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mercredi 20 mai 2020

Le trésor de notre coeur

Grand soleil ce matin, et j'ai pu prendre ma dose de lumière vitale, j'ai jardiné une heure, cueilli des égopodes, l'épinard du pauvre, organisé les plantations dans le potager, il me vient des idées, peu à peu, et les conseils de la maman d'Aliocha, Ania, moins intrusive que Violetta. La renoncule que j'ai plantée il y a trois ans est maintenant superbe. Auprès d'elle poussent vigoureusement des delphiniums qui, jusqu'alors, me faisaient peine. Cette année, j'aurai de belles hampes de différents tons de fleurs bleues. Les iris des marais colonisent avec mon aide les endroits du jardin où rien ne poussera d'autre, et où j'admirerai leurs fontaines vertes jaillissantes, étoilées d'or. A côté des jonquilles se manifestent des narcisses, des narcisses sauvages ordinaires, mais si souples, si élégants, je ne me souviens pas de les avoir plantés, ils font peut-être partie de ces éléments qui étaient là, mais ne donnaient rien, comme l'un de mes poiriers, qui s'est révéillé l'été dernier. Je m'aperçois que tout se ressème, que de bonnes surprises... des lupins. Des bleuets. Ces bleuets, je suis allée par deux fois en déterrer aux abords de la baraque abandonnée et écroulée où tous les porcs du coin vont déverser leurs ordures. Et voilà qu'ils ont pris, et se sont reproduits, et ils sont somptueux quand ils sont nombreux. Les tulipes commandées l'automne dernier sont ravissantes, mais il en faudrait beaucoup plus, je manque encore de fleurs de printemps, quand rien ne pousse, de ces fleurs que les feuillages ne gênent pas encore, ni le voisinage de plantes volumineuses, pas encore sorties de terre. Les hémérocalles vont prendre de l'ampleur, elles sont bien installées. Les roses trémières se multiplient, et pour certaines, je ne sais pas quelles couleurs elles vont offrir à ma vue.
J'ai planté aussi framboisiers et ronces, dans les endroits sauvages, pour abriter les oiseaux, mon beau-père laissait toujours un roncier près de la ferme, pour les rossignols. Je fais de la place à tout le monde. Sauf à la berce du Caucase, que je compte chasser à coups de topinambours.
J'ai pris mon brunch sur le perron, brunch de carême, c'est mercredi, flocons d'avoine avec cannelle, un peu de curcuma, des raisins secs, et des fraises fraîches, accompagnés de deux tartines de beurre de cacahuète et de confiture de cassis maison. A mes pieds, Rita et Georgette. Dans le lointain, à travers le vent, je percevais le chant des rossignols. Leurs merveilleuses liturgies se déroulent plutôt la nuit, mais aujourd'hui, ils me faisaient cette aubade, et je les écoutais avec une joie pleine et paisible, infiniment reconnaissante.
Puis la pluie est venue tout balayer...
 Depuis ma jeunesse, j'avais dans la tête ce modèle de bonheur et de vie normale qu'est une maison environnée d'un jardin, où tout est harmonieux et naturel, où l'on ne fait violence à personne, où les animaux se plaisent, ce que maman organisait autour d'elle sans intention particulière, parce qu'étant elle-même amour et harmonie, tout était à son image. Il est vrai qu'alors cette maison, dans mes rêves, comportait un mari et des enfants. Mais nous vivons une époque si anormale, que cela ne m'a pas été donné, comme à beaucoup de femmes de ma connaissance, et même d'hommes, d'ailleurs, ainsi que je commence à le constater.
Ce ne sont pas des machines qui peuvent m'augmenter, mais le ciel et ses nuages qui se déversent en moi depuis que toute petite, je les ai découverts par dessus les peupliers de la maison de mon grand-père, assise dans sa pelouse pleine de pâquerettes. Ses étoiles que des monstres voudraient nous cacher derrière un filet de satellites espions. La lune mystérieuse en tous ses états, et l'éblouissante Vénus, émissaire de la nuit et du jour. Les symphonies subtiles de la vie que nous volent moteurs pétaradants, tohu-bohus divers, de la débroussailleuse à la radio diffusant à tue-tête du vacarme pour meubler le vide des cervelles sous-alimentées. Les feuillages en toutes saisons, leur mouvements, leurs murmures, leurs nuances. Et en fin de compte, ce que Rilke appelait l'au delà des choses, cela qui les expire et les inspire, et vers quoi nous irons, avec le trésor de notre coeur.





