J'ai cru aujourd'hui qu'il allait faire chaud. Mais l'averse passée, le temps s'est rafraîchi, heureusement, il y a du soleil. Je refais les promenades que je faisais dans la neige, au travers des hautes herbes.
J'ai d'abord rencontré un charmant petit oiseau:
Puis je suis montée à l'assaut de l'ancienne berge, pour avoir une belle vue, et je suis arrivée devant le monastère saint Nicétas le Sylite:
Je voyais aussi le lac, tout cet espace magique:
J'ai suivi la crête, la prairie est couverte de futures fraises des bois, et aussi de décharges sauvages, une abomination. Comment peut-on, devant tant de beauté, balancer des bouteilles, des bidons de plastique, de vieux vêtements, les éternels sacs en plastique? Parce que cette beauté, on ne la voit même pas, on n'est plus relié à elle, ni d'ailleurs à rien, et l'histoire devenant pour les gens très récente, ils n'éprouvent pas de piété envers le monde ni envers leurs ancêtres. Pour beaucoup de Français, l'histoire commence en 1789. Pour hélas trop de Russes, en 1917. La disparition du folklore, ce puissant facteur d'unité, et de la foi, mais celle-ci Dieu merci reste vivace chez une bonne partie de la population, on n'arrive plus à communiquer avec tout cela, et l'on se retrouve avec la vision morcelée, et la sensiblité réduite, de l'individu dans sa petite cellule, isolé de tout ce qui pourrait l'irriguer, transfigurer sa vie et lui donner toute la profondeur des siècles passés et toute la perspective du Royaume à venir.
Voici la chapelle qui marque l'emplacement du monastère disparu, et du cimetière attenant. Anéantis après la révolution. Au monastère saint Nicolas, où Yana et Dounia résidaient, il n'est pas resté grand chose, et une nouvelle église a été construite, mais on a détruit une des rares et anciennes églises pyramidales que l'Eglise nikonienne ne permit plus de construire après le schisme des vieux-croyants et qui se répandaient sous Ivan le Terrible. Le monastère saint Daniel était dans un état pitoyable, le monastère saint Nicétas également. En dehors de l'aspect spirituel, ce sont des lieux chargés d'histoire. Mais l'histoire commence en 17, l'aube de "l'apothéose de l'histoire russe", comme a osé me l'écrire un nostalgique de Staline. Donc, on laisse un monastère classé comme musée, à titre documentaire, et on se fiche éperdument des autres, détruits ou laissés à l'abandon, après avoir souvent servi de prisons ou d'hôpitaux psychiatriques, et de ce qu'ils représentent. Saint Théodore, saint Daniel, saint Nicolas, saint Nicétas ont été restaurés par l'Eglise, lorsqu'on les lui a restitués.
Du haut de l'escarpement, on voit tout Pereslavl, les coupoles dorées de saint Nicolas, et le monastère-musée, Goritski.
Je redescends avec Rosie, qui bondit dans les hautes herbes. Et nous rencontrons deux animaux fascinants dont elle ne s'approche pas trop près. Le chevrier rigole. Il l'appelle, mais elle reste à distance.
J'ai pris congé, au café français, de Yana et Dounia, venues accompagner à Pereslavl un groupe d'adolescentes qui se préparent à des études artistiques. Elles étaient logées au monastère saint Nicolas, et dessinaient un peu partout. Je me suis très bien entendu avec Yana et Dounia. Yana est persuadée que tout va beaucoup mieux en France qu'en Russie, les vaches normandes ont l'air si heureux, les paysans font des fromages dans la joie et dans de jolies fermettes, les boulangeries et autres petits magasins sont si charmants. Elle ignorait la ferme des mille vaches, les suicides d'agriculteurs, les fermetures massives de petits commerces concurrencés par la grande distribution, accablés d'impôts et de tracasseries administratives, la désertification des centres villes et autres migrants de Calais...
Mais quand même, elle partage avec moi un sentiment de profonde angoisse, de danger croissant qui la rend parfois physiquement malade, l'impression de se trouver dans un monde détraqué, satanique.
Elle m'a parlé du Goulag, son grand-père avait été envoyé aux Solovki, puis à la guerre comme chair à canon, il en est revenu vivant par miracle. Je ne connais pratiquement personne ici qui ne m'ai fait part de ce genre de souvenirs de famille.
Hier soir, nous avons promené Rosie ensemble, dans mon quartier. Ce sont des fans de Rosie, mais j'ai vu que tout de même, elles en avaient un peu marre, il faut le voir pour le croire...
Rosie a vu un troupeau de moutons et de chèvres, et elle a été prise de panique lorsque les bêtes se sont mises à courir. Mais elle a fait connaissance. Avec les ovidés et les capridés, et avec la bergère. Elle est allée aussi solliciter la féroce gardienne de mon voisin, qui l'accueille avec placidité mais l'envoie vite voir ailleurs si elle y est d'un grognement caverneux.
Nous avons été prises sous une averse diluvienne. Dounia a porté Rosie dans ses bras jusqu'à ma maison. J'étais trempée comme une soupe.
photo Yana
Yana
Dounia
Il faisait 9° ce matin, c'est monté jusqu'à 15 dans la journée, vent glacial. J'ai discuté avec le petit vieux d'en face, très gentil et plein d'humour: "Vous ne voudriez pas m'aider à remonter ma débroussailleuse?
- Ma pauvre, si je savais comment me débrouiller avec ces engins, j'en aurais peut-être acheté un...
- Mais alors vous avez une faux?
- Eh oui, comment faire?"
Nous avons parlé politique. Lui, il comprend tout: les Américains veulent se jeter sur la Russie, Poutine ne les laisse pas faire.
Hier et aujourd'hui, je suis allée promener Rosie, le matin, comme je le faisais avec mes petits chiens, mais c'est beaucoup plus rock'n roll. La cynologue s'est occupée de nous hier, d'après ce que je vois, c'est sans arrêt la carotte et le bâton, il est vrai avec beaucoup de caresses et de félicitations, mais jamais je n'ai eu besoin ni de carotte ni de bâton avec mes spitz, ils me faisaient confiance et réciproquement, je n'étais pas sans arrêt en alerte, sans arrêt à balancer des commandes comme à l'armée, avec des récompenses et des punitions. Que dire? Ca marche, enfin ça commence à marcher, mais ce genre de rapports n'est vraiment pas dans ma nature.
Bientôt, elle ne passera plus par la chatière. Et puis la porte des "seni" ferme à nouveau. Le matin, pour déjeuner tranquille et être sûre qu'elle larguera ses mines dehors, je la ferme à l'extérieur. Puis promenade.
Quand je me promenais avec Jules ou Doggie, je surveillais les voitures ou les autres chiens, mais le reste du temps, je contemplais la nature en lisant mes prières. Là c'est plus dur, il faut l'avoir à l'oeil, elle me sollicite tout le temps, essaie de me sauter dessus, avec ses pattes dégueulasses.
Nous sommes tombés sur une meute de chiens qui vit par là, avec des chiots, et je l'aurais bien laissée jouer mais je me méfie un peu des meutes, bien qu'elle ne soit pas trop agressive. J'ai pu observer qu'en effet, elle avait tout d'un chien de race, en comparaison des corniauds du coin. Olga pense que la mère, laïka sibérienne, a dû fauter avec n'importe qui et qu'on s'est débarrassé de la portée invendable.
Il faisait un beau temps de mois d'octobre, même fin septembre, vent frais et humide, gros nuages. Des porcs créent des décharges sauvages le long du chemin. Alors que nous avons une benne chaque semaine pour nous débarrasser des ordures.
