On m'appelle aujourd'hui au téléphone: "Guillon, Laurence, Marguerite, Madeleine?
- Oui?
- C'est le service d'immigration de Pereslavl. "
Mon sang n'a fait qu'un tour: qu'est-ce qu'on me voulait donc?
La voix continue: "Vous vous souvenez de moi? C'est moi qui ai enregistré votre permis de séjour...
- Oui, oui...
- Je voulais savoir, votre adorable petite chienne n'a pas fait de petits?
- Ah non, et du reste, elle est maintenant en chasse, je vois revenir l'horrible basset qui m'indique que c'est le moment.
- Laissez-moi lui trouver un fiancé, j'ai tellement envie d'avoir de nouveau un spitz!"
J'avais chez moi Natacha, qui discutait de la traduction de mon livre, et à qui l'adresser éventuellement, quoique naturellement, je me demande si l'espèce de cauchemar de science-fiction hollywoodienne qui se met en place me laissera le publier, d'autant plus qu'il n'est pas précisément porteur des valeurs de Bill Gates, Soros ou Guerman Gref.
Sous une photo ancienne de paysannes russes en costumes traditionnels, sur un site prônant le retour à la terre, une jeune Russe branchée avait écrit: "Est-ce le peuple russe, on dirait des extraterrestres". J'ai répondu: "Bien sûr, c'est ça le peuple russe, et les extraterrestres, c'est nous.
- Mais non, me répond-elle, les gens se sont assimilés, ils portent des fringues de marque, ils écoutent de la musique branchée...
- Ils se sont assimilés, c'est vrai. Assimilés à quoi? En France aussi, ils se sont assimilés, les citoyens du monde. Mais ils ne sont plus russes ni français, ni même tellement humains, ce sont des extraterrestres. Les vrais Russes, et les vrais Français ce sont ceux qui ne sont pas "assimilés".
Tout de même c'est extraordinaire ce terme d'assimilés... Un terme que l'on emploie pour les étrangers arrivés dans un pays. C'est-à-dire que cette fille qui ne sait même plus d'où elle sort, ignore ses ancêtres et leur culture, s'est assimilée, à l'intérieur de son pays, à ce qu'on nous propose partout, la contrée transnationale de l'imbécile hagard bientôt dument pucé et répertorié, mais à côté de cela, il reste les Russes, ceux qu'elle ne connaît pas, les Russes non assimilés que moi, je fréquente.
La veille, j'avais discuté avec Katia, venue m'aider, sur le même thème. Elle me disait: "La Russie n'existe plus qu'en tant qu'entité spirituelle". C'est sans doute vrai, et c'est déjà ça, c'est l'histoire de la ville invisible de Kitej. Quand j'avais ma datcha au village de Krasnoïé, j'avais accompagné ma vieille voisine sur la tombe de son fils, car elle ne pouvait plus marcher jusqu'au cimetière. Je l'avais attendue à distance, pour ne pas la gêner dans ses dévotions, en faisant un dessin sur le bord du chemin. Et j'avais entendu de loin des lamentations déchirantes, à pleine voix. Quand je l'avais rejointe, elle m'avait dit, en montrant les tombes autour d'elle: "Tu vois, tout le village est ici, il y a plus de monde sous la terre que dessus".
Et en effet, mais aussi bien les folkloristes que les orthodoxes, nous ne sommes pas séparés de ceux qui sont sous la terre et au ciel, comme les "assimilés", comme les extraterrestres qui n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre. Nous formons tous ensemble avec eux la sainte Russie, la ville invisible de Kitej qui survit dans les décombres prérévolutionnaires et parmi les monstres post-révolutionnaires. Mes petites élèves, les filles du cosaque, m'ont dit: "Nous avons toujours eu l'impression que de quitter son pays était une trahison...
- Pour moi, on trahit son pays quand on essaie de lui nuire et de le déprécier, où qu'on soit, ce que je ne fais pas. C'est votre père qui pense cela?
- Oh non, il vous trouve super, une vraie patriote de la Russie.
- C'est vrai, je suis patriote de la Russie, et je ne renie pas la France, parfois, je ne la reconnais plus, mais nous sommes tous touchés par le même processus. Cela dit, pour ressusciter la France, selon le rêve de votre père, je ne sais pas dans quoi m'inscrire, car la France a été catholique pendant des siècles, et je ne le suis plus, je ne l'ai même jamais vraiment été, je suis passée du paganisme grec à l'orthodoxie, et si je puis dire, au delà de la Russie, je suis patriote de l'orthodoxie. C'est un peu inconfortable, mais il me faut bien l'assumer."
Je m'amuse bien, avec mes deux gamines. Elles m'écrivent en français des résumés historiques, et je leur fais traduire des recettes de cuisine. Hier, j'ai essayé de parler et de les faire parler. C'est la pratique et la prononciation qui pèchent le plus, chez elles.
