Le pic de Burgarach |
Henri Barthas est un homme que j'ai connu par Facebook, et qui habite Limoux, "le pays des fous", de la blanquette, du canard et du Christ cosmique. A Limoux, on boit de la blanquette, inventée par Dom Pérignon, le père du champagne. "C'était une ébauche, la blanquette?
- Mais non, malheureuse, c'était son premier chef d'oeuvre!"
Le pays se caractérise m'a-t-il expliqué, par ses nombreux chasseurs anticléricaux et socialistes, l'amour de la population pour la fricassée, la viande et le canard, sans lesquels un repas ne saurait porter ce nom. Et par un maire qui a défrayé la chronique...
Henri m’a emmenée
visiter un peu la région qui est magnifique et préservée, encore plus que le
Gard. Les villages sont restés comme dans les années 50. Sauf que
naturellement, on a commencé à y répartir des migrants.
Le paysage a quelque
chose de sauvage et de magique. On n’est pas loin de la mer, les
pins parasols et les cyprès poussent à travers les collines accidentées,
rocheuses, mais on n’est pas loin de la montagne non plus, et l'on y voit des pins sylvestres. Les essences
méridionales prennent plus de développement que de notre côté, et forment des
forêts hautes et profondes, mystérieuses. Je suis descendue avec lui jusqu’à une rivière
salée et son pont romain, par un sentier à travers des bois ténébreux. Nous nous étions arrêtés
près du pic de Burgarach, une montagne à la forme étrange et impressionnante
qui a une réputation magique ou paranormale, piste d’atterrissage pour les OVNI
ou autres légendes sensationnelles. Dans le coin habite le « Christ
cosmique », un bonhomme qui se présente ainsi, « je suis le Christ
cosmique, le grand monarque, le Messie », et que nous avons croisé deux
fois, en short et chemise baba cool, les cheveux hirsutes autour d’une
figure parfaitement ordinaire, qu'on ne croirait pas sortie, les apparences sont trompeuses, de l'usine à surhommes d'Aldébaran...
Henri m’a emmenée au
monastère orthodoxe de Cantauques qui a conquis mon cœur. Le lieu est à la fois
paisible, lumineux et désert, avec un cèdre et un cyprès majestueux. L’église
simple et belle, les chants liturgiques dépouillés et harmonieux, une
spiritualité palpable en toutes choses, et puis quels moines… Le père Samuel,
affable et chaleureux, le père Syméon, si délicieusement malicieux et plein
d’humour, le magnifique père Moïse, si beau, si noble, avec une barbe digne du
nom qu’il porte, un visage de roi
légendaire. J’écoutais l’épître de Pierre qui témoignait de la
Transfiguration : un témoignage direct attesté par une vie de proscrit et
une mort de martyr. Comment en douter ? Le Christ de la fresque, derrière
l’autel, semblait me dire : « Tu vois ? »
Nous avons pris un
petit verre du quina du père Syméon, dans le cloître fleuri où tout le monde se
retrouve après la liturgie, dans l’odeur des lavandes.
En fin d’après-midi,
nous avons visité le village de Rennes le Château, dont le curé, au début du
XX° siècle, avait embelli l’église dans un style plus naïf que sulpicien, à mes
yeux infiniment préférable aux squelettes d’églises hantées par quelques
affiches avec des slogans religieux ou par des photos, qui ont suivi Vatican
II. Personne ne sachant comment le curé avait trouvé les fonds, plein de gens
soupçonnent qu’il ait pu découvrir le trésor des templiers. Cette église, le
petit jardin attenant, le presbytère et sa véranda colorée m’évoquaient
fortement la France disparue que je voyais à Annonay dans mon enfance. Hélas,
deux choses me ramenaient au temps présent : l’omniprésence des touristes
et surtout les déprédations apportées par une « déséquilibrée » au
chef-d’œuvre de l’abbé : le diable écrasé sous le bénitier a perdu sa
tête, et aussi Marie-Madeleine, sur l’autel.
Les paysages des
Corbières sont gâchés par des éoliennes « écologiques » gigantesques
en grand nombre. Il conviendrait naturellement de promouvoir à grande échelle
la production d’énergie autonome individuelle, chacun sa petite éolienne, ses
panneaux solaires, sa maison construite dans cette perspective, et le paysage
n’en serait pas gâché, mais l’énergie et ses profits ne seraient plus un
monopole. A ce problème, beaucoup de gens du pays ont la réponse: "Faren tout pétar"...
En traversant ces
villages, ces forêts si belles dans leur variété, ces étendues sauvages, pleines
de rochers grandioses sous les nuages orageux, de ruines médiévales perchées,
je sentais mon lien atavique avec tout cela, en dépit de celui que j’ai avec la
Russie, et j’éprouvais une souffrance profonde à l’idée que nous étions en
train de perdre notre pays...
Henri est un produit
local, né ici, de parents eux-mêmes originaires du coin, il a le physique du
lieu, les expressions et l’humour du sud ouest. Il est le résultat de
générations de Français des Corbières. C’est ce que veut détruire la caste au
pouvoir, pour créer artificiellement une société de métis déracinés qui n’aura
plus aucun lien avec ces paysages, ces maisons, ces églises et ces châteaux.
Avec Henri, j’ai des
discussions que je n’ai pas avec beaucoup de Français, mais c’est que beaucoup
de Français ne l’ont déjà plus, ce lien, cinquante ans d’américanisation
médiatique ont fait leur œuvre, et aussi la destruction programmée de la
paysannerie et la démission de l’Eglise catholique, sa compromission avec la
modernité.
Henri, sa femme et
moi, nous nous sommes entendus comme larrons en foire, et nous avons beaucoup
ri. J’espère qu’ils viendront me voir en Russie, ces vrais Français comme on n’en
fait plus.
Henri m’a raconté, ce
que j’ignorais, que la liturgie gallicane avait beaucoup plus de points communs
avec la liturgie byzantine, elle comportait notamment le trisagion, mais elle
avait développé sa forme originale, à partir des successeurs de saint Irénée de
Lyon. Elle a été extirpée par Rome, après bien des résistances locales. De
sorte qu’Henri et moi-même retrouvons dans la liturgie orthodoxe quelque chose
qui nous enracine aussi dans cette lointaine France pré-schismatique avec
laquelle le lien est quasiment perdu.
Henri sur le pont romain |
La rivière salée (la Sals) |
Type anthropologique de Français du sud-ouest (orthodoxe) |
Henri, Patou et le chat Ouinou |
Dans l'église de Rennes le Château |
Tour en dessous du village |
Au monastère de saint Martin et de la Mère de Dieu à Cantauques |