Après 16 ans passés en Russie, un retour en France pour soigner ma mère, j'ai pris la décision de retourner là bas, et ouvert ce blog pour témoigner de ce que j'y vois au jour le jour, à Pereslavl Zalesski, petite ville historique et touristique entre Moscou et Iaroslavl. Ceci est le premier article de ce journal.
Arrivée de nuit, sous la pluie battante, avec mes trois
chats traumatisés et mon petit chien, je ne peux pas ouvrir mon portail
branlant. Sous le triste éclairage de quelques réverbères, des maisons de bois
et des arbres frileux bordent la roue boueuse : bienvenue en Russie.
Dans la maison, c’est le vrai chantier, on se gèle, et il
n’y a pas de lumière. Celui qui dirige mes travaux, Kostia, fête l’anniversaire
de sa femme et arrive à la rescousse sans grand enthousiasme, pas vraiment dans
l’ambiance. Je dors sur le sol, dans un sac de couchage prêté par une amie
Facebook venue m’accueillir. Les chats sont terrifiés dans leurs paniers,
surtout Rom, le Français de Cavillargues, un soldat de Napoléon après la
Bérézina…
Le lendemain, Kostia m’emmène faire des courses et déjeuner
dans le centre commercial du coin : le serveur est tout à fait beau
garçon, souriant et spontané. Je retrouve l’ambiance russe, les constructions
anarchiques autour des églises, les rues boueuses, cette nonchalance
excentrique du paysage et des gens, leur simplicité et leur naturel.
Nous rencontrons le plombier, car je n’ai pas de salle de
bains digne de ce nom, elle a été bricolée au temps où saint Joseph était
garçon, et elle est à présent tout à fait délabrée. Ah le plombier, mesdames…
Je n’en reviens pas. Des yeux verts magnifiques, ironiques et caressants, un
sourire enjôleur : « Ne vous en faites pas, me dit ce bel artisan,
vous avez échappé à l’Europe maudite et vous êtes à l’abri chez nous, n’est-ce
pas le principal ? (il fait un large signe de croix).
Réjouissez-vous ! Je vais vous faire une douche vite et bien, et vous
l’aurez pour toute l’éternité, l’ETERNITE ! Une douche du modèle qui
répand sur vous une pluie bienfaisante et c’est la BEATITUDE… Vous savez ce que
ce mot veut dire ? Quoique moi, à votre place, j’aurais fait une
baignoire, car comment allez-vous saler vos champignons ? »
Kostia m’explique que ce plombier, Rouslan, à
la fossette et au sourire ravageurs, est un intellectuel et qu’il a failli devenir moine.
L’électricien, Kolia, me demande des cours de français, et il est tout à fait
mignon et sympa, lui aussi, à vous faire oublier qu’il ne met qu’un seul va-et-vient par pièce et que les prises sont au milieu des panneaux. Son collègue
Andreï aurait pu tourner dans Alexandre Nevski. Je ne suis pas près de
reprendre tranquillement le fil de mon roman, mais dans les péripéties de mon
chantier, je suis entourée par le casting d’un film d’Eisenstein…
Près de l’église saint Syméon le Stylite, j’ai pris un taxi,
une jeune femme, Sveta : «Ce n’est pas juste pour une course, vous allez
circuler un peu ? me demande-t-elle.
- C’est pour plusieurs courses, j’ai besoin d’un lit
d’urgence et de quelques autres choses… »
Pendant que je vais dans les magasins, la jeune femme s'assied près de mon chien pour qu’il ne s’ennuie pas. Elle me laisse son
adresse : elle peut m’accompagner où je veux, à Moscou, chez Ikea, à
Iaroslavl : «N’achetez pas de voiture, je suis à vos ordres ! »
J’achète trois paniers pour mes pauvres chats, de la marque
« nos régions natales », avec une inspiration folklorique, et de
production russe. La production russe est partout, à Pereslavl. Mon divan est
russe, ma chaudière le sera aussi, la cuisinière et le frigo seront
biélorusses, mais c’est quasiment pareil.
Le camarade Rominet devant son panier de style porcelaine de Gjel, en attendant la veste ouatinée , la chapka et les bottes de feutre. |
Le temps est vraiment merdique. Gris, brumeux, pluvieux,
boueux. Les mésanges passent devant ma fenêtre, il faudra bientôt les nourrir.
Tout le monde parle de la venue de l’hiver et s’y prépare.
J’ai l’impression de rejouer à l’envers l’exode des nobles et intellectuels russes, après 17.
Les gens ne sont pas du tout surpris, comme si j’étais la première hirondelle.
On évoque l’Europe avec une ironie compatissante. On me demande comme si cela
allait de soi si j’ai l’intention de rester, et on rigole quand je
réponds : «Oui, si l’on ne me fiche pas dehors… »
Finalement, c'est Doggie qui préfère les petits lits "nos régions natales". |
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