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dimanche 29 septembre 2024

Insectes

 


   Aujourd’hui, c’est la première fois, depuis que j’ai su que Georgette ne guérirait pas, que je me rapproche de mon état normal. Le pire, c’est quand je vais me coucher, et que je ne la vois pas sur mon lit. Ou bien quand j’aperçois la boîte où elle se réfugiait, lorsque je traverse le salon. Et puis celle qui est au dessus de mon bureau, où elle se couchait souvent. J’ai accroché dans ce coin un dessin que j’avais fait d’elle, c’est évidemment pitoyable ; mais j’ai l’impression que les derniers endroits où peut se réfugier sa petite âme, c’est dans ce dessin, ou celui qui est dans ma chambre. Je l’effleure de la main, matin et soir...

Dans ces moments de peine et d’angoisse, je perds de vue que le monde a d’infinis arrières plans, que ce qui a été ne peut pas ne plus être, et les moments de grâce et de révélation que j’ai eus dans ma vie. J’ai l’impression d’une comédie absurde et atroce, où les gens sensibles et aimants sont constemment écorchés vifs et chassés, d’année en année, vers un cul-de-sac sans issue où tout s’abolit.

Pourtant, j’ai d’autres animaux qui, eux, sont vivants et je ne dois pas, tant qu’ils sont vivants, ne penser qu’à leur mort plus ou moins prochaine. Pour l’instant, ils sont alertes, joyeux, ils vivent, et c’est ce que je dois faire, vivre, sans buter sur la perspective des tombes, les leurs et la mienne.

J’ai appelé ma tante Mano, j’ai vu que je ne l’avais pas fait depuis presque un mois, parce que le temps file à une vitesse effrayante. Elle a beaucoup aimé ce que je lui ai envoyé de mes souvenirs, soit mon enfance jusqu’au bac, à peu près. Maintenant, je vais parler de mes années d’études, et je crois que j’arrêterai tout à la mort de mamie. Ensuite, mon journal prend le relais.

Elle a l’impression que nous avons eu la même enfance, ou du moins, que nous appartenons à la même époque, bien que nous ayons dix-huit ans de différence, et c’est exact, car tout a basculé dans les années soixante, même petite, je l’ai sentie, cette vulgarité trépidante qui s'emparait du monde. Et puis j’ai profité des livres de mes tantes et même de ma grand-mère. Je suis plus près du début du XX° siècle et même de la fin du XIX° que de ce qui a suivi. Elle m’a dit : «Nous avons connu des événements familiaux tragiques, et pourtant, nous avions tous, à l’époque, le sentiment que nous étions ici pour connaître le bonheur, et que notre société nous en donnait l’opportunité, le climat ambiant était optimiste.

- Oui, Mano, et je pense que ce fut notre erreur de le croire... »

En réalité, je ne le croyais pas tellement. J’ai toujours eu le sentiment que notre prospérité et notre douceur de vivre étaient fallacieuses et fragiles.

Une jeune fille de bonne famille a été agressée, violée et tuée par un migrant dans le bois de Boulogne, près de sa fac de Dauphine. Les parents inquiets n’arrivant pas à réveiller la police, sont allés la rechercher avec des amis, et l’ont trouvée à moitié enterrée. J’ai lu avec répulsion le commentaire d’une gauchiste : la famille étant « catho tradi », c’est-à-dire de l’espèce qui nous gouverne en ce moment (ah bon ? Où sont les cathos tradis dans ce gouvernement de franc-maçons, de juifs, d'homosexuels et d’éléments exotiques débiles destinés à faire bien dans le tableau ?), elle n’éprouve pas pour elle la moindre compassion, à la limite, c’était normal, pour ce damné de la terre, de violer et d’égorger cette sale petite bourge blanche. D’autres gauchistes arrachent les affiches concernant les obsèques de la jeune fille, ou l’indignation suscitée par ce crime. D’où sortent ces dégénérés ?