mardi 19 mai 2020

La faux

Cet éclairage urbain a été photographié à Moscou. Design, n'est-ce pas? C'est drôle comme une civilisation entièrement basée sur le fric et la technique, sur le pouvoir et l'orgueil, bref entièrement satanique, secrète presque obligatoirement une laideur cauchemardesque et agressive, aussi bien sur le plan sonore que sur le plan visuel, mais l'oeil d'un poète, ou d'un mystique, peut lire dans la réalité qui nous entoure comme dans un grimoire. Les autres s'habituent, et même ils trouvent cela très bien, ils en redemandent. Dernièrement, j'ai vu une merveille architecturale romane,  et j'ai écrit dessous: "quelle chute! Dire que nous sommes partis de là, pour en arriver là où nous en sommes!" La personne qui avait publié la photo me trouvait sévère. Mais non!
Qu'un édile mette dans sa ville des lampadaires à qui ne manque plus que la mort drapée de noir du Septième Sceau de Bergman en dit long sur son état intérieur.
Du reste, le Mort elle-même prend peur, comme on le voit sur ce dessin mis en commentaire de cette photo parlante:
On a semé une telle panique que moi-même je prends peur.

  J'attends des colis depuis des temps et j'ai décidé d'aller à la poste, ce qui m'arrache toujours une côte. Devant la porte, dans la rue, au pied de l'escalier, je vois une dizaine de gens avec des masques. Ils attendaient leur tour. Parce que dans l'immense salle de cette poste, on ne les laisse entrer qu'un par un, et un seul guichet fonctionne. J'ai décidé que je reviendrais avant l'ouverture. Avoir affaire à la poste me décourage de commander par internet si ce n'est pas livré par un courrier ou récupérable à un point de distribution.
Dans la magasin où je suis allée ensuite, fruits et légumes, une affiche indiquait aussi d'entrer un par un, mais après avoir vu s'y engouffrer deux ouzbeks; j'ai décidé que c'était pour la galerie. Et à part les vendeurs, pas de masques.
Dans le magasin d'après, ni masques ni affiche.
Pour me remonter le moral, je suis passée chercher un "succès" au café français.
J'ai vu avec satisfaction que Sobianine et ses ukazes étaient remis en cause par le FSB et la procurature, ce qui est plutôt bon signe, d'autant plus que dans le même temps, j'ai aperçu un article sur des fuites d'or russe à l'étranger dans le cadre de la Sberbank qui pourraient préluder à l'éviction du dangereux et transhumaniste Guerman Gref.https://russiepolitics.blogspot.com/2020/05/le-fsb-et-la-procuratura-vont-jeter-un.html
Le système de surveillance de Sobianine contraignait les gens à envoyer un selfie au signal. On est chez soi, malade du Covid ou d'une simple affection ORL, qui suffit désormais à, vous soumettre à la traque, au lit avec de la fièvre, et ding ding! bondissez vite vous photographier, sinon 4000 roubles d'amende. Et si on n'a pas de smartphone? Il est évident que pour ces bienfaiteurs de l'humanité, il est hors de question de vivre sans. D'ailleurs à Moscou, sans smartphone, on ne peut pas payer sa place de parking, même avec, c'est très compliqué, de sorte que je me débrouille, ce qui devient très difficile, pour en trouver une encore gratuite, mais cela me décourage d'aller là bas.
Quand à Guerman Gref, adepte naturellement du vaccin et de ses conséquences, il serait celui qui le produirait, en lien avec des compagnies qui sont elles-mêmes en lien avec la fondation Gates.
Cela expliquerait pourquoi le traitement Raoult, ou son équivalent russe est "très très dangereux" ou "difficile à trouver".
Un type que je connais, que j'ai même rencontré, un soutien actif de Poutine et de la cause orthodoxe, s'est mis à faire l'apologie du vaccin en stigmatisant les obscurantistes qui s'y opposent. Je me suis fendue d'une intervention, en expliquant tout ce qui se passe en France, et le  traitement Raoult, et la propagande, et j'ai bien précisé que je n'étais pas une opposante de principe aux vaccins, mais là, mon opinion est faite sur l'escroquerie et la violence qui sont faites aux populations mondiales, et les conséquences sinistres qui se profilent. Pas de réponse de cet aimable personnage. J'ai fini par lui dire qu'il me décevait, car il devait sûrement savoir ce qu'il en était vraiment, mais faisait le jeu des mondialistes, lui que je prenais pour un patriote russe orthodoxe, et nous sortait des arguments pour imbéciles sur la variole et le tétanos. Je me suis fait traiter d'obscurantiste et de complotiste par une horde de trolls, mais cela ne me fait plus ni chaud ni froid. Comme me le disait une de mes connaissances, en France, on dirait que tous ces gens ont une feuille de route. Les réactons d'intimidation et de propagande sont partout les mêmes, en Europe, au Canada, et malheureusement, en Russie.
La plupart des gens que je connais me disent que s'ils sont malades, ils se soigneront tous seuls.
Enfin, si Sobianine et Gref giclent, la partie n'est peut-être pas perdue...
Hier, j'ai pris le thé avec Nadia, qui m'avait fait le ménage. Nous avons évoqué diverses personnalités ecclésiastiques, et un higoumène sévère, qui ne commence pas ses liturgies avant que tout le monde ne soit confessé, et il confesse en détail, en posant des tas de questions aux gens. De sorte qu'on finit par rester quatre heures à l'église, qu'au moment de la communion, on n'en peut absolument plus. J'ai connu moi saussi des adeptes du surmenage spirituel et des exigences rigides, du moralisme, et c'est une chose qui me dérange beaucoup plus que les mythiques "popes en mercedes". Nadia est très pieuse, pourtant, on peut dire qu'elle est assidue à tous les offices, mais cela la dérange aussi. Elle considère que le moralisme n'a rien à voir avec l'orthodoxie, et je suis bien d'accord, c'est un truc de protestants. De plus, la confession n'est pas un interrogatoire, et ne devrait pas se prêter à toutes sortes de commentaires, si on a besoin de discuter certaines choses, c'est avec le père spirituel que c'est censé se passer. J'imagine qu'il doit se produire des intrusions dramatiques dans la vie personnelle des gens, d'ailleurs, je ne l'imagine pas, hélas, je le sais.
J'ai appris récemment qu'une "mauvaise herbe", l'égopode, présente dans tout mon jardin, indéracinable, et d'ailleurs je ne déracine même pas, était comestible, et je l'ai cuisinée comme des épinards, en ajoutant un peu d'oseille, de la crème et un oeuf cassé dessus. En effet, cela a le goût des épinards, et je n'ai qu'à me baisser pour en cueillir, je ne vais pas m'en priver.


