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lundi 11 novembre 2019

Cannes

A Cannes, j'ai vu le père Antoni, sa femme Myriam et leur quatre merveilleux enfants. J'y suis allée exprès, la dernière fois j'avais galéré dans le train, et cette fois en voiture, car toute la Croisette était bouclée. J'ai oublié là bas mes lunettes. Je ne peux en acheter d'autres, car le 11 novembre tout est fermé. Je ne vois plus rien. Et qui plus est, mon vieux portable rame terriblement, et la souris que j'avais achetée avant de partir ne marche pas...
Malgré tous ces problèmes, j'ai été infiniment heureuse de voir cette famille que j'aime beaucoup et qui me manque. Apparemment, le père Antoni a décidé qu'il devait accomplir son apostolat en France et n'envisage pas un retour en Russie, Avec Myriam, ils traduisent et éditent d'excellents livres russes pour enfants, avec de jolies illustrations, sur les saints orthodoxes, Myriam s'apprêtait à aller livrer le monastère de Solan et faire une petite retraite de deux jours. Le père Antoni est en train de récupérer une église catholique qui ne sert plus et qui sera attribuée à sa communauté orthodoxe. C'est une église catholique typique du XIX°siècle, consacrée à saint Roch, avec des vitraux le représentant, des statues de plâtre coloré et les bancs de bois bien alignés. Il a mis une petite iconostase provisoire avec des photos d'icônes, quelques candélabres de type Sofrino. Dans cet environnement absolument français et cette ville méditerranéenne de la côte d'Azur, avec ses maisons à persiennes et ses villas, ses eucalyptus et ses pins parasols, tout cela qui me rappelait les vacances de mon enfance, je me retrouvais en train de participer à une liturgie orthodoxe russe, en tous points conforme à tout ce que je vois à Pereslavl Zalesski, et qui fut suivie du repas en commun en l'appartement attenant. Majorité écrasante de Russes résidant sur la côte d'Azur, avec quelques Géorgiens, bien que la lecture de l'Evangile eut été faite en slavon et en français. Comme j'exprimais mon inquiétude pour la France, un ancien officier russe m'a déclaré: "Ne vous en faites pas, nous ne laisserons personne nuire à la France"!
Cannes a depuis le XIX° siècle une église russe fort jolie, celle de l'archange saint Michel, mais elle a été attribuée par le tribunal à une poignée de descendants d'émigrés sous l'omophore de Constantinople. Maintenant qu'elle est en ruines, après l'écroulement de sa coupole, la poignée d'émigrés rejoint le Patriarcat de Moscou dans la foulée de l'archevêque Jean. Et manque de chance, ni le gouvernement russe ni le patriarcat ne semblent se soucier de récupérer les lieux et de les restaurer. Un Russe s'est emparé du presbytère pour en faire un hôtel. Le lieu est central et magnifique avec un grand parc. Mais l'église gêne, avec ses tombes historiques de grands ducs et tout ça.
Je ressentais une vraie ferveur dans cette petite communauté, le plus fervent de tous étant le petit Sacha, fils du père Antoni, qui officiait en tant qu'enfant de choeur, avec son frère Vassia, et manifestait tant de pureté et de gravité que j'avais l'impression de me trouver à une autre époque. Et en effet, ces petits garçons merveilleux sont élevés par un père et une mère croyants, qui tiennent chacun leur rôle, et ils ont une immense admiration pour leur père viril, beau et intelligent, dans sa chasuble dorée. Bref dans la paroisse du père Antoni, parachutée dans l'église saint Roch, tout est normal. Et cela me bouleversait, car on peut se demander ce qu'il adviendra de ce petit foyer d'amour et de noblesse, au sein du maelstrom satanique à l'oeuvre partout, et tout spécialement en occident. L'église du père Antoni, la maison d'Henry et Mano, et puis Limoux, avec Henri et Patricia et le pic de Bugarach... Je n'ai pas ajouté l'ilôt préservé de Solan à cette liste car nous avons un problème, la famille Odaysky et moi-même, de ce côté-là. Bien sûr, nous gardons des liens amicaux et spirituels, et nous comprenons bien que les soeurs se trouvent dans l'obéissance au père Elisée, lui-même dans l'expectative. Mais nous ne savons pas de quel côté de la barrière va basculer Simonos Petra, et nous resterons du nôtre, qui nous paraît le seul possible, du point de vue de la foi et de la justice.