J’ai lu le récit par Chateaubriand d’une carmagnole parisienne, pendant la révolution, le défilé bruyant d'une populace débraillée portant deux têtes sur des piques, celles de types qu’il connaissait bien, et la description est hallucinante. Son propre père avait été exhumé de son tombeau par le même genre d’individus répugnants. On les voit sortir, à ces occasions, des fentes où, quand les sociétés sont normales, ils se terrent, et venir grouiller sur celles qui se portent mal, comme des mouches sur un mourant. Ces petits gauchistes, sortis du même cloaque, qui trouvent normal, pour un migrant bronzé, de violer et d'égorger une étudiante.

vendredi 27 septembre 2024

Illégaux

 


Le beau temps nous quitte, chassé par la pluie et le vent. La tristesse me place dans une sorte d’état second, où les arbres dorés et mouvants prennent une beauté surnaturelle. Anne-Laure est partie, me laissant avec le fantôme de Georgette. Elle apparaît, toute guillerette, surprise par mon objectif derrière ma fenêtre, avec ses ronds yeux d’or et son museau rigolo, sur la photo qui ouvre ma page Facebook. La Georgette qui enchantait encore ma vie cet été et dont l'absence me poursuit partout.

Hier, le service d’immigration m’appelle pour me demander si je serais d’accord pour aller faire l’interprète à Rostov, auprès d’une équipe d’illégaux camerounais qu’on venait d’arrêter. J’ai accepté parce qu’on ne refuse pas, dans ces cas-là, c’est le service d’immigration, et en plus, je dois bien me montrer utile à mon pays d’accueil... On m’a envoyé une voiture, et je me suis retrouvée à Rostov, dans les locaux correspondants, avec beaucoup de dames en uniforme, et une brochette de noirs de diverses origines. J’ai d’abord eu affaire à trois camerounaises. L’une d’elles ne me plaisait pas beaucoup. Elle avait l’air rusé et impudent. Je ne comprenais rien à ce qu’elle racontait, et je sentais qu’elle ne me facilitait pas la vie. Elle était fuyante comme une carpe et voulait appeler son grand frère qui l’avait introduite dans la firme agroalimentaire où ils travaillaient tous, soit avec des visas de tourisme, soit avec des visas étudiants plus ou moins expirés. Elle disait qu’elle n’avait pas renouvelé son visa parce qu’elle était malade. Une autre s’était fait arnaquer, ceux qui l’avaient fait venir avaient annulé son billet de retour et elle était venue travailler pour essayer d’en acheter un autre; donc, être rapatriée par les Russes aurait dû l’arranger, mais tous ses papiers importants, dont son diplôme, se trouvaient à Moscou, à la discrétion des aigrefins qui avaient mis tout ce petit monde au boulot. Je dois dire que les dames de la police se montraient patientes et compatissantes, jamais insultantes ou brusques. 

Une fois les procès-verbaux établis, on nous a tous emmenés au tribunal. La « malade » se tordait sur son banc, il lui fallait aller aux toilettes toutes les cinq minutes, mais une fois la séance finie et le verdict prononcé, elle n’a pas voulu y passer avant de prendre le bus qui les acheminerait au centre d’hébergement provisoire, à deux heures de route de là. La policière qui m’accompagnait a fait des prodiges pour qu’on apportât le lendemain à ces filles les affaires qu’elles n’avaient pas prises avec  elles, bien qu’on leur eût dit de le faire. Car pour tout le monde, visa expiré et visa inadapté, c’était la déportation obligatoire dans le pays d’origine, après un certain temps passé au centre d’hébergement. Explications plausibles ou pas, compassion ou pas, c’était mathématique. 

