres préoccupations, je me suis souvenue d'une remarque de Kundera dans un de ses livres, il disait qu'en Tchécoslovaquie, les églises étaient le dernier lieu où l'on trouvait de la beauté. La marque du diable, c'est la laideur et la contrefaçon, le faux, le toc, le clinquant, le tonitruant, le tape-à-l'oeil. Vous reconnaîtrez l'arbre à ses fruits. Les fruits de cette conscience matérialiste inférieure sont tous absolument affreux, elle a fabriqué un monde hideux, une hideur qui n'était pas propre à l'homme, quelle que fussent ses défauts ou ses cruautés antérieures. Elle nous a fait un mondecauchemardesque et invivable, et à présent, déchaînée, ivre d'orgueil et d'impatience, elle voudrait achever le boulot, en éliminant les dernières traces de beauté, de grandeur et de noblesse de notre malheureuse espèce, pour la transformer en bétail pucé, vautré dans une triste débauche et assujetti à des tâches dégradantes et insensées. Les réflexions du père Andreï sur le film soviétique et Pierre I sont d'une grande justesse. Pierre I était bien un des premiers représentants russes de cette conscience inférieure, de cet esprit technique brutal, arrogant et infiniment vaniteux qui écrase tout sur son passage. Acharné à copier l'Europe qu'il connaissait par les aventuriers et les prostituées du quartier allemand de Moscou. Je l'ai toujours instinctivement abominé, comme les acteurs de la révolution française et les intellectuels qui l'ont générée, et bien entendu, ceux de la révolution russe. Que les bolcheviques se soient reconnus dans cet être grossier et tyrannique qui méprisait son propre peuple n'est pas pour m'étonner. Il a pris en marche le train maudit de la civilisation européenne qui déraillait déjà dans les fantasmes prométhéens de la domination et de l'exploitation matérielle d'un cosmos avec lequel elle n'était plus reliée. Cette civilisation européenne en train de devenir folle laissait-elle le choix à la Russie? En tous cas, Pierre est allé sans doute bien au delà de la nécessaire adaptation de survie au phénomène, il l'a implanté chez lui avec un enthousiasme implacable. 
Nous arrivons maintenant sans doute au dernier acte de notre dérive, de notre adoration du veau d'or, de Mammon, de Moloch, de la puissance, de la technique. Celui où une caste de malades mentaux sataniste s'apprête à faire ce qu'elle veut d'une humanité majoritairement hynotisée, sidérée et privée depuis plusieurs décennies de tout ce qui lui servait de repères, d'orientation, de colonne vertébrale, d'anticorps. Sans l'aide de Dieu, on n'arrêtera plus le processus. Les lendemains du Progrès, quel que soit le nom idéologique dont il se pare, ne chantent vraiment pas. Lui aussi, d'ailleurs, je l'ai instinctivement détesté dès mon enfance. Les gènes peuvent avoir une forte mémoire.

 


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