Katia |
Mes copains avec qui je chantais dans l'ensemble 3D avaient choisi de s'habiller d'une manière loufoque et hétéroclite, pour éviter l'écueil du costume typique. C'est le choix de l'excellent groupe Ottawa Io. Notre petit ensemble a pour l'instant le look de la plupart des bonnes femmes qui se retrouvent pour des fêtes où l'on ressort les vêtements d'autrefois, tellement plus dignes et jolis que les nôtres.
Chaque fois que nous nous allons chez Liéna, elle nous prépare des tartes aux myrtilles et des pirojki, du thé d'épilobe qu'elle fait elle-même, elle a toutes sortes de recettes d'herboriste, comme beaucoup de Russes. Les prix de son mari étant très raisonnables, je vais lui commander des encadrements de fenêtre traditionnels pour ma maison. J'aurai une vraie maison russe au milieu des "cabanes au Canada" recouvertes de plastique, des châteaux américains à tourelles et des cottages pseudo-allemands.
Nous avons fait un tour à pied, après notre séance de chant, que de jolies maisons subsistent encore à Rostov... Et une belle petite église du XVII° siècle, qui faisait partie d'un monastère, dont il ne reste plus grand chose.
Je regrette parfois de ne pas m'être installée dans une de ces communautés où les gens se rassemblent pour recréer la Russie agraire perdue et ses usages, et j'aurais quinze ans de moins, j'en rejoindrais une, par exemple Davydovo. Mais déménager me semble au dessus de mes forces. Pourtant, l'avantage, c'est qu'en attendant la fin du monde, on ne voit aucune maison hideuse, aucune manifestation de la modernité dans tout ce qu'elle a de révoltant.
Cela tente Katia, mais elle voudrait avoir un mari avant de se lancer. Mauvais calcul. Elle peut vivre des années à Moscou ou à Pereslavl sans trouver personne et rencontrer l'homme de sa vie à Davydovo. Moi aussi, j'avais peur du coin de campagne perdu sans avoir trouvé le merle blanc au préalable. Moyennant quoi, non seulement j'étais seule et le suis restée, mais en plus, j'ai passé des décennies dans un milieu urbain que je déteste. Il est vrai qu'en France, il me fallait aussi trouver un coin perdu avec une église orthodoxe, ici, ce n''est pas dur, car ce sont souvent des prêtres qui sont au coeur des communautés de néo ruraux.
Mon électricien m'a dit: "Mais Pereslavl, c'est bien aussi, pour attendre la fin du monde, vous allez voir, on va tout reprendre en mains, et vous avez bien raison de faire des encadrements de fenêtres russes, ici, on n'est pas chez les Américains..."
En chemin, nous avons parlé du temps, Katia avait été très impressionnée par une conférence sur la "Recherche du Temps perdu" qu'elle avait découverte à cette occasion, et nous avons toutes deux pris conscience par différents canaux, que présent et passé sont inséparables, le premier étant l'écume, la surface du second, et l'avenir le résultat de leur interaction. Donc qui n'a pas de passé, n'a pas non plus de présent, ni bien sûr d'avenir, et partant de là, pas d'éternité non plus, et c'est là ce que nous ont préparé deux ou trois siècles de progressisme matérialiste, nous volant notre existence, avec tous les prolongements qu'elle est censée avoir, en un mot notre âme, notre destin spirituel, et celui de ceux qui nous ont enfantés, et avec lesquels nous ne sommes plus reliés. Quand on prend conscience de cela, on ne se laisse plus complexer ni intimider par ceux qui nous traitent de passéistes et nous parlent des lendemains qui chantent. On n'en a plus rien à foutre. On est passéiste avec la plus grande sérénité car retrouver notre passé nous fait entrer dans l'éternel présent, toujours renouvelé.
« Lorsqu'on se rappelle, on établit en soi un miroir intérieur pour y refléter le passé ; lorsqu'on"écoute en silence" dans l'état de contemplation, on fait aussi de sa conscience un miroir, mais ce miroir a la tâche de refléter ce qui est en haut. C'est l'acte de se rappeler dans la verticale. Il existe en effet deux espèces de mémoire : la "mémoire horizontale", qui rend le passé présent, et la "mémoire verticale", qui rend ce qui est en haut présent en bas, ou selon notre distinction entre les deux catégories de symbolisme, la "mémoire mythologique" et la "mémoire typologique". Henri Bergson a parfaitement raison lorsqu'il écrit de la mémoire horizontale ou mythologique : "La vérité est que la mémoire ne consiste pas du tout dans une régression du présent au passé, mais au contraire dans un progrès du passé au présent " ("Matière et Mémoire" p. 269; ¨Presses Universitaire de France, Paris, 1946) - et aussi : "...le souvenir pur est une manifestation spirituelle. Avec la mémoire nous sommes bien véritablement dans le domaine de l'esprit." (p. 270-271). »
[Valentin Arnoldevitch Tomberg (Saint-Pétersbourg, 1900 – 1973)]
J'ai vu que ma deuxième rose-trémière fleurissait, elle est quasiment noire. Je me demande de quelle couleur seront celles qu'on m'a données cette année. Je voudrais en avoir des roses pâles et même des blanches. J'en ai une qui a poussé toute seule, je l'ai découverte aujourd'hui. Donc, l'invasion des roses-trémières commence, je la préfère nettement à celle des migrants.
La maison de Liéna. Son mari l'a agrandie, et c'est lui qui a fait les encadrements de fenêtres. Le toit de tuile métallique reste discret... |
la petite église |
A Rostov, on est encore en Russie: deux grands-mères au milieu des flox. Elles nous ont expliqué comment en obtenir à partir d'une tige qui donnera des racines |
une petite merveille.... |
la rose-trémière noire |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire