En complément de ce que j'ai indiqué il y a quelques temps, voici la traduction d'un article de Novaïa Gazeta qui a été retiré du site du journal aussitôt publié, mais que Sergueï Starostine, grande figure du folklore russe, a conservé et republié sur sa page vkontakte.
Au vu de tout cela, il m'apparaît qu'on a mené une action vile et sournoise en vue de détruire ce que les folkloristes ont sauvé et qui régénère en partie le peuple russe en lui rendant sa mémoire, sa fierté, sa santé morale et spirituelle. Cela a été conduit délibérément, et je me fais du souci pour les archives confisquées par ces fonctionnaires scélérats qui obéissent à qui? Qui sont au service de qui? Pour qui est-il si important de ne pas laisser le peuple russe récupérer son âme? Qu'est-ce qu'un ministère de la culture qui a de tels agissements et finance par ailleurs les pièces dégénérées d'un Serebrennikov, dans le goût de ce qui sévit en occident, et probablement dans le même but?
Pourquoi est-ce toléré par Poutine qui soutient officiellement les valeurs traditionnelles russes, l'Orthodoxie?
Cette action me prouve en tous cas que le folklore est encore vivace et renaissant, assez pour déranger les démons partout à l'oeuvre.
Et aussi que les destructions soviétiques sont poursuivies avec un zèle étrange par les capitalistes libéraux: même combat. Le serpent a plusieurs têtes et divers masques, mais un seul corps.
Pourquoi faut-il assassiner la tradition populaire ? Parce qu’elle nous unit, parce qu’elle nous recentre, parce qu’elle nous fait entrer dans un univers épique, féerique, dramatique, poétique qui nous fait passer au dessus de nous-mêmes et sublime nos destins. Le Moloch moderne n’a pas besoin de cela. C’est pourquoi le ministre libéral de la culture veut fermer ici le Centre National de Folklore. Pour que les Russes n’aient plus accès aux sources vives de leur âme, pour que meure l’entité Russie, comme meurt l’entité France, et que nous nous retrouvions tous sans défense entre les mains des créatures des ténèbres, comme des amnésiques hagards et bredouillants dont on fait ce qu'on veut. Pour que toute beauté et toute noblesse disparaissent à jamais de cette terre.
Le 28 novembre, le Ministère de la Culture a pratiquement mis un point final à de
longues années de recherches sur le folklore russe : sur son ordre, sans aucun
accord ni avertissement préalable, les archives considérables du Centre National
du Folklore Russe sont évacuées des lieux. Toutes ces archives qui consistent en 170 000 ouvres uniques de l’art populaire,
rassemblées au cours des expéditions, les bibliothèques du centre et les
résultats de ses recherches scientifiques seront mises à la disposition de la
Maison Nationale Russe d’art populaire V.D. Polenov, un organisme qui ne s’est
jamais occupé de recherche scientifique. Selon la décision du directeur du
département de soutien gouvernemental à l’art et à la création populaire Andreï
Malychev, il est proposé de façon orale aux collaborateurs du Centre de déposer
une demande de licenciement volontaire.
«C’est pratiquement une opération de raid sur le centre de Folklore, dit le remplaçant de son directeur, le célèbre musicien et folkloriste Sergueï Starostine. Sans nos archives, notre activité devient impossible, et au Ministère de la Culture, on le comprend bien. »
Les rumeurs sur la liquidation approchante et définitive du Centre ont filtré milieu novembre. Une année auparavant, il avait déjà été privé de sa personne juridique par le ministère et mis à la disposition d’une structure dénommée Roskultprojekt. Les informations sur cette structure dans les sources officielles sont très rares, on sait qu’elle est dirigée par Oleg Ivanov, qui occupait auparavant le poste de vice directeur de l’Union des cinéastes de Russie de Nikita Mikhalkov et n’avait jamais eu de relations avec la recherche sur l’héritage traditionnel. Le Roskultprojekt a diminué de moitié le personnel du Centre et réduit plusieurs fois son financement, l’a exilé de son local et l’a envoyé avec ses archives et sa bibliothèque dans la cave de l’un des bâtiments appartenant au ministère. On avait pu alors arrêter la désintégration définitive du Centre, mais son activité avait été pratiquement paralysée.
Parmi les collaborateurs restants, une partie fut obligée de quitter le Centre au cours de l’année sous la pression de la nouvelle direction, et il ne fut même pas fourni aux autres d’étagères pour déballer les archives et restaurer le travail du Centre. Quelques jours avant l’apparition de l’information sur le démembrement du centre au nom du Roskultproject, des appels d'offres ont été lancés pour l'achat d'une garantie matérielle de plusieurs millions de roubles. On n’a pu découvrir d’informations au sujet d’autres organisations qui pourraient être gérées par ce centre dans les sources officielles.
Le 15 novembre, sur le site change.org est apparue une pétition du centre, adressée au chef du Ministère de la Culture, Vladimir Medinski, réclamant l'arrêt de la liquidation du centre. On y disait que les collaborateurs avaient eu connaissance que l’on planifiait de mettre le centre à la disposition de la Maison de la création populaire, réseau fédéral de Maisons et de Palais de la Culture qui ne s’occupent pas de recherche scientifique
«Ils n’ont même aucune direction d’activité de ce genre dans leur statut, commente Starostine à propos des perspectives de fusion avec la Maison de la créativité. Il faut pour cela réécrire le statut, changer les structures… J’ai une question pour les fonctionnaires : pourquoi organiser cette pagaille et mélanger deux structures, si nous nous occupons de choses absolument différentes ? »
«C’est pratiquement une opération de raid sur le centre de Folklore, dit le remplaçant de son directeur, le célèbre musicien et folkloriste Sergueï Starostine. Sans nos archives, notre activité devient impossible, et au Ministère de la Culture, on le comprend bien. »
Les rumeurs sur la liquidation approchante et définitive du Centre ont filtré milieu novembre. Une année auparavant, il avait déjà été privé de sa personne juridique par le ministère et mis à la disposition d’une structure dénommée Roskultprojekt. Les informations sur cette structure dans les sources officielles sont très rares, on sait qu’elle est dirigée par Oleg Ivanov, qui occupait auparavant le poste de vice directeur de l’Union des cinéastes de Russie de Nikita Mikhalkov et n’avait jamais eu de relations avec la recherche sur l’héritage traditionnel. Le Roskultprojekt a diminué de moitié le personnel du Centre et réduit plusieurs fois son financement, l’a exilé de son local et l’a envoyé avec ses archives et sa bibliothèque dans la cave de l’un des bâtiments appartenant au ministère. On avait pu alors arrêter la désintégration définitive du Centre, mais son activité avait été pratiquement paralysée.
Parmi les collaborateurs restants, une partie fut obligée de quitter le Centre au cours de l’année sous la pression de la nouvelle direction, et il ne fut même pas fourni aux autres d’étagères pour déballer les archives et restaurer le travail du Centre. Quelques jours avant l’apparition de l’information sur le démembrement du centre au nom du Roskultproject, des appels d'offres ont été lancés pour l'achat d'une garantie matérielle de plusieurs millions de roubles. On n’a pu découvrir d’informations au sujet d’autres organisations qui pourraient être gérées par ce centre dans les sources officielles.
Le 15 novembre, sur le site change.org est apparue une pétition du centre, adressée au chef du Ministère de la Culture, Vladimir Medinski, réclamant l'arrêt de la liquidation du centre. On y disait que les collaborateurs avaient eu connaissance que l’on planifiait de mettre le centre à la disposition de la Maison de la création populaire, réseau fédéral de Maisons et de Palais de la Culture qui ne s’occupent pas de recherche scientifique
«Ils n’ont même aucune direction d’activité de ce genre dans leur statut, commente Starostine à propos des perspectives de fusion avec la Maison de la créativité. Il faut pour cela réécrire le statut, changer les structures… J’ai une question pour les fonctionnaires : pourquoi organiser cette pagaille et mélanger deux structures, si nous nous occupons de choses absolument différentes ? »
La pétition du Centre est adressée directement au ministre
de la culture, car les collaborateurs du Centre considèrent que les
fonctionnaires qui supervisent directement ce domaine au ministère fuient intentionnellement
les rencontres avec eux et se taisent sur ce qui se
passe. A la question naturelle du degré d’information de Medinski lui-même, Starostine
répond ainsi :
« Medinski n’est
pas obligé d’être informé. Il a à la fois des conseillers et des directeurs de
division qui peuvent lui expliquer ce qui se passe dans leur région. Le
directeur de notre département, Andrey Malyshev, est tout simplement
incompétent sur cette question, il croit que c'est une optimisation qui profitera
à tout le monde. Je comprends que les
fonctionnaires du ministère ne lisent pas les pétitions, mais je pense qu’au
moment donné, il est important que la société commence à se prononcer sur ce
thème ».
Pendant les 26 ans de son activité, le Centre de Folklore a mérité sa réputation particulière, non seulement par ses recherches, mais par ses festivals de musique, ses cours de techniques musicales locales et sa propagande en faveur de la conservation de l’héritage traditionnel. On peut seulement s’interroger, selon Starostine, sur les motifs d’une fusion avec un organisme qui n’a pas le profil, peut-être quelqu’un du ministère convoite-t-il le local du Centre et en l’absence de bureau compétent, aucun fonctionnaire ne l’a défendu.
Pendant les 26 ans de son activité, le Centre de Folklore a mérité sa réputation particulière, non seulement par ses recherches, mais par ses festivals de musique, ses cours de techniques musicales locales et sa propagande en faveur de la conservation de l’héritage traditionnel. On peut seulement s’interroger, selon Starostine, sur les motifs d’une fusion avec un organisme qui n’a pas le profil, peut-être quelqu’un du ministère convoite-t-il le local du Centre et en l’absence de bureau compétent, aucun fonctionnaire ne l’a défendu.
