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samedi 14 avril 2018

Après l'hiver

La neige disparaît et les ordures apparaissent. La décharge sauvage se fait de plus en plus envahissante, dans la cour de l'ancien baraquement, que j'aimais traverser parce que c'était plus court, moins boueux, et qu'y poussaient encore les fleurs des gens qui habitaient là autrefois. Mais je ne le ferai plus: c'est répugnant. Le long du chemin ou disons de ma rue défoncée et marécageuse, cela n'est guère mieux, je me demande où Nadia fera paître ses chèvres. Quels sont les cochons qui se débarrassent ainsi de leurs déchets n'importe où?
Des maisons disparaissent ou sont défigurées, et ce qui était modestie traditionnelle pittoresque, homogène et fantasque devient bidonville hétéroclite et banal d'où émergent les grosses maisons prétentieuses de ceux qui ont plus d'argent que les autres et entendent le montrer. A noter que si un type veut se construire un machin de trois étages, il ne se soucie absolument pas de boucher la vue des voisins et de leur enlever tout leur soleil...
C'est comme une lèpre qui ronge le pays, la lèpre de la laideur universelle et du plastique mortel, qui s'insinue partout, sur les façades, dans nos vêtements et nos décharges imputrescibles.
J'ai naturellement hâte que la nature recouvre d'herbes et de fleurs sauvages toutes ces horreurs, que les feuillages masquent ces maisons moches.
La beauté subsiste dans les églises et les monastères, où le mauvais goût s'infiltre aussi, mais ce qui y met un frein, c'est la tradition: on ne met pas n'importe quoi dans et sur une église, ni dans son périmètre.
La tradition est ce qui empêche le désordre et l'infamie de prendre le dessus. La tradition est issue de l'expérience d'innombrables générations qui avaient le respect des valeurs éternelles et qui étaient reliées au cosmos environnant. Partout où elle se perd s'installent la laideur, la cacophonie et la dégradation des moeurs et des apparences. En Russie subsiste une tradition: l'Eglise. Le folklore encore un peu. C'est pourquoi de plus en plus, la première soutient la pratique et la réappropriation du second.
Dans mon jardin, il y a vraiment du travail et je ne m'en sortirai pas seule. "Je ne m'en sors pas seule" est une chose que je me suis répété toute ma vie. Même ma vieille voisine de Krasnoïé, me voyant lutter contre les orties dans mon jardin, m'avait lancé par dessus la palissade: "Sans un mec, tu ne t'en sortiras jamais!" Mais cela devient d'autant plus vrai avec de l'arthrose du genou...
Je suis quand même arrivée jusqu'à soixante six ans en accumulant les conneries et en me faisant plumer par les différents mercenaires venus jouer provisoirement le rôle du mari bricoleur contre espèces sonnantes et trébuchantes. Tant qu'on peut payer...
Mais dans le jardin, c'est délicat, les jardiniers ont tendance à avoir leurs propres représentations, et à massacrer tout ce qui ne pousse pas dans un petit massif bordé d'affreuses barrières en plastique ou à l'intérieur d'un pneu de camion!
Heureusement, je viens de voir que Leroy Merlin commercialise des barrières en osier tressé ou plessis. Je sais pertinemment que je n'aurai ni le courage ni le temps de les tresser moi-même, ce que faisaient autrefois les Russes, ce qu'ils font encore. J'irai donc enrichir Leroy Merlin.
La terre est truffée de toutes sortes de détritus, chez moi. Je crois que le plan était de recouvrir la décharge de sable, puis de  terre, afin de surélever la surface cultivable par rapport à la nappe phréatique toute proche, mais je ne sais pas si le plastique, le polystyrène expansé ou l'éverite sont super top pour les cultures, ni pour la nappe, d'ailleurs.
Je me demande si nous n'allons pas étouffer petit à petit dans nos propres déchets, comme les malheureux moutons du cargo australien.