Je voulais aller à la fête du monastère, saint Théodore Stratilate, mais mon téléphone était déchargé, je ne pouvais commander de taxi, j'étais en retard, sans taxi, la chienne maudite me suit, l'enfermer à la maison, c'est courir le risque de destructions à l'intérieur. J'y ai renoncé, avec un sentiment de remords, d'impuissance. Bon, on pèche tout le temps, mais je ne suis quand même pas l'athlète du Christ, ça, on ne peut pas dire. J'achèterai l'acathiste à saint Théodore Stratilate pour le lire à la maison... Et s'ils avaient ouvert son église, pour la fête? Vraiment, je suis trop nulle.
Averse diluvienne... Tout est fait pour me retenir de courir là bas. Là bas où le tsar, son fils Féodor
ont séjourné. Où Fédia a dû les accompagner, de par sa fonction, plus d'une fois. Cette impression d'être venue ici, en réalité, principalement pour cela, sans que j'en eusse vraiment conscience. Parce qu'ils m'y ont donné rendez-vous. Des choses se passent en moi qui proviennent d'eux. Il me semble qu'ils sont vraiment présents, que je pourrais presque les voir, les saints et les pécheurs, dans leurs beaux et nobles vêtements, venir à ma rencontre.Peut-être les verrai-je le jour de ma mort. Moscou, Pereslavl, Alexandrov, Serguiev Possad, Saint Cyrille du Lac Blanc, les Solovki. Etapes de mon pèlerinage personnel...
A gauche l'ancienne rive du lac, où se dressait un monastère anéanti à la révolution.
Voici un article qui proposera à l’esprit curieux une
collection de perles extrêmement instructives. Ill s’agit de l’interview sur le
site
ИА REGNUM https://regnum.ru/news/society/2290056.html du prix Nobel Svetlana Alexievitch, dont le
principal titre à cet honneur me semble sa russophobie active et méprisante. J'ai assorti ce florilège de quelques réflexions personnelles.
Sergueï Gourkine 19 juin 2017 Regnum interview de Svetlana
Alexievitch
Le journaliste d’ИА REGNUM a rencontré le prix Nobel Svetlana
Alexievitch et s’est entretenu avec elle. La conversation a pris la forme
d’une interview, ce dont Alexeïevitch avait été prévenue et à quoi elle avait
donné son accord. Au cours de la conversation, le prix Nobel a décidé d’en
interdire, pour une raison connue d’elle seule, la publication. Dans la mesure
où Alexievitch était au départ consentante, la rédaction d’ИА REGNUM a
décidé de la publier entièrement. L’enregistrement de cette interview est
disponible à la rédaction.
ИА REGNUM: Dieu sait pourquoi, on ne fait ordinairement des interviews qu'avec des gens avec lesquels on sait qu'on est d'accord dans l'ensemble. Pour relativiser, on ne vous invitera pas sur la Première chaîne, parce qu'ils ne sont pas d'accord avec vous... Svetlana Alexievitch: Mais sur "Dojd", on m'invitera... Précisément. C'est cela le dialogue. Oui, c’est intéressant de connaître l’image d’un homme qui se
trouve de l’autre côté, ce qu’il a dans la tête…
Bien. Il y a quelques
temps, vous avez donné une interview retentissante sur la possibilité d’une
guerre religieuse, en Biélorussie, entre les orthodoxes et les catholiques,
parce qu’on « peut mettre à l’homme n’importe quoi dans la tête ». Et
à vous aussi, on peut le mettre ?
Ma profession est de faire en sorte que cela n’arrive pas.
Une certaine partie des gens vit de façon consciente, est capable de se
défendre, capable de comprendre ce qui se passe alentour. Mais la majorité se
laisse porter par le courant et vit dans la banalité.
______________________________________________________________________________ C’était le genre de choses que je pensais à dix-huit ans, la vie m’a rendue plus modeste. Svetlana Alexeïevitch n’a pas dépassé ce stade : elle est un esprit éclairé (elle fait même profession de l’être), elle est le sel de la terre, le reste n’est que populace obscure qui vote Poutine ou Trump. Au fait, en quoi Trump la dérange-t-elle puisqu’il fait la même politique que tous les autres, c’est-à-dire celle de l’Etat Profond ? Cet esprit supérieur ne l’a pas remarqué. Svetlana Alexeïevitch pense ce qu’il est convenu de penser dans les cénacles des esprits supérieurs occidentaux qui sont ce qu’on fait de mieux dans le genre. (LG) _______________________________________________________________________
Avez-vous
l’impression que dans notre partie du globe terrestre il y a davantage de gens
de cette sorte ?
Je pense que c’est comme partout. En Amérique, c’est
pareil, autrement, d’où sortirait Trump ? Quand on a affaire à l’individu
moyen, on écoute ce qu’il dit. Cela ne conduit pas forcément à aimer les
gens. Aussi c’est partout pareil, ce
n’est pas seulement un trait russe.
Nous nous trouvons simplement maintenant dans l’état où la
société a perdu son sens de l’orientation. Et pour autant que nous sommes un
pays de guerres et de révolutions et que le plus important pour nous c’est la
culture de la guerre et des révolutions, tout échec historique (du genre la perestroïka,
quand nous nous démenions pour être comme tout le monde), lorsqu’il se produit,
dans la mesure où la société n’est pas prête pour cela, où revenons-nous ?
Nous sommes revenus à ce que nous connaissons. A un état guerrier militaire.
C’est notre état normal.
_______________________________________________________________________________ La Russie est un pays de guerres et de révolutions. Je dirais plutôt cela de la France qui en a connu je ne sais plus combien, après celle de 1789 et les guerres napoléoniennes. Ou des USA qui n’ont pas cessé d’être en guerre depuis leur création et de fomenter des révolutions chez les autres, y compris en finançant les bolcheviques. La plupart des guerres russes ont été défensives ou sécuritaires : repousser le plus loin possible des envahisseurs que n’arrêtaient pas des frontières naturelles. Actuellement, sans l’immense patience des Russes et de leur président, qui ne se prêtent pas aux provocations continuelles, toute l’Europe pourrait être déjà en proie au chaos. (LG) ________________________________________________________________________
Pour parler
honnêtement, je ne l’ai pas observé. Je ne vois ni chez les gens que je connais
ni chez ceux que je ne connais pas aucune agressivité, aucun esprit guerrier.
Que voulez-vous dire par militarisme ?
Si les gens étaient différents, ils seraient tous dans la
rue, et il n’y aurait pas de guerre en Ukraine. Et le jour anniversaire de la
mort de Politkovskaïa il y aurait eu autant de manifestants que j’en ai vus ce
jour-là dans les rues de Paris. Il y avait là de 50 000 à 70 000
personnes. Et chez nous, rien. Et vous dites que nous avons une société
normale. Nous avons une société normale parce que nous vivons en cercle
restreint. Le militarisme, cela ne signifie pas que tous soient prêts à tuer.
Mais cependant, il s’est avéré qu’on est prêt.
Mon père est biélorusse et ma mère ukrainienne. J’ai passé
une partie de mon enfance chez ma grand-mère en Ukraine et j’aime beaucoup les
Ukrainiens, j’ai du sang ukrainien. Et dans mes pires cauchemars je ne pouvais
me représenter que les Russes tireraient sur les Ukrainiens.
_________________________________________________________________________________ De 50 000 à 70 000 personnes ? Ouh là, le chiffre me paraît bien important… On ne déplace pas les Français pour des choses qui les concernent de beaucoup plus près et 50 000 parisiens seraient allés défiler pour Politkovskaïa ? Je sais bien que le bobo de gauche l’agite à tout bout de champ avec beaucoup de persévérance, mais quand même… (LG)
_________________________________________________________________________________
Au départ, il s’est
produit là bas un coup d’état.
Non, ce n’était pas un coup d’état. Vous regardez trop la
télévision.
Je suis né là bas.
Ce n’était pas un coup d’état. C’est la télévision russe qui
fait son travail. Les démocrates devraient utiliser la télévision, ils l’ont
sous-estimée. Le pouvoir actuel imprime dans la conscience ce qui lui convient.
