
Mano est effarée par ce qui se passe en France et dans le
monde, et il y a de quoi, elle est même loin, à mon avis, de réaliser à quel
point c’est grave, car elle n’est pas aussi informée que moi, elle préfère
inconsciemment ne pas l’être trop, d’ailleurs. La France est en train de
mourir, minée par la caste, et submergée par les
populations inassimilables et aggressives qu’on a encouragées à venir
déferler sur nous. Je ne vois pas sans un serrement de coeur de vieux documents
sur les années cinquante, soixante, soixante-dix et même quatre-vingt.
Pourtant, le ver était déjà dans le fruit, mais on pouvait encore imaginer
vivre normalement, alors que maintenant, les gens sont inquiets, désespérés,
ils ont peur pour leurs enfants, débauchés et abrutis par l’école, violés et
attaqués au couteau ou à la machette dans la rue. Paris est une sorte de cour
des miracles où l’on voit tout ce que l’on veut mais très peu de ce qu'on appelait un Français, et
quand je relis mes souvenirs, je réalise que tout cela, qui, dans les années
2000 me semblait encore plus ou moins dans la continuité de ma jeunesse, a
disparu sans retour, comme le Moyen-âge ou la Rome antique.
Le
gouvernement est un ramassis de minables, de salauds, de bandits, d'imbéciles et de
traîtres, qui n’ont aucun souci de leurs administrés, on a l’impression qu’ils remplissent un contrat mafieux, consistant à nous
éliminer, en tenant, comme des gourous de secte, des discours vides de sens et impudemment mensongers. Au delà de
ce qui arrive à l’Europe, on peut dire que le monde entier est malade, que
partout gagne la lèpre de la laideur hallucinante, de la vulgarité, de la
confusion, de la bêtise et de la violence aveugle et vile. Tout est perverti,
tout est transformé en cauchemar, les meilleurs sentiments et les meilleures
intentions sont retournées pour nuire, comme dans le cas de l’écologie, où des
pollueurs internationaux sans conscience et sans aucun respect de la vie, utilisent
un discours idéologique creux pour asservir les gens et les faire marcher dans
n’importe quoi : les éoliennes affreuses qui hachent les oiseaux et stérilisent
la terre, les panneaux solaires qui transforment des régions entières en désert
vitré; ou encore la santé, comme dans le cas du covid, ou bien des épidémies
animales permettant de massacrer des troupeaux entiers. Je pourrais pleurer devant les témoignages de paysans qui doivent sacrifier leurs vaches pour une épidémie
bénigne et limitée, parce que les nuisibles au pouvoir cherchent à les
ruiner. Cela me rappelle en plus feutré, plus sournois, les horreurs de la
collectivisation en Russie, d’ailleurs les malfaiteurs au travail sont de la
même espèce et obéissent, au fond, au même motif : une haine sans limite
et sans pitié pour toute espèce de société traditionnelle enracinée, surtout chrétienne. On
dirait qu’un diable ricanant nous attend à tous les tournants, quel que soit le chemin emprunté. J’ai parfois le
vertige, quand je songe que ce que je redoutais depuis plus de vingt ans, cette
guerre entre la Russie et l’Ukraine, remake de la guerre civile des années
vingt qui, au fond, n’a jamais pris fin, a tout de même eu lieu, et même si la
Russie la gagne techniquement, nous sommes tous profondément perdants, plus
encore que ceux qui ont réussi à nous l’organiser avec des ficelles grosses
comme des câbles. Ils seront peut-être détruits au passage, mais ils nous
auront jetés les uns sur les autres, ils auront déversé ici toute l’Afrique, et
là toute l’Asie Centrale, créant une situation irréversible en se moquant de
nous. Ils nous auront privés de notre culture, de notre dignité, de notre âme
et de toute espèce d’espoir, en tous cas, pour ce qui concerne l’Europe, car la
Russie est peut-être encore assez vivante pour surmonter, et même jouer le rôle
de Constantinople, de la troisième Rome, si les gargouilles et les gnomes ne la
mangent pas...
Je disais au
père Valentin que néanmoins, mon voyage au Donbass m’avait apporté une sorte de
sérénité, m’avait donné une direction de vie. Mon champ d’action s’est rétréci
au père Nikita, et à son entourage, à Fédia et ses camarades là-bas, et ici aux
villages miraculés où les jeunes femmes de ma connaissance soufflent sur les
braises de la Tradition. Et puis aux gens qui veulent venir ici et que je
peux aider, aux animaux, devant lesquels nous sommes si terriblement coupables, quand cela n’est pas trop au dessus de mes
forces. Je n’ai aucun pouvoir sur le reste.
Je n’ai pas
non plus beaucoup d’élan pour les prières et offices interminables. Ni pour les
jeûnes. Il me semble que lorsqu’on a mal partout et que l’on supporte un climat
affreux qui vous rend malade, c’est en soi suffisant, comme ascèse. Quand je lis
que je ne devrais pas faire de différences entre les gens et les aimer tous du
même amour, eh bien c’est raté, je n’y arrive pas du tout. Je suis plus
indulgente à mes contemporains, mais je suis loin de tous les aimer comme
moi-même, ou simplement, comme mes proches. C’est à cela que je constate que je
ne suis pas une sainte: je n’ai pas l’amour universel. A vrai dire, j’objecte
souvent aux athées primitifs que ce n’est pas Dieu qui est responsable des
horreurs fantasmagoriques de l’humanité, mais tout de même, je finis par
trouver qu’Il devrait bien quelque peu intervenir. Ce qu’on a fait de l’Ukraine
est tellement immonde, je sais bien qu’une partie de la population a versé dans une haine antirusse délirante et stupide, et cela se paie, au plan de la justice
divine comme de la justice immanente, mais quand même... Plus de 500 000 morts,
ces cimetières à perte de vue, ces hommes enlevés en pleine rue, arrachés à
leurs femmes, à leurs enfants, au landau du nouveau-né qui reste seul sur le
trottoir, au chien qu’ils promènent ; et aussi les pertes russes de
garçons qui ne demandaient qu’à vivre, et qui reviennent affreusement mutilés, tout
cela méthodiquement préparé pendant des années, dans l'indifférence générale, par une poignée de salauds,
tandis qu’une poignée de gens lucides criaient dans le désert...