J'ai commencé à planter des légumes, mais je crois que j'ai fait des  bêtises. Comme on dit, la première crêpe est toujours ratée. Peut-être aussi que la famine n'est pas tout à fait pour demain, d'ailleurs, un jeune total et prolongé soigne, dit-on, des tas de choses. Je ne sais pas si les merisiers ont fini de fleurir, mais il fait toujours un froid de canard. J'ai vu avec satisfaction, qu'en plus d'avoir des prunes, j'aurais aussi pas mal de pommes, peut-être même des cerises, le malheureux cerisier que j'ai déplacé parce qu'il pourrissait là où il était va beaucoup mieux et fait des fleurs. Quand aux vaillants poiriers de l'année dernière, l'un se repose, mais l'autre va donner des fruits. Sous réserve d'aléas climatiques, évidemment.  Et question esthétique, cette année ce devrait être plus réussi que l'année dernière, tout ce que j'ai mis fait son trou. Mes animaux s'en fichent, ils sont heureux, j'espère qu'ils pourront finir en paix leur existence sous ma tutelle...



cette plante est-elle de l'artémisia?

dimanche 17 mai 2020

La floraison des merisiers

Merisiers en fleurs
Au moment où fleurit le merisier, on se caille toujours, c'est une loi locale. Donc, on se caille. Le ciel est variable et splendide, parfois d'un gris violet presque noir, sur lequel se détachent, illuminés, les éléments du paysage. Les nuages sont si volumineux, qu'on pourrait presque les pétrir et les tordre. Ils accumulent sur l'ombre de leur passage d'éblouissantes et folles excroissances, crèvent en pluie, tout à coup, une pluie rapide et violente, souvent pleine de lumière.
Je suis allée avec Katia voir un accordéon pour le fils de mes voisins, dans un village, mais je n'ai pas trouvé les vendeurs. Cela nous a fait cependant une promenade, ce qui ne m'était pas arrivé depuis le début de la folie furieuse du coronavirus. Quand on s'éloigne de Pereslavl, on trouve des endroits encore presque intacts, avec de très jolies isbas, et de tous côtés des forêts, aux feuillages neufs et tendres, d'un vert phosophorescent.
Désormais, nous sommes théoriquement tenus de mettre notre muselière et nos gants. Ainsi que l'a dit un politologue russe à propos des mesures draconniennes mais souvent incohérentes prises à Moscou, ceux qui les ont conseillées à Sobianine ont décidé de l'éliminer du paysage politique, tant elles le rendent impopulaire; et, insiste-t-il, elles n'ont pas de sens, car évidemment, les gens mettent généralement toujours le même masque et toujours les mêmes gants, pour qu'on leur foute la paix, et outre de les priver de respirer un air normal, cela ne les protège de rien. C'est en effet ce que je fais moi-même, j'ai le masque et les gants dans la voiture, derrière le pare-brise. Je les mets pour aller au supermarché Magnit.
La plupart des gens que j'ai autour de moi, et les commentateurs des articles des différents sites que je consulte, qu'ils admettent ou non la gravité de la maladie et son ampleur, sont absolument persuadés que c'est une manipulation internationale géante, que l'épidémie est voulue et utilisée pour des buts aussi ténébreux qu'inquiétants. J'en suis de plus en plus certaine moi-même. Je ne fais plus la moindre confiance aux divers gouvernements, ni à leurs fonctionnaires, ni à leurs médias. Les infos officielles racontent tous les jours de nouveaux épisodes du film