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dimanche 17 septembre 2017

Semko Ninoslavitch


Saint Gilles et son cerf sont partout à Solan, au monastère de la Protection de la Mère de Dieu que je fréquentais quand j’habitais dans le Gard. Et voilà que je tombe sur vkontakte, le Facebook russe, sur ce lien :
Un visiteur du sud de la Russie, Semko Ninoslavitch, a laissé probablement au XII° siècle, cette inscription sur une colonne de l’abbatiale de saint Gilles :
Seigneur, vient en aide à ton serviteur Semko Ninoslavitch.

Comment s’est-il trouvé là à cette époque, ce Semko ?



Fête populaire






Dany est venue ce week-end avec son mari, Iouri Iourtchenko. J’ai emmené Dany voir une exposition des tableaux d’Olga Motovilova-Komova, femme du peintre Ilya Komov, sa peinture nous a beaucoup plu, elle est très lumineuse, très colorée, très joyeuse, des paysages de Yaroslavl, Romanov-Borisoglebsk, Peresavl. Les gens de la rue qui la regardent peindre s'étonnent de ses couleurs vives là où ils ne voient que du gris, et lui reprochent parfois de représenter leur petite maison pittoresque "qu'ils n'ont pas réparée et dont le toit fuit"!

Dany devant nos tableaux préférés d'Olga Motovilova

Le lendemain, il y avait un festival de folklore sur la « belle Place » de Pereslavl, devant la cathédrale de la Transfiguration. Cela commençait par un office d’intercession à l’église saint Alexandre Nevski, dont c'était la fête cette semaine. La manifestation était sous l’égide de l’évêque Théodore, pour lequel les sœurs du monastère du même nom ont beaucoup de vénération. Tout le monde, c’est-à-dire les collectifs de folklore en costumes et les fidèles présents, était invité à chanter. Quand j’ai vu l’évêque, sa noblesse, sa jeunesse, sa calme, douce et lumineuse sévérité, et que nous avons entonné « Roi Céleste, Consolateur, Esprit de vérité, partout présent et remplissant tout », j’ai ressenti un grand afflux de grâce et d’allégresse, tant la ferveur de cet homme et de l’assemblée autour de nous était palpable. Iouri s’est mis lui-même à chanter, bien qu’il ne fréquente pas l’église.
Au dehors, j’ai retrouvé Kolia Sakharov, de l’ensemble Kazatchi Kroug, et nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Puis j’ai revu Dmitri Paramonov, le roi des gousli, qui ne m’a tout d’abord pas reconnue, sans doute parce que j’ai vieilli et changé de coiffure, puis m’a joyeusement enlacée de la même manière. Depuis la dernière fois que je l’ai vu, il s’est marié, avec une jolie jeune femme, également folkloriste, comment épouser quelqu’un avec qui on ne peut pas chanter, quand on a retrouvé toute sa dimension poétique et épique, et sa place dans l'espace et le temps du cosmos ? e pas chanter, c'est une infirmité… Ils m’ont présenté une autre jeune femme qui ressuscite le folklore dans un village, entre Rostov et Ouglitch, et dont les petits élèves se produisaient devant nous. Comme d’habitude, dans ce genre de manifestation, les gens étaient beaux, ils étaient radieux, fervents, transportés, épanouis. Ils s’asseyaient comme ils pouvaient, où ils pouvaient, mangeaient n’importe quoi, mais ce n’était pas grave : ils communiaient dans leurs chants et leur musique, et regardant ces enfants, ces jeunes gens, je me disais qu’ils avaient trouvé là de puissants anticorps et contrepoisons contre la pourriture des médias et de la sous-culture : eux ne s’ennuieraient jamais, ne se sentiraient jamais seuls, trouveraient l’époux ou l’épouse qui leur conviendraient et feraient des enfants heureux. Il ne leur en faudrait pas beaucoup pour l’être : chanter et danser ensemble, lutter ensemble pour sauver l’âme russe et sa belle expression. Tous avaient des visages ouverts, gentils, purs et joyeux. C’était une immense consolation de les voir tous évoluer, jouer, chanter de tout leur cœur, sans contrainte académique : ce qu’ils avaient acquis leur était devenu intrinsèque, organique. Leur maintien était naturel, digne et généreux, comme celui de mes amis les chanteurs cosaques ou de Dima Paramanov.
Dima m’a dit que nous devions nous revoir, pour développer ensemble des choses sur Pereslavl, en accord aussi avec le petit musée d’art populaire local « le cheval avec un manteau » . Le propos est de restituer la tradition populaire au maximum de gens. L’évêque Théodore  a fait sur ce sujet une belle homélie : retrouver ses racines et sa tradition, c’est retrouver son âme et le chemin de Dieu. Comme cet évêque semble aimé, et que j’ai de la chance, me disais-je, d’être tombée dans une éparchie dirigée par un tel homme. C'est lui qui a initié ce festival. Le mouvement est soutenu aussi par le kazatchestvo local. On comprend que l’Eglise et le kazatchestvo soient les bêtes noires des libéraux : ils sont les anticorps de l’organisme russe contre les infections globalistes. C’est la même démarche que dans la paroisse où enseigne Skountsev à Moscou : le folklore envisagé comme une thérapie spirituelle.
Et ça marche : il n’est que de voir mon petit voisin Aliocha venu gracieusement et fièrement me saluer dans son uniforme. Ou ces deux fillettes qui voulaient me vendre un petit cheval de tissu, et me faisaient confiance le temps que j’aille chercher de la monnaie. « Il vous portera chance », me dirent-elles lorsque je leur rapportai leur dû. Ou bien encore ces adolescents qui dansaient avec assurance, et des visages clairs, des yeux pétillants.
Le Suisse orthodoxe de Pereslavl, Benjamin, semble avoir été recruté par le kazatchestvo : normal, c’est une vieille tradition cosaque que de s’amalgamer des étrangers, pourvu qu’ils adoptent les usages cosaques et deviennent orthodoxes. Au début du jeu du « mur », quand deux rangs de bonshommes se jettent en hurlant les uns sur les autres, le musicien pour les inviter à se mettre en ligne crie : «Y a-t-il encore des vrais mecs à Pereslavl ? » Le premier à se précipiter est le Suisse Benjamin, ou plutôt Veniamin, à la grande joie de Iouri Iourtchenko. Il faut dire que le Suisse fait deux mètres de haut !