Nous avons évoqué tout cela pendant la soirée précédente. "Nous avons bien pensé à vous, me dit le père Antoni, à la position intenable qui aurait été la vôtre si le père Placide ne vous avait exhortée à quitter Cavillargues pour Pereslavl Zalesski. On peut dire qu'il a été clairvoyant, et on peut aussi se réjouir que Dieu l'ait rappelé à lui avant ces événements scandaleux qui l'auraient terriblement affecté.Rendez-vous compte que le patriarche Théodore d'Alexandrie a fait ses études à Odessa. Il parle russe, il connaît parfaitement la situation des chrétiens orthodoxes là bas, il est venu spécialement à Kiev pour encourager le métropolite Onuphre et lui donner le baiser de Judas, en recommandant à ses fidèles de s'accrocher aveuglément à lui pour leur salut, et il le trahit de cette manière. Parce qu'il dépend financièrement de toute cette équipe. Il s'est donné à Mammon. vous savez, c'est l'histoire de Moïse, descendant du Sinaï, avec une table de la loi sur chaque bras, et trouvant toute la tribu prosternée devant le veau d'or. Mammon est en train de tuer toute vie, le processus est enclenché, nous y allons direct... Vous savez que tout le bassin de la Léna, en Sibérie, l'un des plus importants du monde, est en train de s'assécher, et que l'on continue à ravager la taïga pour le compte des Chinois? Les Grecs ne sont que les précurseurs de la soumission universelle à l'antéchrist qui touchera tout le monde, même la Russie, mais nous serons les derniers à nous coucher devant lui, alors qu'eux auront la triste gloire d'avoir été les premiers à le faire."
Il m'a fait part de son inquiétude pour ses enfants, si différents de la jeunesse dégradée et abrutie que produit partout la modernité, inquiétude que je partage, au vu de ces petits êtres de bonne race française et russe, et d'éducation exemplaire. "Le bon côté de la chose, enfin celui qu'il faut voir, si nous arrivons à surmonter notre tragédie personnelle, c'est-à-dire la disparition de notre douce France et de notre sainte Russie et de tout ce qui nous est si cher, c'est que dans ce désastre nous n'avons plus que Dieu, et je devrais dire que nous autres croyants, nous avons Dieu, et c'est une force que les autres n'ont pas. Je vois beaucoup de gentils Français, mais sur la plan spirituel, c'est la barbarie totale, ils ne savent plus rien, ils n'ont besoin de rien, et sont complètement enlisés dans la banalité du quotidien, de sorte qu'ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Nous autres, nous avons connu l'URSS, nous savons qu'il ne faut pas croire les journaux, mais eux, ils gobent tout. De plus, l'Union Soviétique, c'était les horreurs des répressions et du goulag, mais c'était aussi un idéalisme qui commandait au moins dans le discours officiel le sacrifice, l'abnégation, des principes moraux. Et cela nous a longtemps, d'une certaine façon, protégés de ce qui se préparait chez vous. Par dessus le marché, en France, ça fait plus de deux cents ans qu'on vous détruit la mentalité, alors que nous, la catastrophe est plus récente."
Contrairement à d'autres prêtres qui voient dans la révolution un châtiment du ciel, il pense comme moi que Dieu a commencé à faire ses dernières moissons de justes, au fur et à mesure que se mettait en place et s'accélérait la formidable dégradation finale de l'humanité.
Je lui ai parlé des vieux-croyants, et de leur vie exemplaire, de leur pureté, tels que je les ai vus dans les reportages sur ceux de Roumanie, et il m'a parlé d'autres vieux-croyants, en Sibérie, qui étaient sains et forts comme des taureaux et naïfs comme des enfants. "Je rêve d'une réunion finale avec eux, car ce que j'ai vu d'eux répond à mon idéal d'orthodoxie, et je ne les ai pas trouvés si formalistes qu'on le dit, ils ont juste gardé le sens profond de tous ces gestes et de tous ces usages, comme on l'avait au moyen âge, et pour eux tout cela est vivant. Ils ont le regard tourné vers Dieu tout en étant dans une relation profondément harmonieuse avec la nature, le cosmos...
- Laurence, je vous en prie, laissons les vieux-croyants tranquilles... ne voyez-vous pas ce qu'on est en train de faire de notre orthodoxie? Ont-ils besoin de cela?"


Le père Antoni et sa matouchka française quand ils étaient encore
à l'église de l'Archange Saint Michel


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