d'épouvante, en nous annonçant que la suite sera encore pire et qu'on n'en sortira jamais; l'exagération épique devient évidente pour tous ceux qui ont encore un cerveau. Le site russe conservateur orthodoxe que je suivais perd toute mesure, et je vois avec consternation se mettre en place les mêmes mécanismes oppressifs qu'en France, et en occident en général, avec le vaccin obligatoire du milliardaire maboul et les calembredaines hystériques à propos de la chloroquine, utilisée avec succès par le professeur Raoult. Un de mes amis en a pris, il est sur pied, mais il m'a dit qu'elle était difficile à trouver, même pour les hôpitaux. Un autre a guéri sans elle, mais me dit que c'est un médicament "éminemment toxique" qu'on ne donne qu'en"toute dernière extrémité", c'est-à-dire quand il est trop tard.
Le problème de cette épidémie, c'est qu'on nous dit tout et n'importe quoi, inspirant une profonde méfiance à tous les gens sensés. L'humanité entière est dans le cas d'un homme malade, ou empoisonné, qui arrive dans la clinique d'un médecin fou. Evidemment qu'en le voyant se pointer avec une seringue, on n'est pas trop disposé à le laisser nous injecter n'importe quoi. C'est Tintin et le Lotus Bleu.
Je suis allée à l'église ce matin, on voit dans les rues des gens masqués, mais pas tant que ça. En revanche au retour, des policiers (masqués) surveillaient la rue principale, j'étais en voiture. Donc on ne m'a pas emmerdée. A mon avis, ici, cela ne durera pas, j'ai vraiment l'impression que cela casse les pieds à tout le monde, qu'on fait un peu semblant pour que les barons et les princes nous lâchent le tricot.
J'ai vu que le métropolite Hilarion en remettait une couche, tançant et menaçant de sanctions les prêtres qui officient et laissent venir les fidèles. Mais pas un mot sur tout ce qui se passe derrière, alors qu'un prêtre célèbre pour ses homélies, le père Tkatchev, appelant les orthodoxes à la prudence et à la raison, ce qui en somme est normal, a mentionné que le truc était douteux, manipulé et objet d'une grosse propagande. Mais pas le métropolite Hilarion, qui nous vend la soupe officielle. Et si les choses en viennent à la puce électronique, il va nous conseiller de l'accepter? D'après un article russe, le pape l'aurait déjà fait.
Se rend-il compte de l'abîme qui se creuse entre lui, le patriarche et le reste de l'Eglise? Les gens ne disent rien, mais je sens qu'ils n'en pensent pas moins.
Il y a quand même un contingent de personnes qui gobent tout cela. Mais la peur de la maladie, je ne pense pas qu'à long terme ce soit la bonne ficelle pour faire marcher les gens, les idéologies avaient quand même une façade plus motivante, le bonheur des peuples, la volonté de puissance, le progrès exponentiel; là, on dirait qu'il n'y a plus rien au magasin des marchands d'illusions, juste la peur de la mort, allez, restez chez vous, à la niche. Il viendra forcément un moment où l'exaspération aura raison de la peur.
Mais enfin évidemment, si ce moment vient quand nous serons tous bouclés dans notre camisole de force électronique, ce sera peut-être trop tard.
Une Russe me dit que nous, les croyants, serons invisibles sous le manteau protecteur de la Mère de Dieu et que je ne suis pas seule. On me raconte aussi, dans un autre genre, que se constituent des cellules clandestines de partisans.