On m’a ramenée chez moi à neuf heures du soir, et le lendemain, on est venu me chercher à neuf heures du matin. Et je suis revenue à six heures du soir, épuisée. J’ai eu affaire à des hommes, c’était plus simple, mais j'ai eu plus de monde. L’un d’eux nous a expliqué qu’il avait un visa d’étudiant, mais qu’ayant perdu son financement il avait dû arrêter ses études, cependant, on lui avait proposé de l’inscrire à Rostov dans une école de typographie pour le prolonger avant son expiration, mais il s’était retrouvé, pour payer l'avocat et le traducteur qu'on prétendait lui donner, à rammasser des légumes pour la firme scélérate. Lui aussi avait laissé ses papiers importants à Moscou et pleurait en nous disant que s’il ne les récupérait pas, dans son pays, il était mort. La policière au grand coeur a fait encore des prodiges pour récupérer les bagages des garçons, et l’on m’a priée de traduire des tas de choses concernant le transport de ces valises énormes qui ne rentraient pas dans le bus. « Je ne comprends pas comment ils sont faits, me disait la policière. Comment peut-on se séparer de ses papiers quand ils sont importants, et les laisser Dieu sait où ? Et comment peut-on envisager de vivre dans un pays sur des visas périmés ou inadaptés ?

- C’est ce que font les millions de migrants qui nous déferlent dessus... »

Et en effet, je pense que la plupart de ces illégaux croyait que cela s’arrangerait comme en Europe et qu’il suffisait d’entrer. Bien que certains eussent péché par naïveté, et on aurait bien voulu les aider, mais la loi est inflexible.   

A un moment, on m’a amenée dans une salle du tribunal avec un jeune noir comme l’ébène qui ne parlait ni français, ni anglais. Il parlait bambara. Moi pas, ni personne alentour. La police de Rostov en avait ras le bol, c’était la première fois qu’elle était confrontée au problème, d’habitude, elle a des ouzbeks, des tadjiks et des ukrainiens... Et pendant que le juge délibérait je ne sais où avec sa secrétaire dans un bureau sur ce cas difficile, j’ai attendu avec le Malien une heure et demie. Pour les derniers clients, je ne savais plus ce que je disais, je ne comprenais plus rien.

 Avant d’avoir vu tout cela, je me disais que les éminences ténébreuses de la globalisation faisaient entrer leurs contingents de gardes noirs pour casser le peuple russe, cela a si bien marché chez nous... Ce n’est certainement pas faux, et cette malveillance trouve un écho idéal dans la cupidité et la bassesse de certains employeurs. Je me disais que ces grandes firmes d’agro alimentaire ne devraient pas exister. Il devrait y avoir partout un réseau d’exploitations agricoles indépendantes de taille moyenne qui emploiraient deux ou trois ouvriers si besoin est, et pas plus, comme dans la ferme de mon beau-père avant le marché commun. Il n’y aurait alors pas de possibilité pour le recrutement en masse, par des salopards, d’esclaves exotiques qui ne comprennent rien à ce qui leur arrive. 

On m'a bien remerciée, on m'a dit qu'on était prêt à ma garder au service d'immigration. J’ai dû faire un retour remarqué dans le quartier, car on m’a renvoyée chez moi dans une camionnette de police ! 

Avec ça, j'ai loupé la fête de l'Exaltation de la Croix, qui est une de mes préférées.


mardi 24 septembre 2024

Mondanités

 


Aller et retour à Moscou pour la présentation d’Epitaphe. Il n’y avait pas beaucoup de monde, mais j’ai fait, je crois, grosse impression. Le père Ioann était venu, il m’a offert des fleurs, cela m'a beaucoup touchée. Il y avait aussi le père Vadim. Puis Victor le blogueur a fini par arriver. Et Victor, que je n’avais pas vu depuis plus de 20 ans et qui voulait me présenter son fils. Katia et Ioura ont lu des extraits, j’ai chanté les deux chansons dont il est question dans le livre et puis trois chansons de ma composition, en traduction russe. C'était chaleureux et animé. Dany trouve très important d'avoir conçu une telle soirée et communiqué un tel message sur nos deux pays aux destinées souvent parallèles, mais la maladie de Georgette ne m'a pas permis de concevoir grand chose, j'ai fait dans la sincérité et la spontanéité. Cependant, les lectures en elle-même mettaient pas mal de choses en évidence, comme elle l'a observé, les textes prennent une autre force quand ils sont lus à voix haute. 

