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vendredi 18 novembre 2022

Un Américain


Pour faire plaisir à Katia, j'ai participé à une réunion du club des dames de Pereslavl qui avait lieu chez elle. Je ne suis pas trop fana des réunions de dames, disons que ce n'est pas trop mon style, bien qu'elles soient toutes fort gentilles et même mignonnes. Cela parle et rit beaucoup, cela verse même parfois une larme, on est dans l'émotif. 

Au milieu de toutes ces dames, j'ai vu notre orthodoxe américain, Jason Silouane. D'après ce qu'il nous a dit ensuite, il était aussi venu pour faire plaisir à Katia, paralysé de terreur à l'idée de se retrouver au milieu d'un club de dames, tel Gussie Fink Nottle contraint de faire un discours à la distribution des prix de l'école de Blandings Castle... C'est un homme très timide, très profond et très touchant, il adore la Russie, la Russie orthodoxe, et même celle des fols-en-Christ auxquels il s'identifie peut-être un peu. Il a consenti à jouer de la guitare et même à chanter une chanson de son cru quand notre assemblée s'est réduite à deux ou trois personnes: "Pourquoi suis-je si timide? Et puis je n'aime que les chansons tristes et je chante mal!

- Moi aussi j'aime les chansons tristes et je suis sûre que vous ne chantez pas si mal que ça!" me suis-je exclamée. 

Et en effet, il ne chante pas mal, et sa chanson triste était fort jolie. C'est amusant, parce que cet amoureux fou de la Russie chante dans le style country de son pays natal, de même que mes propres chansons, malgré mon amour du folklore russe, respirent la France.

Il n'est pas étonnant que l'angélique petite Sérafima soit issue d'un homme pareil.

Silouane nous a dit que son père l'avait renié. Nous devions toutes, et lui aussi, nous présenter aux autres, et il a fait un discours fervent digne d'un roman de Dostoievski sur la Russie, sur l'orthodoxie, sur le père Séraphim Rose, ce que personnellement je n'avais pas osé faire, sachant que bon nombre des petites dames étaient dans la mouvance yoga new age et peut-être libérale, au moins pour quelques unes. "En Amérique, a-t-il conclu, la société est complètement atomisée, chacun est terriblement seul et ne pense qu'à soi. Dans une société normale et vivante, les gens sont tous reliés, la rupture des liens entre les individus, les générations et le monde environnant est d'ordre complètement satanique, je veux donner à mes filles la chance de grandir dans un monde encore vivable, en ésperant qu'il n'adviendra pas de la Russie ce qu'il est advenu de nous".  

Je crois qu'il a fait sensation. Un peu plus tard, il a évoqué le fait que beaucoup de fols-en-Christ vénérés en Russie étaient des étrangers, ce qui est exact. Il a parlé aussi du mouvement d'exode en Russie des étrangers orthodoxes qui devient de plus en plus important. Il connait à Pereslavl une autre famille d'Américains, avec cinq enfants, et la communauté du père Gleason à Rostov a un équivalent au sud de Moscou. J'en ai discuté de cela le soir avec Katia, et cela nous paraît à la fois mystérieux et encourageant, comme un tri qui s'opère à l'insu de tous, selon certaines prédictions, cependant.


L'hiver s'installe pour de bon, j'ai fait mes dernières photos de fleurs, les oktiabrines, sous la neige. J'ai appris avec consternation que la moitié de maison de l'oncle Kolia avait été vendue, et je crains que les nouveaux propriétaires ne s'empressent de la plastifier et de massacrer les deux jolies fenêtres. Je voulais même aider mon tadjik à l'acquérir contre promesse de ne pas l'abîmer, mais trop tard. Je rêvais même de l'acheter, la réparer et la louer ou la revendre, mais pour cela, il m'aurait fallu plus de marge. Je n'ai pas beaucoup de possibilités de la masquer derrière des arbres, l'été les pruniers la cachent, mais en automne ou en hiver...




2 commentaires:

  1. Je vous lis avec intérêt et plaisir mais n'avais jamais commenté vos billets, cependant aujourd'hui, votre mention de Gussie Fink-Nottle me pousse à le faire...PG.Wodehouse étant en bonne place dans mon panthéon littéraire personnel ! J'aime vos chroniques, simples et fines de votre vie là-bas, et je partage votre analyse de ce que notre monde est devenu, sec et dur, sans partage, un agrégat d'individus seuls qui se croient libres... Voilà qui nous mène loin des tritons de Gussie, n'est-ce-pas ? (dont le discours se passe à Market Snodsbury...j'espère que vous ne m'en voudrez pas de vous corriger sur ce point) Bien à vous
    Nina

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    1. Oui, bien sûr, Market Snosbury! Pardonnez-moi, je vieillis! Je suis une fan de Wodehouse depuis ma jeunesse, je l'ai lu en anglais, en français, je le relis périodiquement pour me remonter le moral. En réalité, lorsque je le lisais dans les années 70, son monde me paraissait encore très proche de moi, je suis née dedans, et à présent, cela me paraît une autre planète, enfin non, l'autre planète, c'est celle où nous nous trouvons maintenant!

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