samedi 16 mai 2020

Assimilation

On m'appelle aujourd'hui au téléphone: "Guillon, Laurence, Marguerite, Madeleine?
- Oui?
- C'est le service d'immigration de Pereslavl. "
Mon sang n'a fait qu'un tour: qu'est-ce qu'on me voulait donc?
La voix continue: "Vous vous souvenez de moi? C'est moi qui ai enregistré votre permis de séjour...
- Oui, oui...
- Je voulais savoir, votre adorable petite chienne n'a pas fait de petits?
- Ah non, et du reste, elle est maintenant en chasse, je vois revenir l'horrible basset qui m'indique que c'est le moment.
- Laissez-moi lui trouver un fiancé, j'ai tellement envie d'avoir de nouveau un spitz!"
J'avais chez moi Natacha, qui discutait de la traduction de mon livre, et à qui l'adresser éventuellement, quoique naturellement, je me demande si l'espèce de cauchemar de science-fiction hollywoodienne qui se met en place me laissera le publier, d'autant plus qu'il n'est pas précisément porteur des valeurs de Bill Gates, Soros ou Guerman Gref.
Sous une photo ancienne de paysannes russes en costumes traditionnels, sur un site prônant le retour à la terre, une jeune Russe branchée avait écrit: "Est-ce le peuple russe, on dirait des extraterrestres". J'ai répondu: "Bien sûr, c'est ça le peuple russe, et les extraterrestres, c'est nous.
- Mais non, me répond-elle, les gens se sont assimilés, ils portent des fringues de marque, ils écoutent de la musique branchée...
- Ils se sont assimilés, c'est vrai. Assimilés à quoi? En France aussi, ils se sont assimilés, les citoyens du monde. Mais ils ne sont plus russes ni français, ni même tellement humains, ce sont des extraterrestres. Les vrais Russes, et les vrais Français ce sont ceux qui ne sont pas "assimilés".
Tout de même c'est extraordinaire ce terme d'assimilés... Un terme que l'on emploie pour les étrangers arrivés dans un pays. C'est-à-dire que cette fille qui ne sait même plus d'où elle sort, ignore ses ancêtres et leur culture, s'est assimilée, à l'intérieur de son pays, à ce qu'on nous propose partout, la contrée transnationale de l'imbécile hagard bientôt dument pucé et répertorié, mais à côté de cela, il reste les Russes, ceux qu'elle ne connaît pas, les Russes non assimilés que moi, je fréquente.
La veille, j'avais discuté avec Katia, venue m'aider, sur le même thème. Elle me disait: "La Russie n'existe plus qu'en tant qu'entité spirituelle". C'est sans doute vrai, et c'est déjà ça, c'est l'histoire de la ville invisible de Kitej. Quand j'avais ma datcha au village de Krasnoïé, j'avais accompagné ma vieille voisine sur la tombe de son fils, car elle ne pouvait plus marcher jusqu'au cimetière. Je l'avais attendue à distance, pour ne pas la gêner dans ses dévotions, en faisant un dessin sur le bord du chemin. Et j'avais entendu de loin des lamentations déchirantes, à pleine voix. Quand je l'avais rejointe, elle m'avait dit, en montrant les tombes autour d'elle: "Tu vois, tout le village est ici, il y a plus de monde sous la terre que dessus".
Et en effet, mais aussi bien les folkloristes que les orthodoxes, nous ne sommes pas séparés de ceux qui sont sous la terre et au ciel, comme les "assimilés", comme les extraterrestres qui n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre. Nous formons tous ensemble avec eux la sainte Russie, la ville invisible de Kitej qui survit dans les décombres prérévolutionnaires et parmi les monstres post-révolutionnaires. Mes petites élèves, les filles du cosaque, m'ont dit: "Nous avons toujours eu l'impression que de quitter son pays était une trahison...
- Pour moi, on trahit son pays quand on essaie de lui nuire et de le déprécier, où qu'on soit, ce que je ne fais pas. C'est votre père qui pense cela?
- Oh non, il vous trouve super, une vraie patriote de la Russie.
- C'est vrai, je suis patriote de la Russie, et je ne renie pas la France, parfois, je ne la reconnais plus, mais nous sommes tous touchés par le même processus. Cela dit, pour ressusciter la France, selon le rêve de votre père, je ne sais pas dans quoi m'inscrire, car la France a été catholique pendant des siècles, et je ne le suis plus, je ne l'ai même jamais vraiment été, je suis passée du paganisme grec à l'orthodoxie, et si je puis dire, au delà de la Russie, je suis patriote de l'orthodoxie. C'est un peu inconfortable, mais il me faut bien l'assumer."
Je m'amuse bien, avec mes deux gamines. Elles m'écrivent en français des résumés historiques, et je leur fais traduire des recettes de cuisine. Hier, j'ai essayé de parler et de les faire parler. C'est la pratique et la prononciation qui pèchent le plus, chez elles.



