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lundi 20 février 2017

La source de saint Corneille

J'ai vu cet après midi arriver mes nouvelles connaissances, Olga et Nadia, et elles m'ont proposé une expédition à la source.
Nous voilà parties, accompagnées par un vent froid et humide. Le printemps n'est pas loin, la neige commence à fondre. Le matin, j'avais fait des courses sur une glace savonneuse et sale, à travers des flaques d'une profondeur indéterminée, j'étais allée me commander des lunettes à ma vue, ce qui me coûtera 1500 roubles verres er montures, soit 25 €... Pour ce prix j'ai eu aussi la consultation de l'ophtalmo.
La source est assez loin, et la neige rend la marche plus fatigante. Mais quelle beauté, même aujourd'hui où le ciel était gris. Olga, comme pas mal de Russes, donne énormément de conseils. Ils sont souvent très judicieux, mais comme ils vous arrivent dessus à,la façon d'une avalanche, on n'en retient aucun.
J'apprends que la chapelle située sur l'escarpement marque l'emplacement d'un monastère et du cimetière attenant dont ne reste plus qu'une pierre tombale: déserté à la révolution, le monastère a été entièrement démantelé au fil des années par les gens qui en prenaient les matériaux.
Le vent m'enivre, j'ai toujours aimé les grands courants d'air, peut-être parce que j'ai grandi avec le mistral. Les hauts arbres russes craquent comme des mâts et leurs branches bourdonnent. Le lac conserve un éclat laiteux et nacré sous les nuages bleuâtres, le paysage ressemble à un tableau de Levitan.
La source est au pied d'une interminable palissade qui marque la limite d'un espèce de grand centre touristique. Elle est surmontée d'une croix et nous lisons la prière accrochée à l'arbre voisin. Cette source est consacrée à saint Corneille, pas celui qu'Ivan le Terrible a tué par erreur, mais un saint local du XVII° siècle, saint Corneille le Silencieux.
Mes deux compagnes remplissent les bouteilles. Elles font tout, elles ne me laissent pas traîner mon sac à roulettes, je suis confuse et les invite à prendre le thé au milieu de ma pagaille. Du thé au citron et au gingembre.
Je suis pleine de courbatures. La promenade est magnifique, mais elle est loin, quand même, cette source.

mon petit chien

Olga

Nadia

Attention, serpents...

La source
Le lac au loin


dimanche 19 février 2017

Dimanche du jugement dernier

Un saut à Moscou pour me confesser et acheter des pinceaux. J'ai eu la chance de voir longuement le père Valentin, de passer un bon moment en famille.
A la liturgie du dimanche, sermon du père Fiodor, sur l'évangile du jugement dernier: le Seigneur ne nous demandera pas si nous avons jeûné ou prié, il nous demandera si nous avons aimé et secouru notre prochain, visité les malades, les prisonniers, nourri les affamés. Le père Fiodor sait de quoi il parle, car il s'occupe des sans domicile fixe des Trois Gares voisines de l'église. C'est un petit homme perpétuellement ébouriffé qui a une bonne dizaine d'enfants et quelque chose d'éternellement juvénile, on le sent toujours en train de retenir un clin d’œil humoristique.
Je confesse au père Valentin, entre autres, que le spectacle du monde où nous vivons me met dans de telles transes que je souhaite les mille morts aux politiciens responsables et à ceux qui les suivent. Il éclate de rire: "Oui, oui... Prions pour rester malgré tout de bons chrétiens!"
Il me parle chez Xioucha d'un Allemand orthodoxe qui lui avait écrit du fin fond de la région de Smolensk, où il a échoué dans un village en perdition et fait cinq enfants à une Russe. Il l'a invité à Moscou, et l'a incité à se rapprocher d'une communauté de paysans orthodoxes qui font dans l'agriculture écologique, comme lui, à réunir les bonnes volontés. Je trouve l'idée excellente, et certains Français pourraient s'y atteler également. Cet Allemand a de la sympathie pour les Amish. "Moi aussi, dis-je, mais nous n'avons pas besoin d'eux, nous avons déjà nos Amish, ce sont les vieux-croyants. Skountsev est allé dans un village de Sibérie où ils vivent comme au XVII° siècle, ils ne boivent même pas de thé, mais d'après lui, leurs infusions sont incomparables, et c'est ce que devaient boire tous les Russes, avant Pierre le Grand. Skountsev transmet tout cela, les chants qui existaient alors et existent encore, et cela fait au moins quelques enfants qui grandissent imprégnés de l'âme immémoriale de la sainte Russie!
- Qu'il soit béni pour ce qu'il fait. c'est notre rôle aussi, à vous et moi, de transmettre l'étincelle de notre culture dans un monde où tout s'éteint, dans la faible mesure où nous le pouvons, nous devons absolument le faire."
Mais comme je parlais de ce genre de choses à une amie de Xioucha, elle me dit que la perte de tout ce que je décrivais la rendait profondément triste. "Il faut simplement réagir, lui dis-je, aller vers cette source, et lui permettre de nous irriguer à nouveau, tant qu'il n'est pas trop tard".
Liéna, la fille aînée du père Valentin, me demande d'enseigner le français à ses filles, le français, qui me paraît parfois en danger de devenir assez vite une langue morte. Mais accrochons-nous dans les ténèbres montantes, et gardons notre lampe allumée: le Jugement Dernier approche, et je vais à sa rencontre avec quelques prêtres orthodoxes, des vieux-croyants et une langue qui n'a presque plus cours, tout cela se conservera dans la Mémoire Eternelle.
Coucher de soleil derrière ma maison