- Oui?
- C'est le service d'immigration de Pereslavl. "
Mon sang n'a fait qu'un tour: qu'est-ce qu'on me voulait donc?
La voix continue: "Vous vous souvenez de moi? C'est moi qui ai enregistré votre permis de séjour...
- Oui, oui...
- Je voulais savoir, votre adorable petite chienne n'a pas fait de petits?
- Ah non, et du reste, elle est maintenant en chasse, je vois revenir l'horrible basset qui m'indique que c'est le moment.
- Laissez-moi lui trouver un fiancé, j'ai tellement envie d'avoir de nouveau un spitz!"
J'avais chez moi Natacha, qui discutait de la traduction de mon livre, et à qui l'adresser éventuellement, quoique naturellement, je me demande si l'espèce de cauchemar de science-fiction hollywoodienne qui se met en place me laissera le publier, d'autant plus qu'il n'est pas précisément porteur des valeurs de Bill Gates, Soros ou Guerman Gref.
Sous une photo ancienne de paysannes russes en costumes traditionnels, sur un site prônant le retour à la terre, une jeune Russe branchée avait écrit: "Est-ce le peuple russe, on dirait des extraterrestres". J'ai répondu: "Bien sûr, c'est ça le peuple russe, et les extraterrestres, c'est nous.
- Mais non, me répond-elle, les gens se sont assimilés, ils portent des fringues de marque, ils écoutent de la musique branchée...
- Ils se sont assimilés, c'est vrai. Assimilés à quoi? En France aussi, ils se sont assimilés, les citoyens du monde. Mais ils ne sont plus russes ni français, ni même tellement humains, ce sont des extraterrestres. Les vrais Russes, et les vrais Français ce sont ceux qui ne sont pas "assimilés".
Tout de même c'est extraordinaire ce terme d'assimilés... Un terme que l'on emploie pour les étrangers arrivés dans un pays. C'est-à-dire que cette fille qui ne sait même plus d'où elle sort, ignore ses ancêtres et leur culture, s'est assimilée, à l'intérieur de son pays, à ce qu'on nous propose partout, la contrée transnationale de l'imbécile hagard bientôt dument pucé et répertorié, mais à côté de cela, il reste les Russes, ceux qu'elle ne connaît pas, les Russes non assimilés que moi, je fréquente.
La veille, j'avais discuté avec Katia, venue m'aider, sur le même thème. Elle me disait: "La Russie n'existe plus qu'en tant qu'entité spirituelle". C'est sans doute vrai, et c'est déjà ça, c'est l'histoire de la ville invisible de Kitej. Quand j'avais ma datcha au village de Krasnoïé, j'avais accompagné ma vieille voisine sur la tombe de son fils, car elle ne pouvait plus marcher jusqu'au cimetière. Je l'avais attendue à distance, pour ne pas la gêner dans ses dévotions, en faisant un dessin sur le bord du chemin. Et j'avais entendu de loin des lamentations déchirantes, à pleine voix. Quand je l'avais rejointe, elle m'avait dit, en montrant les tombes autour d'elle: "Tu vois, tout le village est ici, il y a plus de monde sous la terre que dessus".
Et en effet, mais aussi bien les folkloristes que les orthodoxes, nous ne sommes pas séparés de ceux qui sont sous la terre et au ciel, comme les "assimilés", comme les extraterrestres qui n'appartiennent ni à l'une ni à l'autre. Nous formons tous ensemble avec eux la sainte Russie, la ville invisible de Kitej qui survit dans les décombres prérévolutionnaires et parmi les monstres post-révolutionnaires. Mes petites élèves, les filles du cosaque, m'ont dit: "Nous avons toujours eu l'impression que de quitter son pays était une trahison...
- Pour moi, on trahit son pays quand on essaie de lui nuire et de le déprécier, où qu'on soit, ce que je ne fais pas. C'est votre père qui pense cela?
- Oh non, il vous trouve super, une vraie patriote de la Russie.
- C'est vrai, je suis patriote de la Russie, et je ne renie pas la France, parfois, je ne la reconnais plus, mais nous sommes tous touchés par le même processus. Cela dit, pour ressusciter la France, selon le rêve de votre père, je ne sais pas dans quoi m'inscrire, car la France a été catholique pendant des siècles, et je ne le suis plus, je ne l'ai même jamais vraiment été, je suis passée du paganisme grec à l'orthodoxie, et si je puis dire, au delà de la Russie, je suis patriote de l'orthodoxie. C'est un peu inconfortable, mais il me faut bien l'assumer."
Je m'amuse bien, avec mes deux gamines. Elles m'écrivent en français des résumés historiques, et je leur fais traduire des recettes de cuisine. Hier, j'ai essayé de parler et de les faire parler. C'est la pratique et la prononciation qui pèchent le plus, chez elles.