mardi 12 mai 2020

Un peu de grâce

Deux jours de soleil, et je ne pouvais rester dans la maison, tant j'avais besoin d'être dehors, j'avais besoin d'air, de lumière, et quand il fait beau, ici, cela prend une sorte de caractère mystique, car c'est rare, et même les bonnes années, cela ne dure pas bien longtemps, on a l'impression de déboucher au paradis, et soudain, plus rien n'a d'importance. On reste dans le fil du vent, qui était d'ailleurs violent, mais tiède, et l'on regarde le ciel, les pruniers en fleurs, d'abord un semis de perles blanches, puis un lacis de dentelles, et d'ici deux jours tout cela sera déjà fané, les feuilles apparaîtront, les pétales s'envoleront. J'aurai cette année très peu de poires mais beaucoup de prunes, si le gel ne compromet pas la récolte. Les jonquilles sont magnifiques, et il en faudrait beaucoup plus, et des tulipes apparaissent, les renoncules s'annoncent. Au fond, d'être vieux permet de savourer chacune de ces joies contemplatives, la joie d'exister. Certes les nuages s'accumulent, et des créatures des ténèbres cherchent à nous priver de cette simple et intense joie, toutes créatures confondues, puisqu'ils détruisent la vie sauvage, et créent un enfer aux animaux et aux humains réduits à un matériel exploitable. Mais chaque minute d'extase que je leur vole me rapproche de la Source qui vivifie tous ceux qui viennent y boire, c'est-à-dire ceux qui la cherchent au lieu de gaspiller leur vie à empoisonner celle des autres.
Mon petit voisin Aliocha m'aide à répartir,  sur mon futur potager, et en certains endroits du jardin, qui réclamaient un apport, la tonne de terre qu'un aimable ouzbek a déversé devant ma palissade. Je veux lui offrir un accordéon pour le récompenser, car son père pourrait lui montrer comment s'en servir, et tous deux sont désoeuvrés par le coronavirus. J'ai vu une occasion dans un village, une veuve qui vend celui de son mari.
J'avais chez moi un jeune homme qui voulait absolument fuir la vaccination, le puçage et l'ordre  mondial de l'antéchrist au fin fond du nord, contre l'avis de sa tante et de sa mère, car il a de sérieux et chroniques problèmes de santé. La tante est arrivée à le retenir un mois. Puis elle est venue le rejoindre ici, et il est parti avec le jeune сonducteur qui l'avait amenée. Ils ont fait leur quatorze heures de route sans encombre, mais une fois sur place, où le printemps n'est pas encore vraiment arrivé, ils ont été arrêtés par un fleuve en crue, aucun moyen de le franchir pour arriver dans la bourgade perdue où on lui prête une maison. C'est drôle, ce réflexe qui subsiste chez les Russes de filer se réfugier dans le nord comme au temps des Tataro-Mongols. En réalité, si j'étais plus jeune, je partirais peut-être aussi, l'appel du nord et de sa rude et magique liberté est puissant, mais sans doute déjà illusoire, car les modernes Tataro-Mongols nous mettent tout nus sur la paume du diable, sans aucun moyen d'échapper à l'oeil de Sauron-Soros-Gates and co.
Le jeune homme revient donc, et va rester encore chez moi quelques temps. Je pense qu'il pourrait, sans aller aussi loin, trouver un village, ou mieux une communauté, par ici. De toute façon, maintenant, si Dieu n'intervient pas, rien ne pourra plus nous soustraire aux investigations de la caste maudite.
En attendant, je vis. Je vis des moments d'intense bonheur, il me suffit pour cela d'un peu de lumière et de vent, et de quelques fleurs. Ce beau temps nordique, si loin des fêtes printanières méridionales, a de sévères enchantements, une sorte de douceur fervente, mystérieuse, retenue qui se répand, pleine de grâce.



samedi 9 mai 2020

Bonne fête de la victoire!

Le jour de la victoire, me voici invitée cette fois chez le cosaque Alexandre et sa nombreuse famille. A vrai dire, Alexandre n'est cosaque que d'adoption, son père est Estonien, sa femme Natacha, en revanche, a vraiment des origines cosaques. Les enfants étaient tous habillés façon militaire, les portraits des grands-parents vétérans étaient disposées près du coin des icônes, et tout le repas a été émaillé de chansons et de discours patriotiques. Alexandre faisait même avec ses enfants du commentaire de textes, pour leur faire comprendre l'arrière-plan historique. Tout le monde espère que Poutine ruse, et que le jour où il aura les mains libres, la Russie renaîtra. "Vous comprenez, me dit Alexandre, nous devons le croire, nous devons le croire pour élever nos enfants correctement, pour élever des enfants qui défendront leur patrie, car Stolypine disait qu'un peuple qui n'a plus foi en lui-même devient le fumier qui engraisse ses remplaçants." Les enfants sont très bien élevés, et ils se préoccuppent toujours de leurs frères et soeurs, pensent à ce qu'ils soient servis, à ce qu'on leur donne autant qu'à eux-même. Périodiquement, nous nous levions et chantions "le jour de la victoire", "les trois tankistes",  "la Moldave au teint mat", tout le répertoire y est passé. Le grand-père me cherchait sur le comportement des Français, visiblement, il pensait qu'ils ne s'étaient guère battus, juste une poignée de résistants. Je lui ai répondu que nous avions été laminés par la guerre de 14, et que nous étions occupés...
Après le repas, Alexandre a voulu que nous allions tous faire des photos près du monument de la victoire, fleuri et gardé par une policière obligeante qui s'est chargée de l'opération. Nous étions au bord de la rivière miroitante, avec l'église de la Protection qui se laissait encore deviner au travers des nuages verts diffus des bourgeons éclos.
Alexandre part du principe qu'un président nous est donné par Dieu en fonction de notre état spirituel, et c'est donc à nous de le rendre meilleur par notre propre perfectionnement. J'ai objecté que dans certains cas, la tâche était surhumaine, mais il y tient beaucoup. Il faut tout donner à son pays, sa vie, ses enfants, il n'est pas du tout prêt pour le globalisme. Comme nous évoquions cette guerre qui ne dit pas son nom des grands malfaiteurs de la caste transnationale contre les populations, et que je soupirais après les snipers providentiels qui pourraient nous en débarasser, il m'a dit: "ces snipers, il faut les mettre au monde; et il faut les élever."
Ils vivent pauvrement, dans un appartement qui aurait besoin d'être réparé. Mais c'est manifestement une famille heureuse, digne et normale. Je n'ia quand même pas de veine, car aujourd'hui, c'est un enfant qui m'a renversé un verre de kvas sur ma jupe!





