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mercredi 17 septembre 2025

Idées

 

L’article de Slobodan, et celui d’Eric Werner ne laissent pas beaucoup d’espoir à la France. Le tableau que me tracent les conversations entre Russes exilées là-bas, sur Facebook, non plus. Elles ont des maris français, des enfants qui ont grandi sur place, elles ne peuvent plus rentrer et contemplent le désastre avec un recul que n’ont sans doute pas leurs proches, car cela fait des décennies que les Français subissent un conditionnement aussi sournois que puissant, je le ressentais déjà dans les années soixante-dix : si tu ne penses pas bien, tu n’est pas fréquentable, et on en arrive même à « tu n’es pas digne de vivre », et à l’approbation enthousiaste de crimes politiques comme celui qui vient de se produire. Tout remonte, pour l’un et l’autre, à la révolution française, le peuple étouffe sous l’écroulement des institutions qui en ont procédé. Il étouffe et il dégénère. Eric Werner envisage, outre la dissolution de la France, l’effacement de tout ce qu’elle a créé au fil des siècles, et en effet, moi-même, depuis déjà un bon moment, j’ai le coeur qui se serre à la vue des villages de l’Ardèche, de la Drôme, du Gard, que je vois défiler sur internet, des demeures, des châteaux, des fermes, des églises, qu’en restera-t-il dans une ou deux décennies ? Je suppose que les Russes normaux devaient se poser la même question, au moment de leur propre révolution, quand on dynamitait à Moscou des quartiers entiers, des cathédrales, des palais, et que disparaissaient meubles et oeuvres d’art, icônes et objets sacrés. Je me souviens que dans les années quatre-vingt-dix, quand je suis venue travailler à Moscou, je pensais que la Russie, au moins, ne me mentait pas, et que les intellectuels russes savaient le prix de ce que les intellectuels français méprisaient. J’ai des visions d’une France ravagée, avec tous ses trésors architecturaux en ruine, ses musées pillés, comme autrefois en Irak ou en Syrie, une population hagarde et dégénérée qui répète des incantations absurdes, sous l’oeil de satrapes méprisants et satisfaits du résultat de leurs patientes et fourbes intrigues. Je revois tout ce que fut ma jeunesse, tout ce que je décris dans me souvenirs, je contemple les photos de maman, des filles Pleynet, de mon père, de toute cette vie paisible, normale, élégante et douce, et j’ai envie de pleurer.

Une lassitude immense s’empare de moi devant le flot de nouvelles révoltantes et de considérations, discours, analyses, commentaires intelligents ou stupides, ce tohu-bohu qui enfle et me semble tourner autour d’un affreux point de néant invisible, une sorte de trou noir qui nous engloutit inexorablement. Je vois partir à la dérive tout ce qui valait la peine d’être vécu, aimé et défendu, je vois profaner et insulter la vie de toutes les manières. Et les enfants, les bêtes, que tout cela emporte et broie, les arbres, les plantes, la beauté, en un mot, l’Existence...




Nous n’avons plus devant nous qu’un jour ou deux de cet été indien miraculeux, transparent et doré, avec ce vent léger qui semble le doux et calme déplacement d’ailes séraphiques, avec les papillons et les oiseaux, les abeilles affairées et les chats étendus au soleil.

Dany me dit qu’on a semé tant de levain d’injustice et d’iniquité que quelque chose est en train de lever, dans l’humanité, et même de se soulever. Certes, les « élites » cherchent à déclencher le chaos et pensent qu’elles vont surfer sur la vague, mais il n’est pas sûr qu’elles gardent le contrôle sur ce qu’elles provoquent.

La procession de Moscou a finalement surpris tout le monde par l’ampleur de la participation. Elle a surpris les orthodoxes eux-mêmes qui ne se croyaient pas si nombreux ni si motivés. Il est possible que des gens aient participé qui, d’habitude, ne vont à l’église qu’une fois par an, mais se reconnaissent dans le destin orthodoxe de la Russie, ils y retrouvent leur identité. D’après ce que j’ai entendu dire, il y avait aussi des soldats, des vétérans du front qui marchaient sur des prothèses.

Dans les commentaires de facebook, je vois des gens s’indigner qu’on « pleure Charlie Kirk, qui avait des idées ignobles ». J’aimerais savoir en quoi les idées d’un type qui essayait d’engager le dialogue avec ses opposants avec patience et respect ont quelque chose d’ignoble, j’aimerais savoir aussi ce que sont des idées ignobles, car en théorie, on nous présente toutes les idées sous de belles couleurs, sinon, elles n’attireraient pas grand monde, c’est généralement leur application ou leur utilisation, qui est atroce. Ainsi, il était normal de tuer un type dont on juge les idées ignobles. En soi, pour moi, une telle idée, abattre un homme, un père de famille pour ses convictions politiques, c’est cela qui me paraît infâme. Je suis donc, selon ce raisonnement, fondée à abattre tous les abrutis qui professent une telle chose ?