Les collectifs étaient excellents, Dima Paramonov a chanté, accompagné par nous tous le poème spirituel : «l’homme pécheur », puis un chant sur le prince Dmitri Donskoï, et je l’écoutais, les yeux fixés sur la cathédrale du XII° siècle et les nuages sombres, traversés de grandes lueurs, avec soudain la certitude mystique que c’était là, malgré la nostalgie que j’emporte de ma France trahie et blessée à mort, ma profonde patrie orthodoxe, ce que je ne devais lâcher à aucun prix, ce que j’étais venue retrouver ici, mon dernier moyen âge : l’évêque Théodore et tous les gens d’Eglise qui lui ressemblent, Kolia Salharov, Dima Paramonov, Volodia Skountsev, les enfants et les ados danseurs, les dames enthousiastes qui recueillent les vêtements traditionnels du nord russe et en cousent de nouveaux, parce que là est l’esprit russe, et dans l’esprit russe, l’esprit européen perdu, l’Esprit tout court, la beauté, la noblesse, la simplicité, la générosité, la grâce… Ce n'était pas un hasard à mes yeux si cette fête faisait suite à celle d'Alexandre Nevski et à mon entrevue avec le service d'immigration, c'était là le signe que j'étais ici de par la volonté de Dieu et que j'y avais des choses à faire...
Et cela indépendamment des médias, des intellos, des oligarques, de tout ce qui pue et corrompt,  sans plus prêter attention aux glapissements insensés des démons, peut-être jusqu'au combat final...

Ils approchent, ils approchent les derniers jours
Et sècheront les sources des rivières
Le soleil et la lune perdront leur éclat, 
Les claires étoiles tomberont du ciel
L'archange Michel montera sur la colline escarpée
Il jouera de sa trompette d'or
"Levez-vous, vivants et morts!"