Jubilée

photo éparchie de Pereslavl
Nous avons fêté les soixante ans du père Andreï, à la cathédrale avec l'évêque, puis le lendemain, chez le père Andreï, avec le sacristain et les membres du choeur. Parmi ces membres, une jeune fille très jolie et très fraîche, Lisa, qui "rêvait de me rencontrer" et qui chante dans la lignée de Lydia Rouslanova ou de Lioudmila Zykhina. Elle fait des tournées à travers la Russie et même à l'étranger. La partie masculine de l'assistance, complètement bourrée, était en proie à une logorrhée aussi torrentielle qu'affectueuse. J'ai quand même réussi à parler un peu avec la jeune fille, auprès de laquelle j'étais allée m'asseoir, après avoir reçu, dans les échanges de grands gestes qui accompagnaient les discours, un verre de cognac sur ma manche, et une tasse de thé sur les genoux. Voulant emporter des assiettes à la cuisine, j'ai été suivie par Ritoulia.  L'innocente s'est heurtée à la chatte de la maison, qui a une portée de chatons, et s'est métamorphosée en tigre du Bengale. Elle s'est jetée sur ma malheureuse chienne qui jappait avec épouvante, et pour lui éviter d'être éborgnée, je l'ai soulevée au péril de ma vie, et j'ai reçu deux profondes griffures. Les bonshommes se sont répandus en excuses et les femmes en conseils. On m'a arrosé la main de cognac, de désinfectant, puis encore de je ne sais quel produit, en la recouvrant de serviettes en papier, et le sacristain la baisait avec vénération entre chaque couche, en versant encore une dose de liquide alcoolisé spiritueux ou pharmaceutique.
Après quoi, au moment de partir, ma roue était à plat, et le sacristain l'a obligemment changée. Cet homme, qui a toujours l'air très sévère à l'église, était complètement transformé, plus qu'aimable, carrément sentimental. Ils étaient tous très sentimentaux, d'ailleurs. "Laissez-moi vous embrasser, vous n'avez pas peur du coronavirus? me disait-on.
- Ben si, quand même, un peu...
- Oh pour l'avenir qui nous attend, un an de plus ou de moins... Nous sommes entre les mains du Seigneur!
- Certes, mais je voudrais vivre assez vieille pour enterrer mes chats..."
Du coup, je suis allée au "chinomontaj" faire réparer ma roue, qui n'avait rien, on me l'a juste regonflée. Et au "Magnit" voisin faire des courses, avec masque et gants. A la sortie, je vois l'infirme habituel, dans son fauteuil roulant, et je cherche dans mon sac, ce qui avec des gants n'est pas facile. "Je sens que vous allez me donner de l'argent, dit-il. Enlevez donc votre équipement. Qu'est-ce qu'on en a à foutre de leur virus? Les vrais problèmes, c'est que les prix n'arrêtent pas de monter, et que Poutine a perdu la partie".
Le soir-même j'ai appelé mon père Valentin, et lui ai rapporté les paroles du mendiant. "N'importe quoi, s'est-il écrié, Poutine contrôle parfaitement la situation, le gouvernement agit correctement, c'est pourquoi nous avons beaucoup moins de victimes qu'en occident, Le virus existe, le père Théodore a été malade, maintenant c'est le père Valéri qui est touché." D'après lui, le vaccin russe ne sera pas le vaccin de Bill Gates, les Russes ne seront jamais des Chinois, ils ne feront pas partie du Nouvel Ordre Mondial, et il n'y aura pas de puçage électronique en Russie, impossible. Je ne demande qu'à le croire, mais au vu de ce que je vois passer, je n'en suis pas tellement convaincue. Et je me souviens que lorsque je redoutais la trahison de Bartholomée, il me répondait que certainement pas, que c'était juste un fin diplomate qui rusait avec les Américains. De plus, le fait qu'on agite un vaccin, quand le professeur Raoult et d'autres distingués virologues, y compris ici, disent que le virus ne s'y prête pas, et qu'un traitement existe, dont l'équivalent russe a été approuvé par décret, m'inspire une réelle méfiance, sans parler des créatures des ténèbres qui tournent autour de tout cela. Cependant, je ne nie pas que le virus existe, quelle que soit son origine et les manipulations auxquelles il donne prétexte, et regrette les deux extrémismes, ceux qui le nient, et ceux qui en font un instrument d'intimidation et de conditionnement.