Ce n’était pas un coup d’état. Vous ne vous représentez pas quelle misère régnait la bas…
Je me le représente.
Comme on y volait. Le changement de pouvoir, c’était la
volonté des gens. Je suis allée en
Ukraine, j’ai visité le « musée de la centurie Céleste » et des gens simples m’ont raconté ce qui
s’est passé. Ils ont deux ennemis, Poutine et leur propre oligarchie, la culture
du pot de vin.
A Kharkov, à la
manifestation de soutien au Maïdan, il y avait trois cents personnes, et celle
qui était contre le Maïdan en a rassemblé cent mille. Ensuite, en Ukraine, on a
ouvert quinze prisons, dans lesquelles sont enfermés quelques milliers de
personnes. Et les partisans du Maïdan se
promènent avec les portraits de fascistes avérés.
Et en Russie, il n’y a personne qui se promène avec des
portraits de fascistes ?
Ils ne sont pas au
pouvoir.
En Ukraine non plus, ils ne sont pas au pouvoir.
Porochenko et les autres ne sont pas des
fascistes. Vous comprenez, ils veulent se séparer de la Russie, entrer dans
l’Europe. Comme dans les pays Baltes. La résistance prend des formes
radicalisées. Ensuite, quand ils deviendront un état vraiment indépendant et fort, cela
cessera. Mais pour l’instant, ils
renversent les monuments communistes, que nous devrions renverser chez nous,
ils font la chasse aux programmes de télévision. Et alors, il leur faudrait
regarder Soloviev et Kissiliev ?
Ils les regardent sur
Internet. Et l’audience n’a absolument pas diminué.
Non, c’est une certaine partie des gens qui les regardent,
et pas le peuple.
Eh bien comment vous
dire : l’audience des chaînes russes est plus large que celle des chaînes
ukrainiennes.
Et alors que regardent-ils ? Pas les programmes
politiques.
La vie en Ukraine est
devenue plus pauvre, c’est un fait. Et la liberté de parole est bien moindre,
c’est aussi un fait.
Mais ce qu’ils disaient appelait une réaction violente.
_________________________________________________________________________________ Bonne question du journaliste, après sa diatribe sur l’Ukraine et le Donbass où elle reprend tous les mensonges de la propagande occidentale. On n’a jamais su comment avait été vraiment tuée Politkovskaïa, pour le souvenir de laquelle toute la Russie devrait se soulever, mais l’on sait bien qu’Oleg Bouzina a été assassiné pour avoir dit ses quatre vérités au régime de Kiev. Et pas seulement lui. Un nombre impressionnant de journalistes et correspondants de guerre ont été tués là bas, il faut dire qu’ils étaient russes, donc on s’en fout. Et Rouslan Kotsaba, emprisonné pour délit d’opinion, eh bien, comme elle le dit ce qu’ils disaient appelait une réaction violente. Ils n’avaient qu’à la boucler démocratiquement, ces empêcheurs de haïr la Russie en rond. (LG)
_________________________________________________________________________________
C’est-à-dire que
ceux-là, il faut les tuer ?
Je ne dis pas cela. Mais je comprends les motivations des
gens qui l’ont fait. De même qu’il ne me plaît pas du tout qu’on ai tué Pavel
Cheremet qui aimait l’Ukraine. Visiblement, il y a eu quelques règlements de
compte ou quelque chose comme ça.
Vous leur trouvez
beaucoup de justifications
Ce ne sont pas des justifications. Je me représente
simplement comment l’Ukraine veut construire son état. De quel droit la Russie
veut-elle y imposer sa loi ?
Vous êtes allée au
Donbass, après le début de la guerre ?
Non, je n’y suis pas allée. Quand la guerre commence, il n’y
a plus de justice. A mon avis, Strelkov a dit que la première semaine, les gens
avaient beaucoup de mal à tirer les uns sur les autres, que les obliger à tirer
était presque impossible. Et après, le sang a coulé. On peut dire la même chose
de la Tchétchénie.
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Alors là, elle devrait avoir particulièrement honte, la pécore. Car j’ai encore dans l’oreille la conversation téléphonique de janvier 2014, avant la guerre au Donbass, où Timochenko appelait au massacre des russophones, et dans l’œil les chars ukrainiens arrivant à grande vitesse au Donbass et tirant sur les gens incrédules qui essayaient de les arrêter à mains nues. Sans parler de l’immonde massacre d’Odessa, l’Oradour ukrainien. Les néonazis lui semblent un détail sans intérêt. Il lui suffit que le pouvoir « ne soit pas fasciste ». Ah bon ? Mais il tolère tout cela, l’encourage, l’absout, ses organes de presse poussent sans arrêt au meurtre et parlent de la population russophone comme d’un ramassis de sous-hommes bons à être bombardés, violés, torturés, ce n’est pas grave, c’est la populace qui ne voit pas les lumières de l’Europe l’appeler au bonheur éternel dans la démocratie triomphante où papillonnent joyeusement des slips en dentelles, à la rencontre des demoiselles ukrainiennes privées de tous nos biens de consommation.
Quand à la Tchétchénie, après avoir vu les mensonges éhontés et la désinformation à propos de la guerre de Yougoslavie, de la guerre d’Irak, et de celle du Donbass, eh bien j’ai de gros doutes sur l’unilatéralité des torts et la sauvagerie des Russes, j’en ai aussi de très gros sur la personnalité de sainte Politkovskaïa.
Elle revient avec insistance sur le fantasme des médias occidentaux, l’invasion des Russes. Ah l’invasion des Russes… Elle en a vu des millions de preuves chez les journalistes « honnêtes », le problème est que justement, des preuves, il n’y en a aucune de convaincante à l’ère des satellites qui voient tout, et que depuis trois ans que dure cette horreur, les chars russes n’ont pas encore réussi à quitter le territoire du Donbass pour aller jusqu’à Kiev. Beaucoup moins efficaces en Ukraine qu’en Syrie, les Russes… (LG)
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Même si l’on est
d’accord avec la position (que personnellement je désavoue complètement) que
les gens, à Kiev, « y sont allés d’eux-mêmes », après cela, les gens
à Donetsk y sont aussi allés d’eux-mêmes, sans armes, on ne les a pas écoutés,
on a essayé de les disperser, et après, ils sont venus avec des armes. Les uns
et les autres sont allés soutenir leur conception du droit. Pourquoi cela
est-il permis aux uns et pas aux autres ?
Vous avez fait la même chose en Tchétchénie, pour conserver
votre état. Et quand les Ukrainiens ont voulu conserver leur état, vous vous
êtes soudain souvenus des droits de l’homme, qu’on ne respecte pas à la guerre.
Vous, les Russes, vous avez fait bien pire en Tchétchénie.
Je ne suis pas politicienne. Mais quand se pose la question
de l’intégrité de l’état, c’est un problème de politique. Quand on introduit
des troupes étrangères et qu’elles commencent à imposer leur loi là où elles ne
sont pas chez elles. De quel droit la Russie est-elle entrée au Donbass ?
Vous n’étiez pourtant
pas là bas.
Je regarde aussi la télé comme vous et je lis ceux qui
écrivent là-dessus. Les gens honnêtes. Quand la Russie est entrée là bas, que
vouliez-vous qu’il arrivât ? Qu’on vous accueillît avec des bouquets de
fleurs ? Que les autorités fussent contentes de vous voir ? Quand vous
êtes entrés en Tchétchénie, où Doudaïev voulait faire son système, son pays,
qu’a fait la Russie ? Elle l’a laminé.
Vous avez dit que
vous n’étiez pas une politicienne. Vous êtes un écrivain. Il me semble très
évident que la lutte actuelle du gouvernement ukrainien avec la langue russe
est le principal grief qu’on lui fait. Il y a dix ans, l’agence Gallup a fait
une enquête pour savoir quel pourcentage de la population en Ukraine pensait en
russe.