vendredi 13 avril 2018

Pièces du puzzle

J’ai vu qu’à Rybinsk, un cimetière s'enfonçait dans la boue, et cela me fait une impression sinistre. Rybinsk, c’est là où se trouve la mer artificielle qui a noyé une immense, ancienne et magnifique partie de la Russie, avec ses forêts, ses villages, ses églises, et ses cimetières, justement, j’en avais lu d’affligeants récits dans un recueil de témoignages sur la vie du starets Pavel Grouzdev, originaire de cette région. Le progrès technique est fils du diable, avec le matérialisme qui l’accompagne,  et nous en avons tous les jours des signes, en ce moment.
50000 moutons morts étouffés dans leurs excréments sur un paquebot qui les transportait en Australie, et immobilisé pour raisons administratives plusieurs jours en mer sous le soleil. Et personne n’a rien fait pour eux, car les gens cupides et sans cœur qui les commercent n’en avaient strictement rien à foutre. Là aussi l’impression est sinistre : en dehors de toute autre considération, une « civilisation » capable de cela ne traitera pas mieux les gens, on le voit tous les jours également.
En Ukraine, les « soldats » tirent sur un bus d’écoliers. Les Ukrainiens font la guerre aux enfants, leur président l'avait même annoncé, mais on n'écoute pas ce que disent ces gens-là. On devrait, ils ne se cachent souvent même plus..
Je vois monter une horreur dont les précédents golems n’ont été que la répétition timide. De sorte que je deviens même indifférente à la guerre qui menace : si nous l’évitons cette fois, l’Europe n’en continuera pas moins à préparer sa transformation en Kosovo géant, en Afrique du Sud, où les blancs sont massacrés en ce moment avec des raffinements de cruauté, en lupanar de gosses pour satanistes de la haute, on n’en continuera pas moins à répandre du plastique dans les océans, la centrale maudite de Fukushima de fuir, les Chinois de vider la terre de sa faune sauvage et de ses forêts, et je ne vois pas bien comment trois agroécologistes à la Pierre Rahbi pourront renverser la vapeur. Satan est déchaîné…
De sorte qu’on ne sait pas, la guerre sera terrible, mais je ne vois rien de bon à l’horizon, peut-être empêchera-t-elle des abominations encore pires. J’en viens à me dire que ce sera comme Dieu voudra, qu’il faut se cramponner à Lui et fermer les yeux, parce que ça va tanguer.
Certains la voient inévitable, d’autres parlent d’un jeu entre Trump et Poutine, destiné à tromper l’Etat profond. On se défie depuis plusieurs jours, les criminels au pouvoir en Europe et aux USA roulent des mécaniques, lâchent leurs pires mégères aux tribunes pour cracher des calomnies et des incantations meurtrières, on croirait un tableau de Jérôme Bosch. Ou de Goya.
J’ai regardé une vidéo où une ancienne esclave sexuelle de l’Etat islamique interroge un ancien membre de cette organisation, à présent prisonnier. Il n’a pas l’air idiot, il n’a pas la gueule d’abruti patibulaire qu’ils ont généralement tous, et confesse 900 meurtres ou « exécutions » et 50 viols de femmes ou d’enfants.  Il dit que la pulsion sexuelle était trop forte pour s’arrêter quand la fille suppliait de le faire, mais que l’acte terminé, la voir pleurer lui « brisait le cœur ». Et pour les meurtres, il expliquait que de toute façon, s’il ne les avait pas commis on l’aurait tué lui-même. La raison de son engagement dans cette aventure : le fric. Il s’attend à être exécuté.
Des gens criaient à mort dans les commentaires, mais c’est drôle comme mon agressivité tombe dès qu’un ennemi est vaincu. Dans cette affaire, je suis plus horrifiée par les commanditaires de cette organisation, qui siègent en costar ou tailleur dans des buildings de verre, que par ces exécutants, que je ne justifie naturellement pas, mais je pense qu’il y a un entraînement du crime, un égrégore maléfique qui se forme et amène les gens à faire des choses épouvantables qu’ils ne contrôlent plus, mon roman porte là-dessus en partie, c’est pourquoi j’ai regardé la vidéo.
Iouri Tkatchev voulait absolument me faire regarder un film sur les crimes communistes, cela me traumatise... Cela me rend malade. Et ce qui me déprime le plus, ce sont ceux qui les nient, ou répondent que l’inquisition c’était pire ou que le capitalisme a fait lui aussi beaucoup de victimes. Les gens qui disent ce genre de choses sont tous des bourreaux potentiels, ils peuvent tous se retrouver à la place du type de l’Etat islamique ou des bataillons néonazis d’Ukraine, car ils ont la mentalité idéologique qui justifie tous les crimes de la secte adoptée par eux, en lui découvrant sans cesse de nouveaux ennemis, et en calomniant ceux qui s’opposent à elle ou dénoncent ses sacrifices humains toujours renouvelés, sous différents drapeaux ou faux-drapeaux : la secte de Satan.
Sur la page d'une copine, les interventions rose bobo de vieilles gauchistes qui n'ont toujours pas compris où elles se trouvent: leur cerveau est resté programmé par les années 70 et depuis, il ronronne toujours dans le même sens qui est peut-être le sens commun, mais certainement pas le bon sens. Ca va leur faire drôle, quand ça va mal tourner.
Il fait beau, pas très chaud, mais beau. Au fait, on nous dit toujours que les dénonciateurs de chemtrails sont des complotistes hallucinés, que ce que nous voyons en France, toutes ces traînées parfois entrecroisées dans tous les sens c’est juste un phénomène normal de condensation, mais depuis quinze jours qu’il fait très beau à Pereslavl, je ne vois aucune traînée dans le ciel d’azur, parfois des nuages, mais pas ce tissage brumeux… qu’est-ce à dire ?

mercredi 11 avril 2018

L’Apocalypse: le livre aux pierres précieuses


Un article que j'avais traduit il y a quelques années et que je voudrais faire figurer dans mes chroniques en ce moment si périlleux....
Il y a quelques jours, discutant avec Bernard Frinking, iconographe orthodoxe néerlandais et élève d'Ouspensky, je l'entendis plusieurs fois évoquer l'Apocalypse comme un message d'espoir. Puis je découvris sur le site d'un ami facebook, la remarquable vidéo d'une émission orthodoxe belge consacrée à ce thème: http://www.dailymotion.com/video/xp53yz_l-apocalypse-de-jean-entretien-avec-le-prof-christos-yannaras_lifestyle?fb_source=hovercard. Je me souvins alors de cet article de "Thomas" que j'étais tentée de traduire et qui m'a séduite par sa profondeur, sa beauté et sa joie. Je vous le livre aujourd'hui en complément. 
Au XII °siècle, vivait en France un remarquable abbé, qui disait que regarder des pierres précieuses conduisait l’esprit jusqu’à Dieu. Cet abbé était un homme excellent, tout le monde l’aimait et lui confiait ses secrets. Un jour, le roi Louis le Gros, partant pour les Croisades, laissa le gouvernement du royaume à l’abbé, et pendant ces quelques années de gouvernement monastique, la France prospéra et s’affermit. Cet abbé s’appelait Suger. Il était le supérieur du couvent de Saint-Denis. Il me semble qu’il était gros, comme son roi, car je sais d’expérience que de telles personnes savent très naturellement concilier le désir du ciel avec l’amour de la terre. Suger est aussi appelé le parrain du style gothique. C’est précisément lui qui introduisit dans son monastère des églises et des bâtiments qui jetaient un défi à la matière inerte, l’emportaient vers le haut, triomphaient de l’attraction terrestre, et se gorgeaient de la lumière des vitraux, car le plus important, dans le gothique, c’est la lumière immatérielle qui anime les froides pierres, leur donnant une voix pour célébrer Dieu, même quand les gens se taisent. On dit que ce sont les œuvres de Denys l’Aéropagite qui inspirèrent si fort l’abbé, mais il est un livre bien connu de tous, et naturellement de Suger, un livre merveilleux dans lequel il y a beaucoup de lumière, d’espoir, de joie et… de pierres précieuses. C’est l’Apocalypse. On le lisait davantage en occident qu’en orient, et il me semble que c’est justement sous l’influence de sa lecture que naquirent les cathédrales gothiques.
Que savons-nous de l’Apocalypse ? Un livre terrible. Angoissant et effrayant. C’est l’apôtre Jean le Théologien, exilé sur l’île de Patmos, qui l’écrivit. On considère que c’est une vision des « dernières choses », de ce qui attend le monde quand son temps s’achèvera, quand il se fondra, en une dernière explosion, dans l’éternité. L’Apocalypse est un livre prophétique, il prédit, et ses prédictions font peur. La fin de l’histoire humaine est si terrible que nous en oublions que ce livre est écrit dans la langue des symboles, des images, des allégories. Des oiseaux tournent au dessus de monceaux de cadavres et même d’une mer de sang, le cavalier pâle, les maux sans fin et les trompettes, qui résisterait à cela? Cela plaît beaucoup aux adolescents contemporains, mais en vieillissant, même eux s’épouvantent. Le livre de la Révélation effrayait aussi nos ancêtres et c’est peut-être pourquoi l’Apocalypse est le seul livre du Nouveau Testament qui n’est pas lu pendant les services par l’Eglise Orthodoxe.
Et pourtant, quand je suis triste, je lis justement l’Apocalypse, car c’est un livre lumineux et consolant, c’est un livre sur le Christ. Il en est le principal personnage, il n’y est question que de Lui et regardez la façon dont l’auteur décrit le Sauveur. Combien d’images il en donne ! Quand j’ouvre ce livre, je me souviens du légendaire Abgar, le roi lépreux qui avait envoyé son artiste peindre le portrait du Christ et celui-ci ne put s’acquitter de la tâche ; le visage du Sauveur changeait sans cesse, ne se laissait pas «saisir » en quelque image unique, comme s’il résistait à la confection d’une idole. De même, dans le livre de saint Jean, le Christ est tantôt l’Agneau humble et souffrant, tantôt le Seigneur s’installant peu à peu sur un trône au dessus de la mer vitrifiée, tantôt le cavalier redoutable sur son cheval blanc, avec des cheveux blancs comme la neige, et des yeux comme des flammes ardentes. Il défait et renverse hardiment ses ennemis, il réconforte ses amis et ses frères, mène ses témoins aux sources des eaux. Le contemplateur des mystères ne peut « saisir » le Christ en une seule Image, et cette abondance de « portraits » est le meilleur témoignage sur Qui existe en réalité, Qui est en vérité, Qui est la Vie la plus Imperceptible, Indescriptible, et la Vie en abondance. Ce ne sont pas les plaies et les châtiments qui sont le sujet principal de l’Apocalypse, ce n’est pas l’antéchrist, à qui on ne fait même pas l’honneur de donner un nom, le désignant simplement avec dégoût d’un chiffre en forme de reptile. Par le moyen de ce livre, saint Jean réconfortait ses frères et sœurs en ces temps de trouble, quand il ne restait déjà plus d’espoir, et les réconfortait en témoignant qu’il avait revu son Rédempteur, et communié à cette joie et cette « paix indicible » qui nous attendent au moment de la Rencontre ultime et désirée. Il décrit hardiment et avec allégresse ce qu’il a réellement vu, ce par quoi il fut à nouveau confirmé, et le cœur de chaque lecteur et auditeur chante, comme celui de Job : Car je sais que mon Rédempteur est vivant, et que je ressusciterai de la terre au dernier jour, que je serai encore revêtu de cette peau, que je verrai mon Dieu dans ma chair ; que je le verrai, dis-je, moi-même, et non un autre, et que je le contemplerai de mes propres yeux (Job 19 : 25-26). Il a triomphé de la mort. Il tuera aussi la mienne, il guérira aussi ma douleur. Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus. Il n’y aura plus aussi là ni pleurs, ni cris, ni afflictions, parce que le premier état sera passé.[1] (Apocalypse 21 :4). Et plus loin, la description de la Jérusalem céleste. Voilà ce que c’est que le triomphe de la lumière et de l’amour ! Les murs en sont ornés de pierres précieuses : ici le jaspe cristallin, et le saphir au tendre éclat bleu, et la chalcédoine, sœur de la vague marine, et la merveilleuse émeraude, le sévère sardonyx, et la chrysolithe aux reflets d’or, et le béryl elfique, et la majestueuse topaze, et le chrysoprase chatoyant, et l’hyacinthe magique, et ma préférée, l’améthyste, et les portes faites d’une seule perle pure ! Et le fleuve de la vie roule ses eaux claires et étincelantes, comme du cristal, à travers la ville et les peuples vont dans la lumière de l’Agneau, et l’arbre de vie, portant ses fruits pour la guérison de tous ! Quand je suis triste, je relis ces lignes, je me plonge dans cette lumière inaltérable et c’est si naturellement que j’ai envie d’appeler, avec saint Jean et tous les chrétiens qui lisent ce livre de lumière, à travers les distances et les délais : Viens, Seigneur Jésus !(Apocalypse 22 :20).
Parce que quelles que soient les occupations de chacun de nous, quoiqu’il fasse, en fin de compte, si l’on extirpe sous la lumière de Dieu la cause ultime de tous nos espoirs et de nos attentes, le nerf de toutes nos inquiétudes et de nos émotions, il s’avèrera que ce qui nous meut, c’est le désir d’aimer et d’être aimé. Le désir du pouvoir, de la gloire, du repos, de la reconnaissance c’est le manque d’amour qui m’emplit de peur, de solitude, de tristesse, et dès que je trouverai quelque chose de vrai, d’authentique et de désintéressé, je n’aurai plus besoin ni de lutte, ni d’angoisses, ni de preuves.
J’ai entendu un auteur contemporain dire :
« Prends-moi avec toi. Je suis si fatigué de te courir après.
Ouvre les yeux, cache ton visage dans tes mains.
La lumière. Je veux voir la lumière entre nous. »
Sait-il Qui il appelle, de Qui son âme a la nostalgie ? Que verrai-je dans la lumière de ces yeux vivants et aimants ? Que ressentirai-je alors, quand mon visage se reflètera dans Ses yeux, les yeux du Dieu qui m’aime d’une façon authentique ? Qui se reflètera en eux ? Non, ce ne sera pas la peur, ni l’épouvante, mais un grand étonnement qui s’emparera de nous devant les yeux Divins, car ce ne sont pas seulement le péché et le vice, pas seulement ma vie ordinaire et sans artifice qui se apparaîtront dans Ses yeux, mais ma beauté, ignorée de moi-même, mais toujours vivante dans ce regard humble, un peu triste, aimant et magnifique.