« L’étude scientifique du folklore est un objectif
extrêmement important qui doit être décidé au niveau gouvernemental. Nous ne tolèrerons pas une approche du folklore entachée d'amateurisme » déclare
à propos de la liquidation du centre Maria Nefedova. Elle dirige depuis déjà
20 ans l’ensemble Dmitri Pokrovski. Un des collectifs les plus anciens et les
plus prestigieux du pays qui sut soulever dans les années 80 une énorme vague
d’intérêt pour la musique populaire authentique. C’est sur cette vague qu’ont
surgi non seulement de nombreux autres collectifs, mais le Centre de recherche
du Folklore lui-même.
"La vague d'intérêt pour le folklore est allée de la ville vers la campagne, dit Maria Nefedova. Elle a en bien des choses aidée la jeunesse des campagnes, qui s'y est intéressée et à commencé à s'y connaître en musique populaire, à prendre conscience d'elle-même. Lors d'une expédition au Kouban, à notre requête de faire connaissance avec les interprètes locaux, on nous a demandé: et quels collectifs vous intéressent, les fokloriques authentiques ou les populaires?"
Jusqu'à une époque récente, dans le milieu des interprètes professionnels du folklore, on considérait ce dédoublement avec sérénité. Les cercles amateurs existent depuis longtemps, parallèlement au monde de la musique authentique, il n'y a entre eux pas de concurrence directe et diverses maisons de la culture offrent souvent leurs emplacements aux ensembles folkloriques. Dans la période soviétique, cependant, la situation était quelque peu différente, explique Starostine:
"Pendant plusieurs siècles, la Russie a été un pays de paysans, qui avaient leur culture immatérielle. Elle s'exprimait à travers la parole, la musique, les rites et autres. Après 1917, il fut indispensable de se débarrasser de cela qui persistait dans les profondeurs du peuple. Peut-être cet objectif n'était-il pas directement posé, mais tout au long de l'existence du pouvoir soviétique, cette culture fut remplacée par des modèles qu'on pouvait commander à un compositeur, en lui demandant de créer quelque chose "à la manière populaire". De cette façon, est apparue toute une couche de "culture de kolkhose" qui a pris sa place dans les villages en dépit de l'existence de la culture enracinée. Le peuple essaya comme il put de conserver son héritage, comprenant tout le factice de ce qu'on lui proposait, sentant cette substitution. Cela peut tenir sur une génération ou deux, mais depuis la révolution ,trois ou quatre générations se sont succédées.
Tout cet engouement pour la musique folklorique dans les années 80 a commencé parce que les chercheurs et les interprètes ont sonorisé les archives. L'intelligentsia a alors compris que dans les tréfonds de notre culture, se trouvent des choses fantastiques, que notre culture n'est pas "kolkhosienne".
Tout cet engouement pour la musique folklorique dans les années 80 a commencé parce que les chercheurs et les interprètes ont sonorisé les archives. L'intelligentsia a alors compris que dans les tréfonds de notre culture, se trouvent des choses fantastiques, que notre culture n'est pas "kolkhosienne".
Parallèlement à la pétition qui a récolté 18 000 signatures en moins de deux semaines, Sergueï Starostine a publié une vidéo appelant à arrêter la liquidation du Centre. La communauté des folkloristes a réagi aussitôt, une vidéo a commencé à circuler sur les réseaux sous le hashtag #поддержифолк, sur laquelle des collectifs de chercheurs et d'interprètes de l'héritage traditionnel chantaient des chansons populaires et intervenaient par vidéo en faveur du Centre. Du Ministère de la Culture ne sont parvenus aucune décision écrite ni ordre signé. Selon Starostine, quand Andreï Malychev a téléphoné aujourd'hui au chef de la Maison de la créativité Tamara Pourtova, en lui donnant l'ordre d'emporter les archives du Centre, elle n'était pas moins étonnée que les collaborateurs du Centre eux-mêmes.
https://vk.com/dudach
https://vk.com/dudach
Transmission de la tradition: Olga Fédosseïevna Sergueïeva, interprète et conservatrice de chansons russes (région de Pskov) et son élève Olga Smolianinova.
La vieille femme transmet à sa jeune visiteuse ce qu’elle a elle-même reçu de la génération précédente. Quand le lien se perd et que la chanson disparaît, c’est une perte que rien ne pourra compenser. En occident, nous chantons et interprétons de la musique médiévale reconstituée, d’après des notations, or nous ne saurons jamais comment à l’époque on chantait et jouait tout cela : les notes ne traduisent pas les nuances du chant populaire, elles le découpent en tranche. Le chant populaire, comme d’ailleurs le chant d’église byzantin, issu lui-même de la tradition grecque et juive, est fluide comme le vent et l’eau, et doit passer de l’un à l’autre, comme un liquide d’un récipient à l’autre, comme une flamme d’un cierge à l’autre. Il y a des chants sauvés, et il y a des chants irrémédiablement perdus. Des chants qui viennent du fin fond de nos origines et qu’on n’entend presque plus : ils sont bétonnés par le tohu-bohu sonore qui nous abrutit dès le ventre de notre mère, et fait nous des muets drogués de bruit, qui supportent la radio du voisin quand elle dégueule à tue-tête une musique insupportable, agressive et monotone, mais pas le chant de quelques amis regroupés ou l’instrument de musique dans l’appartement du dessus.
Starostine, Kotov, Fiodorov, Volkov:
L'homme pécheur