Mois de mars, calendrier de Constantin Soutiaguine |
Skountsev m’a reçue dans son studio de l’Arbat, car il avait un concert et ses activités avaient déplacées à samedi, ce que j’ai appris dans le bus pour Moscou. Je lui ai chanté une complainte bretonne qui est ce que je connais de plus proche d’un vers spirituel russe, sur le plan du contenu, « la Vierge et saint Jean Baptiste ». Et puis une autre chanson, de Picardie, «Jésus Christ s’habille en pauvre. » Cela lui a beaucoup plu, et j’ai vu que cela lui donnait aussi des idées. Il a observé que j’avais fait des progrès, pour les gousli, et il voulait m’accompagner à la vielle à roue, mais comme cela se produit avec cet instrument capricieux, il n’arrivait pas à l’accorder, et il a laissé tomber, car cela prenait trop de temps.
C’était le printemps.
Au dernier moment, à Pereslavl, j’ai renoncé à prendre ma doudoune, et enfilé
un manteau en polaire que j’avais abandonné depuis l’automne. Il y a trois
jours, nous avions encore des chutes de neige et des températures négatives.
Hier, à Moscou, il devait faire pas loin de 10°, il y avait du soleil, les gens
avaient comme moi ressorti des vêtements plus légers. Les rues et les trottoirs
sont débarrassés de la neige, on marche à pied sec, et le plus étrange, c’est
que les décorations de Noël sont toujours partiellement en place, les arbres
lumineux de l’Arbat, par exemple. Le printemps, en Russie, vient toujours très
brusquement, mais c’est encore très tôt, et nous aurons sûrement des retours
provisoires de l’hiver…
J’ai voulu donner de l’argent
à une vieille femme qui mendiait, elle a refusé, car je suis moi-même une
vieille, elle ne s’adresse qu’aux jeunes qui travaillent encore. J’ai insisté,
mais rien à faire. Elle mendie pour payer les charges de son appartement, qui
se montent à 500 roubles, ce que j’aurais pu facilement lui donner. Elle m’a
répondu qu’elle n’avait pas trop de mal à les rassembler. Sa terreur est de
perdre son logement, et elle ne fréquente personne, les gens lui semblent tous
susceptibles de l'exproprier, car elle n’a plus de parents qui
puissent la défendre. Je l’ai adressée à notre père Théodore, dans notre église
voisine, c’est sa vocation que d’aider ceux qui sont dans la détresse matérielle.
A mon retour de l’Arbat,
j’ai accompagné Xioucha chez les Soutiaguine, c’était l’anniversaire de Sveta. Nous
sommes arrivées si tard, que nous avons croisé leurs hôtes précédents, leur
fille Macha et son mari, et le peintre Sacha Chevtchenko, que je n’avais pas vu
depuis longtemps, et que j’aime bien. Nous nous sommes retrouvées dans leur
pièce encombrée, aux murs couverts de tableaux. Ils habitent encore dans un
appartement communautaire. Ils louent une des chambres pour leurs filles, ce
qui leur donne plus d’espace, et ils auraient acheté une pièce qui est à vendre,
mais manquent d’argent, la dernière pièce est encore occupée par un voisin, pas
trop bienveillant, comme cela arrive souvent dans ce genre de logements.
Ils se sont montrés,
comme à leur habitude, enjoués, drôles et chaleureux. Soutiaguine nous a chanté
une extraordinaire chanson de truand sur « le beau ténébreux, prince de la
pègre, qui avait séduit la belle Nina, la fille du procureur, et la tenait
entièrement en son pouvoir ». Il l’a
chantée avec beaucoup de sentiments, et c’était un chef d’œuvre, qui m’a
rappelé le répertoire du cosaque Iouri Chtcherbakov.
Nous avons évoqué
Staline, à la suite de ma discussion sur Facebook à ce sujet. Il pense que sans
nier les horreurs commises, on pouvait lui concéder qu’il avait ramené l’ordre,
éliminé les bolcheviques et les trotskistes, gagné la guerre (mais je trouve
discutable de lui en attribuer le seul mérite) et permis d’amorcer un processus
de russification du communisme. C’est en effet ce qu’on peut lui concéder, et
que je lui concède pour ma part.
Sveta |
Kostia |