J’ai commencé les "mémoires d’outre-tombe" de Chateaubriand. Mieux vaut tard que jamais. Il était temporellement à la même distance de Louis XIV que nous ne le sommes de 1900, époque qui ne me paraissait pas si lointaine, qui avait vu naître mon grand-père, même le XIX° siècle ne me semblait pas si ancien, quand on met les choses en perspective, on obtient de sérieux raccourcis. Me voilà avec Chateaubriand, au XVIII° siècle, avant la révolution, et, bien que je pense depuis longtemps que la grande rupture, c’est la Renaissance, je me rends compte que la révolution en fut une seconde et une énorme, le monde qu’il décrit, celui de la province bretonne d’alors, est encore beaucoup plus imprégné d'esprit médiéval que je ne l’aurais pensé et d’une immense beauté, d’une noblesse et d’une poésie dont on n’a plus idée. Ses descriptions des offices religieux, des fêtes, des lieux, des bateaux au port sont envoûtantes. Déjà, le grand Meaulnes m’avait fait cette impression de monde perdu, et si je relisais Colette, qui me semblait si proche, qu’en penserais-je ?
Pourtant, Chateaubriand ne donne pas l'impression de quelqu'un de très joyeux, le monde qu'il décrit non plus, mais au fond, la joie, sauf si elle est d'essence divine, n'est jamais qu'un moment sur cette terre, la vie hésite sans cesse entre l'extase et la tragédie, et peut-être que ce qu'il y a entre les deux, la gaité superficielle et la banalité confortable, ne sont que le substitut de l'une et le paravent de l'autre.
Il me faut absolument revenir aux miens, de mémoires, mais j’ai du mal, la situation générale et l’état de Georgette me prennent la tête. J’ai pensé, l’autre jour à l’église qu’en fin de compte, mes confessions les plus sincères et les plus approfondies, c’étaient mes livres. Les livres sont des confessions publiques, où l’écrivain n’est pas le seul en jeu, c’est l’humanité qui se confesse à travers lui et avec lui.
Cette nuit,
je me suis endormie très tard, Georgette avait mal. Elle poussait de tous
petits gémissements discrets. Je me suis souvenue qu’il restait de
l’analgésique, pour elle, je lui en ai donné. Ce matin, elle est allée faire
ses griffes sur son arbre, et elle a mangé sa pleine écuelle, elle n’avait pas
mangé comme cela depuis quinze jours. Cependant, elle boîte. La véto m’a dit
que la douleur lui coupait l’appétit. Elle m’a donné des réserves
d’analgésique, et elle va lui refaire une injection d’acide hyaluronique, pour
ses articulations. « Vous ne m’en feriez pas une, à moi aussi ? lui
ai-je demandé.
- Je m’en
fais à moi-même », m’a-t-elle répondu en riant.
Tout cela est très ennuyeux, mais pas mortel. Il faudra juste traiter ponctuellement Georgette, mais cette nuit, j’étais terriblement triste et angoissée par la précarité de cette petite vie qui a pris tant de place dans la mienne et qui va peu à peu s'effacer, comme elle a fait toutes choses, avec discrétion. Georgette entre dans le processus de la décrépitude avec simplicité, sans en faire un drame. Pourvu que je sois là jusqu'au bout, qu'elle m'ait à portée de la patte, tout va bien, c'est tout ce qu'elle demande. Je devrais faire comme elle, gloire à Dieu pour tout... Ma tante Mano me disait au téléphone que, sans Dieu, toute notre existence pouvait apparaître comme une farce absurde et cruelle, et en effet... La question que je me pose, c'est pourquoi, lorsque l'on a conscience de cela, on reste malgré tout en dehors de l'Eglise. Saint Païssios disait que sans la foi, il serait devenu fou.
J'apprécie énormément vos écrits, un vrai style littéraire personnel et une information réelle de votre vécu, un grand merci. Joël
RépondreSupprimerCela me fait infiniment plaisir!
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