(poème spirituel russe)

Des enfants qui chantent hardiment et de tout leur coeur


Iouri et Dany


Kolia Sakharov, au centre.
Défilé en chantant:Sakharov à gauche avec Dmitri Paramonov
Filage à la quenouille
L'évêque de Pereslavl, monseigneur Théodore
Photo Dany Kogan
la "belle Place"

mercredi 13 septembre 2017

Le permis à l'horizon

Ce matin, j'ai prié saint Alexandre Nevsky, dont c'était la fête hier, et aussi le métropolite Philippe, naturellement, avant de partir avec Ilya à Yaroslavl. Dans la douceur de l'été indien, les arbres des grands espaces russes commencaient à prendre leurs habits de fête. Ilya m'expliquait en chemin qu'il ne savait plus où il en était à mon sujet, parce que les fonctionnaires de l'émigration invoquaient la restriction des quotas, des gens du Donbass prioritaires, mais les gens du Donbass ne passent pas au régime des quotas et n'entrent pas en concurrence avec moi. On lui avait demandé: "Mais où est-elle, votre Française?" En fin de compte, il avait demandé rendez-vous au grand chef, c'était elle que nous allions voir. Je me faisais un souci terrible.
Et là miracle, la gardienne de l'entrée me reçoit comme la reine d'Angleterre, avec de grands sourires, pas de queue, je monte directement au bureau où, sous la photo de Poutine, une dame en uniforme me déclare après avoir écouté mon histoire, que l'on me donnera le permis de séjour sans problèmes, qu'il me fallait revenir montrer mon titre de propriété, et qu'on me contacterait pour me dire quand rassembler et apporter tous les documents nécessaires, la procédure devant prendre encore six mois, pendant lesquels je devrai encore une ou deux fois aller en France. Une fois le permis accordé, en revanche, je ne devrai pas rester plus de six mois d'affilée à l'étranger, mais ce n'est pas dans mon intention. Et vivre dans la région de Iaroslavl, c'est déjà le cas.
J'étais tellement soulagée que je retenais mes larmes. Bien sûr, il y a encore des allées et venues et des démarches en perspective. Mais ce sont déjà des formalités.
A mon avis, il me fallait me montrer là bas, c'était ce qu'elles attendaient. Faire la visite et donner mes raisons. Montrer patte blanche.
Pour fêter ça, sieste dans le hamac au fil de la brise et promenade avec Rosie que j'emmènerai voir sa soeur.


mardi 12 septembre 2017

Mousse au chocolat

Didier m'a fait traduire un certain nombre de règles, pour ses employés, que le cosaque Iouri est allé leur lire d'une voix retentissante, avant de les leur faire signer. Une femme se plaint à moi que pour arriver à l'heure matinale exigée, il lui faut aller à pied ou prendre le taxi, faute de pouvoir faire le trajet en bus, et elle habite très loin. J'en parle à Iouri: "Ce qu'elle ne vous dit pas, c'est qu'on a augmenté leur salaire en proportion du prix du taxi".
Didier vient ensuite nous faire la démonstration que ses employés n'écoutent pas ce qu'il leur dit. On doit tenir le pochon à deux mains, une qui presse pour faire sortir la crème ou la pâte, l'autre qui dirige: "Dieu vous a donné deux mains, c'est pour vous servir des deux! Maintenant regarde tes macarons que tu fais d'une seule main négligente: il n'y en a pas un seul de pareil. Je te l'ai dit déjà cinq fois, mais tu t'en fous!"
La jeune fille s'enfuit en larmes, ce qui laisse Gilles et Iouri placides: "Ne fais pas attention, ici, on pleure facile!" Nous constatons qu'en effet, les macarons sont irréguliers de forme et de taille.
J'apprends avec regret qu'un de mes gâteaux préférés à base de mousse au chocolat ne serait plus fabriqué. "Bon, dis-je à Didier, alors je vais m'acheter un batteur à oeufs et faire de la mousse au chocolat."
Il me regarde d'un air féroce: "Pourquoi faire, un batteur à oeufs?
- Ben... pour monter les blancs?
- Des blancs dans la mousse au chocolat? Jamais! Jamais! C'est dégueulasse!
- Mais on a toujours fait comme ça dans la famille...
- Les blancs battus, c'est de la merde! Tu fais un sabayon, sirop de sucre et jaune d'oeufs, puis tu ajoutes le chocolat et ensuite, de la crème fouettée, pas de la crème chantilly, tu connais la différence? La chantilly est sucrée, la crème fouettée ne l'est pas, or le chocolat apporte assez de sucre. Mais encore plus simple, tu fais fondre 100 g de chocolat pas trop riche en beurre de cacao, genre 55%, tu mélanges avec 100 g de crème fleurette, et tu obtiens une ganache. A cette ganache tu ajoutes 200 g de crème fouettée, t'en as pour cinq minutes, et tu as une mousse au chocolat qui ressemble à quelque chose".
Gilles m'a expliqué que sa femme avait maigri en ne se nourrissant pratiquement que des gâteaux du café, car ils sont faits avec d'excellents produits, et qu'il ne faut pas faire de mélanges! Voilà une prescription qui aurait plu à ma mère, mais je ne maigris pas du tout, bien au contraire. "Le vélo, me dit-il, l'exercice, il n'y a que ça de vrai!"
Rosie va beaucoup mieux. Elle a une nouvelle manie, celle de rentrer exprès pour pisser dans mon bureau. Elle m'a volé hier un bout de fromage que je venais d'acheter, le temps que je me détourne deux minutes. Au matin, je me sentais coupable d'avoir explosé. Caresses, mots gentils. Puis je la vois revenir du jardin, s'engouffrer dans le salon, et me faire paisiblement une vraie mare. Je n'arrive plus à éponger tout cela, mon parquet flottant en a nettement souffert, je dois changer de lave-pont en permanence, et garder son calme pour lui susurrer des gentillesses n'est pas absolument à la portée de n'importe qui, la plupart de mes voisins l'auraient déjà enchaînée à une niche pour garder leur maison propre et leur équilibre nerveux.
Le temps est magnifique, c'est l'été indien, il fait même presque trop chaud. De place en place, des arbres jaunissent. Je vais demain à Yaroslavl, je ne sais pour quel parcours du combattant, peut-être les examens médicaux.

