Ce matin, je me suis poussée pour aller à l'église, c'était la fête de la Transfiguration. J'avais l'intention d'aller aux vêpres la veille, mais il est bien connu que de ce genre d'intentions, l'enfer est pavé. Si j'y étais allée, j'aurais vu notre évêque et reçu sa bénédiction, et j'aurais participé à l'anniversaire de la petite Dounia, de la famille des Rimm, avec Katia. Mais j'avais été invitée le même jour par Olga et Oleg à me baigner avec eux dans la Vioksa, et à découvrir les coins les plus beaux de cette jolie rivière. Ce que nous avons fait. C'était un jour qui sentait déjà fortement l'automne, une lumière transparente, un vent très frais, de gros nuages. On a beaucoup construit à Koupanskoïé mais cela reste moins défiguré que Pereslavl, et là où nous nous sommes baignés, on voit encore de très jolies maisons anciennes. Oleg me faisait remarquer parmi elles un gros monstre en rondins volontairement énormes et inégaux, car ce qui est rustique doit forcément être grossier et mal équarri dans la mentalité du mutant contemporain qui ne sait plus d'où il sort. La baraque de ce type ressemblait à un restaurant de style far-west, et même de faux style far-west, que je connais dans la zone commerciale de la petite ville où j'ai grandi, dans la Drôme! Oleg m'a dit qu'un psychiatre de ses amis prétendait qu'on pourrait écrire une thèse de psychologie sur les divers aspects du mauvais goût tel qu'il s'exprime dans les bâtisses contemporaines.
Juste à côté du monstre, il y avait une isba ravissante, avec une palissade à claire-voie, au lieu d'une clôture métallique opaque et hideuse, un grand tilleul, et Oleg ajouta: "Ils avaient pourtant beaucoup de travail, les gens qui ont construit cette isba, mais ils trouvaient le temps de mettre de la beauté autour d'eux, de sculpter ces encadrements de fenêtres..."
Il y avait des mûres, que nous avons cueillies mais elles n'ont pas du tout le goût de celles que je grapillais sur les chemins du midi, elles étaient, je ne sais pourquoi, amères.
L'eau était très claire et déjà bien froide, mais au bout de quelques brasses, agréable et revigorante. Le fond sableux lui donnait une teinte dorée que moiraient de bleu et de vert les reflets du ciel et ceux des arbres, et des canards nageaient paisiblement autour de nous, des libellules de différentes tailles et couleurs voletaient sur les berges.
Au retour, ils m'ont invitée chez eux, et je n'ai pas pu aller aux vêpres. Nous avons passé la soirée à discuter, sur leur terrasse, et j'étais d'ailleurs frigorifiée, malgré un blouson prêté par Olga.
La veille, j'étais allée porter à l'atelier d'iconographie du monastère saint Nicétas l'énorme planche à icône donnée par mon ami Nikolaï, le mari de Liouba. J'ai été reçue par Ioulia, qui a passé plusieurs années en France. Ce qui est amusant, c'est qu'elle a, comme Liouba, un type asiatique, et elle a la même sérénité allègre.
Elle m'a précisé que l'afflux de réfugiés français, ou européens, n'était pas attendu par le seul père Dmitri, ce sont plusieurs starets russes qui ont prédit la même chose, dont le père Naoum à la laure de la Trinité-Saint-Serge. Nous avons parlé français, car nous étions seules, et Ioulia ne le pratique pas assez: "J'aime les Français, et ils me manquent."
Ioulia pense que j'ai un potentiel spirituel que je ne cultive pas assez, que les péripéties de ma vie, et certaines expériences que j'ai connues indiquent une sorte d'élection particulière, et que je dois passer à la vitesse supérieure, pour mieux accueillir et aider les Français attendus, entre autres.
Elle n'a certainement pas tort, mais je ne me sens pas beaucoup de forces, en ce moment, et je pensais à ce que m'avait dit le père Basile, que le principal, c'était la fidélité, mot qui avait la même racine, fides, que le mot foi. "Si vous aimez la vie, alors vous aimerez d'autant plus la vie éternelle, et nul besoin de cracher sur la vie, si vous l'aimez, aimez-la avec reconnaissance, profitez des moments heureux avec vos amis, jouez des gousli, comme le roi David, nous devons être plus que jamais solidaires et attentifs à notre prochain".
En confession, le père Andreï m'a dit: "Le principal est de ne pas tomber dans l'acédie." J'avais rêvé de la mère Hypandia, mais je ne pouvais me souvenir des détails. Le jour de la Transfiguration, on apporte ses premières pommes, pour les faire bénir, mais j'avais oublié, c'est dire si je suis nulle. Tout à coup, une dame me tape sur l'épaule: "Laurence! Vous n'avez pas de pommes? Tenez, prenez celle-là!" Du coup plusieurs personnes se sont avisées qu'on ne pouvait laisser cette malheureuse Française sans pommes à bénir, et elles m'arrivaient de toutes parts, ces pommes, avec même un sachet pour les glisser dedans! Arrivées devant le père Andreï les pommes et moi-même avons été inondées d'eau bénite.
En Russie, la Transfiguration est appelée le Sauveur des Pommes, car la fête coïncide avec les premières récoltes.
Touchant, évocateur.
RépondreSupprimersur l'acédie lire gregoire de nysse
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