Victor m’a ensuite emmenée dans un restaurant français, avec sa femme, une amie et son fils. Victor était content de m’inviter, après les jeunes années de misère où il m’arrivait de payer son loyer. Ses compagnes me disaient qu’il parlait beaucoup de moi. J’en suis touchée. Il m’a rappelé la classe que j’avais quand il était intervenu au lycée, il faisait faire des arts plastiques aux enfants qui étaient babas devant lui, filles et garçons, parce qu'il était beau mec. Une petite fille intelligente et drôle le trouvait particulièrement à son goût, j’avais oublié son nom, Gwendolyne. Cela commence à être loin, tout ça. 

Ici, Victor le blogueur a condensé des moments forts de ce week-end, entre la fête à Glebovskoïé et la présentation du livre : https://disk.yandex.ru/a/h102NhQZHeo1ug

Sur le chemin du retour, je pleurais Georgette que je n’allais pas retrouver chez moi. Elle se confond complètement avec Zonzon, maintenant, c’est très étrange, leurs noms se superposent dans ma conscience. Cette nuit, en cherchant quelque chose qui était tombé sous mon lit, j’ai trouvé son collier antipuces, que je lui avais enlevé pour soulager son petit corps maigre, et j’ai éclaté en sanglots. Sur le mur, un dessin me la rappelle, endormie, roulée en boule, c’est extrêmement ressemblant, mais je ne sais dans quelle dimension grandiose nous nous retrouverons Georgette-Zonzon et moi, et puis Jules-Doggy-Rita, et aussi Chocha-Manouche, Prochon-Trichon, et tous mes pauvres petits compagnons restés sur le bord de ma route. J’ai parfois peur que ce soit un peu trop grandiose pour nous, qui aimons les fleurs, le soleil, le vent et les câlins rêveurs dans les hamacs... Mon jardin prend le caractère d'un cimetière, avec de chères petites tombes qui commencent à s'aligner autour de cet épicentre des jolis moments d'été où je me berce sous les feuillages, entourées de tous ceux qui ont trouvé refuge chez moi. Les animaux sont comme de petits enfants confiants et dévoués qui meurent sans avoir grandi, en emportant un morceau de notre coeur. Dieu réunira les pièces de ce puzzle, mais pour l'instant, que de places vides...

J’ai emmené Anne-Laure à la fête annuelle des étrangers de Pereslavl. C’était chez une jeune femme qui avait un grand-père suisse et a passé trois ans à Genève, elle parle bien français.  Son intérieur est joli,  la maison a de trop grandes fenêtres, je trouve que ce n’est pas proportionné, et si j’aime bien voir l’extérieur et avoir de la lumière, là, ça manque un peu d’intimité. Elle aime jardiner, et nous avons fait le tour de ses merveilles, mais là encore, tout est un peu trop maîtrisé, tondu et aligné pour moi.

Le contingent s'agrandit, pas mal de Suisses. Certains ne sont pas venus, de ceux que nous connaissons déjà. Nous avons des représentants de toute l'Europe. Et aussi de l'Amérique.

On m'a envoyé une vidéo où Attali expose le programme de la dictature mondialiste, ils nous disent tout depuis longtemps, mais nous ne les entendons pas, et ceux qui essaient de porter le contenu de ces discours à notre conscience, on les traite d'extrémistes. Enfin quand je dis "nous", c'est pour ne pas me dissocier de mes frères humains, car en l'occurence, je me situe parmi les "extrémistes", et depuis un bon moment. "Pourquoi feraient-ils ça?" me demande-t-on quelquefois, nous avilir, nous dégrader, nous asservir, nous exterminer, nous spolier, nous priver de notre culture, de notre pays, de nos traditions, de notre foi et de toute espèce de poésie. Oui, pourquoi? Demandez-le leur. Ils vous annoncent le programme. Ils ne se cachent même pas. "Il ne faut pas avoir peur...", "c'est pour le bien de l'humanité, la démocratie, la liberté, le progrès", et toutes ces sortes de passes magnétiques destinées à nous endormir.

