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lundi 20 octobre 2025

Enfer


Après les considérations faites par Nicolas Bonnal sur l'enfer où je vis, j'ai vu une lettre ouverte adressée à différentes instances par une héroïque jeune femme qui défend comme elle le peut ce qu'il reste de joli à Pereslavl. Il semble qu'à un haut niveau, celui du gouverneur de Iaroslavl, on ait décidé de nettoyer le coin de tous ses objets culturels, et en particulier les isbas paysannes, jusque dans les villages. Qu'est-ce qu'ils projettent de faire ici? J'en ai froid dans le dos. Je discutais de cela hier avec Ania et sa mère Angelina, venues prendre le thé. Angelina pense que les destructions sont dues à des gens qui ne sont pas du pays, mais nous n'étions pas d'accord avec cette idée, car ceux qui défendent le patrimoine ici sont souvent des moscovites ou des étrangers. Je pense que c'est  une question de gros sous, mais aussi et davantage d'absence totale de culture et de goût, et même d'une aversion malveillante pour tout ce qui peut rappeler la poésie et le raffinement des époques passées aux mutants de la nôtre, poussés dans le béton, le plastique et le vacarme. La jeune femme pose une juste question: "Vous croyez vraiment que vous êtes russes?" Non, ils ne sont pas russes, même si génétiquement, ils le sont, ils n'ont pas l'esprit russe, pire, ils le méprisent et le détestent. 

Je concède donc à Nicolas que l'enfer règnera sans doute bientôt ici aussi. Je ne m'attendais pas à y trouver le paradis. Cependant, ce massacre est assez dur à supporter. Je serai peut-être amenée à prendre des mesures, si elles ont encore un sens. 

Sur certains sites prorusses on s'extasie sur les robots chinois. Des robots chiens, par exemple. Ca, c'est le progrès, remplacer un être vivant parfaitement au point par une hideuse machine. Et les vrais chiens, ils vont les manger de plus belle après d'abominables tortures? Ah quel peuple avancé, il n'y a pas à dire... Mais avancé vers quoi? Dans quelle infernale direction? C'est drôle cette fascination pour les singeries mécaniques horribles du vivant adorable, oeuvre de Dieu; cette soif de remplacer le vrai par le faux, et de donner pour beau ce qui révulse tout être encore humain doué d'une âme. C'est une sorte d'adoration étrange de la mort, la matière inerte paraissant éternelle à la créature luciférienne qu'est l'homme contemporain, ivre d'orgueil, soumis à toutes les convoitises, et vidé de sa substance comme une mouche captive par une araignée. Admettons qu'elle soit inaltérable, mais elle est inerte, elle est morte, et hideuse. C'est une contrefaçon. Slobodan parlait des symboles et de ce qu'ils révèlent du satanisme ambiant. La passion pour les automates est bien complémentaire du phénomène. Fausses gens, faux animaux, faux insectes, faux arbres, fausses fleurs, faux enfants, faux sentiments, faux discours, fausse monnaie.

Parallèlement, et toujours dans le sens de ma chronique précédente, je suis allée par curiosité voir la page d'encore une orthodoxe soixante-huitarde, et j'ai été sidérée par le délire total de ce qu'elle répercute sur la Russie. Evidemment, je ne vais pas trop me pencher sur la propagande baveuse des illuminés de la secte libérale, alors je ne me rends pas toujours compte à quel point c'est grave, mais là, j'ai eu un choc. Et la confirmation que si j'étais restée là-bas, j'aurais depuis longtemps pété les plombs. A la limite, je préfère la laideur fantasmagorique de "l'urbanisme" russe ou disons, post-soviétique, car il n'a justement absolument rien de russe, à l'imbécilité sectaire du boomer français bien dressé qui ne sortira jamais de son moule et ne comprendra jamais qu'il a largement contribué à la destruction de son pays de rêve, qu'il ne voit d'ailleurs même pas venir.