vendredi 17 février 2017

comptable lettré

J'ai vu un garçon, comptable de son métier, recommandé par Liéna, ma connaissance du café français, il va prendre en mains mes histoires de permis de séjour, car le gros problème est d'arriver à présenter la demande, quand les fonctionnaires vous renvoient comme une balle de ping-pong. C'est la deuxième fois qu'il le fait, il connaît la musique. Il m'a beaucoup plu, il a l'air intelligent et honnête, et nous avons fini par parler de Dostoïevski. "Je suis allé en Europe, me dit-il, et j'ai eu l'impression que nos écrivains classiques étaient considérés comme un diamant de la culture par les gens qui m'en parlaient mais qu'ils n'y comprenaient absolument rien.
- C'est parce qu'ils sont incroyants, ils ne comprennent pas la dimension spirituelle de Dostoïevski ni la notion de "sobornost", de communion, de responsabilité collective, qui fait que nous sommes tous reliés, qu'ici il fait plus noir et là bas plus clair, mais que nous sommes tous solidaires, nous contaminant ou nous guérissant les uns des autres du péché qui nous est commun.
- Oui, et je vois que vous, vous le comprenez!"
C'est la première fois que je parle de Dostoïevski avec un comptable.
Établir un permis de séjour prend six mois. Cependant, le contact personnel joue pas mal, ici.
J'apprécie beaucoup Liéna, c'est une jeune femme sensible et droite. Elle a passé son enfance dans les "baraques" abandonnées, derrière chez moi et ne peut en parler sans avoir les larmes aux yeux. Ces "baraques", un immeuble partiellement en briques et partiellement en bois, pourraient faire de jolis logements si on les restaurait, mais elles seront probablement détruites pour construire je ne sais quoi.
J'ai eu la satisfaction d'apprendre que mes voisins avaient racheté à leur parent le bout de terrain entre eux et moi, de sorte qu'on n'y construira rien, que je garderai sous mes fenêtres ce mystérieux espace de neige que je vois la nuit, et tout le ciel qui le surplombe, avec le croissant et les étoiles, ou les nuages du couchant. Pourvu que demeurent aussi les isbas d'en face, si pittoresques, le temps que je passerai encore sur terre...
Le peintre qui fait mes plafonds m'a dit que cet été, il avait vu que j'avais deux poiriers couverts de fruits, deux pruniers, à fruits noirs et à fruits jaunes, deux pommiers.
Hier matin, par -14, le givre sur les arbres du voisin

mercredi 15 février 2017

A la recherche de la source.