Je sais tout cela. Mais maintenant, ils apprennent
l’ukrainien et l’anglais.
Ils ont fait cela
très simplement : ils ont distribué des enquêtes en russe et en ukrainien.
Selon la langue choisie par un individu, on peut savoir celle dans laquelle il
pense. 83% des habitants de l’Ukraine pensent en russe.
Que voulez-vous dire par là ? On les a russifiés
pendant soixante dix ans, comme les biélorusses.
Vous voulez dire que
les gens qui vivaient à Odessa ou à Kharkov ont un jour pensé en
ukrainien ?
Je ne sais pas comment c’est chez vous, mais chez nous, en
Biélorussie, sur dix millions d’habitants il en est resté six et quelques après
la guerre. Et sont venus trois millions de Russes. Ils y sont encore. C’est
pareil en Ukraine. Je sais que les gens apprenaient alors la langue
ukrainienne. Comme chez nous on apprend la langue biélorusse, croyant qu’un
jour viendront des temps meilleurs.
C’est-à-dire qu’on
peut interdire aux gens de parler la langue dans laquelle ils pensent ?
Vous avez bien interdit de parler biélorusse en Russie.
Qui l’a
interdit ?
Eh bien voyons ! Vous ne connaissez que votre petit
monde de l’élite ! A partir de 1922 en Biélorussie, on a constamment
éliminé l’intelligentsia.
________________________________________________________________________________ Oui, cocotte, mais pas seulement en Biélorussie, dans toute l’URSS… Là commence une sorte de bizarre imbroglio. Elle accuse la Russie de russification, mais à partir de quel moment ? Le communisme ? Pourquoi mettre sur le dos de la Russie l’aventure communiste, venue d’occident par l’intermédiaire d’une équipe d’intellectuels majoritairement juifs qui détestaient la Russie et ne faisaient aucune différence, dans cette détestation, avec l’Ukraine et la Biélorussie, également coupables d’être slaves, rurales et chrétiennes orthodoxes ? D’autre part, l’URSS a justement créé des républiques autonomes dont les frontières ne correspondaient pas à la réalité historique, culturelle et ethnique des contrées concernées, lesquelles n’étaient que des provinces russes parlant dans les campagnes leur dialecte, les deux autres composantes de la sainte Russie ? L’Ukraine, ou plus exactement la petite-Russie, a rejoint la Russie moscovite dont elle avait été séparée par les invasions mongoles et l’expansion polonaise au XVII° siècle, avec les cosaques zaporogues de Bogdan Khmelnitski, résolument orthodoxes et haïssant les Polonais de toute leur âme. J’ai lu au moment du maïdan une lettre d’un cosaque priant de ne pas confondre les zaporogues avec un ramassis d’uniates galiciens, car si les cosaques épargnaient parfois les Polonais, ils empalaient forcément les uniates qui n’étaient que des traîtres et des renégats. Les paysans petits-russiens parlaient et chantaient leur dialecte, Nicolas Gogol et Mikhaïl Boulgakov écrivaient en russe. Elle proclame ensuite que la Biélorussie parlait polonais et biélorusse. J’ai visité le monastère saint Onuphre, sur la frontière polonaise, qui s’est trouvé séparé de la Biélorussie et mis en Pologne après la guerre. C’était un monastère russe depuis le XIV° siècle et qui se considérait encore comme russe. La Biélorussie, frontalière, est souvent passée des Russes aux Polonais et des Polonais aux Russes, les Polonais convertissaient les gens de force, persécutaient les orthodoxes, mais elle les adore, car elle hait les Russes, nous l’avions compris depuis le début de l’interview. L’important pour elle, c’est de trouver des prétextes, des raisons de haïr les Russes et des justifications à toutes les persécutions et toutes les traîtrises. Soutenir la « langue biélorusse » ou la « langue ukrainienne » n’est qu’une façon de dresser coûte que coûte les uns contre les autres des gens qui avaient une communauté d’histoire, de culture, de foi et de mentalité, elle y tient beaucoup. Je ne pense pas qu’avant la révolution, et même après, jusqu’aux années Eltsine, les Ukrainiens et les Biélorusses se soient sentis empêchés de parler leur dialecte et obligés de parler le russe, d’ailleurs, il n’y a pas une si grande différence entre ces divers langages. (LG)
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Que vient faire ici
l’année 1922 ? Nous vivons vous et moi en 2017.
Et d’où cela vient-il ? D’où est sortie la
russification ? Personne ne parlait le russe en Biélorussie. On parlait le
polonais ou le biélorusse. Quand la Russie est entrée et s’est appropriée ces
terres, la Biélorussie occidentale, la première loi, ce fut la langue russe. Et
aucune université, aucune école, aucun institut ne parle chez nous la langue
biélorusse.
C’est-à-dire que dans
votre conception, c’est une vengeance pour un événement centenaire ?
Non, c’était une tentative de russification, de faire de la
Biélorussie une partie de la Russie. Et de la même façon de faire de l’Ukraine
une partie de la Russie.
La moitié du territoire
qui entre actuellement dans la composition de l’Ukraine n’a jamais été
« ukrainienne », il n’y a jamais eu « d’Ukraine ». C’était
l’Empire russe. Et c’est après la révolution de 17, au contraire, que s’est
imposée là bas la culture ukrainienne.
Eh bien voilà, vous ne savez rien, en dehors de votre petit
morceau de temps, dans lequel vous êtes tombé et vivez. La moitié de la
Biélorussie n’a jamais été russe, c’était la Pologne.
Mais l’autre moitié
l’était ?
L’autre moitié l’était, mais vous la reteniez de force. Je
ne veux pas parler de ça, c’est un tel ramassis de banalités militaristes que
je ne veux même pas l’entendre.
Vous dites qu’il y a
cent ans (à votre avis), on a imposé la culture russe, et c’était mal, et
maintenant qu’on impose la culture ukrainienne, c’est bien ?
On ne l’impose pas. C’est un état qui veut entrer dans
l’Europe. Il ne veut pas vivre avec vous.
Pour cela il faut
supprimer la langue russe ?
Non. Mais peut-être pour quelques temps, oui, pour cimenter
la nation. Parlez russe si vous voulez,
mais les établissements universitaires seront en ukrainien.
C’est-à-dire qu’il
faut interdire aux gens de parler dans la langue dans laquelle ils
pensent ?
Oui. C’est toujours comme ça. C’est ce que vous faisiez.
Je n’ai rien fait de
tel.
La Russie. C’est ce qu’elle faisait sur les territoires
occupés, même au Tadjikistan on obligeait les gens à parler russe. Vous devriez
étudier ce que faisait la Russie ces deux derniers siècles.
Je ne vous interroge
pas sur les deux derniers siècles. Je vous parle d’aujourd’hui. Nous vivons
aujourd’hui.
Il n’y a pas d’autre façon de créer une nation.
Compris. Dans de
nombreuses interviews, vous avez dit que vos connaissances suivaient avec
inquiétude ce qui se passe sur le Maïdan et que la voie évolutive de
développement est sans conteste la meilleure. Vous aviez en vue avant tout la
Biélorussie, mais sans doute aussi la Russie ? Comment vous
représentez-vous la voie évolutive qui est ici exigée ?
Il y faut le mouvement même du temps. Si je considère les
générations qui ont suivi celles qui attendaient la démocratie, je vois qu’est
apparue une génération très servile, des gens absolument pas libres. Beaucoup
d’adorateurs de Poutine et de la voie guerrière. Il est donc difficile de dire
quand la Biélorussie et la Russie deviendront des pays libres.
Mais je n’admets pas la révolution comme une voie possible.
C’est toujours le sang, et arrivent au pouvoir les mêmes personnes, il n’y en a
pas d’autres pour l’instant. En quoi consiste le problème des années 90 ?
Il n’y avait pas de gens libres. C’étaient les mêmes communistes, sous une
autre étiquette.
