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lundi 11 novembre 2019

Marseille


La veille de mon départ, j’ai reçu la télé, ce qui n’était pas prévu au programme. C’est une nouvelle chaîne consacrée à la Russie profonde et à ses figures, et elle m’était envoyée par le père Alexandre Parfionov de Rostov. Le tournage a duré cinq heures. Les journalistes m’ont interviewée chez moi, puis nous sommes allées au lac, puis au café français qui a bénéficié d’une publicité gratuite ! Les types ont été très gentils, ils ne m’ont pas posé de questions idiotes. L'un d'eux m'a dit que si tous ses compatriotes étaient comme moi, le pays serait sauvé en quinze jours! Mais en montant dans leur minibus, je me suis tordu le seul genou à peu près fonctionnel qu’il me reste, et cela m’a fait une douleur terrible. Depuis, je marche comme je peux. Cela s’est un peu calmé, mais au moment de partir en voyage, c’est quand même pas de bol. Chez mon oncle et ma tante, je mets un sacré bout de temps à monter et surtout descendre leur immense escalier. Il y a des moments où je me demande si c’est bien moi qui chancelle ainsi cramponnée au mur. Mon esprit reste tout à fait jeune et mon cerveau n’a peut-être jamais aussi bien marché, mais le reste se dégrade. Quelqu’un m’a traitée de vieille conne sur facebook. Vieille, oui, mais pas conne !
Prise par mes préparatifs de départ et la présence de Nicolas, qui veut émigrer, je n’avais pas le temps d’aller sur internet, et j’ai vu que sur mon groupe de soutien au métropolite Onuphre, avait débuté une véritable horreur, les gens s’invectivant de toutes les manières autour de la réunion des paroisses de l’archevêché au patriarcat de Moscou. J’ai dit à tout le monde que je préférais effacer tous ces commentaires indignes sans aller chercher qui avait tort ou raison. Curieux comme ce qui touche à cet archevêché ressemble à un vrai panier de crabes. Les gens impliqués étaient tous d’accord. Mais deux d’entre eux revenaient sans cesse à la charge, avec une grande agressivité, et s’en prenaient aux uns et aux autres en privé. J’ai donc fait une annonce, pour dire que c’était inadmissible. Tout cela en essayant de préparer mon départ, en réglant des litiges avec l’électricité, et Dieu sait que j’ai de plus en plus de mal à me concentrer sur ce genre de détails. D’autres membres m’ont écrit pour se plaindre. J’ai donc fait ce que tout le monde me demandait de faire et j’ai exclus ces deux emmerdeurs. A la suite de quoi, c’est sur moi qu’est retombée toute leur ire. Je lisais tout cela avec une grande perplexité. L’un d’eux qui avait parlé de mon « excellent article » me traitait de vieille conne et de crétine. L’autre, une Ukrainienne du Donbass, se répandait en haine sardonique, et caractérisait le groupe et tout ce que je faisais de nullité sans nom. Il se peut qu’ils aient eu raison au départ, car certains émigrés de Daru et autres lieux ont une attitude odieuse et imbécile envers la Russie, l’Ukraine et le Donbass, mais à ce stade, discerner qui avait raison ou tort ne m’intéressait plus vraiment car eux se chargeaient très bien de déshonorer leur cause. A priori, ceux qui sont sur le groupe ne sont ni russophobes ni hostiles à l’Eglise canonique d’Ukraine, j’essaie d’y veiller. Néanmoins, plusieurs personnes se trouvaient couvertes d’insultes, et on commençait à régler des comptes parfaitement personnels avec une hargne démentielle. L’orthodoxie ou le métropolite Onuphre n’avaient vraiment rien à faire dans des attitudes purement politiques ou passionnelles. Ce que je trouve fascinant, ce sont les accusations fantasmagoriques que trouvent tout à coup ce genre de personnes pour justifier leur rage et l’alimenter. Du coup j’avais le fort soupçon que les gens qu’ils incriminaient et m’accusaient se soutenir, alors que je ne soutenais personne mais voulait mettre fin à ce scandale, n’étaient peut-être pas aussi affreux qu’ils le clamaient. Encore que pour certains d’entre eux, si, je suis certaine qu’ils sont affreux, mais pourquoi se mettre à leur niveau et se transformer en démon éructant ? Pour d’autres, ils peuvent être mal informés ou aveuglés comme eux-mêmes par des passions personnelles.
Ce qui me paraissait plus important que tout, indépendamment des personnalites des uns et des autres, de leurs défauts ou de leurs qualités, c’était que l’archevêché eût rejoint Moscou, à l’heure où les manipulations ténébreuses de la CIA et du nouvel ordre mondial vont arracher à l’orthodoxie des traitres pusillanimes avec leurs troupeaux aveuglés. Pour ces paroisses qui ont fait le bon choix, c’est le salut. Car des primats capables de légitimer, contre un saint homme comme le métropolite Onuphre et ses fidèles persécutés, ce porcelet mitré d’Epiphane, un parfait imposteur, qui n’a pas été ordonné dans la succession apostolique, tient des discours indignes, respire la fausseté et l’impudence, ne peuvent qu’emmener ceux qui les suivront à la perdition. Mais leur haine personnelle passait avant l’importance de cet événement. Or si j’ai quitté les groupes du Donbass pour m’occuper exclusivement de défendre un saint homme sur lequel je n’ai aucun doute, c’est bien parce que les idéologies politiques, les haines, les vanités et les ambitions personnelles venaient ternir une cause que par ailleurs je soutiens moralement sans hésitations.
Naturellement, j’aurais sans doute dû davantage examiner le litige et essayer de calmer les deux excités en message privé. Mais à voir leur déchainement, je ne suis pas sûre que cela aurait été tellementt utile. J’ai été traitée de kapo, de petit chef, de prétentieuse qui fait la patronne, de commissaire du peuple, d’imbécile, d’absolument tout ce qu’on veut. Comme si j’avais créé ce groupe par goût du pouvoir ou par intérêt, alors que j’ai du mal à m’en occuper et que gérer les conflits n’est pas du tout dans mes cordes.
En arrivant à Marseille, j’ai pris une voiture de location. Je n’arrivais pas à passer la marche arrière et un black couvert de dreadlocks m’a proposé de m’aider à une seule condition.
- Laquelle ?
- Que vous me donniez votre chien !
J’étais abasourdie par toutes ces plantes méridionales encore fleuries, le plumbago couvert d’ombelles bleues, sur la véranda d’Henri et Mano, et leur maison si jolie et si française, cette capsule spatio-temporelle dans la débâcle. Il semblait que tout le monde allait revenir s’installer sous les platanes pour boire l’apéro, Renée et Jackie, maman, Patrick… Mais nous l’avons bu tous les trois, en évoquant les disparus, la ricounette redoutable de l’oncle Henri, avant d’attaquer l’aïoli…

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