 Aujourd'hui, en promenant le chien, je tombe sur une brave dame, des bouteilles de plastic à la main. Je l'interroge sur la source, elle me dit que c'est loin, par là, elle m'explique. C'est une grande femme à la maigreur burinée et chamanique. Elle m'évoque tante Frossia, la guérisseuse, accoucheuse qu'embauche le héros de mon roman. Et justement, la voici qui me dit que maintenant que je suis en Russie, je dois m'intéresser aux simples, qu'on ne peut pas vivre et se soigner ici sans connaître les vertus du millepertuis ou de la calendula. Malgré son air chamanique, c'est sûrement une intellectuelle, elle paraît assez cultivée.Il souffle un vent glacial, elle m'explique que le climat a changé depuis qu'on a fait le lac artificiel de Rybinsk, qui a entraîné beaucoup d'autres ravages et catastrophes, l'engloutissement d'une très ancienne et très belle région de Russie et la déportation de sa population. Je rentre chez moi m'habiller plus chaudement et prendre ma poussette à roulettes et une bouteille vide de cinq litres. 
Arrivée au bout de la route qui longe l'ancienne rive escarpée du lac, je ne sais s'il faut aller à gauche à droite ou tout droit. Tout droit me paraissant très accidenté, je prends à droite et voit surgir les coupoles du monastère saint Nicétas au dessus de l'escarpement, comme une vision étrange, une ouverture sur un autre temps. Un papa et sa fille me disent que je me trompe de chemin. Je repars en arrière, prends à gauche, et traverse des bois. Un défilé de roseaux me mène par un chemin immaculé jusqu'au lac qui se dévoile soudain, immense, sous des nuages colossaux, pleins d'ombre, de lumière et de neige. J'avance sur la glace et vois à gauche le monastère Goretski, au dessus de la ville, et à droite le village de Gorodichtché, son haut clocher sur la berge bleue, en face, le large, une grande nuée foncée rapiécée de turquoise, dont les franges effleurent la mystérieuse, lointaine et sombre rive opposée. Le double de tante Frossia m'avait comparé le lac à un diamant, et c'est ainsi qu'il m'apparaît, un énorme et lisse diamant, sur lequel courent de brusques illuminations et des reflets laiteux. Le vent me tourne la tête, l'espace m'absorbe, tout ce que je vois est si beau et si étrange, si magnifiquement étrange, dommage que des ovnis contemporains affreux défigurent l'escarpement, grosses maisons prétentieuses, antennes pour diffuser internet partout, et bien que j'en fasse grand usage, il faut bien trouver quelque chose de bon aux mauvaises choses, je me prends à rêver de voir cette beauté telle qu'elle était, sans ces excroissances, ces tumeurs, ces ordures, quand tout était intégralement intact et que le prince Alexandre posait ses filets dans une eau non polluée.
Au retour, sans avoir trouvé la source, je rencontre ma nouvelle connaissance, avec une copine. Elle s'appelle Olga, la copine Natacha. Olga fait des objets en feutre, bottes, gants, sacs, elle est déjà allée en Italie, elle est née à Pereslavl et y a passé sa vie.
Je suis heureuse d'avoir trouvé, sinon la source, du moins cet accès sauvage au lac dans toute sa splendeur. C'est une promenade que je pourrai faire régulièrement, et je pourrai aussi accéder au beau monastère saint Nicétas sans passer par toutes les zones construites où abondent les châteaux américains. Pour la source, il fallait prendre ni à gauche, ni à droite, ni tout droit, mais légèrement en biais, le long de l'escarpement.



Le chemin de la source commence ici. La maison à gauche est à vendre, elle
est grande, neuve et pas finie, mais l'endroit assez planant, quand même.


Le côté de Gorodichtché

Le côté de Pereslavl 

les bois


Un pêcheur solitaire


Gorodichtché



mardi 14 février 2017

Un cycliste



On sent qu’on est dans la dernière partie de l’hiver, la température est remontée jusqu’à 1 °, ce matin, tempête de neige, maintenant le vent est si fort que je n’ai plus d’électricité. Le ciel  est resté gris toute la journée, mais un gris secrètement infusé d’irisations chatoyantes et vers le soir, quand je suis allée promener le chien, il est devenu violet, puis à l’horizon, d’un rose vif et presque orange, avec des filaments jaunes, et des taches turquoise. C’était un vent froid et exaltant, un vent d’ouest.
Sur le chemin, j’ai rencontré un cycliste, avec un conteneur d’eau sur son porte-bagages, mais il allait à pied. Je lui ai demandé : «Ce n’est pas trop glissant, pour faire du vélo ?
-Si, mais je ne monte pas dessus, je m’en sers pour transporter l’eau que je vais chercher à la source.
- Il y a une source ? Elle est loin ?
- Vous n’y arriverez jamais, moi j’ai le vélo, mais vous ?
- L’eau n’est pas bonne ici ?
- Mais c’est un cauchemar, l’eau c’est la vie, alors celle des canalisations, jamais ! »
Ce type avait dû être beau, il gardait d’étranges yeux bleu pâle, épuisés.
Je n’ai pas de vélo, mais j’ai un sac à roulettes, seulement je ne sais pas où est la source.
Plus tard dans la soirée, j’ai vu par la fenêtre que le vent avait coupé le ciel en deux, et au dessus de ce désastre, brillait une seule grosse étoile, celle du berger.

Je pense que je resterai ici, et je sens en permanence auprès de moi Ivan le Redoutable, ses fils, son favori, le jeune Basmanov, et le métropolite Philippe. Une compagnie qui ne me laissera pas si facilement tomber...  

