Mon équipée à Moscou n'a pas du tout pris le tour que je prévoyais. D'abord, j'avais mal compris les instructions de la fille qui m'avait appelée de l'hôpital, et je n'arrivais à trouver ni le local, ni le médecin, qui est juste un consultant externe, que personne ne connaissait, et qui n'avait pas de bureau attitré. J'ai donc couru d'un pavillon à l'autre pendant des heures, fait plusieurs fois la queue à différents guichets. J'ai appelé le numéro qu'on m'avait donné en cas de problème. Une bonne femme m'a répondu qu'elle n'était pas au courant. Finalement, quelqu'un a eu l'idée de m'orienter sur le bon cabinet, où la jeune femme qui m'avait donné les instructions, très embêtée, a commencé à remuer ciel et terre. Sa collègue n'avait pas eu l'idée de lui passer le téléphone, quand j'avais appelé.
Le consultant lui dit de m'arranger un rendez-vous payant avec un urologue de l'hôpital. J'ai retraversé à nouveau toute la cour immense et l'urologue m'a laissé moisir une heure dans un couloir avant de me recevoir. Je pensais qu'on allait me prendre et me faire tous les examens utiles sur place, mais non. L'urologue m'a dit qu'il fallait faire une tomographie à la polyclinique du quartier, où je ne suis pas inscrite, puisque je viens de Pereslavl Zalesski, où l'on ne peut pas me la faire. Alors il me fallait payer pour la tomographie. J'étais bien sûr d'accord, mais il fallait attendre une semaine pour avoir un rendez-vous. J'étais si épuisée et si découragée, que le type s'est un peu radouci. Il m'a dit que poser un stent dans mon cas n'avait pas de sens, qu'il fallait probablement, à confirmer après la tomographie, soit pulvériser le caillou gênant, soit opérer. "Vous opérer en ce moment, je ne le ferai pas, car vous venez d'avoir la covid, vous êtes affaiblie. Et d'ailleurs pulvériser serait mieux, mais nous n'avons pas d'appareil pour le faire.
- Ils en ont un à Iaroslavl, vous me conseillez d'aller à Iaroslavl?
- Oui, s'ils sont équipés à Iaroslavl allez là bas, faites votre tomographie, préparez-vous tranquillement, reprenez des forces. D'après ce que je vois, votre rein n'est pas en mauvais état, votre situation n'est pas critique; vous avez le temps."
Sur les conseils de Liéna, la fille du père Valentin, j'ai pris rendez-vous pour une tomographie dans un centre de diagnostic payant, à l'aube. La dame du taxi qui m'avait amenée était prête à m'emmener à Pereslavl, car elle vivait elle-même à Serguiev Possad. Nous avons bavardé en chemin, elle était très agréable. Elle avait une entreprise, ruinée par le confinement covid de 2020, et elle s'était reconvertie dans le taxi, après avoir retrouvé le moral sur le tombeau de l'higoumène Boris. "Ah m'écriai-je, justement, un orthodoxe français m'a demandé d'aller prier sur ce tombeau pour sa femme Anastassia, et d'y ramasser du sable pour le lui envoyer, mais je n'ai toujours pas trouvé le moyen de m'y rendre.
- Qu'à cela ne tienne, je vous y emmène".
Nous sommes entrées dans une chapelle au bord de la route d'Ouglitch et j'ai inscrit le nom d'Anastassia, et aussi le mien et celui de Dany sur les intentions de prières. J'ai imploré l'higoumène Boris d'intercéder pour nous. Sa tombe est très simple et très jolie, et j'ai ressenti de l'espoir et de la grâce. La vieille dame qui garde la chapelle nous a invitées à prendre le thé. Elle m'a donné un livre sur l'higoumène, trois photos de lui, et un sachet du précieux sable. Nous avions des connaissances communes, l'iconographe Ioulia, rencontrée au monastère saint Nicétas, dont l'higoumène Dmitri est le frère du père Boris. Ioulia a longtemps vécu en France, et parle français. Et puis aussi l'higoumène Gabriel, du monastère Pogost Krest, entièrement rebâti grâce au père Boris. Il avait été édifié au moyen âge, à l'emplacement où l'on découvrit la fameuse croix miraculeuse de Godenovo, actuellement au village du même nom, et ceci depuis la révolution. Le père Gabriel m'avait fait grande impression, et j'avais été frappée par l'harmonie et de la simplicité de son monastère, par l'impression de joie sereine que dégageaient ses moines.
L'higoumène Boris n'est pas canonisé, mais jouit d'une grande réputation de sainteté, son tombeau est très visité. Il s'est dépensé sans compter pour restaurer et faire vivre les églises à l'abandon, et son frère continue son oeuvre. La vieille dame en parlait avec une vénération et un amour touchants. Je sentais qu'elle n'était positivement pas séparée de lui, elle restait complètement en contact. "Vous avez, me dit-elle, des yeux bleus comme j'en ai rarement vus. Ils sont d'un bleu si intense, je crois que les seuls yeux de ce bleu-là que j'ai connus, ce sont ceux du père Boris. Une jeune femme russe était venue le voir avec son mari espagnol, et ce dernier, en rencontrant le regard de l'higoumène, s'était exclamé: "Je veux devenir comme vous"!
Quand nous sommes parties, elle m'a demandé si j'étais pour longtemps en Russie. "Oh oui, lui repondis-je, j'ai un permis de séjour, et où irais-je encore?"
Elle m'a fait un sourire absolument radieux.
Je suis rentrée mystérieusement encouragée par cette lumineuse rencontre du tombeau et de sa gardienne. Demain, je vais donc à Iaroslavl, avec tous les examens nécessaires, en principe.
Il a neigé tout le long de la route, toutes les disgrâces s'en trouvaient effacées. Il me semblait qu'entre cette viste inattendue à la tombe du père Boris, qui me remettait dans l'aura de la croix miraculeuse, et de tous ceux sur lesquels elle veille, et cette blancheur qui transfigurait les forêts et les villages, je recevais un signe, un encouragement, et c'est que pensait aussi ma nouvelle copine taxi, Natacha. Qui aurait cru que ma tomographie m'amènerait à ce pèlerinage?
l'higoumène Boris |
le monastère de Pogost Krest, rebâti par les soins de l'higoumène Boris. photo Alexandre Matrossov |
l'higoumène Gabriel. Photo Alexandre Matrossov |
la tombe de l'higoumène Boris |