Au café, j'avais rendez-vous avec un jeune paroissien de la cathédrale qui voulait discuter avec moi. C'est un amoureux de la France, ou disons de l'idée qu'il a de la France, c'est-à-dire de ce qu'elle était il y a encore cinquante ans, et dont on s'acharne à faire disparaître les dernières forces vives. Si ici, on s'en prend au patrimoine (mais en France aussi, désormais) dans la Macronie, on s'en prend aux gens encore normaux qui savent travailler et qui pensent d'aplomb, qui ont du bon sens, de la liberté d'esprit et du franc-parler. Avec la bénédiction des bobos gagas qui ont perdu tout cela en route et se croient si supérieurs au reste de la population, mais seront sacrifiés également, leur tour venu, avec leurs jolies maisons bien décorées et leurs jardins provençaux, leurs chiens, leurs chats et leurs petits enfants. Moi aussi, j'aimais la France dont rêve ce jeune homme, mais sans doute pense-t-il la même chose de mon amour pour la Russie qui s'obstine, avide de la moindre raison d'espérer, envers et contre tout ce que j'observe dans le microcosme eschatologique de Pereslavl... Il me dit qu'il faut prier pour le salut de nos pays respectifs. Oui, naturellement, je le fais tous les jours.

Ensuite, Gilles est arrivé, accompagné d'un autre Français, qui a des projets ici, et s'est exclamé à ma vue qu'il m'avait rencontrée chez un ami commun il y a de cela peut-être  vingt ans, quelle mémoire! Il est vrai que j'avais joué de la vielle, tout de suite, ça marque... Nous avons évoqué cet ami, et puis un autre qui est définitivement installé ici, mais se rend malade en prenant des nouvelles de la France sur internet, et je connais ça. "Arrête de te faire du mal, lui dit ce monsieur, à quoi ça sert? Tu es parti, oublie tout cela! On n'y peut rien du tout." Et il ajoute; "Je ne peux plus parler avec les Français, même avec ceux de ma famille, quand je vais là bas, ils sont complètement à côté de la plaque, ils ne comprennent rien, ils vont machinalement à la cata en étant sûrs d'être les meilleurs du monde et en dispensant des leçons de morale stupides. Cela ne sert à rien de leur parler, tu leur enlèves leur programme ils beuguent à mort".

Oui, c'est exact, j'ai vu moi-même un éclair de folie dans l'oeil d'une connaissance à qui j'apportais un début de contradiction au discours aberrant de la doxa officielle sur l'Ukraine, j'ai entendu de mes oreilles, de la part de personnes autrefois sensées, des réflexions issues des incantations télévisuelles et retiré l'impression d'avoir affaire à une espèce de secte Moon à l'échelle d'un pays entier. Et en dépit du saccage de Pereslavl, je préfère être dans cet enfer-ci que dans celui-là. 

 


7 commentaires:

  1. Quand les gens n'ont plus d'histoire attaché à leurs patrie, quand l'art est détruite, leurs religion disparues, leurs us et coutumes oubliées, leurs langues mélangées à celles des autres venus d'ailleurs...les Nations se meurts et les gens n'ont plus rien à défendre... Alain F.

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  2. Merci encore pour ces belles lignes... car c'est surement ce qui est important, la beauté. J'ai eu la chance de recevoir une éducation centrée sur ce triptyque qui semble aujourd'hui dédaigné par le grand nombre, le Beau, le Bien, le Vrai.
    Continuer de rêver la France ! et de cette manière, elle existera peut-être encore un peu, je m'aperçois que je l'ai moi aussi rêvée à ma manière pendant les quinze ans hors du temps que j'ai passé en dehors de nos frontières, parce que depuis que je suis rentré, la laideur et le mensonge sont omniprésents, et est vraiment douloureux de voir ce désolant spectacle, alors que la masse est en tout point conforme à ce que dépeint le lecteur de notre cher Nicolas Bonnal. Portez-vous bien!

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  3. Effectivement, il n’y a plus de place à la contradiction sur certains sujets sous peine d’excommunication en occident. Cancel culture.