Celui-ci n'est pas à moi...


lundi 13 février 2017

RVP


L'horizon s'éclaircit. Je suis allée trouver la juriste. Kostia l'avait prévenue que je parlais mal le russe, elle était surprise de constater que ce n'était quand même pas le cas, il faut dire que Kostia marmonne et peut-être suis-je en train de devenir sourde, mais je le comprends mal, surtout au téléphone.
D'après elle, j'aurais toutes mes chances, car la plupart des gens présentent un dossier à Iaroslavl dans le but de filer à Moscou aussitôt le permis obtenu et ça agace le fonctionnaire, or moi, j'ai une maison à Pereslavl, l'intention d'y vivre, et on a besoin de répétiteurs de français sur place. Les fonctionnaires vous reçoivent personnellement, on peut leur raconter sa vie, expliquer ses motivations, les miennes semblent toucher la juriste.  Mais le problème, le gros problème, c'est d'arriver jusqu'à eux: le site pour prendre rendez-vous marche mal, et les jours libres (un mercredi par semaine) sont pris bourrés jusqu'au 23 mars. Reste la prise de rendez-vous par téléphone, mais là encore, il est pratiquement impossible d'obtenir un correspondant, c'est occupé en permanence. Je connais tout cela, c'est l'angoisse, mais bon, l'espoir donne des ailes. Je voudrais continuer à découvrir la vie de Pereslavl et de ses environs, les bienheureux fous en Christ, les saints princes, les croix, icônes et sources miraculeuses, les clins d’œil d'Ivan le Redoutable à tous les détours de remparts... Pierre le Grand peut garder les siens, il ne m'intéresse pas du tout. Mais pour les amateurs, son esprit rôde aussi par ici.
Le samovar que m'a offert Kostia pour mon anniversaire.


Pour ceux qui s'inquiétaient de son sort, Rominet a retrouvé ses aises dans
la maison. A côté de lui, l'hortensia de Sacha Joukovski et l'azalée de Zakhar

dimanche 12 février 2017

Le bienheureux Michenka

Je reconnais que je ne pouvais laisser la curiosité du lecteur insatisfaite (et la mienne). J'ai trouvé sur le wikipedia russe l'histoire du bienheureux Michenka.

Mikhaïl Vassilievitch Lazarev est né dans la famille d’u paysan du village de Iam, près de  Pereslavl. Le nom de « Samuel » lui a été ajouté par le peuple comme à quelqu’un qui menait une vie monastique, par sa chasteté stricte, après la mort de Samuel, hiéromoine du monastère saint Nicolas.
Micha prit sur lui la folie en Christ dès son enfance. A l’âge de 8 ans, il prédisait les maux des gens de son village, et les paysans exigèrent qu’on le chassât.  Il fut recueilli dans sa cellule.par le hiéromoine du monastère saint Nicolas Samuel, qui devint le père spirituel du petit garçon.
Micha passa toute son existence à errer par la ville et ses environs. Il allait souvent au quartier de la Trinité, où il aimait séjourner dans la maison du paysan infirme des deux jambes Symeon Voukolov (à présent le n° 21).
Quand Micha allait par la ville, les gens qui le respectaient venaient lui demander conseil. On voyait souvent, avant la mort de quelqu’un, Micha pleurer près de la maison où vivait le futur défunt. Micha prédit au représentant de la noblesse et chambellan N.G. Tabarovski la perte de son bétail. En 1885, il prédit l’incendie du quartier de la Trinité.
On considérait comme un bon présage qu’il demandât à manger à un commerçant. C’était la meilleure des recommandations.
Tout l’argent qu’on donnait à Micha, il l’apportait en offrande à Dieu ou le distribuait aux pauvres. Il en mettait la plus grande partie dans le tronc de l’église du saint prince André, à la chapelle de saint Daniel, dans le tronc de la cathédrale, aux chapelles de saint Serge, de la Trinité, et de saint Nicétas.
Micha tomba malade en février 1907. Les moniales du monastère saint Nicolas s’en occupèrent pendant les derniers jours de sa vie. Il mourut au quartier de la Trinité le 23 février 1907 à trois heures de l’après midi. Il fut enterré le 25 février, à droite de l’autel de la Trinité.
Sur le tombeau de Micha a été construit un petit auvent.
Le tsar Nicolas II est venu se recueillir avec ses filles sur la tombe de Micha et y fit célébrer une pannychide.


La tombe du bienheureux Michenka
 
Micha-Samuel