C’était la fête de la naissance de saint Jean
Baptiste et l’anniversaire de la mort tragique de l’higoumène Daniel qui
dirigeait il y a quelques années le monastère saint Daniel. Je suis donc allée
là-bas, à cette occasion. Je pensais que l’higoumène avait été tué par un
repris de justice qu’il avait hébergé par charité chrétienne, mais il semble
que ce soit plus compliqué que cela. Lioudmila, rencontrée sur place, parle de
satanistes, comme dans le cas des trois
moines de la Pâques sanglante d’Optina, dans les années 90. D’après les
commentaires divers, l’enquête aurait repris, mais personne ne croit que le
crime sera élucidé. L’higoumène Daniel était considéré par les fidèles comme
une « icône vivante », il était humble et simple, son monastère sans
grandes ressources.
Le service
funèbre à l’extérieur, devant la croix de pierre blanche, parmi les vénérables
églises, sous le ciel parcouru de nuages agités, qui passaient en courant de
l’ombre à la lumière, m’a beaucoup émue. Au moment où l’on chantait
« Mémoire éternelle », le soleil a inondé et réchauffé notre
assemblée et illuminé les façades. Pereslavl semble si paisible, mais le diable
est à l’œuvre partout, et l’higoumène ascétique dont tout le monde vénère le
souvenir, et qui avait prévu sa mort, a été sauvagement égorgé par un
mystérieux assassin, si ce n’est pas le repris de justice soupçonné tout
d’abord.
J’ai lu sur
la page de l’éparchie de Pereslavl-Ouglitch qu’un novice abordé par des
journalistes indiscrets au moment du drame avait, après un moment de stupeur
silencieuse, éclaté en sanglots comme un
enfant : « En lui se trouvait tout ce qu’on peut chercher de
meilleur, de plus pur et de plus clair… »
A Pereslavl, des saints continuent à apparaître, à jalonner la vie de la ville de leurs modestes et claires existences, après saint Constantin martyrisé par les bolcheviques, l'higoumène Daniel, massacré pour on ne sait encore quelles ténébreuses raisons.
Il ne fait vraiment pas chaud, on a l’impression
que l’été a duré trois semaines au mois de juin et que maintenant, ce sera
l’automne jusqu’au mois de novembre, un automne de cinq mois… Mais le festival
de nuages somptueux se poursuit. Je suis
allée à Rostov fêter l’anniversaire de Liéna avec notre groupe d'apprenties folkloristes. Elle avait une ravissante robe
typique à carreaux rouge foncé et bleu marine qui lui allait très bien. Nous
avons chanté de manière intensive, et quand elles ont commencé à danser, j’ai
exprimé le refus total de la vieille carne : « Pardonnez-moi, mais
non. Je suis crevée et j’ai encore une heure de route à faire pour rentrer.
J’ai au moins vingt ans de plus que vous et des rhumatismes. Pour la danse et tout ce qui demande d’être
en forme, la prochaine fois, mettez ça au début de la séance ! »
Toute l’équipe s’est confondue en excuses. Mais l’on oublie souvent que je suis une
vieille bonne femme. Or le matin, j’avais fait le ménage de fond en comble pour
l’arrivée de mon artiste-peintre. Nadia, qui avait proposé de m'aider, ne s’était pas réveillée. Le jeune Kolia, envoyé par Kostia en urgence, est venu terminer l’électricité, que le mari de la gérante du café m'avait laissée en plan, avec le père
Andreï, celui qui est beau garçon, dans le genre très russe. Ils ont été impeccables. Kolia m’a parlé politique :
« Ne vous en faites pas, Laurence, la Russie en a vu d’autres, ils n’ont
pas encore notre peau. Nous sommes en train de fonder un nouveau parti
patriotique, et nous allons réveiller tout ça. De temps en temps, nous avons
des creux de vagues, mais ça va remonter, vous aller voir. »
Au retour de Rostov, Katia et moi avons vu un ciel
fantastique au dessus du lac Nero, et nous sommes arrêtées pour le contempler
et le photographier : double arc-en-ciel, nuages de plomb et d’or, ourlés
d’un bleu étrange, presque d’un autre monde… Sur la route, je voyais du coin de
l’œil que la fête se poursuivait, mais je ne pouvais pas bien la regarder, sous
peine de me payer un camion.
Mon artiste et sa mère sont extrêmement gentilles,
très émotives et elles me prennent pour une maîtresse-femme alors que je suis
prête à payer quelqu’un pour aller dans les administrations à ma place et que j’éclate
en sanglots sur mon bricolage en demandant à Dieu ce que je lui ai fait pour qu’il
ne m’ai jamais donné le mari que je lui réclamais tous les jours et auquel j’étais
prête à faire la cuisine et le repassage, pourvu qu’il me délivrât des
tournevis, des perceuses, des relations avec les garagistes, les artisans et
les bureaucrates, et m'évitât d'aller bosser à l'école... Quand on n'est jamais aidé, on s'aide tout seul, et les gens vous croient fort, alors que vous êtes simplement seul. Marche ou crève.
.
Si cela peut vous consoler, vous auriez pu aussi tomber sur un prince charmant incapable de planter un clou, qui a une phobie administrative, qui lorsque vous êtes malade n'amène pas votre bagnole au contrôle technique puis la laisse tomber en ruine,parce que vous vous n'osez plus avoir à faire au garagiste mais que lui estime que vous devez le faire, etc...
RépondreSupprimerOui, bien sûr, et aussi sur un alcoolo qui me file des trempes!
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