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samedi 14 avril 2018

Après l'hiver

La neige disparaît et les ordures apparaissent. La décharge sauvage se fait de plus en plus envahissante, dans la cour de l'ancien baraquement, que j'aimais traverser parce que c'était plus court, moins boueux, et qu'y poussaient encore les fleurs des gens qui habitaient là autrefois. Mais je ne le ferai plus: c'est répugnant. Le long du chemin ou disons de ma rue défoncée et marécageuse, cela n'est guère mieux, je me demande où Nadia fera paître ses chèvres. Quels sont les cochons qui se débarrassent ainsi de leurs déchets n'importe où?
Des maisons disparaissent ou sont défigurées, et ce qui était modestie traditionnelle pittoresque, homogène et fantasque devient bidonville hétéroclite et banal d'où émergent les grosses maisons prétentieuses de ceux qui ont plus d'argent que les autres et entendent le montrer. A noter que si un type veut se construire un machin de trois étages, il ne se soucie absolument pas de boucher la vue des voisins et de leur enlever tout leur soleil...
C'est comme une lèpre qui ronge le pays, la lèpre de la laideur universelle et du plastique mortel, qui s'insinue partout, sur les façades, dans nos vêtements et nos décharges imputrescibles.
J'ai naturellement hâte que la nature recouvre d'herbes et de fleurs sauvages toutes ces horreurs, que les feuillages masquent ces maisons moches.
La beauté subsiste dans les églises et les monastères, où le mauvais goût s'infiltre aussi, mais ce qui y met un frein, c'est la tradition: on ne met pas n'importe quoi dans et sur une église, ni dans son périmètre.
La tradition est ce qui empêche le désordre et l'infamie de prendre le dessus. La tradition est issue de l'expérience d'innombrables générations qui avaient le respect des valeurs éternelles et qui étaient reliées au cosmos environnant. Partout où elle se perd s'installent la laideur, la cacophonie et la dégradation des moeurs et des apparences. En Russie subsiste une tradition: l'Eglise. Le folklore encore un peu. C'est pourquoi de plus en plus, la première soutient la pratique et la réappropriation du second.
Dans mon jardin, il y a vraiment du travail et je ne m'en sortirai pas seule. "Je ne m'en sors pas seule" est une chose que je me suis répété toute ma vie. Même ma vieille voisine de Krasnoïé, me voyant lutter contre les orties dans mon jardin, m'avait lancé par dessus la palissade: "Sans un mec, tu ne t'en sortiras jamais!" Mais cela devient d'autant plus vrai avec de l'arthrose du genou...
Je suis quand même arrivée jusqu'à soixante six ans en accumulant les conneries et en me faisant plumer par les différents mercenaires venus jouer provisoirement le rôle du mari bricoleur contre espèces sonnantes et trébuchantes. Tant qu'on peut payer...
Mais dans le jardin, c'est délicat, les jardiniers ont tendance à avoir leurs propres représentations, et à massacrer tout ce qui ne pousse pas dans un petit massif bordé d'affreuses barrières en plastique ou à l'intérieur d'un pneu de camion!
Heureusement, je viens de voir que Leroy Merlin commercialise des barrières en osier tressé ou plessis. Je sais pertinemment que je n'aurai ni le courage ni le temps de les tresser moi-même, ce que faisaient autrefois les Russes, ce qu'ils font encore. J'irai donc enrichir Leroy Merlin.
La terre est truffée de toutes sortes de détritus, chez moi. Je crois que le plan était de recouvrir la décharge de sable, puis de  terre, afin de surélever la surface cultivable par rapport à la nappe phréatique toute proche, mais je ne sais pas si le plastique, le polystyrène expansé ou l'éverite sont super top pour les cultures, ni pour la nappe, d'ailleurs.
Je me demande si nous n'allons pas étouffer petit à petit dans nos propres déchets, comme les malheureux moutons du cargo australien.

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