dimanche 10 septembre 2017

Carillon

En arrivant au monastère saint Théodore, j'ai été accueillie par un carillon allègre et rebondissant. Perchée sur le clocher, une jeune moniale sonnait les cloches, elle avait l'air d'une apparition. C'était la fête des martyrs Adrien et Nathalie, auxquels est vouée une chapelle du monastère. En cet honneur, la liturgie avait lieu dans la cathédrale que le tsar Ivan avait bâtie en 1557, pour la naissance de son fils Théodore, cathédrale dans laquelle je rêvais d'entrer. Mais je n'ai eu accès qu'à la galerie qui l'entoure, et qui est visiblement plus récente, probablement du XVII° siècle, elle a peut être remplacé une galerie initialement en bois. La cathédrale est d'un style plus dépouillé. La soeur Larissa m'a dit qu'elle me ferait visiter la partie du XVI° siècle, où subsistent des fresques. Chaque fois que je vais là bas, je pense au tsar qui a vu bâtir l'église que je regarde, qui a arpenté la terre que je foule, et qui, me semble-t-il, m'escorte en silence et me demande de prier pour lui. J'ai mis un cierge à saint Théodore pour son favori Féodor. Et j'ai demandé à Dany de faire prier pour son maître demain à Moscou, car je serai au travail et ne pourrai me rendre à l'église, or c'est la saint Jean Baptiste, la fête du tsar Ivan, dont il était le protecteur céleste. Je sais que cela peut paraître complètement fou, mais sa présence me semble plus tyrannique que celle du jeune Féodor, dont la détresse m'était plus palpable. Il me paraît important de prier pour l'un et pour l'autre. Je prie pour eux, et je leur parle, j'en ai compassion, et il me semble qu'ils ont compassion de moi....
La cathédrale a été restaurée d'une façon pas toujours heureuse, le sol est fait d'une sorte de granité poli et brillant qui jure avec les murs blancs chaulés, mats et moelleux, très simples. Ce sol me rappelle la pierre miroitante des tombeaux modernes. Soeur Larissa m'a fièrement montré une icône de saint Théodore très grande et faite d'une mosaïque d'ambre, mais je la trouve d'assez mauvais goût, le saint a un côté mou, et l'ensemble est plutôt tape à l'oeil.
Aller à l'église m'inflige une lutte hebdomadaire avec ma terrible flemme, et pourtant, c'est à chaque fois comme si je versais de l'huile dans la lampe éteinte de mon coeur qui se met à brûler doucement.
Comme d'habitude, soeur Larissa m'a fait toutes sortes de petits cadeaux, une bouteille d'une sorte de liqueur d'herbes, des pirojki. 
Olga, la dresseuse de chiens, est venue m'aider à désinfecter la cicatrice de Rosie, ce que je dois faire tous les jours, et ce n'est pas évident. Il s'avère qu'Olga écrit depuis son plus jeune âge des récits fantastiques, à base de paranormal et de mondes parallèles.
Rosie va beaucoup mieux, d'ailleurs, elle est arrivée à grimper sur mon lit...