Après cela, je suis tombée sur les photos des félicitations du père Andreï à la cathédrale, où il est très aimé, sur un film de la télé locale, où d'ailleurs je figure, sur le parvis. La joie, l'amour qui se lisent sur les visages de ceux qui lui portent fleurs et cadeaux, lisent un compliment, les enfants des cosaques, le petit Gricha, la petite Yevdokia, sur le fond du déjeuner alcoolisé dont je parle précédemment, m'ont fait une fois de plus prendre conscience de ce que c'est que l'Eglise. Tous ceux qui sont en dehors d'elle en exigent qu'elle soit une communauté de saints irréprochables, alors que s'il est des saints parmi ses membres, elle est surtout une mise en communion de pécheurs souffrants qui essaient cahin-caha de suivre le Sauveur en lui faisant constemment d'impuissants signes d'excuses. Sur les photos, les péchés et les défauts disparaissent derrière la ferveur touchante des expressions, l'affection, la fraîcheur des jeunes et des enfants, une fraîcheur qu'on ne voit plus guère aux rejetons maussades et prématurément dégradés et blasés des consommateurs mécréants. L'Eglise n'est rien de plus que l'humanité du Christ, celle qui écoute son appel comme elle peut, et le suit en procession, une procession millénaire de gens divers, du mendiant au saint prince ou au prince pas saint, mais chrétien quand même, comparable à la foule qui, à la fin du livre "les Quatre Vies d'Arsène", suit le sublime cadavre du starets, dans son dernier chemin jusqu'au marécage, où il a demandé à être jeté. Et cette Eglise, cette humanité christique tirée et poussée par ses saints, encouragée et consolée par eux, trébuchante, souffrante, réticente, entre l'élan de foi et le découragement, entre la chute et la repentance, avec tous ceux qui la composent, et qui individuellement peuvent être décevants, irritants, tout ce qu'il y a de plus critiquables, mais qui néanmoins continuent à cheminer, c'est tout ce à quoi je tiens en ce monde, c'est là mon peuple, dont le Christ est le roi et nos hiérarques les princes. Qu'avons-nous à faire de l'homme nouveau, du surhomme ou de l'homme augmenté? L'homme nouveau est celui qui a vaincu en lui le vieil homme, le surhomme est l'homme transfiguré, l'homme augmenté est celui qui a acquis le Saint Esprit et sa grâce. Le reste n'est que parodie démoniaque aux effets atroces. L'Eglise essaie, elle est faite de gens qui essaient, qui boitillent pas à pas. C'est même la seule différence notable entre cette humanité là et l'autre. Mais c'est une grosse différence. Ainsi, Gilles de Rais torturait et violait des enfants, mais il est allé au bûcher en pleurant et en implorant le pardon des parents. Ivan le Terrible fut un tsar dur et cruel, mais il éprouvait des remords et construisait de magnifiques églises, composait de très belles stichères. Nos modernes prédateurs sont tellement investis par le démon, qu'on ne peut même plus discerner en eux quoique ce soit d'humain. Ils n'ont reçu aucun des anticorps spirituels qui aurait pu garder une étincelle d'humanité dans leur carcasse ténébreuse et malfaisante. Et les gens sur lesquels s'exercent leur violence, leur séduction et leur fourberie n'ont pas non plus de défense, ni de discernement, et ne forment plus de communauté.
Les romans de Dostoievski sont entièrement façonnés par cette idée de la communauté chrétienne, où les uns sauvent les autres et quelquefois les perdent, où personne n'est parfait, et personne n'est exclu, et j'ose espérer que le Christ recevra toute son Eglise, à bras ouverts, tous ceux qui l'ont plus ou moins suivi, ou rejoint au dernier moment, ou pour lesquels des proches auront prié. Et de mon côté, c'est toute l'Eglise que j'aime, c'est la seule représentation tangible que j'ai de son Chef sur cette terre, avec les icônes qu'elle porte en procession depuis pratiquement les catacombes.

Photos éparchie de Pereslavl