Et qu’est-ce que
c’est que des gens libres ?
Eh bien disons des gens avec une vue européenne des choses.
Plus humanitaire. Qui ne pensent pas qu’on peut piller le pays et laisser le
peuple sans rien. Vous voulez dire que la Russie est libre ?
Je vous le demande.
En quoi est-elle libre ? Un petit pourcentage de la
population possède toute la richesse et les autres sont restés sans rien. Les
pays libres, c’est par exemple, la Suède, la France, l’Allemagne. L’Ukraine
veut être libre, la Biélorussie et la Russie, non. Combien de gens participent
aux actions de Navalny ?
C’est-à-dire que les
gens libres sont ceux qui ont un regard européen sur les choses ?
Oui. Là bas, la liberté a fait beaucoup de chemin.
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Voilà, les gens qui voient les élections manipulées et faussées, le pouvoir confisqué, la liberté d’expression réduite à une peau de chagrin dans un pays où toute la presse nationale est aux mains de quelques milliardaires mondialistes apprécieront. La liberté chez nous a fait beaucoup de chemin… vers le mur où on va la fusiller ! Personnellement, depuis ma jeunesse, j’ai senti que je n’avais qu’à la boucler, car je n’avais pas les idées convenables et la clique qui nous muselait à l’intimidation, recourt maintenant à la calomnie, aux tribunaux iniques, aux condamnations arbitraires, au deux poids deux mesures, à la mise à mort civile du dissident cloué au pilori de la bien-pensance, privé de son travail, de la possibilité de publier, exposer, se produire, parfois emprisonné et contraint de payer de lourdes amendes. Les journalistes résistants sont virés, comme nous venons de le voir avec Natacha Polony. Notez que si le nationalisme, même teinté de nazisme, est tout à fait licite chez les Ukrainiens, en Biélorussie, dans les pays Baltes, en Tchétchénie, le patriotisme de Marine le Pen, caca, pas beau. Macron le mondialiste qui muselle et verrouille la France dans les structures anonymes de l’Europe mondialiste, lui, très bien, vachement « libre »…
Quelqu’un m’expliquera-t-il un jour ce que c’est que la liberté pour la plupart des imbéciles qui en parlent tout le temps ? (LG)
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Et si quelqu’un ne
partage pas le tableau européen du monde ? Par exemple, il comporte le
concept de tolérance, et peut-on être un orthodoxe fondamental qui ne considère
pas que la tolérance soit juste ?
Ne soyez pas aussi primaire. La foi de quelqu’un, c’est son
problème. Quand je suis allée en France voir une église russe, il y avait
beaucoup d’orthodoxes. Personne ne les dérange, mais ils n’imposent pas leur
vision aux autres, comme cela se passe ici. Là bas, les prêtres sont
complètement différents, l’Eglise n’essaie pas de devenir un pouvoir, et ne se
soumet pas au pouvoir. Discutez avec n’importe quel intellectuel européen et
vous verrez que vous êtes un coffre bourré de superstitions.
J’ai passé un an en
Italie, et quatre-vingt-dix pour cent des intellectuels que j’ai rencontrés ont
une grande sympathie pour les idées de gauche et pour le président de Russie[2].
Il y a des gens comme cela, mais pas si nombreux. Ils
réagissent comme cela devant vous, parce qu’ils ont vu un Russe avec des
opinions radicales. Poutine n’a pas là bas un si grand soutien que vous le
pensez. Il y a juste le problème des gauchistes. Cela ne veut pas dire que Le
Pen, c’était ce que voulait et veut la France. Grâce à Dieu, la France a gagné.
Mais pourquoi
« la France aurait-elle perdue », si une majorité de Français avait
voté pour elle ?
Lisez son programme.
J’ai lu les deux.
Dans le programme de Macron, il n’y a rien, à part des propos généraux sur le
thème « nous devons vivre mieux ».
Non. Macron, c’est vraiment la France libre. Et Le Pen,
c’est la France nationaliste. Heureusement que la France n’a pas voulu être
comme cela.
Une France
nationaliste ne peut pas être libre ?
Elle proposait simplement une variante extrême.
Dans une de vos
interviews, vous avez dit : « Hier je marchais le long de Broadway et
il était visible que chacun était une personnalité. Mais si on marche à Minsk,
Moscou, on voit que se déplace un corps populaire. Commun. Oui, ils ont de
nouveaux vêtements, de nouvelles voitures, mais dès qu’ils ont entendu le cri
de guerre de Poutine « la grande Russie », ils sont à nouveau un
corps populaire ». Vous avez vraiment dit cela ?
Oui, je l’ai dit. Mais je l’ai dit en faisant référence au
philosophe Léontiev. J’ai lu quelque part cette citation de lui. Mais comme
toujours dans le journalisme, on a supprimé cette partie de la réponse.
_________________________________________________________________________________ Ah ça, c’est merveilleux. Là, on atteint le sommet. De manière diamétralement opposée, j’aime la Russie parce qu’elle a gardé ce que nous n’avons plus : cette homogénéité qui fait de ses habitants un peuple, un grand organisme, et encore, malheureusement, il en a pris un coup comme nous tous. J’ai la nostalgie du peuple, à la façon russe : une sorte de grande famille, avec son père le tsar au sommet, qui respire d’un même souffle avec le vent, les nuages de son immense pays, chante d’un même cœur ses chansons immémoriales et prie en communion dans l’Esprit Saint qui irradie l’Eglise. Eh bien ça, ça ne lui plait pas, à la nobellisée, je dirais que c’est même là la première raison de sa haine inexpiable envers la Russie, pas l’URSS, mais justement la Russie, une haine qu’elle partage avec toute la lie trostkiste, mondialiste, néoconne qui est en train de nous détruire de fond en comble, les Soros, BHL and Co, parce qu’elle n’a pas sa place là dedans, de même que le diable n’a pas sa place dans l’harmonie divine, et suinte d’amertume dans le nulle part de la géhenne. Son soutien à l’Ukraine actuelle, ce monstre de Frankenstein, ce Golem hagard, et sa passion de la langue biélorusse comme de la cause Tchétchène tiennent à son désir passionné de détruire tout ce qui est organique, cosmique, harmonieux, ancestral, traditionnel et d’introduire partout la discorde et le chaos. Cette chauvine de l’Ukraine indépendante (indépendante, l’Ukraine actuelle ? Ah je me marre !) pense et agit de la même manière que les mondialistes convaincus qui veulent un monde sans frontières ni particularismes, une humanité où, comme à Broadway où elle se promène avec extase, « chacun est une personnalité », c’est-à-dire un individu isolé relié à rien, dont on fait ce qu’on veut, un poisson de banc. La liberté de la nobellisée que n’ont pas les Russes mais sur la voie de laquelle l’Europe a fait beaucoup de chemin, c’est l’errance aveugle et solitaire du poisson de banc. (LG)
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Je ne supprimerai
rien.
Mais là bas, tu vois vraiment, en marchant, que se déplacent
des gens libres. Et chez nous, même ici, à Moscou, on voit que les gens ont une
vie difficile.
C’est-à-dire que vous
êtes d’accord avec cette citation ?
Absolument. C’est visible même d’après la plastique.
Cette jeune fille,
là, la barmaid du café où nous sommes assis, elle n’est pas libre ?
Arrêtez, qu’est-ce que vous racontez ?
Voilà pour vous une
personne réelle.
Non, elle n’est pas libre, je pense. Elle ne peut pas vous
dire, par exemple, les yeux dans les yeux, ce qu’elle pense de vous. Ou de ce
gouvernement.
Pourquoi le pensez-vous ?
Non, elle ne le dira pas. Et là bas, n’importe qui le dira.
Prenons mon cas. Quand on m’a donné le prix Nobel, j’ai reçu (c’est l’étiquette
dans tous les pays) les félicitations de présidents de beaucoup de pays. Y
compris de Gorbatchev, du président de la France, du chancelier d’Allemagne. On
m’a dit ensuite qu’allait venir un télégramme de Medvedev.