samedi 9 septembre 2017

Monnaie d'argent

Rosie va mieux, et si j'ai beaucoup compati, culpabilisé, si je me suis attendrie et lui ai porté sa pâtée près de son panier, je peux dire que cela m'a fait des vacances. Quel calme, ce matin, même avec Rom l'hystérique, j'ai pu donner tranquillement à manger aux chats, ils ont pu se nourrir sans risquer de se faire arracher leur gamelle. Elle ne les poursuit pas, donc pas de hurlements ni de feulements. Je suis partie faire des courses sans me demander ce que je retrouverais comme destructions à mon retour. Bref, j'ai eu l'impression d'avoir un chien normal, ou un chien spécial, puisqu'il paraît que les chiens normaux sont comme Rosie, c'est-à-dire chiants comme la mort si on ne fait pas avec eux la maîtresse d'école, comme j'ai été payée pour le faire pendant 20 années de mon existence.
Il y a quelques temps, j'ai acquis un talisman: pour 5 euros, une petite monnaie d'argent de l'époque du tsar Ivan. Il paraît que les gens les trouvent en faisant leur jardin. Ce passé qui me paraît plus vivant que mon présent imprègne la terre de Pereslavl, il est dans l'air, les nuages, l'eau du lac. Qu'est-ce que quatre siècles? Quatre vies de grands vieillards mises bout à bout. Et l'on faisait d'aussi jolies monnaies d'argent, elles circulaient ici de main en main. On construisait églises, monastères, palais féériques. L'esprit de la Russie était chrétien, païen, vivace, il produisait en permanence prières et chansons, vêtements nobles et magnifiques, architectures d'une fantastique originalité...
Je me suis prise de bec sur un fil de commentaires avec des libéraux russes, profondément vexés que je place si haut la culture russe, dans ce qu'elle a de plus russe, son art populaire, les chants conservés par Skountsev et Micha, les épopées, la foi orthodoxe... Une espèce d'intellectuelle m'a prise de haut: elle m'a débité toute l'histoire de la culture européenne infiniment supérieure à la sienne, que l'Eglise maintenait dans les ténèbres de l'obscurantisme, en remontant jusqu'à Homère, et avec quelle morgue de vieux professeur confit dans la poussière des musées... Vraiment persuadée d'avoir affaire à une inculte qu'il fallait éclairer.  Homère, je le savais par coeur à neuf ans, maman me l'avait offert dans la Pleïade pour mon anniversaire, mais qui chante encore Homère? Alors que certains de mes amis chantent les épopées russes, elles m'arrivent encore vivantes, et que me chaut qu'Homère leur soit antérieur? Skountsev et Homère s'entendraient très bien, un même souffle immémorial les porte, et ne porte pas du tout les intellos libéraux tombés de l'arbre de la vie sur les canapés des musées où ils moisissent et momifient les reliques de notre génie perdu. Justement, c'est parce que Vassiliev est en prise avec l'eau vive de la tradition orale qu'il a pu monter l’Iliade au théâtre de si magnifique façon.
Il est toujours pour moi fascinant de constater que je fais beaucoup de peine à ces intellos russes lorsque je défends leur culture qu'ils méprisent. Ils deviennent très agressifs: non, non, nous sommes nuls de toute éternité, l'Europe est le mètre étalon de toute civilisation, et nous sommes des barbares, quel dommage que nous n'ayons pas été conquis par les Polonais, au fond, hein? Par les Allemands. Et maintenant, ce serait si bien de l'être par les Américains...
Rien de me dégoûte plus que ces Russes qui se renient. Car même si j'aime la Russie et l'ai choisie, je ne renie pas le génie français ni ce qu'il m'a donné. Simplement, ce génie français a commencé de mourir depuis un bon moment, même s'il donnait encore quelques beaux rejets. La France du XIX° siècle, la France bourgeoise et capitaliste, celle des petites femmes de Paris et du french cancan, et sa dégringolade du XX° siècle, est-ce vraiment la mienne? La France était noble et fervente, elle était paysanne, guerrière et mystique, elle avait de la gueule, elle avait du lyrisme, il y a longtemps, quand elle formait, comme les Russes entre les mains desquelles circulait ma petite monnaie, un peuple homogène qui vivait dans la beauté avec un roi sacré à sa tête. Mais c'était il y a longtemps, avant la dérive de son Eglise, avant l'hérésie protestante, avant les lumières obscures des philosophes mortifères, avant l'assassinat culturel de la paysannerie faisant suite à l'assassinat pur et simple tel qu'on l'a pratiqué en Vendée.