https://vk.com/wall334722730_218364

Nous vivons en attendant sous l'épée de Damoclès de leur arbitraire, de leur orgueil démentiel, de leur fourberie et de leur cruauté. Aucune vilenie ne les arrête. A la lecture de Chateaubriand, je réalise la dégringolade, on voit bien que la France est morte en 1789, même si elle a connu encore une certaine floraison de génies au sein de ses ultimes convulsions. Je n'aime pas le XVIII* siècle, qui s'est terminé de si abominable façon, mais quelle noblesse gardait encore la France, quelle distinction et quelle saveur le français, et, je le ressens, quelle beauté les lieux et le quotidien des gens...

                                                                                                                                             

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

samedi 21 septembre 2024

L'embarcadère

 

Je sors une plaquette de poèmes aux éditions du Net, pour les amateurs. La prochaine fois, je les sortirai ailleurs, du reste, cela devient chérot.




Le ciel du nord plein de nuages

Bouge sans cesse en murmurant,

Sur les toits gris près du rivage

Et ses roseaux déambulants.

 

Les vagues calmes de la terre

A l’infini vont s’étalant,

Drapant les lacs et les rivières,

Dans leurs plis verts et chatoyants.

 

C’est là que j’ai cru fuir la guerre

Que font à mon âme en pleurant

Les beaux souvenirs de naguère,

Petits enfants vagabondants.

 

J’ai rejoint mon embarcadère

Et sur le quai je vais guettant,

Sur l’étendue des eaux amères,

Le grand vaisseau des derniers temps.

 


Georgette et Zonzon

 


Reveillée à quatre heures du matin, impossible de me rendormir, j’étais hantée par la fin de Georgette,  et par la confiance et l’amour qu’elle continuait à me témoigner, accrochée à ma main, ronronnant à la moindre caresse. Elle est partout, dans chaque pièce, ou plutôt, elle est terriblement nulle part, et je me rends compte à quel point elle tenait de la place, sans jamais s’imposer. Quand je m’éveillais la nuit ou le matin, la première chose que je faisais, c’était de tâter près de moi la fourrure de Georgette, elle était partout où j’étais, et cela depuis quinze ans. 

Je devais aller chez le père Ioann, pour la naissance de la Mère de Dieu, c’est la fête votive de son église. En confession, je lui ai parlé de ma peine. Il m’a dit que tous ceux que nous aimons nous accompagnerons là bas, et aussi que peut-être, je n’avais pas la solidité émotionnelle pour me charger de ces petites vies, et c’est bien possible, mais les petites vies ne m’ont rien demandé. Georgette s’est jetée autrefois sur moi comme sur une planche de salut, et comme me l’a dit Serioja, auquel je pensais l’avoir casée, elle m’avait choisie, et ne m’a jamais lâchée. Il se passe une chose étrange, depuis qu’elle est morte, et même quand elle était malade, une fois sur deux je l’appelle Zonzon au lieu de Georgette. Zonzon était une petite chatte comme elle vaguement tricolore, avec laquelle j’avais aussi une relation fusionnelle et complice, mais que j’avais laissée à maman quand j’étais partie travailler en Russie, car elle était très malheureuse en appartement, et je ne savais pas où j’allais loger, je logeais au début dans la cuisine d’une amie. Elle ne me l’avait pas pardonné, elle disparaissait quand je venais, et reparaissait quand j’étais partie. Et puis elle s’est fait écraser devant la ferme, et j’en avais de grands remords. Et voilà que Zonzon et Georgette, que je n’ai jamais laissée, sauf pour aller renouveler mes visas, se rejoignent de cette façon mystérieuse. J’aurais dû aller plus tôt mettre un terme à l’agonie de Georgette, sa réaction la première fois que je m’y étais décidée m’avait tellement bouleversée que je n’en retrouvais pas le courage. Mais peut-être avait-elle justement encore quelque chose à me dire, ou à faire, m’amener Zonzon, par exemple..