Invitée par la chaîne orthodoxe SPAS, j'ai fait un petit tour à
Moscou. J’ai dormi chez Xioucha, car Liéna a installé quelqu'un chez son père, et celui-ci n’a pas pensé à me proposer le divan du salon,
à défaut du réduit que j’occupe d’habitude, derrière la cuisine. Du coup, il
est venu me voir à huit heures du matin le jour de mon départ, mais comme je m’étais
réveillée à cinq heures moins le quart et qu’il faisait grand jour, j’ai décidé
de m’en aller pour voyager tranquille et à la fraîche. J’étais à peine arrivée
que Xioucha m’appelait : « Lolo, vous êtes où ?
- A
Pereslavl....
- Papa vous
cherche partout dans l’appartement ! »
J’étais consternée,
si j’avais su, je l’aurais attendu...
J’ai dû
faire un minimum de ménage, à cause des affreux chats, et puis tondre le
jardin, et ceuillir les framboises, et dégager les fleurs des liserons qui les
envahissent. En réalité, je n’ai presque pas arrêté. J’ai juste fait une
sieste dans le hamac pour profiter de la vue sur mon jardin, mais les astilbes
se fanent, et je ne les ai pas vraiment vu fleurir. Les floxs commencent déjà,
et les boules jaunes... Nous aurons sans doute un mois d’août tiède et
ensoleillé, mais cela sent déjà l’automne.
Je cours à
nouveau comme un lapin. J’ai marché à Moscou sans problèmes, dans le joli
quartier de Zamoskvorietchié, je suis allée voir Dany et Iouri, puis un taxi
est venu me prendre pour m’emmener rue Sergueï Eisenstein pour l’émission à
laquelle j’étais invitée par la chaîne SPAS. La journaliste était très gentille,
une jeune femme qui a épousé un Espagnol, Angelika. L’interview n’a pas duré
plus de dix minutes, elle le regrettait, et envisage une autre émission. Une de
ses collaboratrices est venue me dire : «Vous êtes belle... Quels yeux
vous avez, et puis votre allure, vos cheveux argentés, je n’en reviens
pas ! »
Moi non
plus, parce que ce n’est pas ainsi que je me perçois mais ça fait plaisir.
En
traversant, à cinq heures du matin, le passage à côté de chez Xioucha, j’ai
croisé un parfait inconnu qui m’a aimablement dit bonjour, ce qui est inattendu
et agréable dans une grande ville. Plus loin, j’ai vu, au feu rouge du
carrefour, une bande de jeunes sur des trottinettes, bruyants, et visiblement
bourrés, sinon pire. Et marchant à leur rencontre, j’étais légèrement sur mes
gardes, or voici que l’un d’eux m’arrête, et me tend une ombelle de carotte,
ramassée le long du trottoir : «Tenez, c’est pour vous, » me dit-il ,
souriant, la casquette de travers.
Il m’a
semblé que toute ma journée était bénie par ces deux rencontres, que j’ai
bénies à mon tour. Comme si la Russie me rendait mon amour, souvent exaspéré,
mais jamais découragé.



Crépuscule
Souffles
éparpillés de la lumière bruissante
Au gouffre
bleu ténèbre d’une journée torride,
Où la brise
ébahie murmure et s’extasie,
Dansant d’un
pied sur l’autre au travers des corolles...
Que la beauté
s’arrête un instant de courir,
Loin du criard
désastre de notre fin minable
Qui craque et
se fracasse en milliers d’oiseaux noirs,
Et nous laisse
la trace de ses pas adorables,
Au sein gris
du brouillard où virent les couleurs,
Où hurlent,
bigarrées, d’indistinctes horreurs
Où rampent
entêtantes d’infernales odeurs.
Quand monte
douce la lune
Au velours
gris du soir
Et que s’étend
léger le chant du rossignol
Vrombissent
menaçants les démons surchauffés
Et les anges
les fuient dans les couloirs du vent,
Gagnant à tire
d’ailes les astres préservés.
Les lentes
rêveries et les feux sur les rives
Des fleuves
noirs glissant sous l’oeil rouge des nuits,
Les
tournoyantes voix qui s’enlacent et s’érigent
Au gré
s’élargissant du silence ébahi...
La barque
tourne et dérive et brasse les étoiles
Où vont à
petits pas des âmes égarées,
Les voilà qui
filent et s’envolent, effrayées,
Les voilà qui
fusent et s’étirent, éveillées,
Et de
colossaux archanges
Les avalent
dans leur énorme lumière.
A l’horizon
pousse l’arbre et ses fruits stellaires,
Irisé,
chatoyant, immobile,
Mais le vent
qui claque bouscule la nuit,
Hurlant dans
les rues bleues,
Où brûlent des
terrasses jaunes,
Les voix
s’entrecoupent et chuchotent,
Les trajets
claudiquants s’entrechoquent
Et je vais
dans la douceur du soir,
Vieille
fiancée d’un roi mort,
Druidesse
muette des dieux oubliés.