Mais à ma première conférence de presse, alors qu’on
m’interrogeait sur l’Ukraine, j’ai dit que la Crimée était occupée, que dans le
Donbass, la Russie avait fomenté la guerre avec l’Ukraine. Et qu’on pouvait le
faire partout, car il y a beaucoup de points chauds partout. Et l’on m’a dit
qu’il n’y aurait pas de télégramme, car cette citation avait été diffusée par
« Echo Moskvy ».
Jusqu’à Trump, en Amérique, une telle chose était
impossible. Tu pouvais être contre la guerre du Vietnam, contre ce que tu
voulais, mais quand tu avais le prix Nobel, le président te félicitait, parce
que c’est une fierté pour cette culture. Et chez nous, on te demande si tu es
dans ce camp ou dans l’autre.
Vous dites parfois à
propos de la Russie « nous » et parfois « eux ». Alors
finalement, c’est « nous » ou c’est « eux » ?
Tout de même « eux ». Déjà « eux »,
malheureusement.
Mais alors ce premier
ministre n’est pas celui de votre gouvernement, pourquoi serait-il obligé de
vous féliciter ?
Mais nous le considérons comme un gouvernement allié. Nous
sommes encore étroitement liés. Nous ne nous sommes pas encore arrachés, et qui
nous laissera le faire ? Bien que nous voulions nous arracher.
Alors cela veut dire
« eux » ?
Pour l’instant, c’est encore « nous ». Je suis
quand même quelqu’un de la culture russe. J'ai écrit sur cette époque, sur
tout, en russe et bien sûr, j’aurais été contente de ce télégramme. D’après mes
conceptions, il devait me l’envoyer.
On vous a donné le
prix Nobel il y a presque deux ans. Que vous semble-t-il, maintenant, pourquoi
précisément l’avez-vous reçu ?
Il faut le leur demander à eux. Si vous étiez tombé amoureux
d’une femme et elle de vous, la question « pourquoi l’avez-vous
aimée » semblerait ridicule. C’était une question stupide.
_________________________________________________________________________________ Mais non, ma chère, elle n’est pas du tout stupide, la question, et la réponse est simple. On vous l’a donné pour toutes les raisons que je viens d’énumérer plus haut : pour votre haine écumante de la Russie, dont j’avais eu déjà plusieurs exemples chez d’autres intellectuels dans votre genre, qui se jetaient sur moi en pensant trouver, chez une occidentale, une oreille complaisante. On vous l’a donné pour votre adulation imbécile de l’Occident actuel, et de sa mafia bancaire transnationale, de ses chimères politiques, de sa nuisance internationale, de son acharnement à casser tout ce qui faisait la grandeur, la richesse et la diversité des peuples humains de la terre. Pour le service que vous lui rendez en soutenant la mauvaise cause de la discorde et de la guerre civile, en gobant n’importe quel mensonge sans vérifier, pourvu qu’il justifie votre détestation. Une pareille interview ne donne pas envie de lire votre littérature, vous aviez raison d’en craindre la parution. Ni même de boire un café avec vous à la terrasse d’un bistrot parisien. Je n’ai jamais mieux compris ce qui meut vos semblables, ni pourquoi ils m’ont toujours fait horreur, et je vous remercie d’avoir apporté cette pièce au puzzle qui me compose peu à peu la vision globale de la venue de l’Antéchrist et des derniers temps (LG)
_________________________________________________________________________________
Mais quand même, la
décision fut prise non au niveau des sentiments, mais rationnellement.
On m’a dit : « Eh bien, vous attendez sans doute
depuis longtemps le prix Nobel ». Mais je n’étais pas idiote au point de
l’attendre assise.
Et si le comité Nobel
vous demandait un jour à qui, parmi les auteurs qui écrivent en russe, il
conviendrait de donner le prix, qui désigneriez-vous ?
Olga Sedakova. C’est quelqu’un qui correspond à ma
représentation de ce que doit être un écrivain. C’est aujourd’hui une figure
très importante de la littérature russe. Ses opinions, sa poésie, ses essais,
tout ce qu’elle écrit nous dit qu’elle est un grand écrivain.
En lien avec vos
livres, je voudrais revenir au thème du Donbass, mais pas sur le plan
politique. Beaucoup de vos livres parlent de la guerre et des gens dans la
guerre. Mais vous n’allez pas voir cette guerre.
Je n’y suis pas allée et je n’irai pas. Je ne suis pas allée
non plus en Tchétchénie. Un jour j’en parlais avec Politkovskaïa. Je lui ai
dit : Ania, je n’irai plus vers la guerre. D’abord, je n’ai déjà plus les
forces physiques de voir une personne tuée, de voir la folie humaine. En outre, tout ce que j’ai compris de cette
folie, je l’ai déjà dit. Je n’ai pas d’autres idées. Et écrire encore une fois
la même chose, quel intérêt ?
Vous ne considérez
pas que votre avis sur cette guerre pourrait changer si vous y alliez ?
Non. Là bas, il y a des écrivains ukrainiens et russes qui en
parlent.
Mais vous répondez
aux questions, vous parlez de ces événements.
Cela se passe dans un autre pays. Et je peux répondre à ces
questions en tant qu’artiste, pas comme partie prenante. Pour écrire les livres
que j’écris, il faut vivre dans le pays dont il est question. Cela doit être
ton pays. L’Union Soviétique, c’était mon pays. Et là bas, il y a beaucoup de
choses que je ne sais pas.
Je n’ai pas tant à
l’esprit la rédaction d’un livre que la compréhension de ce qui se passe là
bas.
Vous voulez me dire que là bas, c’est terrible ? C’est
la même chose qu’en Tchétchénie.
Mais vous n’y êtes
pas allée.
Alors, Dieu merci, on montrait toute la vérité à la
télévision. Personne ne doutait qu’il y avait là bas du sang et des larmes.
Je parle d’autre
chose. Les gens qui vivent au Donbass sont certains de leur bon droit. Ce sont
des gens ordinaires et ils soutiennent le pouvoir de la résistance. Peut-être
que si vous les voyiez, vous les comprendriez autrement ? Ce sont aussi
des gens.
Les Russes peuvent aussi bien mener leurs troupes dans les
pays Baltes, puisque il y a là bas beaucoup de Russes mécontents. Vous trouvez
normal d’être parti et d’avoir pénétré dans un pays étranger ?
Je trouve normal que
pendant 23 ans, c’ait été pour le gouvernement ukrainien une loi non écrite que
la reconnaissance là bas de deux cultures, la russe et l’ukrainienne. Et cet
équilibre fut plus ou moins respecté sous tous les présidents.
C’était comme cela jusqu’au moment où vous y êtes entrés.
Ce n’est pas vrai. En
hiver 2013, avant la Crimée, nous avons entendu où il fallait envoyer les
« Moscovites »[3]. Et
en février 2014, tout de suite après le coup d’état, et avant toute Crimée,
nous avons vu les projets de lois contre l’utilisation de la langue russe. Les
gens qui vivent dans la partie sud-est du pays se considèrent comme russes, et
ne considèrent pas Bandera[4]
comme un héros. Ils sont allés protester. Et vous, on ne sait pourquoi, vous
considérez que les gens de Kiev ont le droit de protester, et ceux qui sont à
l’est ne l’ont pas.
Mais n’y avait-il pas là bas des tanks russes, de l’armement
russe, des mercenaires russes ? C’est de la connerie, tout ça. Sans votre
armement, la guerre n’aurait pas eu lieu. Alors ne me cassez pas la tête avec
ce délire dont votre tête est bourrée.
Vous vous laissez si facilement prendre à n’importe quelle propagande.