[1] Traduction des citations bibliques : Lemaître de Sacy

Higoumène Savva (Majouko)
Monastère saint Nicolas de la ville de Gomel en Biélorussie
Traduction: Laurence Guillon 11 avril 2012,

mardi 10 avril 2018

La fin du jour


Les bruits de guerre se font de plus en plus inquiétants, les américanosionistes font la danse du scalp, organisent des coups montés pour compromettre la Russie, qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.  Un ami, qui sanglote sur la famille impériale mais soutient Staline, ce qui ici est fréquent, pense que Poutine se fout de la Russie mais qu’il ne veut pas finir comme Saddam Hussein. Si Poutine finit comme Saddam Hussein, la Russie (et le monde entier) finira comme l’Irak…
Je risque de me retrouver sans retraite, si ça tourne mal. Je n'aurai sans doute pas le temps de faire venir mes affaires. Je perdrai mes journaux, mes aquarelles, mes tableaux, ma vielle, et mes derniers souvenirs de ma jeunesse et de maman.
En même temps, je suis soulagée d’être ici, j’aurais mal vécu une guerre avec la Russie en France. J'aurais mal vécu d'être dans le mauvais camp, celui des agresseurs, des psychopathes pervers, des hypocrites, des menteurs et des mafieux. Je me débrouillerai…
A mon retour de Moscou, m’arrêtant près du marché, je vois de loin un chien : Rosie, menant sa vie de bohême. Elle s'est jetée sur moi pour me faire des fêtes délirantes mais n’a jamais voulu monter dans la voiture, elle l’a suivie jusqu’à la maison, ce qui me donne des angoisses, mais il n’y a pas d’autre issue. Elle fait ce qu’elle veut. Et courir après ma voiture est un jeu qui l'enchante.
Il fait 16°, tout à coup, avec ce grand vent tiède de printemps qui souffle ici, plein de soleil et de mouettes. La neige ne subsiste plus que par petites plaques, et je contemple cette chose étonnante, après plusieurs mois de blancheur impavide, des étendues d’herbes jaunes, où se devinent de petites pousses encore très discrètes. Les ordures remontent de partout, j’essaie de nettoyer le terrain qui est inégal et détrempé, un marécage. Je regarde ce qui a résisté à l'hiver, à peu près tout. 
La terre est encore gelée.
Violetta est venue m’accabler de conseils extrêmement insistants. C’est vraiment étonnant comme certaines vieilles Russes sont absolument persuadées d’une part d’avoir raison et d’autre part de la nécessité de faire votre bien malgré vous.
Claire, que j'ai pu voir à Moscou le temps d'un thé, trouve les romans perturbants, n’importe lesquels, elle trouve perturbant d’entrer dans un monde imaginaire et d’avoir du mal à en sortir, comme sa fille de l’univers de Tolkien. Son père spirituel lui déconseille d’en lire. C’est une question que je me pose aussi, car je  n’arrive pas à sortir de celui que j’ai écrit, encore que je trouve que ça vient, petit à petit, cela s'apaise. 
Mon père Valentin semble penser également que le roman est un exercice périlleux, mais il pense du mien qu'il m'a permis de comprendre l'âme russe avec une étonnante profondeur et que cela est en soi une grande chose...
Le roman est formateur, c’est une leçon de vie, ceux de Dostoïevski, de Thomas Mann, de Giono, de Proust, de Céline, de Flaubert m’ont beaucoup apporté, m'ont aidée à me construire, Dostoïevski surtout. Il me semble qu’il y a un moment de la vie où il faut en lire mais que cela peut devenir gênant par la suite pour le développement de sa vie spirituelle. 
Avant de revenir au mien, je n’arrivais plus à en lire, d’ailleurs.
La peinture, la musique et même la poésie ne me font pas cet effet-là.  Le roman est quelque chose de très particulier, un jeu dangereux, en tous cas pour l’auteur. Une descente dans les profondeurs de l'âme collective, dans un grand orgue mystérieux où résonnent au travers de nous des voix qui ne sont pas la nôtre, où se manifestent des forces de toutes sortes, les ténèbres et la lumière affrontées...
Les gens qui ne sortent jamais de la littérature et ne vivent que par elle peuvent-ils vraiment avoir une vie spirituelle aboutie ? 