Le blogueur Victor a fait une émission sur le père Ioann, son église, et m’a intégrée dedans. Après l’office, les paroissiens ont pris un petit repas ensemble, l’un d’eux a joué de la guitare et chanté des romances russes typiques, peut-être même soviétiques, mais imprégnées de nostalgie et de douceur, tout ce que ne connaissent plus les amateurs de rap et de variété de bas étage qui m’assomment en permanence. C’était très chaleureux, mais j’étais décalée par le chagrin. Pendant la procession, je songeais que je pourrais peut-être m'acheter une concession dans le cimetière attenant, il est près de la route, mais le bruit ne me dérangera plus, et au moins, c'est un endroit chrétien, de dimension modeste.



https://t.me/raznuedorogi/6425

Au retour, j’ai été accueillie par le vacarme d’une fête chez le voisin d’à côté et des travaux chez celui d’en face. La pauvre isba de l’oncle Kolia est à présent complètement défigurée et contrefaite, on dirait qu’il lui a poussé une tumeur ou qu’on l’a affublée d’un carcan. Hier soir, la pleine lune se levait au dessus dans un ciel mauve, mais cette excroissance hideuse me tirait sans cesse l’oeil sur le côté. J’essayais de détourner le regard, comme on le fait devant une femme éborgnée ou vitriolée. Ces derniers beaux-jours m’ont été complètement empoisonnés par le bruit, en sus de la maladie de Georgette. Aujourd’hui, il fait nettement plus frais, mais il y a encore du soleil. Cette nuit, il fera 4° et seulement 13, déjà, demain. C’est l’équinoxe, le début de la descente dans les ténèbres.




Photos Victor. Je n'ai toujours pas appris à nouer un foulard. C'était plus facile avec les cheveux longs.


C'est drôle, ce dernier portrait. Il m'a rappelé cette photo de ma lointaine enfance. Quelque chose en moi n'a vraiment pas changé... 



vendredi 20 septembre 2024

Dans mon coeur

 

Ce matin, Georgette avait mal, et je n’avais plus d’analgésique. D’ailleurs, à quoi bon bourrer d’analgésiques un chat qui se meurt ? Même sans vives souffrances, elle était si faible, incapable de manger ni de se lever. Hier soir, elle m’appelait sans arrêt et me prenait la main entre ses pattes, je lui disais combien je l’aimais, il me semblait qu’elle allait enfin mourir. Mais non. Je l’ai prise avec moi, sur mon lit, elle a dormi collée à moi. Au matin, elle s’est mise à souffrir, et du coup, moi aussi. Je suis allée avec elle chez le vétérinaire : «Vous êtes décidée à la laisser partir ? Nous sommes responsables de ceux que nous apprivoisons, et cela suppose aussi de les laisser partir quand c’est le moment». Oui, j’étais décidée, je ne voyais plus aucune raison de lui imposer cela. Au départ, c’était pour ne pas l’effrayer, je demandais à la vétérinaire de venir faire cela chez moi, mais elle ne l’a pas fait. Je l’ai prise dans mes bras, et à mon avis, l’anesthésie a suffi à l’envoyer dans l’autre monde, elle est partie calmement. La vétérinaire et son employée avaient l’air de penser qu’il était grand temps, mais d’un autre côté, elles ne m’ont vraiment pas aidée à franchir le pas. Elles m’ont épargné plus que ma chatte, et ce n’était pas ce que je leur demandais.