Oui, il y a là bas la douleur et la peur. Mais c’est sur votre conscience,
celle de Poutine. Vous vous êtes engouffrés dans un pays étranger, sur quelle
base ? Il y a sur Internet des millions de cadres, où l’on voit là bas
circuler la technique russe. Tout le monde sait qui a descendu le Boeing et
ainsi de suite. Finissons donc cette stupide interview. Je n’en peux plus. Vous
êtes juste un échantillonnage de propagande, et non un homme doué de raison.
Bien. Dans une
interview au journal El Pais vous avez dit que la propagande soviétique n’était
pas aussi agressive que maintenant.
Absolument. Ecouter l’idiotisme de Soloviev et Kissiliev. Je
ne sais pas comment c’est possible. Ils savent eux-mêmes que ce n’est pas la
vérité.
Dans la même
interview, vous avez dit que l’Eglise ne se limitait pas à l’interdiction de
travaux théâtraux et de livres.
Oui, elle se mêle de ce qui ne la regarde pas. Ce n’est pas
son problème, comment monter des spectacles et que tourner. Nous allons bientôt
interdire les contes pour enfants parce qu’il y aurait là dedans des scènes de
sexe. Il est vraiment très drôle de regarder de l’extérieur dans quelle folie
vous vivez.
A entendre les
députés de la Douma qui se battent avec les films d’art et d’essai, et quelles
interdictions de la part de l’Eglise avez-vous à l’esprit ?
Mais autant que vous voulez. Tous ces orthodoxes à qui il
semble que Serebriannikov monte quelque
chose qui ne va pas, Tabakov fait quelque chose de pas convenable. A
Novosibirsk, on a interdit son spectacle.
Vous considérez que
c’est la position de l’ensemble de l’Eglise ?
Je pense que cela vient même d’en bas. De cette noirceur, de
cette écume qui s’est soulevée aujourd’hui. Vous savez, notre interview ne me
plaît pas, et je vous interdis de l’imprimer.
Un correspondant m'a envoyé un article et une photo sur les laïkas sibériens, il semble que Rosie, si elle n'est pas pure race, est très proche du type... C'est ce que m'a dit la cynologue dès qu'elle l'a vue. Elle a le même masque et la même morphologie que le chien de la photo.
.https://wamiz.com/chiens/laika-de-siberie-occidentale-222
Effectivement, "difficile à gérer pour une personne inexpérimentée". Et d'autre part, fort instinct de chasse. Mon entrée ressemble à la tanière d'un ours, et j'y trouve des cadavres de souris, dont j'attribuais la responsabilité aux chats, mais j'ai vu Rosie chasser: elle guette dans les hautes herbes et bondit d'un seul coup.
Je suis allée à
l’église, au monastère, un office à rallonge, pour la fête de tous les saints russes. Le sermon du prêtre portait sur le thème de la sainte Russie, représentée aujourd'hui par chacun de ceux qui font partie de l'Eglise russe. La sœur Larissa, toujours
adorable, elle veut toujours me trouver une place assise, et m’a emmenée dans
la chapelle latérale des saints Adrien et Nathalie, fierté du monastère. Les
murs ont été repeints de fresques, dans le style iconographique. L’iconostase
est si tarabiscotée et couverte de dorure que les icônes en sont
complètement étouffées. Je trouve que c’est un peu dommage. La sœur Larissa
m’a fait asseoir, en me disant que c’était là que priait la mère de Pierre le
Grand, la tsarine Nathalie Narychkine, que c’était une femme très progressiste,
qu’elle avait fondé des écoles pour instruire les populations, avec sa fille,
la sœur de Pierre. Intéressant, mais je ne suis pas en très bons termes avec la
famille Romanov à ses débuts. On doit au tsar Alexis et à son patriarche Nikon
le schisme impardonnable des vieux-croyants, à la suite de réformes prononcées
sans même la convocation d’un concile. Quand à Pierre le Grand, passons, tout le monde sait déjà que ce n'est pas mon copain… Soeur Larissa me ferait davantage plaisir en m'ouvrant l'église saint Théodore Stratilate, construite par Ivan le Redoutable en l'honneur de son fils!
La sœur Larissa
insiste toujours pour que je communie, que je vienne plus souvent et si je
reconnais qu’elle a sûrement raison, je n’aime pas du tout qu’on fasse pression
sur moi, j’avais le même problème avec le très gentil père Dmitri de l’église
saint Syméon le Stylite.
C’était une autre sœur
qui s’occupait du café, où j’ai acheté du kvas, du miel et des pirojkis. Nous
avons un peu discuté. C’est une femme déjà d’un certain âge, des environs de
Moscou, qui a décidé d’entrer au monastère. Pour l’instant, elle est novice.
«On verra bien, me dit-elle.
- Cela se passe bien
pour vous, ici ?
- Vous savez,
fondamentalement, on est mal partout, où qu’on aille. Sinon, ferait-on tant d'efforts pour gagner le Royaume des Cieux? C'est là bas qu'est notre place. On ne peut pas aller bien, ici
bas, nous n'y sommes pas chez nous.
- Eh bien vous voyez,
moi je suis croyante, mais j’y tiens, à la vie terrestre, je pense être
quelqu’un de très souffrant, de trop sensible, mais j’y tiens. J'aime la beauté de la vie et ses bonnes choses.
- En réalité, beaucoup sont faits comme vous. On ne part pas au
monastère parce qu’on ne tient pas à la vie. Ce sont les gens qui n’y
connaissent rien qui disent des choses pareilles…
- En effet, pour moi,
ce ne serait pas une bonne raison. »
Je suis allée
mettre un cierge à saint Théodore, pour Fédia. J’ai aussi commandé pour quarante
jours la mention du serviteur de Dieu Féodor pendant les prières à l’intention
des défunts. La sœur Larissa me demande : «Il n’est pas nouvellement
présenté au Seigneur ?
- Oh ça non, vous pouvez
être tranquille, ça fait un bout de temps qu’il est mort… »
Dans les quatre cents
ans et quelques. Cela fait dans les quatre siècles que plus personne n’avait prié pour ce
garçon, pour ce jeune criminel, "beau par le visage, mais affreux par l'âme". J’éprouvais tout à coup une profonde compassion qui me le rendait très présent, et qui, tout en me tirant des larmes, m’emplissait d’une étrange grâce, ou
disons peut-être simplement de grâce, qui n'est étrange que parce qu’elle est d’un
autre monde. "Je suis étranger sur la terre, ne me cache pas Tes commandements".
Il m'est revenu à l'esprit ce qu'écrivait de moi à maman la soeur Marie-Rose de ma classe de maternelle Montessori à Annonay, dans l'Ardèche. Je dessinais beaucoup et j'avais commenté ainsi une de mes créations: "C'est une petite fille triste qu'un petit garçon vient prendre par la main". Il venait de loin, dans le temps et l'espace.
La dresseuse de chien
est venue, elle s’appelle Olga, très gentille. Elle sait y faire et m’a montré
comment repousser Rosie d’un coup de genou quand elle me saute dessus en disant
niet, puis khorocho, khorocho quand elle s’exécute, comment l’attraper par la
mâchoire de manière à lui coincer les babines sur les dents quand elle mord
trop fort, niet, khorocho, khorocho, laisser mordiller en disant
« akkouratno » mais niet et une baffe si elle s’obstine à mordre et
si elle regimbe, carrément la coller au sol en l’attrapant par le collier.
Rembarrer, féliciter gentiment, dressage permanent, car la bête ne comprend que
les rapports de domination, ce qui n’était pas le cas de mes intellectuels,
Jules et Doggie, dont je comprends tout le caractère exceptionnel. Olga ne
trouve pas le cas de Rosie désespéré, elle a pire. C’est un chiot actif,
dit-elle, et en plus, un chien de traîneau, un bâtard de laïka. Ce sont, d’après
elle, des chiens assez sauvages, pas faciles, très dévoués quand on sait les
prendre. Elle sait y faire, mais quand j’ai voulu appliquer ses recettes, j’ai
vu que Rosie ne réagissait pas du tout de la même manière, elle était furieuse
et regimbait énormément. Enfin, j’ai signé pour dix séances, ça va peut-être s’arranger…
Olga m’a dit qu’il y
avait toutes sortes de chiens et qu’on n’avait pas toujours des affinités. Elle
en a eu avec qui c’était le grand amour et d’autres avec lesquels c’était plus
difficile. Je sens que là, ça va être plus difficile.