Il y a beaucoup de problèmes qui m’agitent et que je pourrais creuser et analyser au travers de romans, mais je me demande si je dois le faire, maintenant que j’ai pondu Yarilo et Parthène, car je crains de compromettre ma paix intérieure. Je l’ai déjà pas mal compromise, mais je devais le faire, je devais traverser cela, pour moi mais aussi pour mes personnages, pour les âmes de leurs prototypes.
Je voulais prendre comme point de départ les deux Russes du caveau d’Annonay, inventer une histoire à partir de là qui me permettrait de parler de la France et de la Russie. Un autre thème qui m’obsède et me terrifie, c’est celui de la pédophilie, enfin ce qu’on appelle à tort de la pédophilie et qui serait plutôt, au sens premier, de la pédérastie, et de ce qu’on met en place en occident pour détruire les enfants et les utiliser. Mais je crains de toucher à cela, qu’y a-t-il de plus perturbant ?
Du reste, j’arriverai peut-être à publier Yarilo et Parthène, mais le monde se dégrade à tel point que je ne suis pas sûre d’avoir la possibilité d’écrire quelque chose d’autre. Le chaos risque d'être énorme et je ne suis pas sûre d'y survivre. 
Je regarde cela avec terreur, douleur, honte et fascination. La destruction accélérée du milieu naturel, la destruction de tout ce que nos ancêtres nous ont légué, la destruction de l’Europe, de notre culture, la montée d’une barbarie sans précédent, d’une idéologie transhumaniste plus épouvantable que les golems du XX° siècle…
Cela m’ôte parfois tout regret de ne pas avoir eu d’enfants, car j’aurais une descendance que je ne lui verrais aucun avenir enviable.
Claire me parlait de ce mélange russe de beauté fantastique et de désolation, friches industrielles, décharges sauvages, maisons hétéroclites et mal fichues, où est passé l’extraordinaire sens de la beauté qu’avait ce peuple avant qu’on « l’éduque » ou plutôt le rééduque ? Cependant, les Russes gardent une simplicité, une espèce de pureté devenues rares en Europe et la capacité de passer de l’athéisme complet à un engagement religieux total. Alors qu’en France, par exemple, le sens esthétique s’est à présent beaucoup mieux conservé, mais le sentiment religieux, l’exigence intérieure  d’une autre dimension, semblent avoir généralement disparu à un point sidérant. Les gens s’en foutent, ils ne vivent que pour eux dans un tout petit univers restreint, on se demande même comment on peut faire des enfants et les élever quand on a cette vision de choses. Car mettre un enfant au monde sans la perspective de la vie éternelle et intérieure, cela rime à quoi ? Est-il possible de vivre sans devenir fou quand on résume la vie à se donner du bon temps (ce qui n’est pas permis à tout le monde et vraiment pas de façon constante), baiser de manière généralement sommaire et triste, bouffer, faire des gosses, payer les traites, prendre sa retraite (de plus en plus tardive et de plus en plus maigre) et rejoindre sa concession au cimetière ? Même la culture, dans cette perspective, n’a plus de sens et devient un simple jeu d’esprit et de snobs, un étalage de connaissances ou de virtuosité parfaitement creux, raison pour laquelle les intellectuels français m’ont toujours emmerdée.
D’ailleurs, sans la dimension sacrée du monde, « se donner du bon temps » aboutit à de pitoyables caricatures de ce que devraient être la joie de vivre et le plaisir d’aimer. Notre monde est laid, plat, vulgaire, tonitruant, désespérant, empoisonné et peut être condamné. A moins d'un miracle.
Et pourtant, le ciel est plein de nuances, au dessus des roseaux et des herbes sèches, mes chats sortent avec bonheur dans la douceur du vent, Rosie fait des siestes bienheureuses au soleil. Je pense à mon nouvel ami Alexandre le fromager qui entend vivre intensément les moments qui lui restent. En effet, attendons la fin du monde à Pereslavl Zalesski, avec ses nombreux saints, ses monastères et les mânes amicales de mon tsar et de son favori. Chaque minute compte...