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  4. Cher Laurence, je vous lis depuis longtemps avec bonheur. comme vous j'ai enseigné des années parfois à l'étranger en Afrique dernièrement en Syrie et en Ukraine. lorsqu'on revient en France on ne peut que constater des changements notoires de la société . néanmoins une petite lueur d'espoir cette semaine dans l'actualité Corse où une nouvelle arrivée sur l'ile exige l'enlèvement d'une croix qui la gêne sur son passage aussitôt une mobilisation générale des Corses et surtout d'un lycée avec les jeunes pour contrer un ordre donné par l'administration attendons l'épilogue.
    bien à vous . Éliane de Lyon

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    1. Oui, il y a des signes encourageants et la Corse nous fait bien plaisir.

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  5. Bonjour Madame. Jamais je ne quitterai mon pays ou du moins aussi longtemps que je serai en capacité d'y voir le beau, le bien et le bon. Ma mère, russo-ukrainienne déportée en 1942, devenue Française par mariage, mère de trois Français s'est languie toute sa vie de sa patrie. J'ai enseigné et vécu à l'étranger (expérience enrichissante que je recommande toujours aux jeunes collègues que je côtoie): quel bonheur de revenir dans ma patrie, à chaque vacance, puis définitivement. Lire les propos haineux de Monsieur Bonnal m'interpelle: quel plaisir à insulter ainsi ses anciens compatriotes quand on est soi-même "tiré d'affaires", "au soleil dix mois sur douze"- dans un cadre semble -t-il "idyllique" (photos à l'appui)- du moins c'est ce que donnent à voir ses posts personnels. Nos tortionnaires sont mondialisés : impossible de les fuir. Conserver ses racines rend plus fort.
    Je vous lis avec toujours autant de bonheur.

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    1. C'est une question de choix personnel. En fait, je pense qu'il y a beaucoup de colère et de douleur dans les insultes de Nicolas Bonnal. Et je vous rappelle que Victor Hugo aussi s'était exilé, et Georges Bernanos. Pour moi, c'est un peu particulier, c'est un itinéraire personnel qui m'apparaît maintenant peut-être comme une vocation spécifique, d'autant plus que je suis repartie en Russie sur les conseils pressants du père Placide Deseille. J'ai naturellement la nostalgie de la France, on a sa patrie dans le sang. Cela dit, mon amour pour la Russie et ma conversion à l'orthodoxie font qu'ici, je me sens extrêmement patriote de mon pays d'adoption. En effet, tous les pays sont touchés par un mal insidieux, plus ou moins. Mais psychologiquement, je supporte mieux ici. Quand je suis revenue en France, et je pensais que ce serait définitif, j'avais la profonde nostalgie de la Russie. En Russie, j'ai la nostalgie de la France. Cependant, fondamentalement, comme dit mon père spirituel, nous sommes exilés dans le temps. La France que j'aime disparaît. La Russie aussi, malgré des signes de vitalité encore encourageants, disons qu'on peut encore espérer un sursaut qui serait salutaire non seulement ici mais dans toute la sphère de la civilisation européenne et chrétienne. Cela dit, je ne suis absolument pas solidaire des partis pris idéologiques de l'Europe, j'en ai même profondément honte et depuis longtemps, depuis longtemps, j'ai l'impression d'y être réduite au silence, depuis les années soixante-dix, pour tout dire. Et en ce moment, je crois qu'à part me promener dans la campagne, ce que je faisais beaucoup, et tout était très beau, ou aller à l'église, j'attendrais là bas la mort dans une grande solitude, alors qu'ici, je suis prise dans un élan vital général, malgré toutes les monstruosités du post-soviétisme, et aussi, je suis du côté qui me semble juste, depuis que j'ai vu tout ce qui a précédé et suivi le maïdan ukrainien. Mais je respecte vraiment, et je comprends, ceux qui restent, subissent et se taisent, dans quelque petit jardin secret, et je n'ai pas de haine pour la France, je n'ai qu'une grande aversion pour la caste qui la mène à sa perte.

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