Nous avons vu aujourd’hui
du soleil entre deux averses diluviennes, et les arcs en ciel sont fréquents
parmi les gros nuages spectaculaires, comme dans mon souvenir. J’en ai profité
pour passer la débroussailleuse. Je n’ai fait qu’une partie du terrain, et
après tout, faut-il vraiment tout ratiboiser ? J’aime bien voir les
boutons d’or se mélanger aux longues herbes et aux roseaux. Olga dit qu’il vaut
mieux, à cause des tiques. Personne n’a de tiques, dans ma ménagerie…
A l’issue du
processus, je me suis souvenue d’un dessin de Franquin où un type n’arrêtait
pas de trembloter après avoir fait usage d’un marteau piqueur. Mes bras
vibraient et tout m’échappait des mains. J’ai vu des tondeuses mécaniques,
comme celle de mon grand-père. Je vais en acheter une pour le devant de la
maison, afin de ne pas toujours recourir à l’engin bruyant. Olga se sert d’une
faux, et je le voudrais bien, mais elle en a cassé cinq avant de prendre le
coup, et je sens qu’à mon âge, je ne le prendrai pas vite…
Les très jolies fleurs de la viorne aubier ou kalina, la kalina kalinka de la chanson
Blackos en pleine sieste. Je ne sais quelle est l'histoire de ce chat, mais il est parfaitement domestique et se réjouit tous les jours d'avoir un toit, il fait plaisir à voir.
Je rêve d'iris de cette sorte et aussi d'iris des marais.
Pluie, froidure et
grisaille, on se croirait fin octobre. Couchée à minuit, je suis réveillée à
quatre heures du matin par le chat Rom qui veut bouffer et ne supporte pas
d’attendre et qui n’est surpassé, dans l’emmerdement maximum quotidien causé,
que par Rosie, laquelle, au contraire de mes spitz dort très peu, s’ennuie et
entreprend de tout démonter et trimballer dans la maison ou de m’arracher une poignée de cheveux ou une
oreille pour me tirer du lit. Après quelques hurlements exaspérés, je récupère
mes pantoufles, que je dois poser hors d’atteinte sur le bord de la fenêtre, si
je ne veux pas les chercher pieds nus pendant une heure. Rom miaule sans
relâche et crache sur tous ceux qui l’approchent, tant il a peur de ne pas
avoir toute la bouffe qu’il lui faut, celle qu’il préfère et qui est
obligatoirement dans l’écuelle du voisin. La chienne bondit autour de moi, pour
la même raison. Je les déteste minutieusement et les traite de tous les noms.
La partie civilisée de l’équipe attend gentiment : Chocha, Georgette,
Blackos. Je vais verser des croquettes à la chienne, qui se rue sur l’écuelle
de telle manière que je ne peux y arriver, je répète en français et en russe, « doucement »,
et je finis par lui claquer furieusement le museau, ça elle comprend, cinq
minutes, pas plus. Après, elle est occupée à manger, je m’occupe des civilisés,
qui passent après les sauvages, comme au Goulag, et c’est profondément injuste.
Ils ont droit à ma compassion et à mes excuses, pour avoir hébergé les deux
emmerdeurs qui nous gâchent la vie à tous.
Après, j’essaie de
préparer mon petit déjeuner, après lequel je redeviens normalement un être
humain si on me fout la paix quand je le prends. Mais je suis constamment sur
le qui-vive. En principe, Rosie a plus ou moins intégré d’aller dans son panier
pendant ce moment sacré, mais elle contrevient assez souvent, cherchant à
monter sur mon lit ou partant faire Dieu sait quels méfaits dans le reste de la
maison.
Ensuite, il me faut
déminer le parquet. Je pensais qu’elle commençait à faire ses besoins dehors,
mais la pluie me fait réaliser qu’il n’en est rien. Moi qui ai horreur du
ménage, je suis sans arrêt le balai et la serpillère à la main. En plus des
mines, j’ai la décharge publique dans la maison et autour, car elle me rapporte
tout ce qu’elle peut trouver de vieux chiffons, gants de jardinage, ferrailles,
ossements, canettes vides qu’elle tire à mon avis chez les voisins et
déchiquète dans son antre, c’est-à-dire chez moi.
J’ai aussi les odeurs.
Celles des déjections. En plus d’en faire dans la maison, elle ne manque pas d’entrer
dans les toilettes des chats pour se parfumer le matin. Moi qui adore les
maisons qui sentent bon, lorsqu’enfin elle se calme et se couche à mes pieds,
j’ai des relents de merde, de pisse ou de pets, un vrai bonheur.
Comme j’ai pitié de
l’animal, et qu’il faut la fatiguer et essayer de créer un lien, je joue avec,
à jeter la baballe, ce qui lui plaît c’est de disputer un truc, de le défendre
et de l’arracher à l’adversaire, avec un doigt si possible. Une amie russe me
conseille de couiner pour montrer que j’ai mal. Ca ne marche pas toujours. Et
puis pour la fatiguer, il faudrait jouer la moitié de la journée. A cause de la
pluie, elle ne va plus chez les voisins qui d’ailleurs en ont ras le bol.
L’autre distraction
est de courser les chats. Rom la hait et il a le coup de patte comme elle a le
coup de dent, qui se ressemble ne s’assemble pas forcément. Chocha ne se laisse
pas faire non plus. Blackos et Georgette miaulent à fendre l’âme pour m’appeler
au secours. Le pire est que cette imbécile aime bien Georgette, mais comme elle
manque de lui casser la colonne vertébrale à chaque fois qu’elle veut jouer
avec, le sentiment n’est pas vraiment partagé.
Evidemment, si elle
sort, avec la pluie, elle revient les pattes dégueulasses et la première chose
qu’elle fait est de me sauter dessus, cette horrible manie des chiens cons. Je
vois bien, quand elle m’a conduite au bord du meurtre, à la rage hystérique,
qu’elle se calme un peu et qu’elle en est même peinée, mais jusqu’à ce stade,
j’aurai le cirque complet. Rares sont les moments où je peux la caresser, car
aussitôt, elle me mordille, si l’on peut appeler cela mordiller. Pas moyen non
plus de partager des moments apaisés, complices, c’est la lutte au couteau, les
rapports de force.
Des amies russes à qui
je racontais cela étaient hier soir pliées de rire. L’une d’elle, une charmante
nouvelle connaissance, m’a dit : «Laurence, tout cela, c’est pour vous
habituer à vivre chez nous ! Quand vous serez venue à bout de votre
chienne, vous pourrez affronter n’importe quel fonctionnaire et toutes les
difficultés de notre existence ! Vous serez aguerrie ! »
J’ai passé une
excellente soirée avec ces femmes intelligentes, subtiles, drôles et bonnes, et
quand je suis arrivée chez moi, j’ai trouvé le dépotoir municipal, mes coussins
fraîchement achetés et âprement défendus tous les jours, jetés à travers la
pièce, le sucrier renversé sur la table et vidé de son contenu, un miracle
qu’il soit resté entier. Car elle grimpe sur la table sans problèmes, et plus
elle grandit, plus il me devient difficile de mettre les choses hors de sa
portée.
En fait j’ai
compris : c’est ma punition, pour avoir négligé la santé de mon petit
chien, qui me manque affreusement, et dont je revois sans arrêt l’infinie
tristesse, dans cette cage où il croyait que je l’abandonnais et où il est mort
sans moi. C’est ma croix.