La fin du jour




Les voici déferlant, ces ténèbres pressées
De marcher sur les fleurs éparses de nos fêtes,
Aux murs de nos cités de suspendre nos têtes,
Sans relâche traquant les lueurs oubliées
Des printemps d’autrefois et les promesses claires
Faites aux cœurs d’enfants,  de chemins de lumière
Que leur ont interdits trop de furieux démons…
A l’issue de mes jours, je guette l’horizon
D'où nous viendra la fin.
La fin de tout s’élance, elle est noire et puissante,
Plus rien ne la retient
Elle lâche sur nous, meute tonitruante,
Ses hérauts et ses chiens.

Je meurs sans descendance et j’en rends grâce à Dieu,
Sur l’autel de Moloch, je n’étendrai personne.
Pas de fille soumise au plaisir des messieurs,
Pas de garçon brisé par le canon qui tonne.



samedi 7 avril 2018

Christ est ressuscité


J’ai vu que les Américains avaient organisé une attaque au gaz en Syrie sous faux drapeau, afin de justifier leur soutien aux islamistes et une éventuelle aggravation de la situation. Je ne sais pas s’il ya encore beaucoup d’imbéciles pour les croire, mais je ne veux pas patauger dans cette boue sanglante aujourd’hui, car Christ est ressuscité.
Il y avait longtemps que je n’avais pas passé Pâques en Russie, dans la paroisse du père Valentin. Impression étrange : des gens qui m’abordent, m’appellent par mon prénom, et je ne sais pas de qui il s’agit, peut-être les ai-je croisés une fois ou deux, mais je commence à ne plus m’y retrouver, néanmoins, ils sont très gentils et Christ est ressuscité.
Les Russes célèbrent Pâques avec une joie exubérante. Cela tourne même carrément à la fête populaire, tout le monde se congratule et l’on n’entend plus le canon de Pâques, qui est lui aussi excessivement joyeux, en fait, plus on approche de Pâques et plus on s’y enfonce et plus, malheureusement, les rossignols milanais se déchaînent dans ce qui ressemble davantage à un opéra de cour qu’à de la musique sacrée : Pierre le Grand ne s’est pas contenté de déguiser ses nobles avec des perruques poudrées, il en a également truffé la liturgie. C’est fâcheux, mais cependant, Christ est ressuscité.
Mon cœur était à la fois ici, avec tous les Russes de cette paroisse qui me considèrent comme un membre de la famille, et avec le monastère de Solan et tous ceux qui y fêtaient aussi la Pâques sous les étoiles. Que Dieu nous garde tous, que le Seigneur nous mène à bon port et nous protège des impies.

La procession

Le père Dmitri et le diacre Sergueï

Le père Valentin

Sveta Soutiaguina et Yana


avec la fille de Sveta, Dacha
Ici, Sveta ferme pieusement les yeux, c'est dommage, mais on aperçoit son mari,
tout petit, derrière elle, le grand peintre si modeste Constantin Soutiaguine!

Ceux qui chantent le mieux, dans ma paroisse, ce sont les prêtres

vendredi 6 avril 2018

Que Dieu se lève


Liéna, la fille du père Valentin, a cuit je ne sais combien de koulitchs, et coloré des oeufs durs, avec ses petites. Elle a préparé la paskha. Le grand jour arrive. 
Cette Pâques me fait une curieuse impression. Le sinistre pouvoir qui s’empare de l’Europe, et peut-être du monde entier, tombe de plus en plus le masque. De plus en plus de gens sont inquiets, révoltés, désespérés. Et j’éprouve, au sein des préparatifs de la fête et de sa joie approchante, une sorte de tristesse solennelle et aussi de soulagement : j’ai rejoint l’arche russe, et dans le pire des cas, je sombrerai avec elle, mais je contribuerai autant que possible à combler les voies d’eau, car c’est notre dernière arche.
Et c’est peut-être aussi notre dernière Pâques, notre dernière Pâques en paix, du moins. Quand j’ai contourné l’église pour y entrer, à mon arrivée, l’encens embaumait toute la rue. L’église entière était devenue une précieuse cassolette de parfums qui diffusait ses effluves dans l'espace empuanti par les vapeurs d’essence.
Le samedi saint coïncide cette année avec l’Annonciation, ce qui est très rare, et nous a valu un office un peu différent, et plus long.  Au sein de tout ce magnifique rituel de l’enterrement du Christ, voilà que le père Valentin nous a lu d’une voix sonore l’évangile de l’Annonciation, faisant se superposer exactement la conception miraculeuse du Seigneur et son séjour provisoire et non moins miraculeux dans la tombe. Cela donnait à la célébration une sorte de vive lumière intérieure.
Je pensais à cet office, quand il se déroulait à Solan. Nous suivions la procession sous les étoiles,  et parfois les arbres en fleurs, et des bougies posées dans des verres  balisaient notre chemin. Et ici, dans ce centre trépidant de Moscou, ce petit ilôt de sainte Russie lançait ses carillons et ses chants  par-dessus le fracas du tramway, des trains et des voitures, dans cette pagaille urbaine post-soviétique, dans ce très vieux quartier défiguré, scarifié par les profanations successives du communisme et du libéralisme, du déchaînement, sous diverses étiquettes et divers prétextes, de la laideur tonitruante, à laquelle nous sommes tellement habitués que nous ne pouvons plus imaginer ce qu’était la Pâques, je ne dirais pas au XIX° siècle, mais disons au XVI°, quand les « quarante fois quarante églises » de la ville sainte orthodoxe, de la troisième Rome, lançaient de toutes parts des anges énormes.
Nous marchions dans le tohu-bohu et le chaos, portant le Christ, et suivant nos prêtres, dans leurs vêtements brillants et sombres, avec pour seules étoiles nos lanternes colorées, et le glas se balançait au dessus de nous comme un enfant désolé.
"Saint Dieu, saint Fort, saint Immortel, aie pitié de nous"
Mais l’office s’est terminé de façon particulièrement allègre, par l’hymne de Pâques : « QueDieu se lève et que ses ennemis soient dispersés… »
Oui, vraiment, il est temps: que Dieu se lève, et que ses ennemis  soient dispersés.