Je suis passée au café, et j’ai vu la jeune Liéna, la femme de Sacha qui seconde Gilles. C’est un être délicieux, toujours joyeux, chaleureux, spontané comme un enfant. Elle m’a dit qu’elle allait tout le temps à l’église, depuis que sa conversation avec l’évêque l’avait convertie, parce que c’était le repos de son âme, sa recharge d’énergie, et je pensais que j’avais, de mon côté, beaucoup de mal à m’y rendre. Certes, si je n’y vais pas, je sombre dans la déprime assez vite, et je suis contente de l’avoir fait quand je sors, mais cela me demande toujours un effort. Elle revenait, éblouie, de Turquie, où son mari l’avait emmenée en vacances, et me parlait des endroits liés à saint Nicolas, aux premiers temps du christianisme, mais, ajouta-t-elle, ces lieux sont morts, désertés, profanés, mal entretenus, le pays ayant été épuré de sa population chrétienne, installée depuis l’antiquité, par les envahisseurs turcs. De sorte que malgré la beauté des paysages, des monuments, les chevaux, les paons, la mer, Liéna était très heureuse de retrouver Pereslavl, ses églises qui fonctionnent, avec les carillons des cloches, elle était heureuse de vivre ici.

J’ai lu un étonnant témoignage. Un professeur de Moscou dont le fils est au front reçoit de lui un message, comme quoi, avec ses compagnons, il est bloqué par les drones ukrainiens et qu’ils n’arrivent même pas à évacuer leurs blessés. Terriblement anxieuse, elle arrive pour donner son cours, et s’aperçoit qu’elle en est totalement incapable. Elle se décide donc à informer les enfants de ce qui lui arrive. Et ceux-ci lui répondent : «Il y a une église, à côté, allons prier pour votre fils ». Et tout le monde s’y rend, y compris l’enseignante, qui n’était pas particulièrement pratiquante. A son retour, elle trouve un message de son fils : « Maman, c’est incroyable, une tempête s’est levée, qui a dispersé les drones, et nous avons tous pu partir, et évacuer les blessés ».

J’entends souvent ce genre d’histoires.

 

 

3 commentaires:

  1. Un petit coucou de Nantes pour vous dire simplement que j'aime vous lire, car vous écrivez avec profondeur et style les choses belles commes les choses tragiques.

    J'ai trouvé sinon, cet extrait d'une interview d'Eric Werner par la revue Eléments, limpide et à 1000 lieues des indignations des droitardés légalistes :

    " Vous dites que l’État refuse de traiter le problème de la délinquance au cœur des territoires perdus. Il faut à mon avis poser le problème autrement. La délinquance est d’abord un outil de pouvoir. L’État fait semblant de la combattre, en réalité il est très content qu’elle existe. Non seulement il ne la combat pas, mais il n’a aucune raison de le faire, car elle lui est d’un bien trop grand rapport. Il faut partir de là. On ne va pas ici énumérer tous les avantages qu’elle lui procure. Mais ils sont nombreux. L’État s’en sert en particulier pour diviser la population (divide ut impera ) et ainsi renforcer encore son pouvoir. La délinquance fait également diversion. Quand les gens ont peur (peur pour leur santé en particulier) ils songent moins à critiquer le monde comme il va (et surtout ne va pas). Par ailleurs, l’État peut jouer la comédie du père bienveillant toujours prêt à intervenir pour voler au secours de ses enfants en danger. Et ça marche. En ce sens, les délinquants ne sont en rien des adversaires de l’État, mais au contraire des alliés précieux : l’État aurait peine à s’en passer. Il est donc très normal qu’il les ménage, voire les encourage (ce qu’il fait maintenant presque ouvertement). Les adversaires de l’État ne sont pas les délinquants, mais bien ceux leur tenant tête, par exemple en ayant recours à l’autodéfense. L’État ne laisse rien passer dans ce domaine. Plus fondamentalement encore, les adversaires de l’État, c’est l’ensemble des non-délinquants : comme on le voit avec les lois antiterroristes, qui font de tous les non-délinquants des délinquants potentiels (d’où la légalisation de l’espionnage intérieur). On pense à la loi des suspects sous la Révolution française.
    Une remarque encore à propos de la délinquance. J’utilise ce mot parce que vous-même l’utilisez. Mais il est vague. On a peut-être affaire à des délinquants, mais surtout à des gens qui font la guerre. Dire qu’on se propose de « planter des Blancs », c’est faire la guerre. La guerre est poursuite de la politique par d’autres moyens, dit Clausewitz. On est sur ce créneau-là. L’intention est ici conquérante, c’est un conflit de territoire. On est très au-delà de la délinquance."
    https://www.revue-elements.com/prendre-le-maquis-avec-eric-werner-1-4-letat-est-il-notre-ami-ou-notre-ennemi/

    Comment la DGSI, au service d'on ne sait quel pays d'ailleurs, en est à recruter Mohammed, un sans-papiers illettré pour faire le sale boulot de balance...
    https://2025indicparis.noblogs.org/2025/09/09/hello-world/

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    1. Je ne crois pas avoir employé le mot délinquance, mais je suis d'accord avec vous, et avec Eric Werner. A noter que l'URSS des premières décennies, en tous cas, faisait le même usage de la délinquance, les voyous étant bien mieux considérés que les dissidents politiques, les voyous étaient "socialement proches", et pour moi, l'importation de bandits étrangers est une manière de s'assurer autant de "gardes bronzés" potentiellement capables de commettre des horreurs sur la population indigène. Le recours aux voyous est bien utilisé aussi en Ukraine. Beaucoup de gens dans mon entourage français commettent l'erreur de ne pas ouvrir les yeux sur la profonde saloperie de l'Etat, et c'est cela qui nous perd. Naturellement, se rendre compte de ce qui se passe vraiment n'aide pas à lutter contre le stress et l'insomnie, mais se raconter des histoires équivaut à fuir le réalité dans l'usage de drogues. Jusqu'au jour où on ne peut plus la fuir, car elle arrive le couteau entre les dents.

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    2. Ah pardon, c'est Eric Werner qui fait allusion à l'emploi du mot délinquance...

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