La veille de mon départ, j’ai reçu la télé, ce qui n’était
pas prévu au programme. C’est une nouvelle chaîne consacrée à la Russie
profonde et à ses figures, et elle m’était envoyée par le père Alexandre
Parfionov de Rostov. Le tournage a duré cinq heures. Les journalistes m’ont
interviewée chez moi, puis nous sommes allées au lac, puis au café français qui
a bénéficié d’une publicité gratuite ! Les types ont été très gentils, ils
ne m’ont pas posé de questions idiotes. L'un d'eux m'a dit que si tous ses compatriotes étaient comme moi, le pays serait sauvé en quinze jours! Mais en montant dans leur minibus, je
me suis tordu le seul genou à peu près fonctionnel qu’il me reste, et cela m’a
fait une douleur terrible. Depuis, je marche comme je peux. Cela s’est un peu
calmé, mais au moment de partir en voyage, c’est quand même pas de bol. Chez
mon oncle et ma tante, je mets un sacré bout de temps à monter et surtout
descendre leur immense escalier. Il y a des moments où je me demande si c’est
bien moi qui chancelle ainsi cramponnée au mur. Mon esprit reste tout à fait
jeune et mon cerveau n’a peut-être jamais aussi bien marché, mais le reste se
dégrade. Quelqu’un m’a traitée de vieille conne sur facebook. Vieille, oui,
mais pas conne !
Prise par mes préparatifs de départ et la présence de
Nicolas, qui veut émigrer, je n’avais pas le temps d’aller sur internet, et j’ai
vu que sur mon groupe de soutien au métropolite Onuphre, avait débuté une
véritable horreur, les gens s’invectivant de toutes les manières autour de la
réunion des paroisses de l’archevêché au patriarcat de Moscou. J’ai dit à tout
le monde que je préférais effacer tous ces commentaires indignes sans aller
chercher qui avait tort ou raison. Curieux comme ce qui touche à cet archevêché
ressemble à un vrai panier de crabes. Les gens impliqués étaient tous d’accord.
Mais deux d’entre eux revenaient sans cesse à la charge, avec une grande
agressivité, et s’en prenaient aux uns et aux autres en privé. J’ai donc fait
une annonce, pour dire que c’était inadmissible. Tout cela en essayant de
préparer mon départ, en réglant des litiges avec l’électricité, et Dieu sait
que j’ai de plus en plus de mal à me concentrer sur ce genre de détails.
D’autres membres m’ont écrit pour se plaindre. J’ai donc fait ce que tout le
monde me demandait de faire et j’ai exclus ces deux emmerdeurs. A la suite de
quoi, c’est sur moi qu’est retombée toute leur ire. Je lisais tout cela avec
une grande perplexité. L’un d’eux qui avait parlé de mon « excellent
article » me traitait de vieille conne et de crétine. L’autre, une
Ukrainienne du Donbass, se répandait en haine sardonique, et caractérisait le
groupe et tout ce que je faisais de nullité sans nom. Il se peut qu’ils aient
eu raison au départ, car certains émigrés de Daru et autres lieux ont une
attitude odieuse et imbécile envers la Russie, l’Ukraine et le Donbass, mais à
ce stade, discerner qui avait raison ou tort ne m’intéressait plus vraiment car
eux se chargeaient très bien de déshonorer leur cause. A priori, ceux qui sont
sur le groupe ne sont ni russophobes ni hostiles à l’Eglise canonique d’Ukraine,
j’essaie d’y veiller. Néanmoins, plusieurs personnes se trouvaient couvertes
d’insultes, et on commençait à régler des comptes parfaitement personnels avec
une hargne démentielle. L’orthodoxie ou le métropolite Onuphre n’avaient
vraiment rien à faire dans des attitudes purement politiques ou passionnelles.
Ce que je trouve fascinant, ce sont les accusations fantasmagoriques que
trouvent tout à coup ce genre de personnes pour justifier leur rage et
l’alimenter. Du coup j’avais le fort soupçon que les gens qu’ils incriminaient
et m’accusaient se soutenir, alors que je ne soutenais personne mais voulait
mettre fin à ce scandale, n’étaient peut-être pas aussi affreux qu’ils le
clamaient. Encore que pour certains d’entre eux, si, je suis certaine qu’ils
sont affreux, mais pourquoi se mettre à leur niveau et se transformer en démon
éructant ? Pour d’autres, ils peuvent être mal informés ou aveuglés comme
eux-mêmes par des passions personnelles.
Ce qui me paraissait plus important que tout, indépendamment
des personnalites des uns et des autres, de leurs défauts ou de leurs qualités,
c’était que l’archevêché eût rejoint Moscou, à l’heure où les manipulations
ténébreuses de la CIA et du nouvel ordre mondial vont arracher à l’orthodoxie
des traitres pusillanimes avec leurs troupeaux aveuglés. Pour ces paroisses qui
ont fait le bon choix, c’est le salut. Car des primats capables de légitimer,
contre un saint homme comme le métropolite Onuphre et ses fidèles persécutés,
ce porcelet mitré d’Epiphane, un parfait imposteur, qui n’a pas été ordonné
dans la succession apostolique, tient des discours indignes, respire la
fausseté et l’impudence, ne peuvent qu’emmener ceux qui les suivront à la
perdition. Mais leur haine personnelle passait avant l’importance de cet
événement. Or si j’ai quitté les groupes du Donbass pour m’occuper
exclusivement de défendre un saint homme sur lequel je n’ai aucun doute, c’est
bien parce que les idéologies politiques, les haines, les vanités et les ambitions
personnelles venaient ternir une cause que par ailleurs je soutiens moralement
sans hésitations.
Naturellement, j’aurais sans doute dû davantage examiner le
litige et essayer de calmer les deux excités en message privé. Mais à voir leur
déchainement, je ne suis pas sûre que cela aurait été tellementt utile. J’ai
été traitée de kapo, de petit chef, de prétentieuse qui fait la patronne, de
commissaire du peuple, d’imbécile, d’absolument tout ce qu’on veut. Comme si
j’avais créé ce groupe par goût du pouvoir ou par intérêt, alors que j’ai du
mal à m’en occuper et que gérer les conflits n’est pas du tout dans mes cordes.
En arrivant à Marseille, j’ai pris une voiture de location.
Je n’arrivais pas à passer la marche arrière et un black couvert de dreadlocks
m’a proposé de m’aider à une seule condition.
- Laquelle ?
- Que vous me donniez votre chien !
J’étais abasourdie par toutes ces plantes méridionales
encore fleuries, le plumbago couvert d’ombelles bleues, sur la véranda d’Henri
et Mano, et leur maison si jolie et si française, cette capsule
spatio-temporelle dans la débâcle. Il semblait que tout le monde allait revenir
s’installer sous les platanes pour boire l’apéro, Renée et Jackie, maman,
Patrick… Mais nous l’avons bu tous les trois, en évoquant les disparus, la
ricounette redoutable de l’oncle Henri, avant d’attaquer l’aïoli…
Merci pour ce témoignage.
RépondreSupprimerQu'est-t'il arrivé à votre chien?
C'était une blague! Ma chienne n"est pas négociable
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