Jeudi pur

Днесь висит на древе, Иже на водах землю повесивый; венцем от терния облагается, Иже ангелов Царь; в ложную багряницу облачается, одеваяй небо облаки; заушение прият, Иже во Иордане свободивый Адама; гвоздьми прогвоздися Жених Церковный; копием прободеся Сын Девы.
Покланяемся страстем Твоим, Христе.
Покланяемся страстем Твоим, Христе.
Покланяемся страстем Твоим, Христе.
Покажи нам и славное Твое Воскресение.

Il pend maintenant sur la croix, Celui qui a suspendu la terre sur les eaux; Il est couronné d'épines, Celui qui est le Roi des anges; Il est vêtu de pourpre parodique, Celui qui revêt le ciel de nuées; Il reçoit des coups, Celui qui a libéré Adam dans le Jourdain; Il est percé de clous, le Fiancé de l'Eglise; Il est traversé par la lance, le Fils de la Vierge. 

Nous nous prosternons devant Ta passion, ô Christ
Nous nous prosternons devant Ta passion, ô Christ
Nous nous prosternons devant Ta passion, ô Christ
Montre nous Ta glorieuse Résurrection

J'ai trouvé cet extrait de la lecture des douze évangiles dans les publications d'Alexandrina Viguilianskaïa, associé à la Croix de Godenovo...
Le "jeudi pur", ont lit à l'église douze extraits de l'Evangile racontant la Passion du Christ. Ces lectures et la liturgie de la Cène qui les précède le matin, avaient été pour moi la révélation du mystère du temps et de l'éternité, il y a fort longtemps, quand j'étais venue passer la semaine sainte et Pâques en Russie: je voyais qu'il ne s'agissait pas d'une commémoration: le rite nous transportait au pied de la croix deux mille ans en arrière, ou la Passion se transportait parmi nous, en cette fin de XX° siècle, ou plus exactement, la Croix traversait ce mystérieux océan des générations humaines, de ce passé dont notre présent n'est que l'écume, s'éboulant infiniment dans cet abîme dont elle est la seule véritable Lumière.
Hier, mon expérience était beaucoup moins intense, on n'a pas la grâce tous les jours. J'étais assise parmi les vieilles dont je fais désormais partie, parce que mon genou et ma résistance ne me permettent plus de faire la maline. 
Le premier extrait, le plus long, expose la dernière soirée du Christ avec ses disciples, son Testament, qui est d'une incroyable élévation spirituelle, entendre de telles paroles, sachant de quelles épouvantables souffrances elles allaient être payées, ne permet aucun doute ni aucun blasphème à tout être encore intérieurement sain: blasphémer Celui qui les a prononcées et qui fut ensuite traîné dans la boue et affreusement torturé, est une infamie sans excuse, est une chute sans rémission, est le symptôme d'un coeur totalement pourri ou d'un aveuglement extraordinaire.
Et pourtant, Celui-là supplie son Père: "Pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font".
Il y a des choses vraiment difficiles à pardonner, en tous cas pour moi, et je pensais à l'homélie du métropolite Antoine sur Staline, ou sans revenir sans cesse aux vieilles lunes, à ce qui se passe aujourd'hui. Lui, pardonnait, et je me suis représenté que Lui savait absolument tout sur chacun de ces êtres dégradés, cruels, hypocrites, ignobles ou lâches qui s'acharnaient sur Lui, tout, chaque minute de leur vie depuis leur berceau, c'est sans doute la raison pour laquelle Il pouvait le faire. Et nous nous ne le pouvons pas, parce que nous voyons seulement les démons grouiller sous des visages devenus de simples masques, et parce que nous avons peur de la seule idée d'être liés à ces créatures des ténèbres, et de nous laisser apparenter à elles par notre indignation même. Ainsi que me l'a dit un jour le père Valentin, qui a pourtant comme moi l'indignation facile, "l'indignation nous ravale souvent au rang de ceux qui nous indignent".
L'actualité et le réalisme de ces textes évangéliques, leur simplicité factuelle et tragique me frappaient tout à coup d'une manière intellectuelle: douter que cela fût vrai, que cela fût du vécu, quand on sait, en plus, que tous les témoins de l'affaire sont devenus des "martyrs", des témoins qui attestent de la vérité du témoignage par leur sang versé, et avant cela, par une vie de vagabonds pourchassés, ne me paraissait pas possible. Cela n'est pas du mythe. On peut trouver des éléments de mythe ou d'exagération orientale dans les Ecritures, mais pas là.
Pourquoi douter de la réalité d'une partie de ce récit et ne pas accepter l'autre, c'est-à-dire la Résurrection? aucun élément ne peut me donner à penser qu'il s'agissait d'une mystification, ni dans le personnage de Jésus, ni dans son message, ni dans le récit et le destin de ceux qui le suivaient.
C'est pourquoi:

Je me prosterne devant Ta passion, ô Christ.
Montre-moi Ta glorieuse Résurrection


La Passion au monastère d'Optino