De retour à la maison, je me suis assise au soleil sur la terrasse, avec Georgette, dans le fil d’un frais vent d’automne doré, et je l’ai câlinée, je lui ai dit adieu, je la sentais soulagée, il me semblait presque l’entendre ronronner, elle était toute chaude et toute souple, mais si maigre... Je l’ai enterrée sous le lilas, bien enveloppée dans un de mes tee-shirts. Et je suis restée assommée, sur le hamac, sans elle, dans mon jardin encore fleuri et lumineux, mais elle emporte l’été avec elle, la température va descendre rapidement jusqu’aux gelées nocturnes, il n’y aura plus ni fleurs, ni papillons, ni abeilles. Robert est venu prendre sa place sur moi, Rita est montée le rejoindre dans la nacelle, Rom s’est approché pour se frotter contre moi. J’étais hébétée, et en paix, il me semblait qu’elle était là, et qu’elle était délivrée, je lui ai dit que je l’avais prise dans mon coeur pour l’éternité. Mais plus tard, la tristesse m’a complètement submergée. Je revoyais toutes les déchirantes péripéties de ces derniers jours, nos échanges, son pauvre museau tout maigre, et je n’arrivais pas à comprendre comment tout cela avait pu se passer, entre cet été, où ma Georgette joufflue menait sa petite vie discrète, et cette horrible semaine. Il y a vraiment quelque chose de profondément tragique dans le seul fait de vivre. 

Une amie me dit que Blackos, dans son imitation du comportement de Georgette, m’était envoyé par mon ange, qu’il me montrait ainsi comment il allait m’aider à surmonter mon chagrin.

Blackos




jeudi 19 septembre 2024

Plutôt noir



 Le patriarche Cyrille a dit que nous entrions dans des temps apocalyptiques et que la seule issue était la foi en Dieu. Le jour de la fête de saint Alexandre Nevski, une immense procession s'est déroulée à Saint-Pétersbourg.

Au Liban, des objets électroniques explosent un peu partout, Israël a trouvé un moyen de faire éclater les batteries sans être connecté, un type de terrorisme particulièrement vil qui ravale les populations au statut de rats à exterminer de toutes les manières possibles. De sorte que l'on peut désormais s'attendre à n'importe quoi.

Il y a quelques temps, j'ai vu la vidéo d'un petit monsieur français cultivé, civilisé, qui voit monter la barbarie, et commente l'hallucinante laideur qui s'empare du monde, et qu'il faut fuir dans la campagne, la nature, là où l'on n'a pas encore tout saccagé avec des éoliennes, des panneaux solaires, des centres commerciaux et des noeuds autoroutiers. J'ai trouvé son message bouleversant, j'ai pensé à la solitude des gens comme lui, là bas surtout, mais même ici. Je voulais la regarder une deuxième fois, mais youtube a disparu de mon horizon, je n'arrive plus à l'obtenir. Ses observations rejoignent les miennes, et il demande d'ailleurs à ceux qui pensent comme lui de le contacter, et c'est une bonne chose à faire que d'échanger et d'unir des points de vue sains, mais justement, on s'arrange pour empêcher cette circulation d'idées. C'est peut-être la première personne que je vois exprimer celle que cette laideur omniprésente est la marque du diable, je l'ai moi-même déjà bien compris. Omniprésente. L'architecture, les vêtements, les spectacles, la musique, tout devient affreux, l'âme étouffe.

.https://vk.com/away.php?to=https%3A%2F%2Fyoutu.be%2FupO7ZqjlK4c%3Ffeature%3Dshared&utf=1

Ma Georgette va très mal, je prie Dieu de la délivrer, de m’aider à surmonter ce chagrin, et de l’aider à passer dans mes bras. Je devrais admettre qu’elle a vécu quinze ans de bonheur, au lieu de périr au village de Krasnoïé dans le froid, la faim et la solitude. Elle meurt avant moi, entourée d’amour, en sécurité, elle ne sera jamais abandonnée, terrifiée, affamée. Elle m’attendra dans ma maison céleste, avec maman et tous les autres...  Mais je regarde, le coeur fendu, son petit corps squelettique, ses petites pattes gantées de blanc, ce petit être délicat, sensible et aimant, qui m’a suivie comme mon ombre pendant quinze ans, qui dormait sur mon épaule, s’allongeait sur mon bureau, venait me rejoindre sur le hamac et que je ne reverrai jamais plus ici bas, qui ne sera plus qu’une enveloppe sans vie que je devrai enterrer sous le lilas. 