Grand prince Ivan




Saint Georges

vendredi 8 septembre 2017

Goloubika

Bon, j'ai fait stériliser Rosie. quand je suis venue la chercher, les vétos m'ont dit qu'elle avait été infernale et que ce n'était pas un chien pour moi. En chemin, la femme de Gilles m'expliquait tout ce qu'il fallait faire pour transformer Rosie en chien fréquentable, la tenir en laisse, l'attacher quand je ne suis pas là, ne pas la laisser sortir, lui montrer qui est la patronne, ou alors, si je ne pouvais faire face à tout cela, il me fallait la donner "en de bonnes mains". Rosie est complètement en état de choc, elle se tient sous mon bureau et sur mes pieds, elle semble avoir mal, je ne me souviens pas que mes chattes aient tellement souffert.... Je culpabilise un maximum.
Rosie supporte très mal de ne pas sortir à sa guise, et quand elle est coincée à la maison elle est insupportable et me détruit tout, que me faut-il faire, l’attacher au radiateur?
Je suis arrivée plus tard que d'habitude, à cause de l'opération, la clinique ouvre à dix heures. Ambiance à nouveau électrique. Didier me demande d'expliquer à son principal apprenti: "Il veut tout apprendre tout de suite, il veut aller trop vite, et il argumente tout le temps. Il n'a pas à me poser des tas de questions à la con, je lui dis de faire comme ça parce que ça fait mille ans que l'on fait comme ça en France, j'ai été apprenti  et je fermais ma gueule, parce que le maître savait et moi je ne savais rien. Eh bien lui non plus, il ne sait rien, il est comme un bébé, et ce qu'il croit savoir, c'est n'importe quoi. Alors qu'il fasse ce que je lui dis, point à la ligne!"
L'apprenti me répond: "Oui, mais si je lui demande, c'est que ça m'intéresse et pourquoi celui d'avant nous faisait faire autrement?"
Je lui dis, de ma propre autorité: "Je vais vous donner mon avis: quand on a affaire à un formateur, à un maître, il faut jouer le jeu. Il faut oublier ce qu'il y avait avant. Plus tard, vous pourrez juger qui avait raison, de lui ou de l'autre. J'ai vu cela dans le domaine des icônes: l'un me faisait faire comme ci, et l'autre comme ça, et j'ai décidé après de ce qui me convenait le mieux, mais sur le moment, il faut se mettre à l'école. Didier a besoin de gens qui travaillent vite et bien, ne vous posez pas de questions et faites exactement comme il vous le dit. Il trouve que vous ne prenez pas le temps d'apprendre. Vous savez, c'est un peu comme au monastère: obéissance, patience, humilité!"
Le jeune homme s'est mis à rire.
J'ai compris le problème en profondeur plus tard, en voyant un autre apprenti refuser absolument de faire ce qu'il lui montrait, et qui était plus simple que ce qu'il avait l'habitude de faire.
En attendant l'ouverture de la clinique, j'ai eu le temps de regarder le petit marché et j'ai trouvé un arbuste dit "goloubika" qui adore les terrains marécageux et fait des baies délicieuses qui ressemblent à de grosses myrtilles. Je vais le planter dans ma haie, où pas grand chose ne prend, à cause de l'eau stagnante.
Goloubika. Cela semble se traduire par myrtille, mais le buisson et le fruit
sont plus gros

le buisson prend de jolies couleurs à l'automne.

La plante et le fruit ont toutes sortes de vertus médicinales, circulation du sang, coeur, tension, santé et conservation du cerveau,  anti inflammatoire, diurétique, réduit la graisse abdominale...


Rosie a échappé à la collerette de plastique, et moi aussi, elle a une sorte de maillot de bain.
Elle fait peine à voir. Mais je ne me voyais pas distribuer des chiots à n'importe qui...