J’ai appelé la véterinaire, puis j’ai changé d’avis, puis j’ai réessayé... Elle m’a dit : « Amenez-la moi ». J’ai mis Georgette dans le panier. Et elle qui était complètement amorphe, s’est mise à moduler de tels cris.... J’entendais : «Ne fais pas ça, ramène-moi à la maison, laisse-moi mourir tranquille avec toi ! » Et une fois sur place, je suis allée trouver la vétérinaire : « Je ne peux pas...

- Eh bien si vous ne pouvez pas, il ne faut pas le faire, amenez-la moi. »

Elle lui a fait du glucose, pour la soulager. « Je vous comprends, moi aussi, j’ai des animaux, c’est une décision très difficile à prendre. Elle s’affaiblit, mais avec l’analgésique, elle ne souffre pas. Laissez faire la nature, il n’y en a pas pour très longtemps, à moins qu’elle ne tombe dans le coma. 

- Si elle tombe dans le coma, alors nous l’endormirons... »

 La vétérinaire m’a serrée dans ses bras : « Courage... »

J’ai remmené Georgette, et dans la voiture, avant de partir, je l’ai longuement caressée. Comme elle était soulagée... Elle ne miaulait plus, elle ronronnait, elle se frottait contre ma main. Dans ce corps qui se défait, qui succombe, il n’y a plus que cet immense amour pour moi, cette confiance. Mon Dieu, je souhaite la fin de tout ceci, pour nous délivrer toutes deux, mais que d’amour dans nos derniers échanges... Je ne peux croire que tout cela se perde à jamais dans le néant, et que tout ce qu’il restera de la pauvre Georgette se résumera à ce que j’enfouirai au pied du lilas.

Je suis tellement mal, j’ai des angoisses, mal à la tête, cela me rappelle le covid. Ou la mort de Chocha, et la semaine qui a suivi son enterrement sous la pluie. Je me dis que si je tombais dans une situation affreuse, ce qui, de nos jours, peut très bien arriver, je ne saurais pas la surmonter. A moins que Dieu ne m’aide. Je prie, cela m’appaise. Il y a des moments où les mots résonnant dans le vide noir de mon angoisse et de ma tristesse poignante perdent toute signification. Et pourtant, quelque chose change en moi, je me suis reveillée plus sereine. J'ai fait une tentative pour l'emmener, mais je suis restée sur la chaise-longue, la tenant sur mes genoux, dehors, et ensuite, j'ai trouvé un message d'une amie moniale qui me disait de ne pas le faire, qu'elle l'avait fait et regretté. Au fond, pourquoi? Si je voyais ma pauvre chatte souffrir le martyre, je le ferais, mais peut-on dire, même si elle n'éprouve pas de vives douleurs, qu'elle se sente bien, en ce moment? Qu'est-ce qui me retient?       

J’ai revu mon interview de cet été, avec Victor le blogueur, Georgette toute guillerette, toute joufflue venait danser autour de moi, et je disais : « Celle-ci, c’est mon ombre : partout où je suis, elle se trouve aussi... » J'étais loin d'imaginer ce qui nous attendait. Mon Dieu, pauvre Georgette, elle est méconnaissable, c'est venu si vite, et cela met cependant tellement de temps à finir...

Curieusement, Blackos imite le comportement qu'avait Georgette, il me suit, dort sur le bureau, essaie de se coucher devant le clavier de l'ordinateur, et si je lui dis qu'il me gêne, il va, comme elle, délicatement se mettre à sa place, sur son tapis. Il me regarde avec intensité: "Tu es triste, mais je suis là, moi! tu ne me vois pas?"